SOUVENIRS MESSINS D'UN INSTITUTEUR LORRAIN
Novembre 1940 - Février 1941
par M. Henri WILMIN, membre correspondant
La vie messine est connue par les deux journaux allemands de l'épo-
que ainsi que par divers auteurs dont les articles de Paul Piquelle parus
dans le Républicain Lorrain à partir du 9 février 1949. Par des notes per-
sonnelles, des enquêtes, des archives allemandes officielles et privées, ce
travail décrit la germanisation et nazification des jeunes enseignants lor-
rains à l'école normale de Montigny devenue, pour une année, une Hoch-
schule fur Lehrerbildung puis une simple Lehrerbildiingsanstalt (LBA) à
partir de 1942. L'historique de l'Ecole Normale d'instituteurs de la
Moselle, 150ème anniversaire 1822-1972, n'a consacré qu'une place
minime à la période de l'occupation.
La reconversion (Umschulung). Entré dans l'enseignement primaire
en 1936, l'auteur aurait, après l'obtention du C.A.P. du premier degré
en mars 1938, être titularisé le 1er janvier 1939. Le décret de Paul Reynaud,
ministre des Finances, ajourna sine die toutes les titularisations. De ce fait,
le départ de l'école de Schorbach repliée à Gensac-la-Pallue (Charente) le
priva de son poste alors qu'il figurait sur la liste d'expulsion de son père.
M. Prot. chargé des écoles repliées ne put que l'assurer de toute sa bienveil-
lance et «d'avoir confiance dans la République». Une démarche du beau-
père ayant reçu de l'administration allemande l'assurance que l'ordre
d'expulsion ne serait pas appliqué, l'auteur ayant un ménage indépendant
de celui de son père, rentra en Lorraine. A Saint-Dizier, la police, ayant
trouvé son nom dans un gros livre à forme de dictionnaire, lui demanda s'il
était capable d'enseigner en allemand et, sur la réponse affirmative, l'auto-
risa à retourner à Stiring-Wendel. Le Schulrat Dr. Ltibbe, un homme aima-
ble,
l'affecta à l'école du Centre dirigée par M. Darbois, président de
l'U.N.C, son poste de Vieux-Stiring n'étant plus disponible. Trois semai-
nes plus tard, un ordre d'appel (Einberufungsbefehl) de l'administration
scolaire de Metz le convoqua à l'ancienne école normale de Montigny où il
devait se présenter le lundi 25 novembre à 14h30 avec son linge de corps,
ses cartes d'alimentation, des instruments de musique. Toute absence non
justifiée par un certificat du médecin assermenté (Amtsarzt) serait sanc-
tionnée disciplinairement.
Ce premier stage, d'une durée de trois mois (25/11/40-28/2/41)
s'adressait à 125 jeunes Lorrains, titulaires ou non, normaliens ou non,
l'âge ne devant pas dépasser 25 ans mais il y eut un stagiaire de 35 ans. Le
stage suivant dura 4 mois (11/3/41-15/7/41). Jusqu'en été 1944, l'adminis-
tration organisa des stages spéciaux (Sonderlehrgänge) de bacheliers (Abi-
turienten) faisant, selon la volonté du ministre Rust, une année équivalant
à la 5ème et dernière année de la LBA et des stages spéciaux d'instituteurs
et institutrices auxiliaires (Schulhelfer). Les archives de Spire décrivent 7
stages mais elles sont incomplètes et il y en eut au moins une dizaine. A cela
s'ajoute la formation, en 5 ans, de normaliens. Les effectifs scolaires de
Montigny étaient au 6 avril 1943 de 250 élèves et le dernier stage inauguré le
5 mai 1944 aurait dû durer 9 mois. Le but à atteindre a été défini par le
Regierungsdirektor Fritz Wambsganss, le premier décembre 1940, dans le
n° 1 du Amtsblattr das Schulwesen in Lothringen : «chaque enseignant
lorrain devait tourner le dos au passé, et adopter les pensées, idées et com-
portements du peuple allemand national-socialiste avec lequel il est très
intimement lié par son origine et son ascendance».
L'ouverture de la Hochschuler Lehrerbildung fut annoncée par la
Metzer Zeitung am Abend du 15 novembre 1940 comme devant se faire
sous la direction du professeur Dr. Ernst Christmann dans l'école normale
de Montigny, hôpital militaire pendant la Première Guerre mondiale et
occupée par les troupes pendant la Deuxième. Christmann avait aménagé
une à deux grandes salles et 5 à 6 petites pour donner aux jeunes ensei-
gnants des cours complémentaires afin de les adapter à l'enseignement alle-
mand.
L'origine de la Hochschule. Elle étaite à Sarrebruck à la suite de
tractations commencéess 1934, donc avant le plébisciste, entre la ville de
Sarrebruck et le Reich afin de doter le Territoire de la Sarre (Saargebiet)
d'une Ecole Supérieure qui faisait défaut à cette région frontalière, les plus
proches se situant à Francfort-sur-Main et à Bonn. Le professeur Dr.
Osterloh, un Oldenbourgeois, en commença l'organisation en 1935 et
l'ouvrit le
1.10.1936
dans le Ludwigsgymnasium, lycée d'Etat passant pour
un nid de réaction sociale aux yeux des nazis. Les Hochschulenr Lehrer-
bildung, mixtes, remplaçaient les anciens Lehrerseminare confessionnels.
Le contrat définitif du 3 février 1939 prévoyait une vaste construction
neuve avec piscine et stade à la périphérie sarrebruckoise, au Schwarzen-
berg.
Le début du stage. Après la Eröffnungsfeier marquée par le salut au
drapeau, unt étant érigé à cette fin dans la cour, et un poème de Fahne-
mann rendant hommage aux soldats allemands (Sie haben heher gelitten als
Worte sagen...), Christmann déclara aux stagiaires que la guerre étant
maintenant terminée entre la France et l'Allemagne «notre tâche commune
consiste désormais à éduquer et à enseigner la jeunesse lorraine mais en lan-
gue allemande». Il demanda quels étaient les stagiaires qui estimaient bien
posséder cette langue. Une vingtaine s'avança et Christmann leur enjoignit
de se placer dans un coin de la salle. Il demanda ensuite quels étaient ceux
qui pensaient n'avoir que de faibles connaissances dans ce domaine et leur
fît rejoindre un autre angle de la pièce. D'après ce système il constitua cinq
divisions (A,B,C,D,E,) supposées refléter le niveau mais fit procéder par la
suite à des exercices écrits. Il se réserva l'enseignement de l'allemand dans
les sections 1 et 5 ainsi que de la Volkskunde dans toutes les classes et fixa
les horaires de ses collègues. Peu de temps plus tard, le directeur Osterloh,
mobilisé comme officier, prit l'établissement en chargp. Les stagiaires ne
furent pas internes mais éparpillés chez l'habitant, l'un (habitant à Frescaty
près de la caserne dont de Gaulle fut le colonel, occupée alors par les
grands gaillards de la Leibstandarte Adolf Hitler de Seplp Dietrich, d'autres
en plein centre de la ville de Metz comme l'auteur au 1, place de Chambre.
Le directeur et son personnel résidaient à Sarrebruck, partaient le
lundi pour Metz et rentraient le samedi. La police leur attribuait chaque
lundi une autre chambre d'hôtel qu'ils devaient rendre le samedi ce qui les
obligeait à faire la queue au Wohnungsamt chaque lundi. Christmann rap-
porte qu'un vieux messin, ayant entendu qu'il cherchait un logement à
Metz, lui en proposa un à un prix étonnamment bas. Il expliqua qu'il vou-
lait seulement sauver la maison d'un ami qui s'était enfui à Nancy «l'imbé-
cile (der dumme Kerl) ignorant que les Allemands ne commettaient pas
d'excès». L'administration allemande s'y opposa car l'ordre était donné au
personnel de la Hochschule de continuer à résider à Sarrebruck. Las de
passer par tous les hôtels messins, Christmann prit l'initiative d'occuper
une chambre de l'école normale, y installa une table, une chaise, un lit et
ses collègues l'imitèrent. Police et administration cessèrent de les tracasser.
Le directeur Osterloh, 51 ans, Oldenbourgeois
d'Elmendorf,
avait le
type prussien : haute taille, crâne rasé, démarche militaire. C'était un
ancien Schulrat, il avait quitté l'église luthérienne le 8 avril 1938. A la fin de
1941,
il aura pour successeur
1'Ober
Studiendirektor
Schäfer qui avait
ouvert, le 19 février 1941, la Lehrerbildungsanstalt Metz, alors mixte, dans
la Moltkestrasse 16, dans l'ancienne école normale des institutrices. Il a
survécu à la guerre et exercé en Oldenburg (Basse-Saxe).
Le professeur Dr. Ernst Christmann, 55 ans, représentant permanent
du directeur, est un Palatinois né à Kaulbach d'une famille besogneuse de
six enfants. Il est mort en 1974 laissant la réputation d'un grand érudit, ger-
maniste et historien profondément enraciné dans sa province natale, distin-
gué par de nombreuses publications savantes, par des prix, décorations
dont la croix du mérite de première classe de la République Fédérale.
Formé par la LBA de Kaiserslautern, il a exercé comme instituteur à partir
de 1904 mais fut rappelés 1907 à la LBA. Après la guerre, où il fut fait
prisonnier, il fit des études universitaires à Munich et devint Studienprofes-
sor de la LBA. Distingué par l'Académie bavaroise des sciencess 1926, il
assuma la direction de la «Pfälzische Wörterbuchkanzlei», de la «Landes-
stelle Pfalz des deutschen Volkstums», plus tard, en 1941 du «Westmark-
institutr Landes-und Volksforschung» de Kaiserslautern, fondé par le
nazi le Dr. Emrich. Il se défend d'avoir fondé la revue «Westmark» et a
créé les «Saarpfälzische Abhandlungen» devenues les «Westmärkische
Abhandlungen». Osterloh le fit entrer en 1936 dans la Hochschule et il
devint Professor erster Klasse. A Metz, il a publié en novembre 1940 quatre
articles «Spaziergänge durch das Metzer Einwohnerbuch» (Annuaire admi-
nistratif de 1940) par lesquels il prétend prouver que 70 à 80 % des
patronymes messins étaient d'origine allemande avant l'arrivée allemande
de juin 1940 et en 1942 il a publié à Berlin «Der deutsche Charakter
Lothringens» (Junkern Dünnhaupt Verlag) dans lequel il affirme démon-
trer que Lothringen est une terre allemande. Ses relations cordiales avec des
Kreisleiter d'origine palatinoise, ils furent parfois ses élèves, l'amenèrent à
faire,
sur leur demande, des conférences dans les localités lorraines avec sa
Volkskunde. Froidement accueilli, il croit avoir persuadé son auditoire
qu'il venait non pour les convertir à la germanité mais
s'être
limité à une
étude comparative objective des croyances, coutumes, chansons populaires
lorraines et palatines, d'ailleurs très apparentées. Après la dissolution de la
Hochschule, il devient professeur honoraire de l'Université de Heidelberg
où il donnâmes cours de Volkskunde. De ses travaux émergent une étude
sur le dialecte de sa ville natale, le «Pfälzer Wörterbuch», 6 éditions depuis
1965,
les «Siedlungsnamen der Pfalz», 3 volumes etc....
L'autre germaniste, Franz Fahnemann, Oberstudienrat, devint
Dozent de la Hochschule en 1936. Originaire de Dortmund, catholique
convaincu, âgé de 33 ans, élégant, il paraissait avec sa chevelure d'artiste,
son nœud papillon, son enthousiasme, l'antithèse d'Osterloh. Un profes-
seur d'université, familier de ses parents, lui attribue des traits géniaux,
affirme qu'il était «intérieurement tout sauf un nazi», le déclare sensible :
tourmenté de scrupules par son divorce, bouleversé et effondré après avoir
été obligé comme SA d'assister à la destruction de la synagogue de Sarre-
bruck lors de la nuit de cristal. Il
s'est
fait connaître depuis 1937 par la
publication de cahiers d'études «Erlebte deutsche Welt» pour élèves des
deux dernières années du primaire. Consacrés à l'étude du milieu, à l'his-
toire,
à la littérature, à l'économie, au parti et à son
chef,
ils ont souvent
été tirés à 25.000 exemplaires, le «Füllhorn der Westmark» est de 1938, le
«Kleines Wunderhorn» de 1939, «Goethe im deutschen Westen» de 1940,
le «Deutschunterricht in der Volksschule» a été réédité en 1948. A Metz, il
fut Leiter de la Volksbildungsstätte Metz der D.A.F., Gemeinschaft
K.d.F., avec siège à l'école normale et remplaçait parfois le directeur Schä-
fer. Son ami, le professeur Dr. Koselleck, l'appela auprès de lui pour
ouvrir, après la guerre, la Pädagogische Hochschule de Hanovre et y ensei-
gner l'allemand. Ebranlé par les troubles cardio-vasculaires de longue date,
il y mourut peu de temps après la guerre d'un infarctus, le 6 juin 1948.
Le professeur Dr. Arno Koselleck, âgé de 49 ans, un Prussien protes-
tant de Madlow (Kreis Cottbus) fut un grand pédagogue qui sut intéresser.
Sous Weimar, Grimme l'avait nommé directeur de la Pädagogische Akade-
mie de Dortmund, ce qui lui valut une élimination en 1933. Venu en décem-
bre 1936 à Sarrebruck, il enseigna l'histoire à la Hochschule. Le comité des
étudiants l'élut «Vertrauensdozent» parce qu'il n'était pas membre du
parti ce qui amena la destitution du comité. Afin de protéger les étudiants,
il entra dans les SA et, officier de la Grande Guerre, fut assimilé au grade
de Sturmbannführer. Il fut mobilisé pendant toute la Deuxième Guerre
mondiale au Wehrbezirkskommando Saarbrücken et n'obtint que la per-
mission d'enseigner à Metz. En 1945, le major fut capturé dans le Palatinat
par les Américains. Grimme, Kulturminister de Hanovre, fit de nouveau
appel à lui pour créer la Pädagogische Hochschule de Hanovre en 1946 et
Koselleck prit sa retraite dix ans plus tard. Il décéda en 1976.
Le Dozent Dr. Albert Beyer était un Sarrebruckois protestant, fils de
mineur, âgé de 40 ans. Soldat de juillet à novembre 1918, il exerça d'abord
comme instituteur dans sa ville natale puis fit des études universitaires de
biologie, chimie et physique à Francfort-sur-Main et à Iéna. En 1928,
devenu référendaire à la Oberrealschule, il obtint la même année son docto-
rat. Il enseignait à Neunkirchen depuis 1931 lorsqu'en 1936 sa candidature
à la Hochschule fut agréée très favorablement pour son comportement
politique et il semble avoir été «très bruni». Il a enseigné à Metz la généti-
que (Vererbungslehre). Rentré à Sarrebruck en juillet 1945, il sera expulsé
en juin 1947 par le gouvernement militaire français mais put revenir en
août 1949. Il a terminé sa carrière en 1966 comme principal
(OberStudiendi-
rektor).
Le Privatdozent Georg Otto Theodor Maier, un Bavarois né à Hackl-
berg (Kreis Passau) pratiquait le déisme (gottgläubig). Il s'établit à Sarre-
bruck, venant de Zurich, et donna à l'école normale l'enseignement racial
(Rassenkunde). Enfin le professeur Ekkehard Pfannenstiel, musicien de
grand talent, était un authentique Berlinois de 44 ans, protestant qui quitta
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