TRAUMATISMES DE LA RATE
Danielle Sartorius, Olivier Langeron
Unité de surveillance post-interventionnelle et d’accueil des polytrau-
matisés. Département d’Anesthésie-Réanimation, CHU Pitié-Salpêtrière,
47 Boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cédex 13.
E-mail : olivier[email protected]
INTRODUCTION
Les traumatismes de la rate peuvent résulter soit d’un traumatisme péné-
trant, en particulier par arme blanche ou à feu, soit d’un traumatisme fermé
occasionné par un accident de la voie publique ou de sport. Nous n’aborderons
dans cette revue que les traumatismes fermés de la rate dans la mesure où la
prise en charge des traumatismes pénétrants de l’abdomen, et de la rate en
particulier, repose dans l’immense majorité des cas sur une exploration chirur-
gicale menée par laparotomie ou par cœlioscopie en fonction de l’état clinique
du patient. En revanche en cas de traumatismes fermés, la prise en charge est
loin d’être stéréotypée comme dans le cas des traumatismes pénétrants, et a
surtout beaucoup évoluée au cours du temps pour être d’abord chez l’enfant
et maintenant chez l’adulte de moins en moins chirurgicale et de plus en plus
« conservatrice » en faisant appel à une collaboration multidisciplinaire médico-
chirurgicale avec la participation de chirurgiens, d’anesthésistes-réanimateurs
mais aussi de radiologues.
La pathologie traumatique représente la principale cause de décès chez les
sujets âgés de moins de 40 ans, ce qui correspond globalement à la 3e cause de
mortalité en France et aux États-Unis, après les pathologies vasculaires cardia-
ques et cérébrales, et les cancers. En France, les accidents de la voie publique
demeurent la principale cause de polytraumatisme, entraînant environ 9 000
décès par an. Leur incidence annuelle est de 363 pour 100 000 habitants, avec
15 décès immédiats pour 100 000 habitants [1]. Parmi les polytraumatisés qui
décèdent, la moitié d’entre eux décèderont au cours de la première heure après
le traumatisme, par la suite 30 % des décès surviendront avant la 24e heure et
20 % au-delà. Cette distribution des décès aide mieux à comprendre l’impor-
tance de la rapidité de la prise en charge avec une course contre la montre qui
débute dès le choc initial, et l’enjeu que représente la prise en charge d’un choc
hémorragique principale cause de mortalité avec le traumatisme crânien dans
ce contexte [2]. Ainsi, parmi les patients victimes d’un traumatisme grave sur la
voie publique, l’incidence d’un traumatisme abdominal est importante, pouvant
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atteindre jusqu’à 20 %, et la mortalité imputable à ce traumatisme abdominal,
toutes lésions confondues, liée à un choc hémorragique, atteint 25 à 30 %
des cas [3, 4]. La fréquence et la sévérité des lésions intra-abdominales après
traumatisme augmentent avec la violence de ce dernier, puisque la vitesse est
l’élément déterminant de la formule de l’énergie cinétique (Ec = ½.m.v2). Lors
des contusions abdominales graves, les lésions hépatospléniques représentent
plus des deux tiers des lésions organiques, les lésions spléniques étant en tête,
suivies par les lésions hépatiques puis mésentériques (Tableau I) [3].
Tableau I
Fréquences des lésions d’organes lors des traumatismes de l’abdomen.
D’après Muller et al. [3]. (somme > 100 %, car plusieurs atteintes possibles
pour un même traumatisme)
Organe Fréquence (%)
Rate 46
Foie 33
Mésentère 10
Rein-vessie 9
Intestin grêle 8
Colon 7
Duodénum-pancréas 5
Vaisseaux 4
Estomac 2
Vésicule 2
Le bénéfice de la ceinture de sécurité sur les traumatismes de l’abdomen
a été discuté, notamment sur l’incidence des perforations du tube digestif par
hyperpression avec éclatement de celui-ci. En ce qui concerne la rate, il ne semble
pas que le port de la ceinture ait aggravé les lésions spléniques, au contraire en
atténuant le phénomène de décélération, il existe un bénéfice réel qui est aussi
indiscutable pour la protection contre les traumatismes crâniens et thoraciques
diminuant ainsi la mortalité routière. En ce qui concerne les traumatismes
fermés de la rate, il est donc important de distinguer selon le caractère isolé
de celui-ci une mortalité inférieure à 5 % et une prise en charge spécifique que
nous allons détaillée, et le traumatisme de la rate associé à de multiples lésions,
abdominales ou extra-abdominales dont la prise en charge et la mortalité sont
celles d’un polytraumatisé.
1. DIAGNOSTIC
1.1. EXAMEN CLINIQUE
Les données de l’anamnèse sont importantes à recueillir si le patient est
conscient, permettant ainsi de préciser les circonstances de survenue de l’ac-
cident, l’intensité du choc, la présence d’une douleur et sa localisation. Une
atteinte thoracique doit faire rechercher une lésion abdominale associée, en
particulier splénique en cas de localisation basithoracique gauche. Néanmoins, à
la phase précoce d’un traumatisme ou chez un polytraumatisé la clinique est très
souvent peu performante, soit en raison d’une présentation clinique faussement
rassurante au cours de cette phase initiale paucisymptomatique, soit en raison
de la présence d’une ou de plusieurs détresses vitales, hémodynamique, respi-
Questions pour un champion en réanimation 225
ratoire ou neurologique au premier plan masquant ainsi toute symptomatologie
abdominale. Cependant, l’existence chez un patient conscient d’une défense ou
d’une contracture localisée ou non est d’une grande valeur diagnostique pour
un hémopéritoine dans ce contexte traumatique et doit immédiatement orienter
vers le diagnostic de lésion(s) d’organe(s) intra-abdominaux. Dans tous les cas,
le diagnostic lésionnel précis repose sur des investigations paracliniques à la
recherche d’une part d’un hémopéritoine et d’autre part de lésions d’organes
pleins, avec en premier lieu la rate et le foie. Par ailleurs, au cours de la prise en
charge des polytraumatisés, la nécessité d’un bilan lésionnel complet et rapide
rend souhaitable celle-ci dans des centres disposant d’un plateau technique
complet car cette prise en charge ne s’improvise pas et nécessite une équipe
particulièrement rodée et entraînée. Certaines études ont montré que jusqu’à
30 % des décès des traumatisés aurait pu être évité par une meilleure prise en
charge (Tableau II) [5]. La stratégie de demande des examens complémentaires
et l’organisation de l’équipe selon un plan pré-établi sont au centre de cette
prise en charge.
Tableau II
Principales causes des décès évitables chez les polytraumatisés (52 sur 246
traumatisés consécutifs décédés, soit 21 % des décès). D’après Kreiss et al. [5].
Cause évitable Nombre (%)
Indication chirurgicale non posée 25 (48 %)
Délai avant chirurgie trop important 21 (40 %)
Erreur de réanimation 5 (10 %)
Lésion non diagnostiquée 4 (8 %)
1.2. EXAMENS PARACLINIQUES
1.2.1. TECHNIQUES DIMAGERIE
Elles sont au premier plan des investigations paracliniques à réaliser dans
ce contexte. Parmi celles-ci, il y a l’échographie et la tomodensitométrie sans
et avec injection de produit de contraste. L’abdomen sans préparation peut être
réalisé chez un patient conscient suspect de contusion abdominale isolée. Ainsi,
la présence d’un pneumopéritoine, sur un cliché de profil avec rayon horizontal,
signe la perforation d’organe creux. Sur un clicde face, la présence d’un hémo-
péritoine peut se traduire par une grisaille diffuse, un éventuel refoulement des
structures digestives ou une ascension diaphragmatique peuvent être observés
mais ces signes sont souvent difficiles à retrouver, ce qui incite à se dispenser
de cet examen dans ce contexte pour réaliser d’emblée l’échographie et la
tomodensitométrie. Enfin, l’artériographie à visée diagnostique n’a plus d’inté-
rêt, par contre sa place à visée thérapeutique grâce à l’embolisation est réelle
aussi bien dans le traitement conservateur non chirurgical qu’éventuellement
en complément de la chirurgie.
1.2.1.1. L’échographie abdominale
L’échographie est l’examen clef pour le diagnostic d’hémopéritoine. C’est une
technique qui a l’avantage d’être praticable au lit du patient, d’être un examen
rapide, pouvant être facilement répété. Les possibilités de l’échographie sont
de permettre le diagnostic d’hémopéritoine et de préciser la nature de l’organe
traumatisé. La conduite de cet examen doit être systématique avec pour objectif
principal la mise en évidence de l’hémopéritoine et son éventuelle quantification
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qui, confrontée à l’état clinique du patient, guidera la stratégie thérapeutique
[6, 7]. La sonde est placée sur la ligne axillaire postérieure entre la 10e et la 11e
côtes gauches pour identifier la rate et le rein et pour rechercher le sang entre
ces deux organes et en arrière de la rate. La sonde est également mise en
place sur la ligne médio-axillaire droite, entre la 11e et la 12e côtes droites pour
identifier le rein, le foie et le diaphragme et pour rechercher la présence de sang
entre le foie et le rein droit (espace décrivant le récessus de Morison) et entre
le foie et le diaphragme. L’examen se termine par des coupes coronales sur la
ligne médiane, environ 4 cm au-dessus de la symphyse pubienne. La vessie est
identifiée comme une structure anéchogène derrière laquelle le sang peut être
mis en évidence dans le cul-de-sac de Douglas.
Le diagnostic d’hémopéritoine repose sur la constatation de sang dans ces
récessus, le sang apparaissant comme des images denses particulièrement
échogènes. La détection d’un hémopéritoine avec fiabilité requiert la présence
d’au moins 400 ml de liquide [8]. Si l’hémopéritoine est important, sa localisa-
tion n’est pas spécifique de l’organe lésé. L’examen échographique doit être
complété par une coupe transverse au niveau de l’épigastre permettant de voir
le pancréas, le lobe gauche du foie et le péricarde, à la recherche d’un épanche-
ment péricardique. Cette méthode utilisant l’échographie pour la seule recherche
d’un hémopéritoine dans un récessus selon la technique des 4 quadrants (droit
supérieur pour l’espace de Morison, gauche supérieur pour le récessus splé-
nique, inférieur pour le cul de sac de douglas et supérieur pour le péricarde) a
été développée spécifiquement pour la traumatologie et est réalisée par des
médecins non radiologue ou des chirurgiens. Elle représente en fait une aide à
la prise en charge et s’appelle FAST pour « focused assessment sonography for
trauma » [9]. La volonté de limiter le diagnostic lésionnel à l’hémopéritoine repose
sur la difficulté du diagnostic des lésions du parenchyme lorsque l’échographie
est pratiquée par un médecin non radiologue.
Par ailleurs, la durée de la courbe d’apprentissage de cette technique est
parfois controversée, ce qui peut expliquer les différences de sensibilité diagnos-
tique de cette technique selon les études, puisqu’elle varie entre 63 et 96 % [6].
Avec un opérateur entraîné, lorsque les conditions techniques et l’état clinique du
patient le permettent, l’échographie permet aussi de déterminer la nature de la
lésion au niveau splénique. Une fracture du parenchyme splénique se présente
comme une solution de continuité, une attrition du parenchyme est représen-
tée par de nombreux échos inhomogènes, a contrario un hématome se traduit
par une image hypodense. L’absence de ces lésions à l’examen échographique
n’élimine pas ces lésions pour autant, et le bilan lésionnel précis des organes
pleins, comme la rate, dans les traumatismes de l’abdomen sera fait au mieux
par la tomodensitométrie.
2.2.1.2. La tomodensitométrie (TDM) abdominale
La TDM abdominale est, après l’échographie, le deuxième examen de choix
dans la prise en charge des traumatismes de la rate. Il est par ailleurs essentiel
dans le bilan lésionnel exhaustif (corps entier) d’un patient polytraumatisé. Cet
examen permet une étude précise des épanchements et des organes intra
péritonéaux, avec la possibilité de détecter des hémopéritoines de très petite
importance. La visualisation de l’hémopéritoine et des hématomes peut être
réalisée sans injection de produit de contraste. Une fois l’injection réalisée,
elle permet de confirmer l’impression première donnée par la première hélice.
Questions pour un champion en réanimation 227
L’injection intraveineuse de produit de contraste apprécie si les lésions paren-
chymateuses sont le siège d’un saignement actif, elle permet aussi l’analyse de
la perfusion splénique (comme celle du foie et des reins).
Parfois des atteintes vasculaires intra parenchymateuses sont visualisées
avec un réhaussement du contraste (« constrast blush ») comparable à celui
obserdans un vaisseau à fort débit comme l’aorte, signifiant la présence d’un
pseudoanévrisme ayant un très fort potentiel hémorragique, conduisant le plus
souvent à l’échec du traitement conservateur indiquant pour certains la nécessi
d’un traitement chirurgical premier et pour d’autres incitant à pratiquer d’emblée
une artériographie embolisation quel que soit l’état clinique du patient [7]. La
sensibilité et la spécificité diagnostiques de la TDM pour les lésions d’organes
pleins sont bonnes [6, 7]. La TDM permet aussi d’établir des scores de gravité
de ces lésions spléniques avec notamment une corrélation entre le grade de la
lésion observée à la TDM et la nécessité d’un traitement chirurgical urgent [10].
Le Tableau III présente le score de gravité des lésions spléniques en tomoden-
sitométrie d’après l’American Association for the Surgery of Trauma [10]. Les
éléments participant à cette classification sont : l’importance de l’hématome et
la persistance du saignement, ainsi que l’étendue de l’atteinte du parenchyme
et le retentissement sur sa vascularisation.
La TDM participe à la surveillance des traumatismes de la rate. Ainsi, des
lésions mineures de la rate peuvent toutefois passer inaperçues au premier
examen, surtout si celui-ci est réalisé précocement, mais pourront être dépis-
tées secondairement à l’occasion d’une surveillance par TDM ou devant une
hémorragie secondaire témoin d’une aggravation de ces lésions.
Tableau III
Score de gravité des lésions spléniques en tomodensitométrie (Score de
l’American Association for the Surgery of Trauma).
Grade Caractéristiques des lésions
I
Hématome sous-capsulaire non expansif, inférieur à 10 % de la
surface splénique
Parenchyme : lacération capsulaire non hémorragique d’une profon-
deur < 1 cm
II
Hématome sous-capsulaire, non expansif, intéressant 10-50 % de
la surface splénique
Parenchyme : lacération capsulaire hémorragique, fracture paren-
chymateuse profonde de 1 à 3 cm sans atteinte des vaisseaux
trabéculaires
III
Hématome sous-capsulaire > 50 % de la surface splénique ou ma-
tome expansif ou matome sous capsulaire rompu avec saignement
actif ; hématome intra parenchymateux > 2 cm expansif
Parenchyme : fracture profonde intéressant les vaisseaux segmen-
taires ou hilaires et entraînant une dévascularisation > 25 % du
parenchyme
IV
Hématome intra parenchymateux rompu avec saignement actif
Parenchyme : lésion intéressant les vaisseaux segmentaires ou hilai-
res et entraînant une dévascularisation > 25 % du parenchyme
V
Parenchyme : éclatement de la rate
Vaisseaux : lésion des vaisseaux du hile et infarctus splénique com-
plet
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