Traumatismes de la rate

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TRAUMATISMES DE LA RATE
Danielle Sartorius, Olivier Langeron
Unité de surveillance post-interventionnelle et d’accueil des polytraumatisés. Département d’Anesthésie-Réanimation, CHU Pitié-Salpêtrière,
47 Boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cédex 13.
E-mail : [email protected]
INTRODUCTION
Les traumatismes de la rate peuvent résulter soit d’un traumatisme pénétrant, en particulier par arme blanche ou à feu, soit d’un traumatisme fermé
occasionné par un accident de la voie publique ou de sport. Nous n’aborderons
dans cette revue que les traumatismes fermés de la rate dans la mesure où la
prise en charge des traumatismes pénétrants de l’abdomen, et de la rate en
particulier, repose dans l’immense majorité des cas sur une exploration chirurgicale menée par laparotomie ou par cœlioscopie en fonction de l’état clinique
du patient. En revanche en cas de traumatismes fermés, la prise en charge est
loin d’être stéréotypée comme dans le cas des traumatismes pénétrants, et a
surtout beaucoup évoluée au cours du temps pour être d’abord chez l’enfant
et maintenant chez l’adulte de moins en moins chirurgicale et de plus en plus
« conservatrice » en faisant appel à une collaboration multidisciplinaire médicochirurgicale avec la participation de chirurgiens, d’anesthésistes-réanimateurs
mais aussi de radiologues.
La pathologie traumatique représente la principale cause de décès chez les
sujets âgés de moins de 40 ans, ce qui correspond globalement à la 3e cause de
mortalité en France et aux États-Unis, après les pathologies vasculaires cardiaques et cérébrales, et les cancers. En France, les accidents de la voie publique
demeurent la principale cause de polytraumatisme, entraînant environ 9 000
décès par an. Leur incidence annuelle est de 363 pour 100 000 habitants, avec
15 décès immédiats pour 100 000 habitants [1]. Parmi les polytraumatisés qui
décèdent, la moitié d’entre eux décèderont au cours de la première heure après
le traumatisme, par la suite 30 % des décès surviendront avant la 24e heure et
20 % au-delà. Cette distribution des décès aide mieux à comprendre l’importance de la rapidité de la prise en charge avec une course contre la montre qui
débute dès le choc initial, et l’enjeu que représente la prise en charge d’un choc
hémorragique principale cause de mortalité avec le traumatisme crânien dans
ce contexte [2]. Ainsi, parmi les patients victimes d’un traumatisme grave sur la
voie publique, l’incidence d’un traumatisme abdominal est importante, pouvant
224
MAPAR 2006
atteindre jusqu’à 20 %, et la mortalité imputable à ce traumatisme abdominal,
toutes lésions confondues, liée à un choc hémorragique, atteint 25 à 30 %
des cas [3, 4]. La fréquence et la sévérité des lésions intra-abdominales après
traumatisme augmentent avec la violence de ce dernier, puisque la vitesse est
l’élément déterminant de la formule de l’énergie cinétique (Ec = ½.m.v2). Lors
des contusions abdominales graves, les lésions hépatospléniques représentent
plus des deux tiers des lésions organiques, les lésions spléniques étant en tête,
suivies par les lésions hépatiques puis mésentériques (Tableau I) [3].
Tableau I
Fréquences des lésions d’organes lors des traumatismes de l’abdomen.
D’après Muller et al. [3]. (somme > 100 %, car plusieurs atteintes possibles
pour un même traumatisme)
Organe
Fréquence (%)
Rate
46
Foie
33
Mésentère
10
Rein-vessie
9
Intestin grêle
8
Colon
7
Duodénum-pancréas
5
Vaisseaux
4
Estomac
2
Vésicule
2
Le bénéfice de la ceinture de sécurité sur les traumatismes de l’abdomen
a été discuté, notamment sur l’incidence des perforations du tube digestif par
hyperpression avec éclatement de celui-ci. En ce qui concerne la rate, il ne semble
pas que le port de la ceinture ait aggravé les lésions spléniques, au contraire en
atténuant le phénomène de décélération, il existe un bénéfice réel qui est aussi
indiscutable pour la protection contre les traumatismes crâniens et thoraciques
diminuant ainsi la mortalité routière. En ce qui concerne les traumatismes
fermés de la rate, il est donc important de distinguer selon le caractère isolé
de celui-ci une mortalité inférieure à 5 % et une prise en charge spécifique que
nous allons détaillée, et le traumatisme de la rate associé à de multiples lésions,
abdominales ou extra-abdominales dont la prise en charge et la mortalité sont
celles d’un polytraumatisé.
1. DIAGNOSTIC
1.1. EXAMEN CLINIQUE
Les données de l’anamnèse sont importantes à recueillir si le patient est
conscient, permettant ainsi de préciser les circonstances de survenue de l’accident, l’intensité du choc, la présence d’une douleur et sa localisation. Une
atteinte thoracique doit faire rechercher une lésion abdominale associée, en
particulier splénique en cas de localisation basithoracique gauche. Néanmoins, à
la phase précoce d’un traumatisme ou chez un polytraumatisé la clinique est très
souvent peu performante, soit en raison d’une présentation clinique faussement
rassurante au cours de cette phase initiale paucisymptomatique, soit en raison
de la présence d’une ou de plusieurs détresses vitales, hémodynamique, respi-
Questions pour un champion en réanimation
225
ratoire ou neurologique au premier plan masquant ainsi toute symptomatologie
abdominale. Cependant, l’existence chez un patient conscient d’une défense ou
d’une contracture localisée ou non est d’une grande valeur diagnostique pour
un hémopéritoine dans ce contexte traumatique et doit immédiatement orienter
vers le diagnostic de lésion(s) d’organe(s) intra-abdominaux. Dans tous les cas,
le diagnostic lésionnel précis repose sur des investigations paracliniques à la
recherche d’une part d’un hémopéritoine et d’autre part de lésions d’organes
pleins, avec en premier lieu la rate et le foie. Par ailleurs, au cours de la prise en
charge des polytraumatisés, la nécessité d’un bilan lésionnel complet et rapide
rend souhaitable celle-ci dans des centres disposant d’un plateau technique
complet car cette prise en charge ne s’improvise pas et nécessite une équipe
particulièrement rodée et entraînée. Certaines études ont montré que jusqu’à
30 % des décès des traumatisés aurait pu être évité par une meilleure prise en
charge (Tableau II) [5]. La stratégie de demande des examens complémentaires
et l’organisation de l’équipe selon un plan pré-établi sont au centre de cette
prise en charge.
Tableau II
Principales causes des décès évitables chez les polytraumatisés (52 sur 246
traumatisés consécutifs décédés, soit 21 % des décès). D’après Kreiss et al. [5].
Cause évitable
Indication chirurgicale non posée
Délai avant chirurgie trop important
Erreur de réanimation
Lésion non diagnostiquée
Nombre (%)
25 (48 %)
21 (40 %)
5 (10 %)
4 (8 %)
1.2. EXAMENS PARACLINIQUES
1.2.1. TECHNIQUES D’IMAGERIE
Elles sont au premier plan des investigations paracliniques à réaliser dans
ce contexte. Parmi celles-ci, il y a l’échographie et la tomodensitométrie sans
et avec injection de produit de contraste. L’abdomen sans préparation peut être
réalisé chez un patient conscient suspect de contusion abdominale isolée. Ainsi,
la présence d’un pneumopéritoine, sur un cliché de profil avec rayon horizontal,
signe la perforation d’organe creux. Sur un cliché de face, la présence d’un hémopéritoine peut se traduire par une grisaille diffuse, un éventuel refoulement des
structures digestives ou une ascension diaphragmatique peuvent être observés
mais ces signes sont souvent difficiles à retrouver, ce qui incite à se dispenser
de cet examen dans ce contexte pour réaliser d’emblée l’échographie et la
tomodensitométrie. Enfin, l’artériographie à visée diagnostique n’a plus d’intérêt, par contre sa place à visée thérapeutique grâce à l’embolisation est réelle
aussi bien dans le traitement conservateur non chirurgical qu’éventuellement
en complément de la chirurgie.
1.2.1.1. L’échographie abdominale
L’échographie est l’examen clef pour le diagnostic d’hémopéritoine. C’est une
technique qui a l’avantage d’être praticable au lit du patient, d’être un examen
rapide, pouvant être facilement répété. Les possibilités de l’échographie sont
de permettre le diagnostic d’hémopéritoine et de préciser la nature de l’organe
traumatisé. La conduite de cet examen doit être systématique avec pour objectif
principal la mise en évidence de l’hémopéritoine et son éventuelle quantification
226
MAPAR 2006
qui, confrontée à l’état clinique du patient, guidera la stratégie thérapeutique
[6, 7]. La sonde est placée sur la ligne axillaire postérieure entre la 10e et la 11e
côtes gauches pour identifier la rate et le rein et pour rechercher le sang entre
ces deux organes et en arrière de la rate. La sonde est également mise en
place sur la ligne médio-axillaire droite, entre la 11e et la 12e côtes droites pour
identifier le rein, le foie et le diaphragme et pour rechercher la présence de sang
entre le foie et le rein droit (espace décrivant le récessus de Morison) et entre
le foie et le diaphragme. L’examen se termine par des coupes coronales sur la
ligne médiane, environ 4 cm au-dessus de la symphyse pubienne. La vessie est
identifiée comme une structure anéchogène derrière laquelle le sang peut être
mis en évidence dans le cul-de-sac de Douglas.
Le diagnostic d’hémopéritoine repose sur la constatation de sang dans ces
récessus, le sang apparaissant comme des images denses particulièrement
échogènes. La détection d’un hémopéritoine avec fiabilité requiert la présence
d’au moins 400 ml de liquide [8]. Si l’hémopéritoine est important, sa localisation n’est pas spécifique de l’organe lésé. L’examen échographique doit être
complété par une coupe transverse au niveau de l’épigastre permettant de voir
le pancréas, le lobe gauche du foie et le péricarde, à la recherche d’un épanchement péricardique. Cette méthode utilisant l’échographie pour la seule recherche
d’un hémopéritoine dans un récessus selon la technique des 4 quadrants (droit
supérieur pour l’espace de Morison, gauche supérieur pour le récessus splénique, inférieur pour le cul de sac de douglas et supérieur pour le péricarde) a
été développée spécifiquement pour la traumatologie et est réalisée par des
médecins non radiologue ou des chirurgiens. Elle représente en fait une aide à
la prise en charge et s’appelle FAST pour « focused assessment sonography for
trauma » [9]. La volonté de limiter le diagnostic lésionnel à l’hémopéritoine repose
sur la difficulté du diagnostic des lésions du parenchyme lorsque l’échographie
est pratiquée par un médecin non radiologue.
Par ailleurs, la durée de la courbe d’apprentissage de cette technique est
parfois controversée, ce qui peut expliquer les différences de sensibilité diagnostique de cette technique selon les études, puisqu’elle varie entre 63 et 96 % [6].
Avec un opérateur entraîné, lorsque les conditions techniques et l’état clinique du
patient le permettent, l’échographie permet aussi de déterminer la nature de la
lésion au niveau splénique. Une fracture du parenchyme splénique se présente
comme une solution de continuité, une attrition du parenchyme est représentée par de nombreux échos inhomogènes, a contrario un hématome se traduit
par une image hypodense. L’absence de ces lésions à l’examen échographique
n’élimine pas ces lésions pour autant, et le bilan lésionnel précis des organes
pleins, comme la rate, dans les traumatismes de l’abdomen sera fait au mieux
par la tomodensitométrie.
2.2.1.2. La tomodensitométrie (TDM) abdominale
La TDM abdominale est, après l’échographie, le deuxième examen de choix
dans la prise en charge des traumatismes de la rate. Il est par ailleurs essentiel
dans le bilan lésionnel exhaustif (corps entier) d’un patient polytraumatisé. Cet
examen permet une étude précise des épanchements et des organes intra
péritonéaux, avec la possibilité de détecter des hémopéritoines de très petite
importance. La visualisation de l’hémopéritoine et des hématomes peut être
réalisée sans injection de produit de contraste. Une fois l’injection réalisée,
elle permet de confirmer l’impression première donnée par la première hélice.
Questions pour un champion en réanimation
227
L’injection intraveineuse de produit de contraste apprécie si les lésions parenchymateuses sont le siège d’un saignement actif, elle permet aussi l’analyse de
la perfusion splénique (comme celle du foie et des reins).
Parfois des atteintes vasculaires intra parenchymateuses sont visualisées
avec un réhaussement du contraste (« constrast blush ») comparable à celui
observé dans un vaisseau à fort débit comme l’aorte, signifiant la présence d’un
pseudoanévrisme ayant un très fort potentiel hémorragique, conduisant le plus
souvent à l’échec du traitement conservateur indiquant pour certains la nécessité
d’un traitement chirurgical premier et pour d’autres incitant à pratiquer d’emblée
une artériographie embolisation quel que soit l’état clinique du patient [7]. La
sensibilité et la spécificité diagnostiques de la TDM pour les lésions d’organes
pleins sont bonnes [6, 7]. La TDM permet aussi d’établir des scores de gravité
de ces lésions spléniques avec notamment une corrélation entre le grade de la
lésion observée à la TDM et la nécessité d’un traitement chirurgical urgent [10].
Le Tableau III présente le score de gravité des lésions spléniques en tomodensitométrie d’après l’American Association for the Surgery of Trauma [10]. Les
éléments participant à cette classification sont : l’importance de l’hématome et
la persistance du saignement, ainsi que l’étendue de l’atteinte du parenchyme
et le retentissement sur sa vascularisation.
La TDM participe à la surveillance des traumatismes de la rate. Ainsi, des
lésions mineures de la rate peuvent toutefois passer inaperçues au premier
examen, surtout si celui-ci est réalisé précocement, mais pourront être dépistées secondairement à l’occasion d’une surveillance par TDM ou devant une
hémorragie secondaire témoin d’une aggravation de ces lésions.
Tableau III
Score de gravité des lésions spléniques en tomodensitométrie (Score de
l’American Association for the Surgery of Trauma).
Grade
I
II
III
IV
V
Caractéristiques des lésions
Hématome sous-capsulaire non expansif, inférieur à 10 % de la
surface splénique
Parenchyme : lacération capsulaire non hémorragique d’une profondeur < 1 cm
Hématome sous-capsulaire, non expansif, intéressant 10-50 % de
la surface splénique
Parenchyme : lacération capsulaire hémorragique, fracture parenchymateuse profonde de 1 à 3 cm sans atteinte des vaisseaux
trabéculaires
Hématome sous-capsulaire > 50 % de la surface splénique ou hématome expansif ou hématome sous capsulaire rompu avec saignement
actif ; hématome intra parenchymateux > 2 cm expansif
Parenchyme : fracture profonde intéressant les vaisseaux segmentaires ou hilaires et entraînant une dévascularisation > 25 % du
parenchyme
Hématome intra parenchymateux rompu avec saignement actif
Parenchyme : lésion intéressant les vaisseaux segmentaires ou hilaires et entraînant une dévascularisation > 25 % du parenchyme
Parenchyme : éclatement de la rate
Vaisseaux : lésion des vaisseaux du hile et infarctus splénique complet
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MAPAR 2006
1.2.2. LA PONCTION LAVAGE DU PÉRITOINE (PLP)
La PLP consiste à introduire dans le péritoine du sérum physiologique qui
est recueilli secondairement par déclivité et dont le contenu est ensuite analysé. Les critères reconnus pour affirmer la présence d’un hémopéritoine sont :
la présence de sang pur visible macroscopiquement (> 10 ml), ou un taux de
globules rouges > 100 000/mm3. Cependant la PLP ne fait que le diagnostic
d’hémopéritoine sans préciser le ou les organe(s) lésé(s). La PLP a l’avantage
d’être un geste rapide, effectué au lit du patient, mais c’est un geste invasif
occasionnant parfois des lésions traumatiques du fait de l’introduction du trocart
(incidence de complications de 1 à 6 %) [6]. Par ailleurs, il existe des faux positifs
en particulier en cas d’hématome rétropéritonéal diffusant dans le péritoine et
pour lequel la conduite thérapeutique n’est pas chirurgicale. La sensibilité de la
PLP pour faire le diagnostic d’hémopéritoine varie de 88 à 99 % selon les études
et la spécificité de 88 à 100 % [3, 6].
1.2.3. PERFORMANCES DIAGNOSTIQUES RESPECTIVES DE CES TECHNIQUES
Les performances de ces techniques, PLP, échographie et TDM abdominales
ne peuvent être comparées que pour le diagnostic d’hémopéritoine. Celles-ci
sont présentées dans le Tableau IV. En effet, vouloir les comparer pour le bilan
lésionnel précis est infondé puisque celui-ci repose sur la TDM à partir de laquelle
un inventaire exhaustif des lésions est établi, précisant grâce à l’injection le degré
actif d’une hémorragie, et permettant ainsi d’établir un score de gravité corrélé
à l’indication d’une chirurgie en raison de la probabilité d’échec du traitement
conservateur [10].
Tableau IV
Performances comparées pour le diagnostic d’hémopéritoine selon les techniques. Modifié d’après Bonnet et al [6].
Lavage
péritonéal
Sensibilité (%) 88 -99
Spécificité (%) 88-100
Fiabilité (%)
95-99
Reproductibilité Non applicable
Performance
Échographie
TDM
60-100
86-100
90-98
Opérateur dépendant
74-96
98-99
90-97
Opérateur indépendant
1.2.4. LES EXAMENS BIOLOGIQUES
De nombreux examens biologiques sont demandés à l’accueil des patients
ayant un traumatisme de la rate suspecté ou dans le cadre d’un polytraumatisme, toutefois très peu sont réellement urgents. Groupe, Rhésus, recherche
d’agglutinines irrégulières sont certes utiles, mais demandent du temps (30 min
à 1 heure) et ne sont pas forcément nécessaires pour débuter une transfusion
massive. En revanche la détermination de l’hémoglobine (ou de l’hématocrite)
est absolument requise sans délai pour décider cette transfusion. Il est donc
nécessaire de disposer d’un appareil permettant la mesure de l’hémoglobine en
quelques minutes (Hémocue®), à défaut d’un micro-hématocrite. L’hématocrite
ou l’hémoglobine initiaux constituent un reflet de la gravité du choc hémorragique [11].
L’hémostase est également très importante (TP, fibrinogène) car ces anomalies sont susceptibles, en l’absence de correction rapide, d’aggraver les
saignements. Il existe des appareils permettant la détermination du taux de
Questions pour un champion en réanimation
229
prothrombine en quelques minutes [12]. Les autres examens biologiques sont
souvent utiles, mais débouchent exceptionnellement sur des décisions thérapeutiques urgentes dans ce cadre.
2. PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE
2.1. EVOLUTION DE LA PRISE EN CHARGE AU COURS DU TEMPS
L’évolution de la prise en charge des traumatismes fermés de la rate a suivi
celle des moyens permettant le diagnostic de ces lésions et le suivi de celles-ci.
Ainsi au début du 20e siècle, d’un diagnostic opératoire voire « autopsique », les
chirurgiens se sont orientés vers la ponction abdominale simple, à la recherche
d’un hémopéritoine, soit de façon « systématisée » par quadrants à partir de
l’ombilic, soit guidée par la radiographie standard de l’abdomen en recherchant
des signes directs ou indirects d’hémopéritoine (ombre de l’ère splénique,
indentation au niveau de l’estomac ou distension réflexe de ce dernier) [13].
L’étape suivante a été marquée par le développement de la ponction-lavage
du péritoine avant l’ère du diagnostic par échographie et tomodensitométrie [13].
Enfin, le développement des techniques d’imagerie par échographie et surtout
tomodensitométrie a permis de faire le diagnostic précis des lésions d’organes
pleins comme la rate et le foie, mais aussi d’effectuer une quantification de
l’hémopéritoine et une classification lésionnelle reposant sur l’anatomie des
lésions, ces deux éléments conduisant soit vers un traitement chirurgical soit
cas de figure de plus en plus fréquent en cas de lésions spléniques isolées,
vers un traitement conservateur avec surveillance par la répétition des examens
tomodensitométriques [13]. Conjointement, l’apparition de la radiologie interventionnelle avec embolisation de l’artère splénique ou de ses branches a participé
à la mise en place du traitement conservateur non chirurgical.
Enfin, le dernier élément qui a conduit vers ce traitement conservateur est
le risque d’infection après splénectomie notamment dans le cadre d’un tableau
de défaillances multiviscérales dénommé par les auteurs anglo-saxons « OPSI
(overwhelming postsplenectomy infection) syndrom » [13]. La description de
cette complication a été rapportée en 1952 par King et Schumaker [14], mais
dans un contexte non pas traumatique mais hématologique et chez de très
jeunes enfants. Il semble que cette complication ait été surestimée en termes
d’incidence notamment chez l’adulte, notamment dans un contexte traumatique, puisqu’il n’y aurait moins d’une centaine de cas (70 environ) colligés dans
la littérature avec néanmoins une mortalité élevée car estimée à 30 % [13].
Néanmoins, dans l’optique de conserver la rate, différentes techniques chirurgicales ont été réalisées avec des résultats divers, controversés comme pour
l’autotransplantation de la rate et intéressants pour la mise en place de « filet
protecteur » (technique dite de « splénorraphie »).
Les techniques avec filet protecteur et réparation de la rate sont impossibles en cas de lésion du pédicule splénique, mais dans le cas contraire aussi
bien réalisables chez l’adulte que chez l’enfant, avec une incidence de récidive
hémorragique estimée entre 1,5 et 2 % [13]. Avec l’avènement du traitement
conservateur, ces techniques chirurgicales sont de moins en moins pratiquées,
la splénectomie est réalisée le plus souvent en cas d’échec de ce traitement
conservateur.
230
MAPAR 2006
2.2. LE TRAITEMENT CONSERVATEUR
Initialement prôné chez l’enfant, le traitement conservateur est actuellement
reconnu comme le traitement de référence pour les traumatismes de la rate
aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte, si les patients sont stables au plan
hémodynamique et ne présentent pas d’autres lésions. Le seuil de 55 ans avait
été initialement retenu pour indiquer de principe la chirurgie. Or ceci a été remis
en question montrant que les sujets de plus de 55 ans pouvaient être traités de
façon conservatrice même si la mortalité était plus élevée chez ceux-ci, mortalité non imputable directement au traumatisme splénique mais causée par les
lésions associées qui expliquent un ISS significativement plus élevé dans cette
population plus âgée et un risque accru en cas d’option de traitement conservateur [13, 15]. Ainsi, les conditions requises pour la réalisation d’un traitement
conservateur sont [3, 13]:
• Patient stable hémodynamiquement sans suspicion de péritonite par perforation d’organe creux.
• Possibilité de bilan initial par TDM avec un opérateur entraîné.
• Grades 1, 2 ou 3 au TDM.
• Indication de traitement conservateur posée par un chirurgien viscéral pouvant
à tout moment décider et réaliser sans délai une laparotomie.
• Possibilité de surveiller le patient en réanimation avec une équipe médicale
rôdée à la traumatologie.
La réussite du traitement conservateur est variable selon les études allant
de 60 à 98 % [13]. La plus grande série étudiant les traumatismes fermés de
la rate (EAST study, 1 488 patients) [10] rapporte un taux de succès du traitement conservateur de 89 %, avec en cas d’échec la nécessité d’un traitement
chirurgical dans les 24 h pour 60 % de ces échecs de traitement conservateur,
et pour 8 % d’entre eux après un délai de 9 jours ou plus après la survenue du
traumatisme.
Les critères prédictifs de réussite du traitement conservateur étaient associés dans ce travail à une pression artérielle et un hématocrite conservés, à des
lésions de gravité moyenne ou faible avec un ISS bas, un score de glasgow élevé,
un grade lésionnel splénique au TDM inférieur ou égal à 3 et un hémopéritoine
de faible abondance [10]. Des ruptures différées peuvent survenir à des délais
variables pouvant aller jusqu’à 30 jours après le traumatisme, et résultent souvent d’une méconnaissance de l’ampleur de la lésion notamment par défaut ou
mauvais suivi tomodensitométrique, et sont souvent associées à des lésions
basi-thoraciques gauches, notamment des fractures de cotes, lésions qui doivent
inciter à une surveillance accrue et plus prolongée par TDM [16].
L’artériographie embolisation peut être réalisée dans le cadre du traitement
conservateur. C’est un traitement d’appoint qui permet d’augmenter le taux de
réussite de non intervention, elle doit être indiquée sur la présence d’éléments
cliniques et paracliniques précis : tachycardie persistante, baisse de l’hémoglobine sans cause autre identifiée et présence d’un « blush » au TDM abdominal
injecté [17]. Ainsi, le taux de traitement conservateur passe de 65 à 82 %, en
sachant que seulement 7 % du total des patients sont concernés par la pratique
d’une embolisation [17]. La durée classique de surveillance d’une contusion
splénique non opérée est d’environ 15 jours [3].
Questions pour un champion en réanimation
231
2.3. LE TRAITEMENT CHIRURGICAL
Il devra s’assurer de l’absence de lésions autres associées, en particulier
d’organe creux, le chirurgien appréciant, en fonction des lésions, les possibilités
de traitement chirurgical plus ou moins conservateur. La splénectomie est réalisée notamment en cas d’état hémodynamique précaire. L’anesthésiste tiendra
compte du caractère urgent de la chirurgie avec une induction en séquence
rapide et prévention du risque d’inhalation bronchique chez ce patient « estomac
plein ». Enfin, un système de récupération sanguine peropératoire devra être
systématiquement installé pour n’être utilisé qu’en l’absence de perforation
d’organe creux.
2.4. PRÉVENTION DU RISQUE INFECTIEUX APRÈS SPLÉNECTOMIE
Les infections chez les patients aspléniques sont caractérisées par leur
évolution rapide et leur gravité. Elles surviennent surtout dans les 2 ans qui
suivent le geste, mais ce risque persiste toute la vie. Par contre, il n’y a pas
d’augmentation du taux d’infections postopératoires précoces. Les infections
fulminantes post-splénectomie (OPSI) ont une évolution pouvant se faire vers le
choc septique, et sont la conséquence de la suppression des fonctions immunitaires humorales et cellulaires de la rate. A ce titre, les agents bactériens à risque
d’OPSI sont surtout les bactéries encapsulées avec en tête le Streptococcus
pneumoniae (50 à 80 %), puis Haemophilus influenzae (5 à 15 %), Escherichia
coli (4 %), et Neisseria meningitidis (4 %) étant nettement moins souvent en
cause [18]. La virulence de ces germes est liée pour partie à la capsule, siège
des antigènes polysaccharidiques définissant les sérotypes. En effet, la rate
exerce un rôle important dans la phagocytose de ces bactéries grâce à une
complémentarité d’action entre l’immunité cellulaire d’une part et d’autre part
la réaction humorale fortement stimulée par les antigènes polysaccharidiques
capsulaires. Le risque annuel d’infection grave chez le splénectomisé varie de
1 à 5 %. Ce risque est de 4,4 % chez les enfants de moins de 16 ans contre
0,9 % chez l’adulte [3]. La prévention de ces infections repose sur la vaccination
et la prophylaxie antibiotique.
2.4.1. LA VACCINATION
Un relatif consensus existe sur la nécessité de vaccination antipneumococcique et anti-Haemophilus (Hib®), le vaccin antiméningocoque n’est pas
systématiquement recommandé sauf chez l’enfant [3]. Le vaccin antipneumococcique polysaccharidique (Pneumo23®) comprend 23 sérotypes de pneumocoques
impliqués dans 90 % des infections pneumococciques. Son efficacité vaccinale
est plus faible chez l’enfant que chez l’adulte. Un rappel à 5 ans est nécessaire
pour le Pneumo23® et à 10 ans pour le Hib®. Pour obtenir la meilleure observance
et une efficacité vaccinale correcte, il est recommandé de vacciner le patient le
jour de sa sortie, même si le moment optimal pour la vaccination se situe à 30
jours environ après la splénectomie. La programmation idéale de la vaccination
se situe 15 à 45 jours avant l’intervention dans le cadre d’un geste réglé.
2.4.2.L’ANTIBIOPROPHYLAXIE
La place de l’antibioprophylaxie est encore imprécise, en particulier chez
l’adulte, même si la gravité des infections après splénectomie pour traumatisme représente un risque réel. En revanche, la notion d’antécédent d’épisode
infectieux après splénectomie impose cette antibioprophylaxie car le risque de
232
MAPAR 2006
récidive est majeur. L’efficacité de l’antibioprophylaxie est potentialisée par celle
du vaccin notamment sur les souches de pneumocoques à sensibilité diminuée
pour la pénicilline dont la fréquence est croissante [3]. Malgré cette augmentation
des souches de pneumocoques à sensibilité diminuée à la pénicilline, la pénicilline V (Oracilline®) reste le meilleur choix dans cette indication en raison de son
spectre étroit, minimisant ainsi le risque de sélection, mais permettant aussi de
réserver les céphalosporines pour le traitement curatif, avec un coût moindre.
La posologie recommandée est 1 million d’unités 2 fois par jour, l’alternative en
cas d’allergie étant l’érythromycine (500 mg.j-1) [18]. Une antibioprophylaxie de
5 ans chez l’enfant et de 2 ans chez l’adulte doit être systématique, périodes
à risque infectieux majeur selon ces terrains [3, 18]. Les auteurs s’accordent
également sur le caractère fondamental de l’éducation des patients, avec pour
certains, délivrance d’une carte de splénectomisé rappelant les consignes de
consultation devant toute fièvre et d’auto-administration immédiate d’antibiotique
avant même la consultation [3, 18].
CONCLUSION
La prise en charge d’un traumatisé de la rate nécessite une équipe multidisciplinaire médicale (anesthésistes, chirurgiens, radiologues), entraînée à
cette pratique, et un plateau technique important regroupant de nombreuses
compétences : bloc opératoire d’urgence disponible 24 heures sur 24, mais aussi
équipement complet de radiologie (échographie, tomodensitométrie, et radiologie
vasculaire interventionnelle). L’examen de première intention est l’échographie
pour le diagnostic d’hémopéritoine, en l’absence d’état de choc hémorragique
associé imposant une laparotomie d’hémostase urgente, le bilan lésionnel sera
affiné par la TDM avec injection confirmant l’hémopéritoine, et précisant la nature
des lésions spléniques (hématome, atteinte parenchymateuse, qualité de la
vascularisation, existence de saignement actif ou non). En fonction de ce bilan
lésionnel, un traitement conservateur sera le plus souvent initié, éventuellement
complété par une artériographie embolisation, et le patient sera surveillé cliniquement et par TDM dans un milieu de réanimation, avec la possibilité de réaliser à
tout moment une laparotomie en cas de modifications de l’état clinique. Cette
surveillance sera prolongée entre 10 et 15 jours selon le degré du traumatisme.
En cas de splénectomie une vaccination anti-pneumococcique, anti-Haemophilus,
et éventuellement anti-méningococcique associée à une antibioprophylaxie de
5 ans chez l’enfant et de 2 ans chez l’adulte seront pratiquées. La mortalité des
traumatismes isolés de la rate s’est considérablement réduite depuis 40 ans et
est actuellement proche de 0.
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