Rénimation 2001 ; 10 : 340-1 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1164675601001219/SSU ÉTHIQUE La fin de la vie en médecine intensive P. Ferdinande, J. Berré, F. Colardyn, P. Damas, F. de Marré, H. Devlieger, M. Goenen1*, P. Grosjean, E. Installé, M. Lamy, M. Laurent, P. Lauwers, T. Lothaire, M. Reynaert, L. Roelandt, M. Slingeneyer de Goeswin, J.L. Vincent pour la Société belge des soins intensifs/Vereniging van intensieve zorgen 1 Service de soins intensifs, cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique (Reçu le 15 décembre 2000 ; accepté le 17 décembre 2000) Au vu des discussions en commission sénatoriale restreinte sur la perspective d’une loi sur l’euthanasie en Belgique, la Société belge de soins intensifs (SIZ) a créé pour la circonstance, une commission spéciale en vue d’élaborer un texte reflétant la position de la société face au problème de la fin de vie aux soins intensifs. Le terme « euthanasie » n’apparaît pas dans le texte car la demande d’euthanasie semble être un problème relativement rare aux soins intensifs. L’objectif du document, qui s’adresse avant tout au monde non médical, est d’une part de clarifier les principes appliqués dans l’escalade et la désescalade thérapeutique, et d’autre part de sauvegarder la souveraineté décisionnelle du médecin intensiviste en la matière, en concertation avec l’équipe soignante. Le non-respect de ce principe rendrait difficile, voire impossible, l’utilisation optimale des moyens et une pratique médicale de qualité. La médecine intensive cherche essentiellement à maintenir la vie des malades critiques et à leur offrir la meilleure qualité de vie possible. Les progrès considérables de la science médicale en général et de la médecine intensive en particulier ont repoussé les limites de la vie. Cette évolution a pour conséquence que le médecin est souvent amené de nos jours à influencer le moment du décès. Dans les unités de soins intensifs, 10 à 20 % des malades décèdent (selon la gravité des états), mais plus *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (M. Goenen). des trois quarts de ces décès sont associés à une décision thérapeutique, soit de non-escalade, soit de désescalade. Il n’y a pas de différence éthique et morale entre la non-escalade thérapeutique (« withholding ») et la désescalade thérapeutique (« withdrawing »), même si la désescalade thérapeutique est parfois plus difficile à réaliser sur le plan pratique. À titre d’exemple, il est tout aussi acceptable de ne pas instaurer que d’arrêter la ventilation mécanique, de ne pas instaurer que d’arrêter l’hémodialyse. Ces différentes attitudes peuvent être rassemblées sous le vocable d’arrêt thérapeutique. Sur base des quatre principes fondamentaux d’éthique médicale (tableau I), il est non seulement acceptable mais nécessaire de décider l’arrêt thérapeutique chez certains malades, qui arrivent irrémédiablement à la fin de leur vie. Toute tentative d’assurer la survie quand la mort est inévitable deviendrait alors acharnement thérapeutique et les moyens mis en œuvre deviendraient vains (futilité). Le malade conscient est capable d’exercer son principe d’autonomie. Si le malade est inconscient, ses directives préalables éventuelles représentent un élément d’information. En règle générale, la famille et les proches doivent être informés du diagnostic, du pronostic et des plans thérapeutiques concernant le patient. L’information que peut apporter la famille est particu La fin de vie en médecine intensive 341 Tableau I. Les quatre grands principes d’éthique médicale. L’autonomie Bienfaisance Non malfaisance Justice distributive Chacun a le droit de prendre en charge sa propre personne (le droit à l’autodétermination, principe du consentement éclairé). L’intervention est supposée apporter un bien au patient. L’intervention est supposée ne pas causer de tort au patient. Les ressources disponibles doivent être distribuées de manière juste envers les citoyens. lièrement importante pour le malade qui n’est plus capable de faire connaître ses idées personnelles à propos de sa fin de vie. Néanmoins, la famille n’exerce pas de pouvoir décisionnel dans cette situation. La détection du caractère vain (futile) du traitement, bien que complexe, relève de l’expertise médicale, et même du devoir médical. Le médecin est donc responsable des décisions d’arrêt thérapeutique au même titre que des décisions de maintien ou de mise en route d’un traitement. Toutefois, le médecin intensiviste doit susciter une concertation à propos de ces décisions au sein de l’équipe soignante, médicale, infirmière et paramédicale, en vue d’obtenir un consensus. L’organisation du service doit mettre en œuvre les moyens nécessaires pour une telle concertation. Un médecin expert de la pathologie concernée et le médecin de famille peuvent être consultés. Le médecin intensiviste est tenu dans tous les cas d’informer clairement l’équipe soignante des choix thérapeutiques. Les médecins intensivistes ne souhaitent pas la levée de l’interdiction de tuer mais considèrent comme leur devoir d’accompagner le malade hospitalisé en unité de soins intensifs arrivé à la phase terminale de sa vie. Dans ce contexte, l’arrêt thérapeutique devient une nécessité . Le médecin intensiviste est confronté au choix entre deux attitudes moralement interpellantes : poursuivre un traitement futile, ou l’arrêter au prix du décès du patient. Dans tous les cas, les décisions concernant la fin de vie doivent être consignées dans le dossier médical au même titre que toutes les autres interventions thérapeutiques importantes. La responsabilité du médecin ne s’arrête pas au moment de la décision d’arrêt thérapeutique, mais persiste dans l’accompagnement du mourant, en lui assurant jusqu’au dernier moment le confort physique et moral. Il sera donc souvent nécessaire d’augmenter les doses d’antalgiques et de sédatifs. De manière pragmatique, il est difficile d’établir une distinction cohérente entre l’accroissement même substantiel d’antalgiques et de sédatifs en maintenant le traitement supporteur, et l’arrêt de ce dernier. Dans tous les cas, le médecin intensiviste doit mettre tout en œuvre pour apaiser les souffrances physiques et morales du patient et préserver sa dignité jusqu’au moment ultime de sa vie (tableau I).