lettre de présentation vii
Il ne reste plus qu’une terre lointaine au Canada. Chacun a lu à son sujet,
mais peu de Canadiens l’ont vue. D’importantes décisions touchant leurs
inquiétudes nationales les plus profondes les y attendent pourtant.
Le Nord est une terre lointaine, mais aussi une terre ancestrale,
celle des Dénés, des Inuit et des Métis, sans oublier les Blancs qui y
demeurent. Il constitue aussi un patrimoine, un environnement unique à
préserver pour tous les Canadiens.
Les décisions à prendre ne concernent donc pas uniquement les
pipelines dans le Nord. Elles touchent la sauvegarde de
l’environnement du Nord et l’avenir de ses habitants.
Aux audiences officielles de l’Enquête à Yellowknife, j’ai entendu
les témoignages de 300 experts sur le Nord. Installé à Yellowknife, il
n’est que trop facile d’oublier l’immensité de cette région. La vallée du
Mackenzie et l’Arctique de l’Ouest renferment quatre races de gens
parlant sept langues. Pour les entendre, l’Enquête s’est rendue dans 35
agglomérations – de Sachs Harbour à Fort Smith et d’Old Crow à Fort
Franklin – bref, dans toutes les localités de la vallée du Mackenzie et
de l’Arctique de l’Ouest. J’ai entendu ainsi le témoignage de près d’un
millier d’habitants du Nord.
J’ai découvert que les opinions sont très partagées. J’ai écouté les
hommes d’affaires à Yellowknife qui favorisent la construction d’un
pipeline. Puis, dans un village autochtone isolé, j’ai entendu toute la
population s’y opposer avec véhémence. D’un côté comme de l’autre,
on parlait du même pipeline et de la même région, mais dans le premier
cas on envisageait le Nord comme une terre à exploiter et dans le
deuxième comme une terre ancestrale.
Tous ceux qui ont eu des opinions à exprimer – Blancs ou
Autochtones – ont eu l’occasion de le faire. Les organismes des
Autochtones ont affirmé qu’ils parlaient en leur nom. Ils s’opposent à
la construction d’un pipeline avant le règlement des revendications. Le
Conseil territorial disait parler au nom de tous les habitants du
ENQUÊTE SUR LE PIPELINE DE LA VALLÉE DU MACKENZIE
COMMISSAIRE
M. le juge Thomas R. Berger
10eétage
1 rue Nicholas
Ottawa (Ontario) K1N 7B7
le 15 avril 1977
L’honorable Warren Allmand
Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien
Chambre des communes
OTTAWA (Ontario)
Monsieur le Ministre,
Nord. Il appuie la construction du pipeline. Wally Firth, député des
Territoires du Nord-Ouest à Ottawa, s’oppose au pipeline. J’ai donc
décidé de laisser parler les habitants du Nord. C’est pourquoi l’Enquête
a tenu des audiences dans toutes les agglomérations. Les gens
pouvaient alors s’adresser directement à l’Enquête. Il y a donc eu des
audiences dans les villes des Blancs et dans les villages des
Autochtones. J’ai entendu les témoignages des conseillers municipaux,
des chefs de bande, des conseils de bande et des gens eux-mêmes. Le
présent rapport s’inspire de leurs témoignages.
Le Nord est une région où les objectifs, les préférences et les
aspirations de chacun sont en conflit. Le pipeline permet de définir ce
conflit. Il représente l’arrivée de l’industrie dans l’Arctique. L’effet de
la société industrialisée sur les Autochtones a été une des principales
préoccupations de l’Enquête: il est évident que les répercussions
toucheront principalement ces gens. Voilà pourquoi j’ai voulu entendre
les témoignages des Autochtones dans leurs propres villages. Là, ils ont
eu l’occasion de s’exprimer dans leur langue et à leur façon.
Au cours de l’Enquête, j’ai supposé que l’industrie exigerait
l’exploitation des ressources pétrolières et gazières de l’Arctique de
l’Ouest et leur transport vers les marchés du Sud, le long de la vallée
du Mackenzie. J’ai également supposé que le Canada voulait protéger
et conserver l’environnement du Nord et, en particulier, honorer les
revendications et les aspirations légitimes des Autochtones. Cette
attitude s’inspire de la politique officielle de l’Administration fédérale
pour la mise en valeur du Nord au cours des années 1970.
Il ne faut pas étudier le gazoduc comme un cas isolé. En vertu des
Nouvelles directives régissant les pipe-lines dans le Nord, déposées
devant la Chambre des communes le 28 juin 1972, il faut envisager les
répercussions cumulatives d’un gazoduc puis d’un oléoduc le long du
même couloir. Il faut donc étudier les répercussions d’un couloir de
viii TERRE LOINTAINE, TERRE ANCESTRALE - Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie - Vol. I
Le couloir et son effet cumulatif
lettre de présentation ix
transport de l’énergie renfermant un gazoduc et un oléoduc et,
éventuellement, des routes et d’autres modes de transport.
La construction d’un gazoduc et d’un couloir de transport de
l’énergie accélérera l’activité d’exploration des hydrocarbures le long
du couloir. Les répercussions cumulatives de ces aménagements
transformeront de façon irréversible la vallée du Mackenzie et
l’Arctique de l’Ouest. Il faut se rappeler qu’il s’agit ici de deux
couloirs: un couloir venant de l’Alaska, traversant le nord du Yukon et
aboutissant au delta du Mackenzie et un autre couloir longeant la vallée
du Mackenzie, du delta à la limite de l’Alberta.
Un gazoduc, c’est bien plus qu’une emprise. Il s’agit d’un projet de très
grande envergure, dans le nord du pays, où règnent le froid et l’obscurité,
pendant l’hiver. Le nord est presque inaccessible par chemin de fer ou
par route; le constructeur devra y aménager des quais, des entrepôts, des
aires de stockage, des bandes d’atterrissage, soit toute une infrastructure,
pour mener à bien la construction du pipeline. Dans le cas du projet de la
société Arctic Gas, il faudra doubler la capacité des barges du
Mackenzie; il faudra 6 000 travailleurs au nord du 60e, pour le pipeline,
et 1 200 autres pour les usines de traitement du gaz et les réseaux de
collecte du gaz dans le delta du Mackenzie. Il y aura 130 lieux d’emprunt
de gravier, 600 points de franchissement de cours d’eau, d’innombrables
aéronefs, tracteurs, engins de terrassement, camions et remorques. En
fait, le projet de l’Arctic Gas a été décrit comme le plus grand projet, en
termes d’immobilisations, jamais envisagé par l’entreprise privée.
Un gazoduc dans le Nord, partant de la baie Prudhoe et du delta du
Mackenzie, représente un immense défi sur le plan technique et
logistique. Il ne s’agit pas uniquement de l’envergure ou de la
complexité du projet, mais aussi des contraintes géographiques,
climatiques et topographiques et des éléments d’innovation.
Plaine côtière du Yukon, au printemps (ISL-G. Ca1ef)
Pingos, près de Tuktoyaktuk (A.T.N.-O.)
Rivière Old Crow (ISL-G. Calef)
Fleuve Mackenzie, à l’automne (R. Fumoleau)
L’importance du projet
Les travaux de génie
et de construction
xTERRE LOINTAINE, TERRE ANCESTRALE - Enquête sur le pipeline de la vallée du Mackenzie - Vol. I
La question du soulèvement dû au gel est d’une importance capitale
dans la conception du gazoduc, LArctic Gas et la Foothills, se
proposent d’enfouir tout le pipeline et de réfrigérer le gaz afin dé ne pas
faire fondre le pergélisol autour du tuyau. Par contre, dans les zones de
pergélisol discontinu ou sous les cours d’eau, le gaz réfrigéré fera geler
la terre autour de la canalisation et pourrait entraîner un soulèvement dû
au gel, voire même des avaries au pipeline.
De toute évidence, les sociétés éprouvent de la difficulté à proposer
une méthode efficace pour enrayer le problème. Elles modifient
constamment les techniques fondamentales de limitation du
soulèvement, mais plus ces techniques se compliquent, moins elles
semblent prometteuses. Il est probable que les sociétés continuent de
modifier leurs propositions; ces modifications feront augmenter les
coûts et changer les répercussions d’ordre environnemental.
Les échéanciers de construction posent aussi un problème. Les
sociétés proposent de construire le pipeline l’hiver. Vu l’expérience très
limitée dans le domaine de la construction de pipelines dans le Nord et
dans le pergélisol, les échéanciers semblent incertains, surtout en ce qui
a trait aux logistiques, à la construction de routes sur la neige et à la
productivité. Le nord du Yukon présente les plus grands problèmes; il
est également le plus fragile au niveau de l’environnement. Je ne crois
pas que l’Arctic Gas puisse respecter ses échéanciers de construction
dans le nord du Yukon. Il se peut que les coûts dépassent les prévisions,
que la construction se poursuive à l’été ou même qu’une route
permanente doive être construite pour permettre la construction au cours
de l’été. De telles modifications entraîneraient des répercussions d’ordre
environnemental très marquées; tout le projet devrait alors être réévalué.
Je reconnais que les propositions sont préliminaires et que les plans
définitifs présenteront des améliorations, mais mon mandat exige
l’examen des propositions dans leur forme actuelle.
En raison des incertitudes au niveau de la conception et de la
lettre de présentation xi
construction, notamment au sujet du soulèvement dû au gel et des
échéanciers, et de leurs effets sur les répercussions d’ordre
environnemental et sur les normes de protection de l’environnement, je
pense que le Gouvernement du Canada ne devrait pas approuver une
emprise ou fournir des garanties de financement du projet sans avoir
trouvé des solutions convenables aux problèmes techniques.
Il existe un mythe selon lequel il est possible d’imposer des modalités
pour protéger l’environnement, peu importe l’envergure du projet.
Certains estiment qu’avec assez d’études, de rapports et de données,
tout ira bien. Ce genre d’affirmation laisse supposer que la décision a
déjà été prise; il ne vaut pas dans le Nord.
La majorité des gens croient qu’à cause des vastes étendues du
Nord, la construction d’un gazoduc ou l’aménagement d’un couloir de
transport de l’énergie ne perturberont pas sérieusement les terres, l’eau
ou la faune. Par contre, dans ces vastes étendues, il y a des terres et des
cours d’eau assez limités qui sont essentiels à la survie de peuplements
entiers d’animaux à certaines périodes de l’année. La perturbation de
ces aires pourrait avoir des effets biologiques néfastes ailleurs que dans
l’aire des travaux. Cette préoccupation au sujet des habitats essentiels et
des étapes importantes du cycle de vie se situe au coeur de l’étude du
milieu qu’a menée l’Enquête.
Il faut reconnaître que dans le Nord les règlements sur l’utilisation
des terres, fondés sur le principe de l’utilisation multiple, ne suffisent
pas toujours à protéger certaines valeurs environnementales et ne
protégeront jamais pleinement les valeurs naturelles. Dans certains cas,
il faudra soustraire les terres à l’utilisation industrielle pour préserver la
faune, la nature et les habitats essentiels.
Le nord du Yukon est une région naturelle arctique et subarctique
d’une beauté incroyable, un écosystème riche et varié habité par
d’importants peuplements fauniques. La harde de caribous de la
L’environnement et le Nord
Île artificielle en construction dans la mer de
Beaufort (J. Inglis)
Compresseur, aire d’essai de Sans Sault (Arctic Gas)
Forage dans les plaines Eagle, au sud-est d’Old
Crow (ISL-G. Calef)
Essai en pergélisol, Sans Sault (Arctic Gas)
Le nord du Yukon
1 / 26 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !