Alerte infectieuse Questions Contemporaines Collection dirigée par J.P. Chagnollaud, B. Péquignot et D. Rolland Chômage, exclusion, globalisation.. . Jamais les « questions contemporaines» n'ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la collection « Questions contemporaines» est d'offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, militants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à la réflexion collective. Dernières parutions Yves-Marie LAULAN, Peut-on se satisfaire de la natalité en France et en Europe?, 2006. Alain GRIELEN, Menace sur l 'humanité, 2006. Christian BORROMÉE, Souriez vous êtes en France. Les solutions,2006. Cyril LE TALLEC, Mouvements et sectes néo-druidiques en France, 1935-1970,2006. Guy CARO, De l'alcoolisme au savoir-boire, 2006. Adrien THOMAS, Une privatisation négociée, 2006. Tidiane DIAKITÉ, Mutations et crise de l'époque publique, 2006. Anaïs FAVRE, Globalisation et métissage, 2006. Jean-Luc CHARLOT, Le pari de la participation, 2006. Stéphane ENCEL, Histoire et religions: l'impossible dialogue ?, 2006. Patrick GREPINET, La crise du logement, 2006. Jacques RAYMOND, Comprendre les crises alimentaires, 2006. Raymond MICOULAUT, Tchernobyl, 2006. Daniel ARNAUD, La Corse et l'idée républicaine, 2006. Jacques DUPÂQUIER, Yves-Marie LANLAU, Immigration / Intégration. Un essai d'évaluation des coûts économiques et financiers,2006. Olivier ESTEVES, Une histoire populaire du boycott, tome 1 1880-1960 L'armée du nombre, 2006. David Lawson Alerte infectieuse Nouvelles menaces sur la stabilité internationale L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; FRANCE L'Harmattan Hongrie Kônyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest HONGRIE Espace L'Harmattan Kinshasa Fac..des Sc. Sociales, Pol. et Adm. BP243, Université KIN XI de Kinshasa - RDC 75005 Paris L'Harmattan ltalia Via Degli Artisti, 15 10124 Torino ITALIE L'Harmattan Burkina 1200 logements 12B2260 Ouagadougou BURKINA Faso villa 96 FASO 12 Du même auteur LE CLUB DE PARIS Sortir de l'engrenage de la dette (Préface de Jean-Claude Trichet) Editions l'Harmattan, 2004 HONG KONG, CHINE Editions l'Harmattan, 2002 HONG KONG ET SON DESTIN Editions Présence africaine, 1997 www.libraÏrieharmattan.com [email protected] harmattan! @wanadoo.fr (Ç)L'Harmattan, 2006 ISBN: 2-296-01083-0 EAN : 9782296010833 « Le monde est un bel endroit qui vaut la peine qu'on le défende. » - Ernest Hemingway A vertissement général: Les vues et opinions exprimées par l'auteur dans ce livre le sont à titre purement personnel et n'engagent que ce dernier. Elles ne représentent pas - ou ne sauraient être interprétées comme représentant- des positions officielles de l'ONUS/DA, de l'UNFPA ou d'une quelconque institution du système des Nations unies. Dès lors, elles ne peuvent engager, directement ou indirectement, la responsabilité de ces organisations. Avertissement concernant les données statistiques: Les expressions « pays développés» et « pays en développement» sont utilisées pour des raisons de commodité statistique et n'expriment pas nécessairement un jugement de valeur quant au niveau de développement atteint par tel ou tel pays, territoire ou zone géographique concernés. Introduction Lors d'une récente tournée en Asie, le Secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, déclarait que la lutte mondiale contre le SIDA était tout aussi importante que la guerre en Irak et que le président George W. Bush avait fait de l'éradication de cette épidémie de la face du monde une des principales priorités de la politique étrangère des Etats-Unis. Le Secrétaire d'Etat de la première puissance mondiale, exprimant le point de vue du président américain, comparait les ravages aveugles du virus du SIDA à ceux du terrorisme, et déclarait que le SIDA était désormais plus meurtrier que les armées, conflits ou armes de destruction massive, quels qu'ils soient. Le chef de la diplomatie américaine reconnaissait que le SIDA pouvait détruire des pays, déstabiliser des régions entières à mesure que ces ravages se répandent à travers le monde. Le gouvernement américain appelait ainsi les gouvernants d'une région stratégique pour leur diplomatie à considérer le SIDA comme une menace à leur sécurité, rappelant que l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou «pneumonie atypique» avait démontré la puissance destructrice des maladies infectieuses. Le Secrétaire d'Etat avertissait qu'à moins que des mesures drastiques ne soient adoptées par les dirigeants asiatiques, les épidémies détruiraient leurs pays et déstabiliseraient davantage une région déjà fortement remuée par de vives tensions politiques. Il prévenait que la menace infectieuse était plus sérieuse encore que la menace nucléaire pourtant bien réelle dans cette partie du monde. Il alertait ainsi du danger que le SIDA fait peser sur la sécurité régionale et internationale; danger souvent mal ou pas du tout perçu. En terminant, Colin Powell appelait les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), une organisation régionale à vocation politique, à une action vigoureuse pour répondre à cet immense défi et annonçait la réunion prochaine dans la région d'émissaires américains dont la mission consisterait à conseiller leur gouvernement sur la meilleure manière pour les Etats-Unis d'apporter leur soutien à la lutte contre le SIDA en Asie. 9 Cette rencontre de haut niveau permit de rappeler aux dirigeants de la région la plus peuplée de la planète, les conséquences désastreuses causées par l'émergence du SRAS et la nécessité d'agir contre la menace des maladies infectieuses. La pneumonie atypique a en effet montré au monde le coût politique, économique et social qu'une maladie infectieuse pouvait provoquer en quelques semaines dans des espaces à fortes concentrations de populations. Le SIDA n'est plus uniquement un problème humanitaire ou sanitaire, mais ce virus a la capacité d'ébranler les fondements des sociétés modernes, d'affaiblir les gouvernements et de dévaster des économies pourtant solides. Cette épidémie peut affaiblir et détruire des nations et déstabiliser des régions entières. En Asie, en particulier, des millions de personnes sont déjà affectées; à moins d'une réponse rapide et immédiate au problème, des millions d'autres pourraient périr. Aucun pays n'est immunisé contre le SIDA et toutes les nations sont vulnérables. Au mois de janvier 2003, dans le traditionnel discours sur l'état de l'Union, avant de lancer un nouvel appel à l'action contre le régime de Saddam Hussein, le Président américain, George W. Bush, avait annoncé une augmentation de l'effort financier des Etats-Unis sans précédent dans la lutte contre le SIDA, à hauteur de quinze milliards de dollars américains sur cinq ans. L'hyper-activisme américain dans ce domaine n'est pas qu'anecdotique; il est symptomatique d'une évolution des relations et de l'environnement internationaux autour des maladies infectieuses, et du SIDA en particulier, qui sont devenus un enjeu stratégique mondial. SIDA, SRAS, tuberculose, grippe aviaire, Chikungunya, Ebola, etc., les maladies infectieuses nouvelles ou réémergentes n'en finissent pas de prendre l'humanité à revers. Les changements climatiques, l'évolution des modes de vie, la mondialisation, la multitude de dangereux virus en activité autour du monde chez l'animal et I'homme, et la combinaison létale de certains de ces virus laissent redouter de graves périls pour l'humanité. Plus de trente millions de personnes ont déjà succombé au SIDA. Quarante millions vivent avec le VIH/SIDA dans le monde. Si l'épidémie continue à progresser au rythme actuel, plus de cent millions de personnes auront contracté le virus d'ici à 2010. Les dimensions politiques des épidémies sont désormais au cœur de toutes les 10 problématiques des relations internationales: développement, sécurité collective, terrorisme, conflits armés, crises humanitaires, économie, démographie, trafic de stupéfiants, flux migratoires... La progression de la plus terrible épidémie des temps modernes n'est pourtant pas une fatalité insurmontable. Les engagements souscrits par les gouvernants ces dernières années, notamment au sein de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l'ONU, l'établissement d'un Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, traduisent une mobilisation et une volonté politiques sans précédent, et confirme l'évidence: éradiquer les maladies infectieuses et le SIDA constitue non seulement un impératif sanitaire et social, mais un enjeu majeur des relations internationales, visant à préserver non seulement la stabilité et la sécurité mondiale, mais aussi et surtout la survie de l'espèce humaine. Ce livre n'a pas vocation scientifique ou médicale. Il vise à alerter et informer un vaste public. Il tente d'expliquer et d'analyser les différentes dynamiques politiques en cours en matière de maladies infectieuses, en particulier le VIH/SIDA, et leurs implications sur les relations internationales, la stabilité et l'avenir du monde. Ambitieux, cet essai démontre comment les maladies infectieuses et le SIDA sont devenues des menaces d'une gravité sans précédent pour l'humanité et doivent être traitées comme telles, en priorité absolue, au même titre que les grandes thématiques traditionnelles des relations internationales, dont elles sont désormais partie intégrante. Il Chapitre 1 De la géopolitique des maladies infectieuses Tout au long de son histoire, l'humanité a été victime de multiples épidémies. Jusqu'au Moyen Age, le choléra, la grippe, la typhoïde, la tuberculose et d'autres maladies infectieuses étaient tellement répandus que la plupart des personnes infectées n'y survivaient pas. D'autres maladies, comme les otites, les infections cutanées ou des voies respiratoires conduisaient souvent à la surdité, à des défigurations ou à des décès en raison d'empoisonnements sanguins et autres complications. Ainsi au dix-neuvième siècle, l'espérance de vie moyenne en Europe et en Amérique du Nord était de l'ordre d'une cinquantaine d'années. La vie se caractérisait souvent par la disparition prématurée de membres de l'entourage familial, d'amis ou de collègues. A cette époque, la probabilité de décéder prématurément d'une maladie infectieuse était de quarante pour cent. Du reste, les femmes succombaient plus largement au cours des accouchements, en raison d'infections diverses qui pourraient être traitées de nos jours... Dans les pays en développement, la situation était encore plus dramatique. A la différence des nations industrialisées, l'environnement sanitaire de ces pays n'a guère progressé au vingtième siècle. On y meurt toujours prématurément de maladies infectieuses majeures, mais également bénignes. Cette situation contribue à accentuer davantage l'appauvrissement de ces populations. Pendant plusieurs générations, dans les pays industrialisés, la maladie était souvent associée à la peur d'une mort soudaine ou lente. Elle contribuait ainsi à raccourcir brutalement une vie déjà naturellement difficile et brève. Cette misérable existence résultait souvent du simple fait d'être né. Peu de gens échappaient à la maladie et aux souffrances inhérentes aux bactéries de toutes sortes. A cette époque, la vie était très éphémère et caractérisée par un cycle interminable de maux et de deuils. En Europe, les vagues d'épidémies qui se sont abattues sur le continent ont laissé l'humanité au bord de l'effondrement 13 démographique. Au cours des quatorzième et quinzième siècles, la population européenne a diminué de moitié en raison d'épidémies de typhus, de rubéole et du pire fléau épidémique de l'histoire du continent: la peste noire. En Inde, la peste n'a semblé s'imposer qu'à partir de 1896 à la suite de l'apparition des premiers signes de la pandémie au Yunnan, en Chine. Ainsi, au début du vingtième siècle, près d'un million et demi d'Indiens mourraient chaque année. Les historiens estiment qu'entre 1896 et 1948, douze millions et demi de personnes décédèrent de la peste... uniquement sur le sous-continent indien. En 1783, les historiens britanniques calculèrent que quelque vingt mille pèlerins qui se rendaient au site sacré indien de Hardawar succombèrent au choléra. Par la suite, en quelques mois, le virus se répandit en Chine, au nord de la Russie et au sud-ouest du Moyen-Orient. A partir de 1831, le choléra infecta la moitié des personnes effectuant le pèlerinage de Haj à La Mecque. Cette hécatombe résultait du rituel suivant lequel les pèlerins doivent boire l'eau d'une source unique... contaminée. Déshydratés et affaiblis, ces pèlerins mourant rentraient chez eux en dispersant tout au long de leur chemin de retour les bactéries mortelles. Les grands ports d'Alexandrie en Egypte et d'Istanbul en Turquie, - à l'époque il s'agissait d'une partie du vaste Empire ottoman, furent rapidement assiégés par l'épidémie de choléra qui se répandra par la suite dans tout le littoral nord africain, les Balkans, le Danube et la Hongrie, laissant des nuées de corps sans vie, d'orphelins, un désert économique, et des eaux et de la nourriture contaminées. Au début du dix-neuvième siècle, l'éruption de fièvre puerpérale, une forme de fièvre extrêmement violente, fut responsable de la mort de plus de soixante-dix pour cent des femmes venant d'accoucher dans les hôpitaux européens. En Italie, on rapporte que dans une infirmerie à cette époque, pas une femme ne survécut à un accouchement pendant une année entière... Il fallut attendre que les personnels hospitaliers adoptent le lavage de mains comme méthode antiseptique à la fin du dix-neuvième siècle pour que les taux de mortalité dans les hôpitaux retombent. La fin de la première guerre mondiale vit réapparaître les signes avant-coureurs de la grippe, de la contagion et de la mort. A l'automne 1918, une vague de grippe traversa l'Europe, l'Asie, l'Australie, et 14 l'Amérique entière, tuant des millions de personnes et dévastant des économies entières. Apparue en Chine, puis ayant rapidement gagné les Etats-Unis, la grippe dite « espagnole» fut importée outre-Atlantique par des militaires américains. Elle frappa tous les pays par vagues successives jusqu'en 1920, avec des taux de mortalité variables manifestant, contre tous les usages grippaux, une férocité particulière dans la tranche d'âge des vingt à quarante ans. De nombreuses hypothèses ont été formulées quant à.l' origine de ce virus: aviaire, porcin, voire fabriqué accidentellement par quelque chercheur aventureux... sans que l'on ait d'explication certaine et définitive quant à sa genèse exacte. Infection virale, la grippe aujourd'hui est rarement mortelle. Cependant, elle affaiblit les bronches et permet ainsi à des infections bactériologiques plus virulentes de prendre le dessus. A la suite de ses recherches, le démographe anglais Kingsley David estimait que la grippe avait décimé vingt millions d'âmes en Inde. Les experts contemporains estiment ce chiffre à trente millions - c'est-à-dire plus de victimes que n'en fit la« Grande Guerre ». Parmi les populations aborigènes, plus particulièrement les Inuits du nord du Canada, l'épidémie de grippe fit également d'énormes ravages. Après avoir été d'abord épargnées du fait de leur isolement géographique, ces populations ont ensuite grandement souffert. A Samoa, dans le Pacifique Sud, vingt-cinq pour cent de la population de l'île périt, pendant qu'au Canada, des villages entiers d' Inuits étaient malades et réduit définitivement au silence sous le fardeau de l'épidémie de grippe. Des maladies infectieuses destructrices d'Empires Il est difficile d'établir avec précision qui de la guerre ou des dévastations résultant des maladies infectieuses a eu le plus grand impact historique sur les frontières politiques des Etats. Toutefois, jusqu'à la seconde guerre mondiale, les maladies firent plus de victimes parmi les militaires que les guerres elles-mêmes. Ainsi, la retraite de Russie de l'armée impériale de Napoléon Bonaparte doit-elle plus aux maladies infectieuses qui décimèrent ses soldats qu'à l'armée russe ou aux hivers particulièrement rudes. De loin, le plus grand opposant à Napoléon 15 Bonaparte pendant la campagne de Russie fut... le typhus. Ce virus transporté par les poux réduit la Grande Armée qui comptait initialement six cent cinquante-cinq mille hommes à moins de cent mille soldats qui vécurent juste assez longtemps pour se retirer de Russie et ramener bien malgré eux le virus vers leurs villages de France... L'épidémie qui en résulta fit plus de deux millions de victimes, dont deux cent cinquante mille civils en Allemagne. Dans le Nouveau Monde découvert par Christophe Colomb et les Conquistadors, ce ne fut pas la supériorité militaire espagnole ni les chevaux utilisés comme nouveaux instruments de combat qui menèrent à la conquête du continent américain. Les plus importants alliés des Conquistadors espagnols furent... la rubéole, la grippe et la rougeole. Jusqu'alors inconnue en Amérique, la première épidémie de rubéole atteignit la colonie de Saint-Domingue en 1495, anéantissant quatrevingts pour cent des populations locales. La même épidémie provoqua également la mort de centaines de soldats espagnols après la bataille de Vega Real en 1495. En 1515, une autre épidémie anéantit la résistance à Puerto Rico, tout en épargnant les Espagnols. Avant qu'Hernando Cortes et son armée de mercenaires et de missionnaires n'atteignent le Mexique, la rubéole, la rougeole et la grippe avaient déjà fait leur œuvre sur les populations autochtones, agissant comme une cinquième colonne armée invisible au service des conquérants. La manière dont une armée désorganisée de trois cents hommes à peine armés et à cheval put vaincre une armée aztèque très aguerrie au combat ne peut s'expliquer que par le fait que les maladies importées d'Europe et inconnues en Amérique décimèrent des populations entières totalement dénuées d'immunité. Le Conquistador et écrivain militaire BernaI Diaz décrivait ainsi le carnage résultant des maladies infectieuses: « nous ne pouvions marcher sans buter sur des cadavres et têtes d'Indiens. La terre aride était recouverte de cadavres. » En l'espace de dix ans, les historiens estiment que la population du Mexique chuta de vingt-cinq millions à six millions cinq cent mille individus, soit une réduction des trois quarts! En Amérique du Nord, ces événements se répétèrent, mais avec une différence; à partir du dix-septième siècle, les colonisateurs connaissaient suffisamment l'épidémiologie pour infliger malicieusement aux populations locales les prémices des techniques de la guerre bactériologique. Ainsi les colonisateurs offraient à ces populations 16 indigènes des cadeaux divers sous forme de couvertures ou vêtements infectés avec la rubéole et le typhus. La grippe espagnole de 1918-1919 qui aurait fait plus de ravages que la Grande guerre elle-même a probablement été transmise aux populations par un oiseau migrateur. .. Aujourd'hui, les virus les plus virulents demeurent ceux qui se sont abattus des siècles durant. Le paludisme et les infections respiratoires ont fait de terribles ravages tout au long de l'histoire de l'humanité. En effet, des archéologues morfiques ont découvert la bactérie de la tuberculose dans les tissus humains de momies vieilles de plusieurs milliers d'années. Si la rubéole fut la matière première exportée en premier de l'Europe vers le Nouveau Monde, l'Amérique a probablement produit en retour la syphilis qui a par la suite frappé le continent européen. En effet, les Conquistadors et soldats espagnols qui n'avaient pas hésité à pratiquer le viol et le pillage comme méthode de conquête sont revenus vers leur terre natale en emportant avec eux les bactéries de ce qui deviendrait une nouvelle épidémie. Cette forme d'épidémie sexuellement transmissible se caractérisait par les ulcères génitaux qui dégénéraient par la suite en rougeur, démence précoce et abcès rongeant la peau et les os. Henry VIII, le père de Sir Randolph Churchill et grand-père de Winston Churchill, Schopenhauer et Guy de Maupassant ne furent que quelques-uns des plus célèbres des nombreuses personnes qui périrent de la syphilis. Mais Flaubert, Toulouse-Lautrec, Nietzsche, la romancière danoise Karen Blixen contaminée par son mari au Kenya, et bien d'autres subirent les souffrances de cette maladie... Paradoxalement, syndrome des relations internationales, les virus sont toujours perçus comme venant « d'ailleurs»... Les Français considéraient la syphilis le «mal de Naples»; les Italiens l'appelaient le «mal français» ; les Polonais, le. « mal allemand» ; et les Russes, le « mal polonais »... La plupart des individus qui vivent aujourd'hui dans les pays occidentaux connaissent une grand-mère ou un membre âgé de leur famille qui peut décrire comment une toux rauque, la grippe ou la diphtérie emporta certains de leurs amis ou des proches. Dans un passé récent et aujourd'hui même, dans beaucoup de pays en développement, une simple infection de la vessie provoque rapidement la mort par faiblesse du rein. Un simple problème dermatologique peut défigurer à 17 vie des personnes par ailleurs bien portantes. De même, la rougeole, la tuberculose et la pneumonie rôdent dangereusement dans les rues, les bureaux et les maisons des villes et des hameaux de la planète. La récente crise du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou «pneumonie atypique» a rappelé au monde les dangers de telles infections. Actuellement, la situation dans les pays en développement reste aussi sombre qu'elle le fut longtemps pour de nombreuses générations dans les pays aujourd'hui industrialisés. Dans beaucoup de régions pauvres du monde, chacun connaît un parent, un ami, un proche ou quelqu'un qui souffre d'une maladie infectieuse résultant de la pauvreté, comme la diarrhée, les infections respiratoires, la tuberculose, le paludisme et le SIDA. Dans les pays en développement, la pauvreté et l'accès inadéquat aux services de santé restent d'imposants rappels de la fragilité humaine; les maladies infectieuses demeurent en effet des menaces omniprésentes sur des vies déjà fragiles. L'humanité prise à revers... Aujourd'hui, un tiers de la population mondiale est atteint de la tuberculose. Au quatorzième siècle, la peste noire tua un Européen sur deux. Aux Etats-Unis, en 1918, un Américain sur dix succomba à une épidémie de grippe. Enfin, le SIDA tue actuellement une personne sur cinq sur le continent africain. Selon l'Organisation mondiale de la santé, dix-sept millions de personnes meurent chaque année dans le monde de maladies infectieuses. Dans les pays les plus démunis, un enfant sur deux meurt d'une maladie infectieuse. En France, les maladies infectieuses représentent douze pour cent des causes de décès annuels; soit une augmentation de près de vingt pour cent, par rapport à 1980. Dans l'hexagone, le premier décès du SIDA fut enregistré en 1983. L'émergence de cette maladie au cours de cette décennie explique pour une large part l'augmentation du risque de décès par maladies infectieuses aujourd'hui. Le SIDA est en soi une maladie infectieuse, mais elle engendre souvent d'autres infections, telles que la tuberculose ou l'hépatite qui sont aussi hautement contagieuses. Après une hausse continue du nombre de décès attribués au SIDA entre 1983 et 1994, une première baisse fut observée à partir de 1995, notamment grâce à 18 l'arrivée de nouveaux puissants traitements anti-SIDA. Cette baisse s'est ensuite affirmée à partir de 1997 pour ralentir à l'aube du nouveau millénaire. La lutte contre les maladies infectieuses est un combat de tous les instants qui doit être mené sans relâche. Mais alors que la bataille pour contrôler la progression des maladies infectieuses connues continue, de nouvelles menaces émergent. Certaines que l'on croyait définitivement éradiquées réapparaissent. Pire encore, de nouveaux virus font leur apparition, dont la plupart ne peuvent être prévenus ou ne sont pas curables. La découverte récente du syndrome respiratoire atypique sévère en est une éclatante illustration. La situation s'aggrave chaque jour davantage. Ainsi durant les deux dernières décennies du vingtième siècle, plus de trente virus ont fait leur apparition pour la première fois chez les êtres humains. Durant les années quatre-vingt-dix, on a pu observer la réémergence soudaine et virulente d'anciennes maladies infectieuses telles que la peste, la diphtérie, la fièvre jaune, la fièvre dengue, la méningite, la grippe et le choléra qui ont fait d'innombrables victimes. La transformation des modes de vie du fait de l'industrialisation au cours des cinquante dernières années a contribué à l'évolution des maladies infectieuses. L'augmentation des mouvements de populations, la multiplication du nombre des moyens de communication et l'intensification des voyages internationaux, de même que du transport d'animaux vivants et de produits dérivés ont contribué à ouvrir certaines régions du monde à des maladies infectieuses qui leur étaient jusqu'alors totalement inconnues. Dans certains cas, les bouleversements environnementaux, tels que la déforestation, ont rapproché physiquement la faune des êtres humains et ont ainsi mis I'homme en contact direct avec des animaux et des insectes vecteurs de parasites et d'infections. Au cours des années quatre-vingtdix, plus des deux tiers des virus émergents recensés dans le monde émanaient d'animaux sauvages ou domestiques. Par ailleurs, l'altération du rythme des saisons et les changements climatiques peuvent perturber la faune et contribuer à la concentration en son sein de nouvelles maladies qui peuvent dès lors affecter les humains. En 1993, l'irruption aux Etats-Unis d'un virus pulmonaire résulta d'une sécheresse spectaculaire. Ce virus transporté par des rongeurs fut ainsi transmis à des êtres humains. Cinquante cas de cette maladie furent 19 recensés dans plusieurs Etats américains, et on dénombra une quarantaine de décès. Dans le même temps, les transformations industrielles dans la production alimentaire ont augmenté l'incidence des maladies infectieuses d'origine alimentaire; le cas le plus notable est celui de la salmonellose qui résulte principalement d'œufs infectés. Au début des années quatre-vingt-dix, une grande épidémie de diphtérie frappa l'Europe de l'Est. En raison de la progression subite et incontrôlée du nombre de cas recensés, l'épidémie fut considérée comme une urgence humanitaire internationale. En 1980, l'Europe entière représentait moins d'un pour cent des cas de diphtérie dans le monde. En 1994, quatre-vingt-dix pour cent des cas recensés dans le monde étaient européens. .. Cette même région connut également une augmentation fulgurante du nombre des cas de syphilis et d'autres maladies sexuellement transmissibles durant toute la décennie. En Russie, entre 1989 et 1995, le taux d'infection de syphilis a été multiplié par quarante. Parallèlement, dans les autres Etats nouvellement indépendants d'Europe centrale et orientale, ce taux a été multiplié par vingt en moyenne. En Afrique, entre 1996 et 1998, on a observé une explosion du nombre des cas de méningite, avec plus de trois cent mille cas et trentecinq mille décès. Entre janvier et mars 2003, la méningite a tué plus de quatre cents personnes au Burkina Faso. Dans ce pays, ce virus avait déjà causé la mort de quelque mille cinq cents personnes en 2002. La méningite est une infection virale ou bactérienne qui affecte le fluide dans lequel baignent la moelle épinière et le cerveau. La méningite virale est moins sévère, mais la version bactérienne est difficile à traiter et peut entraîner rapidement une affection cérébrale, un coma et la mort. Les symptômes se traduisent par de la fièvre, la nausée et des maux de tête. L'Afrique orientale a été frappée à plusieurs reprises par des épidémies de choléra qui ont fait des dizaines de milliers de morts. Une épidémie de choléra qui avait auparavant frappé les Amériques pour la première fois du siècle infecta plus d'un million de personnes et fit onze mille morts. En 1992, une nouvelle forme de choléra fut détectée dans la baie du Bengale et se répandit dans dix autres pays. Ailleurs, les hémorragies résultant de la fièvre dengue sont en augmentation, alors que les moustiques qui la transmettent se répandent sur des régions nouvelles, s'établissant notamment en Amérique et dans 20 quelques pays d'Afrique et d'Asie. Au cours des quarante dernières années, le nombre de cas de fièvre dengue a été multiplié au moins par vingt. Cette maladie est désormais endémique dans de nombreux pays. Ainsi en 2004, une épidémie de dengue qui frappa l'Indonésie fit quelque deux cents morts et infecta près de dix mille personnes. La dengue y est endémique et tue chaque année une nombre croissant d'individus. En 1996, sept pays africains firent état de cas de décès dus à la fièvre jaune. Celle-ci s'étend désormais à de nouvelles régions. De soudaines irruptions de peste animale ou humaine ont vu le jour au cours de la dernière décennie. En 1994, par exemple, la peste humaine est réapparue au Malawi, au Mozambique et en Inde, après y avoir disparu pendant plus de vingt ans. Une épidémie de typhus est apparue au Burundi entre 1996 et 1998 et affecta plus de cent mille personnes. Cette maladie qui est transportée par les poux résultait dans le passé principalement de guerres et de famines... Aujourd'hui, d'autres virus mortels existent: le SIDA, Ebola, la fièvre Lassa, le virus Marburg, une nouvelle forme de grippe animale chez les humains, la maladie du légionnaire ou légionellose, la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le virus Nipah, et tout récemment la pneumonie atypique et le monkeypox, une infection qui se transmet d'une espèce animale à une autre et de l'animal à l'homme. Apparue chez des « chiens de prairie », le virus du monkeypox peut se transmettre à l'écureuil, au renard, au loup et à l'homme. Il s'agit d'une maladie rare proche de la varicelle, caractérisée par des éruptions et de la fièvre, qui appartient à la même famille de virus que la variole mais est beaucoup moins mortelle. Cette maladie infectieuse qui n'avait jusqu'alors était recensée qu'en Afrique centrale et occidentale chez le singe, l'écureuil ou le rat n'avait jamais été détectée dans 1'hémisphère nord. La transmission du virus se produit par contact direct avec des animaux infectés ou par l'intermédiaire d'une personne porteuse du virus. Cette maladie a fait son apparition dans le Midwest américain au mois de mai 2003, après que dix-neuf personnes qui auraient été en contact avec des «chiens de prairie» ont été reconnues porteuses du virus. Ce dernier aurait été détecté chez des individus originaires des Etats américains du Wisconsin, de l'Illinois et de l'Indiana. Cette maladie est considérée très sérieusement. En effet, si elle venait à infecter une bonne 21 partie des espèces nord-américaines, elle pourrait rapidement devenir incontrôlable. Mortel, le virus du monkeypox est considéré très sérieusement, car il n'existe à ce jour aucun traitement. Certains spécialistes pensent que la vaccination anti-variolique pourrait empêcher ou réduire la gravité chez les personnes exposées à ce virus. En Afrique, le taux de mortalité dû à cette maladie varie de un à dix pour cent. Aux Etats-Unis, l'épidémie aurait débuté avec l'introduction dans le magasin d'un vendeur d'animaux domestiques, d'un lézard originaire de la Gambie. Ce dernier aurait contaminé dans le magasin des « chiens de prairie» dont certains se seraient échappés dans la nature... Le virus Nipah est un autre exemple de ces virus mortels qui franchissent la barrière des espèces. Présent chez certaines espèces de chauves-souris, identifié pour la première fois en 1998, il s'est depuis adapté au porc, puis à l'homme. Chez les êtres humains, l'infection débute généralement comme un syndrome grippal peu alarmant, puis évolue vers une encéphalite et un coma. Ce nouveau virus émergent fait désormais des dizaines de victimes chaque année, en Malaisie notamment. On signale également son apparition au Bangladesh, au Cambodge et dans le Nord de l'Inde. Une autre infection qui a franchi la barrière des espèces et défraye la chronique est la grippe aviaire ou «grippe du poulet ». Jusqu'à récemment, ce virus n'atteignait que les ovidés, y compris les poulets et les canards. Paradoxalement, cette forme de grippe contribue à un taux de mortalité élevé chez les poulets, mais pas chez les canards. Cette grippe a passé la barrière des espèces pour se transmettre des ovidés à l'homme pour la première fois en 1997, à Hong Kong. L'épidémie avait alors touché dix-huit personnes et causé la mort de six d'entre elles. Les symptômes de cette maladie chez les êtres humains incluent de la fièvre, des douleurs musculaires, des maux de gorge et une toux sévère. Plus grave encore, une autre épidémie de grippe aviaire avait affecté l'homme à Hong Kong en février 2003, ainsi qu'au printemps de la même année aux Pays-Bas. Dans ce pays, plus de trois cents cas humains ont été observés, l'infection se manifestant alors pour l'essentiel par des conjonctivites et parfois par un syndrome grippal. Un cas mortel fut recensé, ainsi que trois cas de contaminations inter-humaines. 22