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quelques originalités géopolitiques
de l’afghanistan
Professeur Jacques BARRAT
Universitaire, diplomate
S  °’  °’    et 60°30’ et 75° de longi-
tude est, l’Afghanistan a une supercie de 652000km
2
. Il est bordé au nord par
le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et la Chine, à l’ouest par l’Iran, au
sud et à l’est par le Pakistan. Extrémité orientale du plateau iranien, c’est un pays
de montagnes dans sa plus grande partie, puisque seules les régions qui jouxtent
l’Amou Daria acceptent des altitudes inférieures à 300mètres. Les chaînes centrales
de l’Hindou-Kouch, derniers contreforts de l’Himalaya, constituent un appareil
montagneux qui s’étend sur une longueur de 600kilomètres du nord-est au sud-
ouest. Il divise le pays en Afghanistan septentrional et Afghanistan méridional, for-
més de plateaux couverts de sédiments alluviaux apportés des montagnes par une
multitude de cours d’eaux.
Le climat est conditionné à la fois par le caractère continental du pays et par
l’altitude, sans qu’aucune inuence océanique vienne tempérer la chaleur des étés
et la rigueur des hivers. Le printemps correspond à la saison des pluies et est mar-
qué par des précipitations de faible quantité, mais très violentes, alors que l’au-
tomne reste la saison la plus agréable. Du fait de ces conditions climatiques, la ore
afghane est assez comparable à celle de nos régions tempérées.
Sur une population globale de 30 à 32millions d’habitants, on estime que
le nombre des nomades oscille encore entre 3 et 5 millions. Les Pachtous (40%)
constituent le groupe dominant du pays. Ces Iraniens orientaux, de race blanche,
vivent encore sous la tente noire ou khaïma, et hivernent parfois au Pakistan. C’est
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La « Chinafrique » : un tigre de papier ?
Pr. Jacques BARRAT
Professeur des Universités Diplomate
« L’Afrique est un continent auquel je tiens beaucoup »
Chen Haosu
Aujourd’hui, la République populaire de Chine est largement présente
en Afrique et son intérêt pour cette partie du monde est non seulement réel, mais se
fortifie. Cette réalité inquiète semble-t-il beaucoup les Occidentaux qui, il est vrai,
du XVIe au XXe siècle avaient cru pouvoir faire de ce continent une chasse gardée.
Pourtant, les liens entre la Chine et l’Afrique ne datent pas d’hier, même si c’est
surtout depuis la seconde moitié du XXe siècle qu’elle a cru bon d’intensifier des
relations qui sont désormais d’autant plus fortes qu’elles sont devenues utiles sinon
vitales pour son économie. Il est certain que les matières premières et les sources
d’énergies que recèle le continent africain sont indispensables au maintien d’une
forte croissance économique chinoise.
Néanmoins, les relations africano-chinoises présentent des formes de fragilité
qu’on ne saurait ignorer, en particulier du fait que l’image des Chinois se dégrade
peu à peu dans une bonne partie des pays ils s’étaient fortement implantés.
Certes, il est difficile d’accuser les descendants de Mao Zedong de colonialisme.
Il n’empêche que leurs pratiques commerciales et leur difficile intégration cultu-
relle provoquent ici et des formes de rejet qu’on ne saurait négliger. Mais, il est
tout aussi essentiel de le rappeler, l’impact réel de la présence chinoise en Afrique
reste encore relativement faible, quantitativement du moins, si on la compare aux
empires économiques des Occidentaux, que ce soit ceux des anciens colonisateurs
européens ou celui, plus récent, des Américains.
Quelques originalités géopolitiques de l’Afghanistan
GéostratéGiques n° 27 • 2e trimestre 2010
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pourquoi on les trouve en grand nombre dans les régions de Ghazni et de Kandahar,
de même que dans la région de Koundouz, au nord du pays depuis le 
e
siècle. Les
grandes confédérations Duranis et Ghilzais ont joué un rôle fondamental dans la
réalisation de l’unité afghane et c’est sans doute pour cette raison que, en ville, les
Pachtous sont grands commerçants ou hauts fonctionnaires.
Les Tadjiks, avec 30% de la population totale, représentent le deuxième groupe
racial du pays. Ce sont des sédentaires agriculteurs ou commerçants, plus particu-
lièrement localisés dans la région d’Hérat et dans l’Afghanistan occidental.
Les Hazaras (8,5%) des montagnes du centre, d’origine pamiro-tibétaine, sont
des agriculteurs sédentaires, de type mongol. Certains les disent les derniers des-
cendants des hordes de Gengis Khan. En fait, méprisés pendant très longtemps,
en butte à des conditions de vie montagnardes très dures, ils quittent, l’hiver, leurs
montagnes pour louer leurs services dans les grandes villes. Ils ont longtemps
constitué la classe laborieuse du pays, même si certains d’entre eux ont peu à peu
amassé des pécules importants qui les mettent parfois à la tête des plus grandes
fortunes du pays.
Les Turkmènes (3,3 %) et les Ouzbeks (10 %), d’origine turque, xés en
Afghanistan depuis l’époque timouride, occupent les plaines du Nord. Sédentarisés,
les Ouzbeks vivent essentiellement de l’agriculture et de la fabrication des tapis,
tandis que les Turkmènes, restés pour la plupart des nomades éleveurs de chevaux,
continuent d’habiter la yourte. Quant aux Baloutches, ils représentent moins de
2% de la population globale.
Enn, islamisés depuis peu, les Nouristanis, dont l’origine est encore mysté-
rieuse, cultivent le blé et le maïs autour de villages accrochés aux ancs des mon-
tagnes du Karistan.
Si les sunnites sont majoritaires, les chiites représentent jusqu’à 20% de la
population et sont répartis en trois branches: les Hazaras de l’Hindou-Kouch, les
Tadjiks et quelques Kizilbashs (Têtes rouges en turc).
Les deux langues les plus pratiquées dans le pays sont le farsi (langue très proche
du persan et qui était essentiellement utilisée par les citadins, en particulier à Kaboul
et à Hérat) et la langue pachtoune, langue darique, qui est plus répandue chez les
nomades. Le Nord-Ouest du pays, lui, utilise assez souvent les langues turques
(ouzbek ou turkmène).
GéostratéGiques n° 27 • 2e trimestre 2010
La géostratégie de l’Afghanistan
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Ainsi, la géopolitique de l’Afghanistan peut s’envisager par rapport à trois cri-
tères:
Celui de la latitude :
L’Afghanistan du Nord est jaune, turcophone et appartient au monde des
steppes de l’Asie centrale, où l’on habite la yourte ou la ville.
– Le centre montagneux du pays, derniers contreforts de l’Himalaya, est peuplé
pour l’essentiel par des Pamiro-Tibétains chiites, les Hazaras, qui sont des monta-
gnards sédentaires.
– Le Sud du pays, qui rassemble l’essentiel des nomades pachtous sunnites, ap-
partient au monde des déserts chauds et secs. Il abrite une civilisation d’éleveurs no-
mades qui a pour base la khaïma (tente noire en poils de chèvre) et le dromadaire.
Celui de la longitude :
L’Ouest du pays, et en particulier la région d’Hérat, a longtemps été une
satrapie de Perse.
– L’Est du pays, la région de Kaboul en particulier, a toujours constitué un nid
d’aigle qui permettait les incursions vers les territoires de l’actuel Pakistan et l’Inde
du Nord.
Celui de l’altitude :
C’est elle qui est déterminante à l’intérieur même de chacun des genres de vie,
étant bien entendu que petit nomadisme, grand nomadisme et transhumance s’or-
ganisent assez souvent par rapport à elle.
C’est une évidence de dire que l’Afghanistan est un pays qui présentait déjà
avant l’invasion des Soviétiques en 1979 toute une série d’originalités.
Tout d’abord, l’économie y était restée très traditionnelle jusqu’à la n du

e
siècle dans la mesure la proportion des ruraux y était encore écrasante. La
dislocation des genres de vie n’y était pas vraiment apparue, et plus de 75% de
la population au moins vivaient encore dans les années 1980 dans une situation
sensiblement comparable à celle que connaissaient les pays occidentaux avant la
révolution industrielle. C’est pourquoi étudier l’Afghanistan, c’était encore étudier
le paysan afghan avant que les interventions soviétique puis américaine ne viennent
Quelques originalités géopolitiques de l’Afghanistan
GéostratéGiques n° 27 • 2e trimestre 2010
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provoquer des déplacements massifs de populations. Mais aujourd’hui encore, plus
de 60% des Afghans sont des agriculteurs.
Sa deuxième originalité résidait dans le fait qu’il avait été jusqu’en 1979 un no
man’s land pour les deux blocs et, c’est sans doute l’un des rares pays du tiers-monde
à avoir proté simultanément des aides américaine et soviétique. En ce sens, il était
demeuré l’État tampon créé au 
e
siècle par les impérialismes russe et anglais. Plus
encore, il avait été l’objet d’une particulière sollicitude de la part des organismes
internationaux, puisqu’ils y avaient délégué dès 1960 un grand nombre d’experts,
au moins le double de celui qu’on pouvait compter en Inde par exemple.
Troisième originalité, enn, le pays s’était brusquement ouvert aux étrangers
et à l’économie moderne vers 1950. Les transformations brutales qui en avaient
résulté sont indubitablement à l’origine d’une accélération relativement forte du
mouvement d’urbanisation, lequel avait surtout proté à Kaboul, Kandahar et
Hérat, les villes du Nord comme Maïmana et Mazar-i Charif restant en dehors
des premiers eets de la croissance parce qu’elles étaient bloquées au nord par la
frontière soviétique.
Presque totalement inconnu des Français jusqu’à une époque assez ré-
cente, l’Afghanistan était devenu à la mode dans les années 1960 chez les jeunes
Occidentaux hippies qui empruntaient la route afghane pour se rendre à Katmandou
les attendaient les délices libératoires du haschisch! Bien plus encore, l’améliora-
tion des réseaux routiers turc et iranien, en mettant Kaboul à douze jours de voyage
des capitales européennes, avait transformé, à partir des années 1970, en excursion
un peu longue un voyage qui jusqu’en 1965 se révélait une véritable expédition.
Mais c’est l’invasion du pays en 1979 par les Soviétiques qui a sonné le glas de
l’Afghanistan heureux. On se rappelle encore les eorts des communistes fran-
çais, qui tentèrent d’expliquer à l’opinion publique de notre pays qu’il y avait
une libération destinée par ailleurs à réduire les privilèges féodaux et à interdire le
droit de cuissage. On sait que l’Afghanistan fut contraint en 1979 de signer avec
Moscou un traité d’amitié qui permit à Babrak Karmal, communiste aux ordres
des Soviétiques, de renverser son rival, Amin, dont le radicalisme révolutionnaire
avait erayé les dirigeants du Kremlin eux-mêmes.
Jusqu’en 1989, la résistance afghane, qui comprenait près de 200000moudja-
hidine, épaulés par des milliers de volontaires étrangers et armés par les États-Unis,
l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la Chine et Israël, parvint à empêcher l’installation
GéostratéGiques n° 27 • 2e trimestre 2010
La géostratégie de l’Afghanistan
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pérenne des Soviétiques. Ces derniers quittèrent dénitivement l’Afghanistan en
janvier 1989, suite aux accords de Genève de 1988.
Mais la guerre civile ne s’arrêta pas pour autant car le président Najibullah,
épaulé par Moscou, dut compter avec la résistance des «Seigneurs de la guerre»
du Nord du pays, non pachtous et aidés en cela par le lion du Panshir, le fameux
commandant Massoud, qui allait devenir un véritable héros international qui entra
en vainqueur à Kabul le 29 avril 1992.
Le conit n’allait pourtant pas s’arrêter mais sa dimension idéologique allait
s’atténuer au prot de rivalités régionales en même temps que le conit se déplaçait
peu à peu des campagnes vers les villes. Pendant cette période (1994-2001), au
moins 3millions d’Afghans avaient trouvé refuge au Pakistan.
Le mouvement des talibans naquit au sein de jeunes réfugiés pachtouns for-
més dans les écoles coraniques pakistanaises. En 1996, les talibans s’emparèrent de
Kaboul et, en 2001, ils contrôlaient pratiquement 95% du territoire afghan. C’est
alors que les Américains décidèrent d’intervenir en même temps que Ben Laden,
revenu en Afghanistan en 1996, mettait en place les bases d’une société islamique
absolument radicale.
La chute du régime des talibans au cours de l’hiver 2001 n’instaura pas pour
autant la paix, même si elle était due à une intervention américaine et se révélait
aussi le fruit d’une lassitude des Afghans, choqués par le caractère sectaire et répres-
sif du régime taliban.
En 2002, se tenait une grande assemblée tribale présidée par Hamid Karzaï qui
allait mener en 2004 à l’adoption d’une nouvelle Constitution et à la tenue d’élec-
tions générales (présidentielles en 2004, législatives en 2005).
Toutefois, c’est l’absence d’une réelle reconstruction économique qui est au-
jourd’hui à la base des plus grandes dicultés de l’Afghanistan. Non seulement
l’aide internationale n’atteignit qu’environ 50% des sommes qui étaient néces-
saires, mais encore la politique américaine privilégia par trop le côté humanitaire
au détriment de la reconstruction des infrastructures et plus encore de l’agriculture.
C’est la raison principale de la transformation de l’Afghanistan en un narco-pays,
tant il est vrai qu’aujourd’hui l’Afghanistan produit pratiquement 95% du pavot
mondial. Il est vrai qu’un kilo de pavot rapporte à un agriculteur plus de cent fois le
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