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«Sport en Tête »
L’art du soin au cœur créatif du sport plaisir*
Dr Ruy Pereira**
Les impasses de la « politique de secteur » en psychiatrie amènent aujourd’hui les
professionnels concernés à parler d’une pratique marquée par « une hyper médicalisation et un
manque de soins »***.
La référence différenciée aux soins n’est pas, tant sans faut, sans intérêt : notamment par
rapport à une pratique (pratique doublée d’un raboutage chimiothérapique et cantonnée au
diagnostic et au court jour) tissée autour d’une triangulation : soigné, soigneur (thérapeute
chimique) et soignant (prestataire de soins).
Pensons, à titre d’exemple, à la psychose, mas surtout au psychotique qui est, non seulement à
son cœur, mais qui est la raison même de ce dispositif de soins : « traitement » de la psychose,
« accompagnement et soins » du psychotique.
Ce distinguo relève d’une différence entre une conception dicale de la psychose (maladie
ayant une chimiothérapie adaptée) et l’idée d’un soutien psychologique quasi permanent à un sujet
à l’existence problématique du fait de son histoire personnelle : bref, objectivation du processus
psychotique (traitement) et subjectivité de l’être du psychotique (soins).
*Titre de la participation au Colloque Croix Marine « Sport et Santé Mentale ». Hôpital Pinel, Amiens,
le 18 Novembre 2013.
**Psychiatre. Psychanalyste. Président de « Sport en Tête »
***Petite remarque : à notresens, le manque de soins en question résulte avant tout d’une
gouvernance économique à rigueur budgétaire « du combien ça coûte » et « du combien ça ne
rapporte rien » ; mais aussi d’une réduction des coûts de prise en charge qui se
traduit,essentiellement, par une politique malthusienne à l’ égard du personnel soignant.
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Ainsi , le soin peut se définir comme l’attention soutenue et l’application d’un ensemble de
précautions pour la conservation et la santé du patient ...ce qui signifie que le traitement ne suffit
pas , mais qu’il faut « a contrario » une complémentarité du soin et du traitement. Ce traitement, qui
s’étaye sur le soin, étant, d’après Littré, la manière de conduire une maladie.
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C’est justement dans la perspective du soin en psychiatrie (art° 1 des statuts) que « Sport en
Tête » engage son activité dans le champ de la santé mentale. Association qui institue la pratique de
l’hérésie d’une psychiatrie qui prétendrait que l’on peut soigner les fous par les activités physiques et
sportives ; mais d’où elle tire, portant, la passion du soin dans la créativité et le plaisir. Comment ?
Qu’il soit au niveau d’une pratique en Institution ou d’un séjour thérapeutique, il
s’agit,essentiellement, de proportionner au patient (cadre et dispositif définis) une mise en scène
corporel : en ce sens, à la façon d’un psychodrame dominé par le préverbal du corps, moyen
d’analyse, une thérapie ensuite par l’implication du corps et du signe dans l’acte de parole.
Ceci par une sollicitation faite au patient , dès le départ , de sortir de son repli et du vide de son
désir, qui s’inscrivent , l’un et l’autre , dans son déni du monde ou tout simplement dans la trame
quotidienne de une vie désanimée,condamnée à la lourdeur de la chronicité institutionnelle
(stéréotypies , ralentissement et attitudes raides et figées ): par des activités corporelles
d’expression, de relation , de communication à l’environnement matériel ( activités de pleine nature
) et humain (relation de confiance , partenariat , coopération dans les actions de jeux collectifs ), la
dimension du plaisir devant primer sur la dimension de l’effort.
Il y a, donc, une mise en structure relationnelle la plus positive et la plus dynamique, faisant
appel aux capacités et potentialités inexploitées ou inhibées du patient. Car, comme le souligne
Shakespeare,
«L’homme que le hasard ou la nature
amarqué, pourquoi faut-il que toutes
ses autres vertus en soient obscurcies
dans le regard des autres ? »
Tout au contraire : en gardant un regard favorable et une expectation positive, il faut favoriser un
climat d’empathie ou , mieux encore , ouvrir les voies de la sympathie, comportant contenance et
apaisement, qui rendent le patient confiant en lui-même et dans l’alliance thérapeutique ; de même,
lui favoriser le retour de l’aptitude au symbolique par l’expérience d’un discours qui l’articule, le
patient puisse s’approprier d’une parole personnelle il se met en figure, en représentation , se
cherche , se repère ou se perd , mais plus particulièrement, il affronte son propre vouloir .Plus
encore : où il puisse s’approprier de la vie même, rendue, par l’apport de l’exercice, plus vivable et
plus créatrice dans sa positivité : les sollicitations, les tensions et même les échecs ayant une certaine
importance pour la réadaptation du patient .
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Tout ceci, il faut le réaliser dans la bonne humeur et dans la perspective d’une psychiatrie plus
ouverte et conviviale, frappée au coin de l’imagination, de la créativité et du plaisir.
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Mais de quoi s’agit-il en substance ? Au fond, d’assurer une psychothérapie à médiation
sportive, c’est-à-dire appuyée sur une pratique corpo centrique etactocentrique, mais qui entraîne la
totalité du corps. Théoriquement et schématiquement, la thérapie, commeacte, se développe alors,
et à partir de là, en deux temps, de va et vient, entre le non-verbal et le verbal :
-premier temps de pré-symbolisation, à l’œuvre dans le corporel, étayé sur le jeu et les
techniques corporelles qui ont la potentialité d’offrir de greffes identificatoires et une édification du
sentiment d’identité, ce temps se poursuivant à l’intérieur même du temps de symbolisation ;
-deuxième temps d’inscription symbolique, posée dans le corps avec le corps, par l’incitation du
patient à verbaliser et à mettre des mots sur ce qui se passe : langage du corps et langage de l’acte,
dans une parole d’un corps d’où émane le souffle qui anime la voix et qui devient alors symbolique
sans cesser de rester corps.
Or , en définitif, ce corps n’est pas un corps plein , fermé , totalitaire , mais un corps fantasmé ,
lieu de l’interdit , du désir et du savoir , entièrement habité , structuré , travaillé par le symbolique ,
c’est-à-dire la parole ,et donc un corps en quelque sorte constamment trans-individuel , au carrefour
du processus biologique évolutif et de l’ordre symbolique : car le corps de l’être vivant , qui ne se fait
être que de paroles , n’est corps que pour autant que la chair se voit nourrie par la parole des autres
( de même que nous ne parlons que pour autant que d’autres se portent témoins que ça parle en
nous et entre nous ). Et ce corps, comme texte, doit être ainsi déchiffré dans les inscriptions
corporelles du langage même qui le désigne : c’est-à-dire, pris à la lettre.
« C’est quotidiennement , au présent ,dit Leclaire , qui s’engendre cette espèce particulière de
vivant qu’est le parlêtre , constitué non seulement de molécules chimiques mais aussi simultanément
de mots , d’histoire , de mythes , de grammaire et de logique . La division entre corps et mots , entre
matérialité corporelle et matérialité signifiante , loin d’avoir à se présenter en termes de substrat et
de superstructure ne peut se penser que comme un processus dialectique qu’est la vie même…le
langage est à comprendre comme le processus dialectique en quoi consiste la vie de l’être parlant
corps et mots ».
Cette pratique de la mise en jeu et en scène de la corporéité vise aussi à accéder - à partir des
registres proprioceptif et sensori-moteur - à une connaissance du corps vécu et de l’espace , à une
liberté des mouvements , à une symbolisation au contact avec autrui , par la libération des gestes et
du rythme, l’amusement physique et ludique , l’épanouissement , l’ouverture , la détente , l’abandon
des appuis , en se donnant à corps joie vers le plaisir et le bien-être corporel dans ce travail de
restauration et de réanimation .Lesquels amènent le plaisir de poursuivre , le plaisir d’être ensemble
et lié par un autre discours : tout en réussissant à mettre en mots-actes ce que « sporter » fait et
dit.
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Il y a dans le sport, par ailleurs, un rapport entre la mobilisation effective du corps et la
mobilisation imaginaire de l’image du corps et de l’image socialisée de soi. Rapport est encore
déterminant le miroir représenté par le soignant, les autres malades et le miroir réel dans lequel le
patient se regarde agir (découverte de soi et de l’autre). Simultanément se développe une reprise
symbolique des éléments de la réalité qui nourrissent la réalité psychique, matérialisant l’activité de
symbolisation pour une appropriation de l’histoire et de l’expérience subjective.
Le processus d’intériorisation du corps joue alors au niveau d’une logique consciente, mais
aussi et d’une façon plus déterminante, au niveau de la structure de toute logique, c’est-à-dire au
niveau du fantasme : car l’inconscient c’est le sujet qui sait ce qu’il en a à dire des rapports qu’il
entretient avec son corps et ses pulsions.
Le corps est donc la médiation privilégiée de cette intériorisation, dont les activités physiques
et sportives sont les instruments : dans cette capacité de « jouer » et de« tolérer jouer » de la part
d’autrui et par rapport à laquelle le soignant doit êtrepersévérant et créatif, capable de penser-rêver
la corporéité et la mise en forme imaginaire de soi-même et du patient.
C’est alors que, dans la dynamique du transfert-contre-transfert, le soignant (animateur du
cadre, optimiseur de l’utilisation du dispositif) et le patient peuvent échafauder ensemble un
fantasme corporel commun, dans l’aire de jeu et dans ce corps à corps avec la psychose.
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Dans cette pratique, centrée sur le sport, le soin, relevant d’un ensemble complexe de savoirs
et de pratiques, se présente sous une triple facette :
-comme acte de présentification d’existence du réel, en proposant, sans séduction, des objets
à investir : et le réel se suffit, il précède la connaissance ;
-comme actesymbolique puisque le patient n’a pas seulement besoin de recevoir, mais un
intense désir de donner – ce qu’on donne en don d’actes adéquats déborde sur un manque qui reste
symbolique ;
-comme acte parlé dans une alliance entre l’acte et la parole puisque tantôt on y joue, tantôt
on y parle. Et d’où peuvent surgir des effets de sens, la parole du soignant, faisant acte d’une
thérapie que relève d’un ancrage corporel, est alors celle du psychothérapeute(individuel ou de
groupe).
Nous insisterons sur un aspect déjà effleuré en filigrane dans ce que vient d’être dit, celui qui
concerne le rôle incontournable du soignant : comme « condition sine qua non » du projet de soin
(lequeldoit nécessairement s’intégrer dans le projet global de prise en charge du patient). Petite
parenthèse : le bien être corporel,dû à l’activité physique ou sportive, a une influence importante
dans la réduction des effets secondaires et dans la dédramatisation de la chimiothérapie, tout en
ouvrant une relation psychothérapique mieux acceptée.
L’objet médiateur (ici le sport) ne présente aucune portée psychothérapique en lui-même. Il en
faut, en effet, s’interroger sur la dynamique psychique sous-jacente au travail de ce médium
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malléable, mais dont la matérialité doit être envisagée comme matière à symbolisation : « le jeu est
thérapeutique et permet le rétablissement de la fonction symbolique »(Winnicott).
Il y a au juste dans cette démarche deux projets- celui du soignant et celui du patient- pour
faire advenir le projet de soins. Ceci est décisif pour le travail qui se déroule les deux aires de
jeu se chevauchent, dans cet espace transitionnel se médiatise la rencontre entre la réalité et le
plaisir.
Pour ce travail, le soignant doit disposer d’appétences et tolérances singulières pour être
engagé sur les lieux de soins ; c’est-à-dire, sur les lieux de la pratique sportive, dans un mode de
présence attentive, impliquée par la pratique et la réflexion d’une aventure de coprésence et de
coaction qui évolue avec ses imprévus (tout au long d’un rêvé itinéraireimprévisible ).Ce travail
consiste d’abord pour le soignant à animer, introduire le mouvement, aménager des situations en
rupture avec le quotidien : n’étant pas ni complaisant ni intrusif, exerçant une pression non
excessive, il doit rendre le patient confiant en lui-même, l’accompagner discrètement dans une
pratique « côte à côte », accueillant ces produits du parcours symbolique, d’une production à une
autre, écoutant en quoi ce qui s’élabore contient un signe ou un indice, pour les orienter dans le sens
d’un plus de clarté.
Travail du soignant qui est aussi un travail de coassociativité, dans un contact respectueux du
monde psychique singulier de l’un et de l’autre et de leur mise en commun : soignant qui prend la
chaîne associative du patient comme objet inducteur, en faisant quelque chose par son propre jeu
associatif.
Ce travail, donc, s’inscrit ainsi dans le champ relationnel crée par l’influence réciproque et
mutuelle (sans être symétrique) du soignant et du patient. Il conduit, finalement, par une interaction
explicite (consciente) et une interaction implicite (inconsciente) entre eux, à la cocréation d’un sens
partagé comme soin au cœur créatif du sport plaisir.
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Nous constatons, en permanence, que nos patients ont à gagner « d’être entraînés » à vivre.
D’où l’importance que nous reconnaissons à nos séjours thérapeutiques- voile, neige, randonnée,
escalade, activités multisports…- qui sont aussi des thérapies de milieu et d’accompagnement par le
contexte, placées à la charnière psychose-vie, et outils amplificateurs de l’action afin de réhabiliter
l’émotion.
Séjours « brisants » (A. Breton), séjours de rupture institutionnelle (et du fait de rupture de
l’itinéraire du soignant et du patient), séjours de passage, séjours de rencontre et de vie, séjours
dans un milieu d’un surplus de réalité et d’une expérience nouvelle élargie, qui suscite parfois vertige
mais aussi interrogation sur la permanence et l’identité.
Outre la pratique des activités physiques et sportives, le patient a la possibilité de s’ouvrir à un
autre discours, d’assumer son désir et d’avoir une parole en propre(il n’y a d’être ni sentiment de
l’être que pour un sujet qui parle : et le non être vient à l’être parce qu’il a parlé). Et même de
bénéficier, dans cette psychiatrie de parcours, des effets positifs des transferts latéraux par
l’apparition de situations de relation : groupements naturels divers- structures de convivialité et
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