Quand la nature inspire les chercheurs

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Mission pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France aux Etats-Unis
Quand la nature inspire les chercheurs
Publié le vendredi 10 septembre 2010
Voir en ligne : https://www.france-science.org/Quand-la-nature-inspire-les.html
Les structures biologiques possèdent un avantage conséquent sur les chercheurs en science des matériaux :
elles sont le fruit de millions d’années d’évolution. La sélection naturelle a minutieusement conservé les
structures les plus efficaces pour une tâche donnée : robustes pour se protéger, solides pour s’accrocher ou
tendre des pièges, ou colorées pour communiquer. Une même structure peut aussi se trouver optimisée pour
répondre à plusieurs de ces besoins simultanément.
C’est bien souvent à l’échelle nanométrique ou moléculaire que ces structures révèlent leur composition, leur
agencement et leur organisation. Les possibilités techniques de microscopie (électronique ou à force
atomique) ouvertes par le développement des nanotechnologies permettent aujourd’hui aux chercheurs
d’entrer dans l’intimité de ces structures afin de s’en inspirer. Ces derniers vont même jusqu’à utiliser le
principe de sélection dans leurs simulations afin de laisser évoluer les structures qu’ils créent vers celles qui
pourront répondre au mieux aux besoins.
La soie des araignées
Un des matériaux stars de ces derniers mois est la soie, que ce soit celle produite par les vers ou par les
araignées pour tisser leur toile. La soie est 5 fois plus résistante que l’acier alors que ses composants sont
reliés par des liaisons hydrogène qui sont 100 à 1000 fois plus faibles que les liaisons qui lient les atomes
dans l’alliage métallique. De plus, la soie possède la particularité d’être malléable et de pouvoir s’étirer. Nul
doute étant donné ses propriétés que ce matériau intéresse autant les chercheurs.
L’équipe du Prof Buehler au Massachusset Institute of Technology a réussi à percer les secrets de ce
matériau [1,2]. Pour cela, les chercheurs ont développé un modèle de dynamique moléculaire à grande
échelle capable de calculer les interactions entre les protéines qui constituent la soie. Les protéines en forme
de nanocristaux plans, appelés feuillets ? et reliés par des filaments, se superposent de manière à combiner
l’action des liaisons hydrogènes pour rendre le matériau à la fois résistant et ductile, en dépit du fait de la
faiblesse de ces liaisons. C’est ce que le modèle original développé par l’équipe a permis de mettre en
évidence. Par ailleurs, les chercheurs ont aussi démontré que la taille de ces feuillets (3 nm) est capitale. Si
ces derniers sont légèrement plus grands (à 5 nm), le matériau perd sa résistivité et devient cassant.
Maintenant que ces mécanismes sont compris, l’équipe du Prof Buehler espère pouvoir mettre au point de
nouveaux matériaux basés sur les mêmes principes mais utilisant d’autres composants comme les nanotubes
de carbone, naturellement plus résistants que les protéines. Cependant, les propriétés de la soie en font aussi
un matériau utilisable pour toute une série d’application, comme suggéré par David Kaplan de la Tufts
University [3].
Les écailles des ailes de papillon
Chez les papillons, la communication semble passer par un ensemble de messages colorés. Le bleu
électrique des Morphos en sont un exemple. Ces couleurs vives, métalliques et changeantes naissent de
l’interaction de la lumière avec des structures nanoscopiques et microscopiques qui constituent les écailles
des ailes de ces insectes. Une équipe de Yale University conduite par le Prof Prum a étudié la formation de
ces structures chez les papillons de la famille des Papilionidés [4].
Les écailles présentent des structures gyroïdales, particulièrement complexes, faites de chitine, le matériau
naturel de base utilisé pour les carapaces d’insecte ou de crustacés. Les chercheurs ont découvert que la
constitution des écailles des ailes est assurée dans un premier temps par le développement de cellules qui
vont créer le moule autour duquel la chitine va se déposer. Dans un second temps, les cellules meurent et
disparaissent, libérant ainsi la nanostructure de chitine.
Comprendre comment ces cellules se développent et prennent des formes aussi complexes pourraient
permettre aux chercheurs de contrôler la croissance de nanostructures photoniques complexes. Ces dernières
trouveraient leur application dans l’amélioration des cellules solaires ou encore la production de composants
en optoélectronique.
Le nid de mousse d’une grenouille semi-tropicale
La photosynthèse est le moyen naturel qui permet de convertir l’énergie lumineuse du soleil en une énergie
chimique, stockée via les molécules de sucre. Ces sucres peuvent ensuite être transformés en biocarburants.
Des chercheurs de l’University of Cincinnati ont cherché un moyen de produire cette énergie chimique avec un
rendement maximum. Ils ont réuni tous les éléments chimiques nécessaires au cycle de Calvin - chaine de
réaction qui permet de fixer le CO2 et de produire des sucres - afin de mettre en place une photosynthèse
artificielle sans cellule [5]. C’est dans la recherche d’un substrat qui permette de supporter tous ces éléments
et d’assurer un apport en CO2 et en lumière qu’ils se sont tournés vers la Tungara.
Cette grenouille semi-tropicale produit un nid de mousse ayant une durée de vie très longue, le temps
d’assurer le développement des têtards. Les chercheurs ont utilisé une protéine produite par cette grenouille
afin de fabriquer une mousse pour contenir les différents éléments nécessaires à la photosynthèse artificielle.
Cette mousse supporte les réactifs et assure l’apport en CO2 mais aussi en lumière. De plus, sa structure
concentre les réactions chimiques sur la fixation du carbone et la production de sucre, permettant d’obtenir
une efficacité de conversion chimique approchant 96%.
Cette mousse présente de nombreux avantages par rapport à la culture de plantes ou d’algues dans le but de
produire des biocarburants. Ces dernières utilisent une grande partie des sucres produits pour assurer leur
propre croissance. Dans le cas de la mousse, l’ensemble de l’énergie chimique produite est utilisable. De plus,
l’utilisation de la mousse ne nécessite pas de sol et ne vient donc pas concurrencer le développement d’autres
cultures, notamment alimentaires. Enfin, la mousse peut être utilisée dans des environnements très riches en
CO2 comme dans les cheminées des centrales à charbon, là où les organismes photosynthétiques ne
peuvent pas survivre.
Cette mousse se présente comme un nouveau matériau, dont la structure est à la fois inspirée par la nature et
qui intègre les processus chimiques caractéristiques du vivant. La prochaine étape pour les chercheurs :
assurer le développement de cette mousse à grande échelle et compléter les possibilités de réaction
chimiques se déroulant au sein de la mousse afin de produire d’autres molécules carbonées.
La structure des arbres
Les panneaux solaires, qui ont comme fonctionnalité de convertir l’énergie lumineuse du soleil en énergie
électrique, sont souvent plans. Les plantes, elles, ont développé des structures en trois dimensions afin de
capter un maximum d’énergie lumineuse pour la convertir en énergie chimique. C’est cette simple observation
qui a poussé le Prof Grossman du MIT et Marco Bernardi à réfléchir au développement de structures en trois
dimensions qui, une fois recouvertes de panneaux solaires, assureraient un captage de la lumière plus
efficace que les panneaux plans, améliorant ainsi leur rendement. Il est possible d’imaginer de nombreuses
structures mais comment définir la structure optimale ?
Les arbres sont le fruit de millions d’années d’évolution qui ont conduit l’apparition des structures de branches
et de feuilles assurant un captage maximal. Les phénomènes d’évolution et de sélection naturelle ont conduit
à définir des structures optimales, ce sont eux qui seront utilisés ! L’équipe du Prof Grossman a ainsi créé un
programme informatique pour définir la meilleure structure. Le programme part d’une structure basique qu’il
soumet à de légères évolutions. A chaque étape, il calcule l’efficacité des différentes structures obtenues et
sélectionne la plus performante. Après un certain nombre d’itérations, le programme fournit la structure
optimale [6]. L’efficacité de la structure obtenue dépasse toujours celle de structures imaginées préalablement
comme pouvant être potentiellement les plus efficaces (figure 4). Le programme de simulation permet donc
d’assurer un bien meilleur résultat que ce que l’esprit humain est capable d’imaginer. Il ne reste maintenant
plus aux chercheurs qu’à créer ces structures photovoltaïques en 3D pour comparer leurs simulations avec
une réalisation pratique.
La nature, une source d’inspiration inépuisable
La multitude des structures naturelles, la variété des fonctionnalités qu’elles offrent et l’éventail des processus
chimiques qui assurent leur fabrication sont autant de sources d’inspirations dans de nombreux domaines, de
la science des matériaux à l’énergétique. Il ne s’agit pas tant de copier la nature que de pouvoir piocher ça et
là des éléments qui, combinés, peuvent présenter un faisceau cumulé d’intérêts pour les activités humaines,
comme c’est le cas pour la mousse assurant la photosynthèse artificielle.
Les organismes vivants utilisent pour la fabrication de ces structures un nombre relativement restreint de
composés chimiques (protéines, polymères,…). Le grand avantage de l’homme est de pouvoir multiplier les
potentialités des structures qu’il observe dans la nature en faisant varier les composés chimiques qu’il utilise
pour les fabriquer. L’avènement des nanotechnologies et des instruments capables de faire entrer les
chercheurs dans l’intimité de la matière a permis d’élargir le champ des recherches et des innovations en
permettant à l’homme de puiser inlassablement dans les mécanismes à l’oeuvre dans le monde du vivant.
Source :
Unraveling
silks’
secrets,
MIT
News,
D.
http://web.mit.edu/newsoffice/2010/spider-silk-0315.html
Chandler,
15/03/2010
-
- Scientists Look to Spiders for Hi-Tech Fibers, Tech News Daily, M. Bryner, 29/07/2010 http://www.technewsdaily.com/scientists-look-to-spiders-for-hi-tech-fibers-0941/
- Colors of Butterfly Wing Yield Clues to Light-Altering Structures, Yale News, B. Hataway, 14/06/2010 http://opa.yale.edu/news/article.aspx?id=7623
- Frogs, Foam and Fuel : UC Researchers Convert Solar Energy to Sugars, UC News, W. Beckman,
15/03/2010 - http://www.uc.edu/news/NR.aspx?id=11558
- 3-D shapes covered in solar cells could produce more power than flat panels, MIT researchers find, MIT
News, D. Chandler, 08/04/2010 - http://web.mit.edu/newsoffice/2010/slideshow-origami-0408.html
Pour en savoir plus, contacts :
- [1] S. Keten et al., Nature Materials 9, 359 - 367 (2010), doi:10.1038/nmat2704, 14/03/2010 http://www.nature.com/nmat/journal/v9/n4/full/nmat2704.html
- [2] S. Keten and M. Buehler, Appl. Phys. Lett. 96, 153701 (2010) ; doi:10.1063/1.3385388, 12/04/2010 http://apl.aip.org/applab/v96/i15/p153701_s1?isAuthorized=no
- [3] F. Omenetto et D. Kaplan, Science, Vol. 329. no. 5991, pp. 528 - 531 DOI : 10.1126/science.1188936,
30/07/2010 - http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/329/5991/528
- [4] V. Saranathan et al., PNAS, vol. 107 no. 26 11676-11681, doi : 10.1073/pnas.0909616107, 14/06/2010 http://www.pnas.org/content/107/26/11676.abstract?sid=0bd75925-be7b-4902-8ff7-3d767ec991d6
- [5] D. Wendell et al., Nano Lett., Article ASAP, DOI : 10.1021/nl100550k, 05/03/2010 http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/nl100550k?journalCode=nalefd
- [6] B. Myers et al., Appl. Phys. Lett. 96, 071902 (2010) ; doi:10.1063/1.3308490, 16/02/2010 http://apl.aip.org/applab/v96/i7/p071902_s1?isAuthorized=no
Code brève
ADIT : 64405
Rédacteur :
Vincent Reillon, [email protected]
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