ÉDITORIAL
4 | La Lettre du Rhumatologue No 397 - décembre 2013
La médecine narrative,
retourverslefutur ?
Narrative medicine, back to the future?
En Amérique du Nord, s’appuyant sur une tradition de séminaires de literature
and medicine et de patient-centered care, la narrative medicine a depuis 10ans
fait son apparition dans les facultés de médecine(1,2) et, depuis l’année2009,
l’université Columbia de New York propose un Narrative Medicine Master ofScience
Program pour former des enseignants(3). La médecine narrative se défi nit
commeunecompétence qui permet de “reconnaître, absorber, interpréter et être ému”
par les “stories of illness” (illness and not disease), et qui emprunte aux spécialistes
delalittérature les techniques d’analyse structurelle d’un texte littéraire pour décoder
lerécit d’un patient.
L’humanisme et l’empathie ont toujours été reconnus comme nécessaires pourétablir
une relation médecin-malade de qualité, et l’écoute attentive du patient estenseignée
comme la première étape qui permet l’analyse séméiologique etlacompréhension
dusujet dans son univers. Les facultés de médecine enseignent selon diff érentes
modalités la psychologie médicale, ou la communication médicale ouencore l’éthique
médicale, mais la majorité des responsables de l’enseignement universitaire considère
que le compagnonnage est la technique pédagogique la plus effi cace pour former
au lit du malade” les futurs médecins à la relation médecin-malade. Lintroduction
delamédecine narrative dans les cursus universitaires correspond-elle àl’émergence
d’unetechnique pour apprendre aux étudiants à mieux écouter leurs patients et àmieux
gérer leurs émotions dans leur confrontation quotidienne aveclamaladie et aveclamort
ou nest-elle que la réunion de techniques pédagogiques existantes simplement
renommées pour répondre à la mode du storytelling ?
La nouveauté de la médecine narrative est de rapprocher la clinique
etlanarratologie, ce qu’exprime Rita Charon, interniste new-yorkaise (militante
delapremière heure en faveur de la médecine narrative), en disant que la médecine
narrative est le cousin clinique de l’approche littérature et médecine, et le cousin
littéraire de la médecine centrée sur le patient. De la même manière qu’une grille
séméiologique systématisée guide le clinicien dans la lecture d’une image radiologique
(pour ne pas risquer d’ignorer une lésion non recherchée), une grille d’analyse
delastructure d’un texte le guide dans l’écoute du récit de son patient(4) : l’analyse
séméiologique est enrichie, mais de surcroît, la confi ance accordée à son médecin
parlepatient est toujours renforcée, parce qu’il se sent reconnu par l’attention
quesonmédecin porte à son histoire.
La particularité de la médecine narrative est de s’adresser à tous les étudiants
dèsleur premier contact avec les malades, sans se limiter à quelques disciplines
privilégiées (psychiatrie, gérontologie ou soins palliatifs), et d’affi rmer que la Narrative
Based-Medicine devrait être avec l’Evidence Based-Medicine l’un des 2piliers
C.LeJeunne,
F.Goupy
Faculté de médecine,
université Paris-Descartes ;
Hôtel-Dieu de Paris, AP-HP.
C.LeJeunne
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La Lettre du Rhumatologue No 397 - décembre 2013 | 5
delaformation initiale des médecins(5) et pourrait être une réponse aux insuffi sances
d’unsystème de santé qui laisse quelquefois des patients ignorés dans leur souff rance
etdesmédecins isolés dans leur pratique.
Enfi n, la médecine narrative et la médecine fondée sur les preuves donnent
uneformulation nouvelle à la reconnaissance millénaire que la médecine est un art
etunescience. Dans les 2cas, la nouveauté réside dans l’appropriation par les cliniciens
despécialisations qu’ils ne maîtrisaient pas au départ : les cliniciens devraient
danslesprochaines années s’approprier la narratologie, la psychologie médicale
etl’éthiquemédicale, comme ils se sont récemment approprié les biostatistiques,
l’épidémiologie etl’économie de la santé.
Pendant l’année 2009-2010, l’université Paris-Descartes a proposé pour la première fois,
à40étudiants de médecine de quatrième année (DCEM 2), un module optionnel
demédecine narrative(6). Cet enseignement comporte 6 séances de 3heures débutant
parunenseignement théorique suivi d’un enseignement dirigé qui repose sur des travaux
d’écriture en groupes de6 à8étudiants. Cette première expérience pédagogique a montré
son utilité pour apprendre aux étudiants à écouter un patient et pour les faire réfl échir
personnellement sur leur futur métier de médecin(7), ainsi que l’a exprimé une étudiante :
“On vit parfois des situations diffi ciles dont nous navons pas trop les clés.
Cesttrèsintéressant d’en discuter, et écrire dessus nous aide à faire le point”.
Aujourd’hui, cette expérience se prolonge par une étude d’intervention pédagogique
demédecine narrative proposée aux 400étudiants de DCEM2 chez lesquels l’empathie
estmesurée avantetaprèsl’intervention. Enfi n, une formation à la médecine narrative
estdésormaisproposée depuis l’année2012 aux praticiens de l’Assistance Publique-
Hôpitaux deParis, parledépartement de formation médicale continue.
Remerciements à :
Gaëlle Abgrall-Barbry, Élisabeth Aslangul, Nora Bouaziz, Anne Chahwakilian, Annick Courtay,
Philippe Dailland, Didier Delaitre, Nathalie Dzierzynski, Annie Felten, Christophe Frot,  omas
Girard, Jean-Michel Lassaunière, Gérard Nguyen, Nicolas Roche et Tali Anne Szwebel,
qui ont animé lesenseignements dirigés ;
Cédric Lemogne, Nicolas Dantchev, Philippe Lejeune, Dennis Linder et Patrick Triadou,
pourleurscontributions auxcours et à l’animation pédagogique.
1. Charon R. Narrative medicine:
a model for empathy, reflec-
tion, profession, and trust. JAMA
2001;286:1897-902.
2. Charon R. Narrative and medi-
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3. Gina Kolata. Learning to listen.
The New York Times, January 3,
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4. Charon R. Narrative medicine:
honoring the stories of illness.
New York: Oxford University
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5. Charon R, Wyer P ; NEBM
Working Group. Narrative evi-
dence-based medicine. Lancet
2008;371:296-7.
6. Goupy F, Abgrall-Barbry G,
Le Jeunne C. Enseigner la méde-
cine narrative. Pratiques 2011;
55:74-5.
7. Goupy F, Abgrall-Barbry G,
Aslangul E et al. L’enseignement
de la médecine narrative peut-il
être une réponse à l’attente de
formation des étudiants à la rela-
tion médecin-malade ? Presse
Med 2013;42:e1-e8.
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