Extrait du livre PDF

publicité
FONDER UNE NATION AFRICAINE
DÉMOCRATIQUE ET SOCIALISTE
EN CÔTE D'IVOIRE
LE FRONT POPULAIRE IVOIRIEN
Créé en 1982, Le Front Populaire Ivoirien rassemble
tous ceux qui, en Côte d'Ivoire, se battent pour libérer la
personne humaine de toutes les aliénations qui l'oppriment
et pour assurer à l'homme, à la femme, le libre exercice de
leurs droits et le plein épanouissement de leurs facultés
naturelles, dans le respect de leurs droits à l'égard de la
collectivité.
Parce qu'ils sont des démocrates conséquents, les
membres de FPI estiment qu'il ne peut exister de
démocratie réelle que dans une société démocratique
pluraliste où, sur le plan économique, l'initiative privée
(individuelle ou collective) est garantie et respectée, et où
l'État veille à la défense des intérêts de la nation et à
l'équilibre des forces économiques et sociales en présence.
Parce que tous les droits de la personne humaine et
toutes les formes de liberté (politique, économique et
sociale) sont indissociables les unes des autres, le F.P.I.
dans sa volonté de construire une société plus juste, affirme
son désir d'assurer
les conditions
essentielles
à
l'établissement
d'un régime démocratique:
suffrage
universel et égal, éducation, culture et information
démocratiquement organisées, respect de la liberté de
conscience et de la laïcité de l'école et de l'État.
@ L'Harmattan
1998
ISBN: 2-7384-6235-9
FRONT POPULAIRE IVOIRIEN
Congrès extraordinaire du F.P.I.
(décembre 1994)
FONDER UNE NATION AFRICAINE
DÉMOCRATIQUE
ET SOCIALISTE
"
EN COTE
D'IVOIRE
Texte rédigé sous la direction de
Harris MÉMEL-FOTÊ
Préfacé par Laurent GBAGBO
L'Harmattan
5-7, rue de l'École Polytechnique
75005 Paris - FRANCE
L'Harmattan Inc.
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9
PRÉFACE DE LAURENT GBAGBO
L'HÉRITAGE
ET L'ESPÉRANCE
A - D'UN SIÈCLE À UN AUTRE,
D'UN MILLÉNAIRE À UN AUTRE
C'est à un tournant de l'histoire que le Front Populaire
Ivoirien présente à la Côte d'Ivoire, à l'Afrique et au monde
son projet de société. Dans trois ans nous serons au XXIè
siècle, dans le IIIè millénaire.
Fin et début de siècle, fin et début de millénaire
qu'accompagnent des calamités et de grands bouleversements : tremblements de terre, cyclones, inondations en
Europe, au Japon, en Asie, en Amérique; pandémie du
SIDA qui n'épargne aucune partie du monde; persistance
du paludisme qui reste l'une des premières causes de
mortalité dans les pays tropicaux et particulièrement en
Afrique; ravages de la drogue dans toutes les sociétés
parmi les jeunes; conflits armés en Afrique, en Europe de
l'Est et en Amérique du sud. Partout, dans tous les
domaines de l'existence et de la connaissance, les
incertitudes se multiplient: la religion et la science, moyens
de salut deviennent des sources d'angoisse et d'inquiétude.
Cette crise généralisée s'étend aux doctrines et aux
idéologies. Les idéologies "globalisantes" reculent; le
"socialisme scientifique" est ébranlé avec la faillite de
l'Union Soviétique mais le capitalisme n'en demeure pas
5
moins dans une impasse humaine. L'humanité continue de
payer cher un succès du capitalisme qui expose le monde au
risque de sa propre destruction.
Les interprétations à caractère mystique auxquelles ces
phénomènes donnent souvent lieu traduisent en réalité
l'angoisse de l'humanité face aux conséquences de ses
propres errements au moment du bilan. Les tournants
comme celui que nous vivons sont en effet des moments
privilégiés. Ils nous offrent, comme tout anniversaire,
l'occasion de mesurer la distance parcourue. Notre angoisse
est d'autant plus grande qu'est longue la période concernée
par le bilan et sont incertains les lendemains. C'est comme
si nous étions entre deux précipices.
Aussi, ces moments, où le destin semble hésiter à
prendre forme, invitent-ils d'abord à la réflexion avant
d'engager à l'action car, nous avons un héritage à assumer,
si nous voulons réellement incarner une nouvelle
espérance.
Face à ce défi, le Front Populaire Ivoirien ne parie ni
sur le miracle ni sur la chance qui sont des catégories
faussement rassurantes. Il présente un projet de société.
Tout projet est porté par un bilan. Tout projet vient
prolonger une histoire. Tout projet est un engagement.
B - TOUT PROJET EST PORTÉ PAR UN BILAN
Celui du IIè millénaire et du XXè siècle qui s'achèvent
incite à la réflexion parce que ces deux périodes nous
lèguent un monde contradictoire; "un monde plein à la fois
de promesses et de menaces pour la vie et la liberté des
peuples et des individus".
Le XXè siècle se présente en effet d'abord comme le
siècle du progrès; le siècle de l'aboutissement des efforts
6
des siècles passés aux plans des idées, de la connaissance
de la nature, de l'homme, de ses besoins et de ses
aspirations.
Des développements
scientifiques,
techniques,
économiques changent fondamentalement la face du monde
et la place de l'homme dans le monde:
- prodiges de la médecine avec la mise au point de
vaccins, de médicaments, de techniques de diagnostic et de
soins contre des maladies redoutables dont certaines,
comme la rage, sont éradiquées et d'autres, comme la lèpre,
sont sur le point d'être vaincues;
- inventions et développements dans l'aéronautique et
dans la conquête de l'espace ayant abouti aux premiers pas
de l'homme sur la lune, aux stations orbitales, aux navettes
spatiales et aux satellites artificiels;
- développement de la communication et des
télécommunications qui fait de nous les habitants d'un
"village planétaire" et transforme la culture en une industrie
maJeure;
- rationalisation du travail avec les premières théories
sur l'organisation
de la production, la rentabilité,
l'efficacité, etc, qui deviennent des "valeurs" de la société
moderne.
La fondation Nobel, créée en 1900, a aujourd'hui l'âge
d'un siècle et les prix qu'elle décerne distinguent les auteurs
et les acteurs des plus grands succès de ce siècle en
physique, en chimie, en médecine, en littérature, dans la
recherche de la paix et, depuis 1969, en économie. La liste
des lauréats depuis la création des prix révèle que c'est dans
les pays développés et démocratiques que l'on trouve la
grande majorité des acteurs des progrès de l'humanité, dans
les domaines où il s'agit de soulager l'homme de ses peines,
d'augmenter ses connaissances, de le rendre maître de son
destin. Cette situation constitue l'un des plus grands défis
des pays sous-développés au XXlèsièc1e.
7
Mais le XXè siècle n'est pas que le siècle du progrès. Il
est marqué par deux guerres ayant tué plus de personnes
que n'en ont tuées tous les conflits antérieurs réunis.
La première guerre mondiale, 1914-1918, n'est pas
seulement la première du genre dans l'ordre chronologique.
Elle est la première guerre totale de l'histoire par la
mobilisation massive à l'échelle mondiale, la propagande
militaire, les bombardements aériens et les gaz asphyxiants.
C'est la première guerre mondiale qui crée véritablement le
pouvoir et la fortune d'une nouvelle catégorie d'industriels
et de commerçants: les fabricants et les trafiquants d'armes.
Elle provoque une commotion humaine sans précédent.
Historiens et polémologues avancent 12 millions et demi de
morts causés directement et un chiffre égal de morts causés
indirectement par la guerre.
L'humanité croyait avoir atteint le bout de l'horreur.
Mais, moins d'une génération après cette catastrophe, éclate
la seconde guerre mondiale; continuation, dit-on, et non
réplique de la première qu'elle dépasse dans l'accroissement
des forces de mort et dans la redoutable efficacité
d'arsenaux sans cesse renouvelés. On estime à 26 millions
le nombre de soldats morts ou disparus.
Les victimes civiles sont sans nombre. La seconde
guerre mondiale inaugure en effet l'ère atomique dans la
mort. La première bombe atomique, "little boy", lâchée sur
Hiroshima le 6 août 1945 cause, en quelques heures, la
mort de 78 150 personnes, 13 939 personnes portées
disparues, 9 284 personnes grièvement blessées parmi la
population civile et 20 000 soldats tués. La deuxième
bombe atomique, sur Nagasaki le 9 août 1945, tue 36 000
personnes et fait 40 000 blessés.
Comment, après la première, la seconde guerre
mondiale a-t-elle été possible?
8
L'entre-deux-guerres a vu se développer la plus grande
contestation de la démocratie parlementaire de l'histoire,
avec la montée des totalitarismes: le stalinisme d'une part,
la contagion fasciste de l'autre, et la recrudescence des
messianismes conquérants de part et d'autre.
A partir de 1922, Joseph Staline, le "petit père des
peuples", établit une implacable dictature sur l'Union
soviétique. Il liquide, au passage, l'expérience semi-libérale
de la NEP au profit d'un socialisme autoritaire et d'une
économie dirigée de guerre.
Au même moment, les régimes fascistes de
l'Allemagne hitlérienne, de l'Italie mussolinienne, de
l'Espagne franquiste font des émules aux Pays-Bas, en
Belgique, en France, en Yougoslavie, etc. Ces régimes
entendent modeler un nouveau type d'homme dévoué au
parti unique, capable de discipline et de sacrifice.
C'est le triomphe de la propagande politique et de la
manipulation des opinions; "le viol des foules" suivant des
mécanismes fondés sur la xénophobie, l'exaltation d'une
appartenance ethnique, nationale ou raciale, l'attaque et
l'exclusion de personnes non sur la base de ce qu'elles font,
mais d'après ce qu'elles sont. Autant de pratiques dont la
conjugaison débouche sur la seconde guerre mondiale et sur
la terrifiante solution finale de l'extermination des juifs par
les nazis.
Les Etats totalitaires de l'entre-deux -guerres, qu'ils
soient "de gauche" ou de "droite", qu'ils soient au Nord ou
au Sud, en Europe ou en Asie, ont en commun le culte du
chef, se veulent "dans le sens de l'histoire", mêlent à la
politisation de la société une dramatisation de la vie
quotidienne: chaque geste, chaque engagement acquiert
une résonance exceptionnelle dès lors que l'idéologie
omniprésente l'inscrit dans un vaste projet messianique ou
dans un projet subversif.
9
La guerre provoquée par ces totalitarismes s'est
terminée en 1945 sur un partage du monde dont l'un des
points culminants reste l'érection, en 1961, du Mur de
Berlin.
Ironie de l'histoire, c'est l'année où le monde se sépare
en deux que l'ONU voit le jour en 1945 pour organiser la
paIX.
Voilà les temps dont nous sommes les héritiers; voilà
l'âge de feu dont nous revenons. Oublier que nous avons à
assumer cet héritage-là, c'est nous oublier nous-mêmes. En
avoir conscience incite à la mesure, à la modération, à la
méfiance vis-à-vis des extrémismes.
C - TOUT PROJET VIENT PROLONGER
UNE HISTOIRE
Prolonger une histoire, ce n'est pas répéter les échecs,
les oublis, les frustrations. Il s'agit d'explorer les voies non
empruntées, de libérer les voix étouffées et les aspirations
occultées ou trahies.
Je suis d'une génération dont toutes les "guerres" sont
en train de prendre fin. La guerre Est-Ouest (tantôt chaude,
tantôt froide) s'est affaissée en même temps que le mur de
Berlin qui en était le symbole historique. En dépit des
lenteurs de l'histoire, la crise israélo-palestinienne, vieille
de plus d'un demi-siècle, est en voie de résolution par
l'action
de leaders d'organisations
membres de
l'Internationale Socialiste: le parti socialiste israélien
d'Itsak Rabin et Shimon Pérès d'une part et l'Organisation
pour la Libération de la Palestine (OLP) de Vasser Arafat
de l'autre. Le régime d'Apartheid est démantelé en Afrique
10
du Sud avec l'élection de Nelson Mandela à la tête d'une
République Sud-Africaine multiraciale et démocratique.
Dans le même temps, et à une allure soutenue à partir
de la décennie 1980-1990, on voit s'éteindre, s'effondrer ou
se transformer les dictatures militaires ou civiles, dans les
pays de l'Est ou de l'Ouest, du Nord ou du Sud, en
Amérique Latine ou en Afrique, se réclamant ou non de
l'idéologie communiste, mais ayant en commun le régime
du parti unique. Ce sale temps pour les dictatures
correspond à l'effondrement des économies dirigées de ces
mêmes pays.
Le bilan de ces régimes montre qu'aucun d'eux n'est
parvenu aux résultats en vue et au nom desquels ils ont
sacrifié la démocratie et souvent des milliers de vies
humaines. Le "développement" promis n'est pas au rendezvous, pas plus que la "paix" ou "l'unité nationale". Au
contraire, partout, dans les pays de l'Est comme dans les
pays d'Afrique ayant subi le parti unique, des nationalités
ou des ethnies, des religions ou des régions se regardent en
chiens de faïence ou se déchirent dans des guerres civiles:
ex-Yougoslavie, Algérie, Rwanda, etc. Partout, on observe
sur les traces du parti unique les disparités régionales,
l'accroissement de la misère dans les villes et à la
campagne. Partout, ces pays croulent sous le poids de la
dette extérieure.
Avec 7 445 millions de dollars en 1980 et 17,997
millions de dollars de dette extérieure en 1992, la Côte
d'Ivoire est classée, dans le rapport de la Banque Mondiale
sur le développement dans le monde, pour 1994, dans la
catégorie des pays gravement endettés, avec l'Albanie,
l'Argentine, la Bolivie, Cuba et le Pérou parmi les pays à
revenu intermédiaire.
La leçon que notre époque tire ou devrait tirer de ce
bilan négatif, c'est qu'il existe un lien entre la démocratie et
le développement
économique et que le dirigisme
.
11
économique est une dimension non négligeable des régimes
autoritaires. C'est pourquoi, la chute des dictatures
s'accompagne aussi de la réhabilitation de l'économie de
marché dont la négation, la contestation ou l'ignorance par
les régimes de socialisme autoritaire ou de libéralisme
autoritaire
ont conduit aux désastres sociaux et
économiques de cette fin du XXè siècle.
Mais il y a, au-delà des échecs actuels, un "jugement de
l'histoire". En effet, ce n'est pas seulement aujourd'hui que
la question des relations entre la démocratie et le marché
occupe le centre des débats sur la meilleure forme de
société.
Pour le socialisme qui est, on l'oublie souvent,
l'extension logique du mouvement libéral moderne, cette
question-là est centrale. Elle oppose deux branches ou deux
modèles du socialisme;
le marxisme-léninisme
ou
communisme d'une part et le socialisme démocratique de
l'autre dans un débat qui dure depuis la fin du XIXè siècle,
depuis la première guerre mondiale, depuis la révolution
bolchévique. L'histoire sanctionne aujourd'hui des thèses
imposées jadis par la guerre ou par la répression et
réhabilite celles qui furent alors déclarées « minoritaires ».
Ces dernières, sans doute jugées inadaptées au contexte où
elles ont émergé, s'imposent aujourd'hui à nous à la faveur
d'un nouveau contexte international délivré du syndrome
de l'ennemi structurant, communisme ou capitalisme,
suivant les« blocs» d'appartenance.
Edgard Morin dit de la première guerre mondiale qui
marque véritablement l'entrée dans le XXè siècle qu'elle a
brisé une autre évolution que symbolisaient les noms de
Jaurès et de Liebknecht; «le siècle a bifurqué en 1914, puis
en 1917. On ne peut savoir où il serait allé mais on peut
penser qu'il allait ailleurs. L 'histoire humaine a peut-être
capoté, avorté en 1914-1918... »
12
Nous savons aujourd'hui où les thèses ayant prévalu au
début de ce siècle nous ont conduits. C'est pourquoi, nous
proclamons notre attachement au socialisme démocratique
comme étant pour nous la voie pour «sortir du XXè siècle»
et entrer dans le IIIè millénaire. Cette option se justifie non
seulement par la justesse des thèses du socialisme
démocratique concernant l'Etat, la société et l'économie,
mais aussi par les grandes orientations du monde
contemporain dans les domaines politique, social et
économique.
« Il n y a, pensons-nous, de socialisme que démocratique, commençant par la démocratie et l'approfondissant,
négociant ses avancées avec l'identité culturelle nationale,
avec le progrès de la connaissance, avec le peuple
souverain, avec l'environnement mondial et naturel, bref
avec l'histoire de la société et de la culture », comme l'écrit
le professeur Mémel-Fotê.
A travers ce choix le Front Populaire Ivoirien reprend
le débat sur la meilleure forme de société là où la guerre et
les dictatures l'avaient interrompu. En ce sens, notre projet
de société vient prolonger l'histoire même du socialisme
dont les adversaires s'empressèrent de proclamer la fin avec
la désintégration de l'URSS. Mais la faillite du modèle
soviétique ouvre au contraire l'ère du socialisme
démocratique et de l'économie sociale de marché qui lui
correspond.
Pour le socialisme
démocratique
que nous
revendiquons, une économie entièrement nationalisée et
contrôlée par l'Etat ou plutôt par le Parti-Etat fait peser de
graves menaces sur la liberté, l'égalité et la productivité. Par
contre, la liberté, l'égalité des droits et la rentabilité peuvent
être valablement conciliées dans une économie mixte de
manière à correspondre le mieux possible aux objectifs de
la politique économique socialiste. Tel est le sens de
l'économie sociale de marché.
13
Parce qu'il repose sur la démocratie libérale, sur la
démocratie économique et sur la solidarité internationale à
travers l'Internationale Socialiste reconstituée en 1951, le
socialisme démocratique constitue la voie de l'espérance
ouverte au monde contemporain. Il est le moyen de notre
engagement face aux défis de notre temps, parce que tout
projet est un engagement.
-
D TOUT PROJET EST UN ENGAGEMENT
Car, si l'histoire ne s'arrête pas, c'est parce qu'elle
comporte des promesses que les hommes et les femmes
s'engagent à réaliser, des défis que les femmes et les
hommes s'engagent à relever.
Le XXIè siècle et le IIIè millénaire nous placent d'abord
devant les défis de la science.
Les nouveaux pouvoirs scientifiques apparaissent
comme pratiquement illimités dans le champ total de la
nature en général et dans le secteur de la vie en
particulier... Aujourd'hui, la nature apparaît vulnérable
devant l'assaut technologique qui met en péril son
intégrité... La nature humaine peut subir des modifications
biologiques et psychiques, peuplant de risques l'aventure de
son essence...
La science n'est plus seulement un pouvoir aux mains
de l'homme, elle est également et de manière tragique, un
pouvoir sur l'homme, un pouvoir dont les effets ne sont plus
à la portée de l'homme. Non seulement les conséquences de
son action ne sont pas toutes perceptibles dans le présent,
mais encore la chaîne de ces conséquences est infinie sur
l'homme lui-même et sur son environnement social ou
naturel.
14
La caractéristique de la science actuelle, c'est aussi
l'irréversibilité des dégâts qu'elle a provoqués. Aucune
réparation de ces dégâts n'est envisageable (envisagée elle
n'atteindrait pas les mêmes organismes) surtout s'il s'agit de
la vie et plus particulièrement de l'espèce humaine.
Pendant ce temps, la biologie moléculaire a décodé le
texte génétique, dont l'existence constituait pour d'aucuns le
secret de la vie. Or, par-delà les progrès que l'humanité est
en droit d'attendre de cette découverte (thérapeutique de
certaines maladies, accroissement de la productivité dans
l'agriculture, etc), les manipulations génétiques ouvrent
aussi la voie vers l'eugénisme (manipulation visant à
susciter des individus ou des groupes d'individus ayant des
aptitudes particulières) et vers les armes bactériologiques.
De ce point de vue, la biologie moléculaire est à la
biologie ce que la physique nucléaire est à la physique. Si
les besoins de plus en plus croissants en énergie imposent
l'option nucléaire, le risque de prolifération de l'arme
nucléaire demeure une source d'inquiétude de notre
époque. L'humanité est toujours sous la grave menace des
arsenaux nucléaires des puissances formant, il y a moins
d'une décennie, les deux « blocs» militaires.
Comme toutes les parties du monde, l'Afrique est
confrontée à ces défis de la science. Elle doit pouvoir
prendre sa part d'engagement non pas en s'enfermant dans
un « romantisme» antiscientifique, mais en cherchant
plutôt à acquérir une maîtrise dans tous les secteurs de la
science. La science doit aider l'Afrique à maîtriser son
devenir propre, à commencer par la maîtrise de sa
population.
Le défi démographique
n'est pas spécifique à
l'Afrique; il est sans doute le problème de régulation le
plus important aujourd'hui. Les chiffres sont bien connus.
En l'espace des premiers quatre mille ans, la population a
été multipliée par 18, atteignant le total de 86,5 millions.
15
Depuis lors, le taux d'expansion démographique s'est accru
très rapidement, d'un millénaire à l'autre, d'un siècle à
l'autre et même, au cours des XIXè et XXè siècles, d'une
décennie à l'autre...On a estimé que la population mondiale
atteindra 7 milliards en l'an 2000. Si l'on n'y prend garde,
les disparités et les déséquilibres démographiques entre les
régions, les pays et les continents laisseront voir une partie
de l'humanité s'étouffer elle-même, s'entre-déchirer par
des guerres ou des génocides atroces, ou s'exposer à des
pénuries diverses. Dans cette perspective, c'est dans
l'immédiat qu'une responsabilité éthique et politique
incombe solidairement à toute I'humanité.
La question est celle du rapport entre, d'une part, le
taux de croissance démographique et, d'autre part, le taux
de croissance économique qui conditionne l'évolution soit
vers la richesse, soit vers la reproduction de la pauvreté, ce
qu'un contemporain a nommé l'équilibre de la pauvreté.
Le monde et l'Afrique doivent pouvoir envisager cette
question dans la perspective d'une population à laquelle il
soit possible de garantir l'abondance des produits mis
à la disposition des personnes et l'innocuité
de
l'environnement.
Et c'est là un autre grand défi de notre temps: le défi
écologique. Il concerne la destruction des forêts tropicales
au Sud et les pluies acides au Nord; la pollution des eaux et
les déchets indestructibles;
le «trou» dans la couche
d'ozone et la régression de l'hygiène.
Ce qu'on appelle la conscience écologique repose sur
cette idée que l'humanité doit sortir de l'illusion que toutes
les fautes sont réparables. Nous savons désormais que les
agressions contre la nature occasionnent des séquelles
irréversibles et exposent I'humanité entière, quel que soit
l'endroit où atteinte est portée à la nature. Ceci devrait
amener I'humanité à relever le défi de la solidarité:
16
- solidarité face au défi écologique, mais également
solidarité entre les peuples avec le recul des Etats nations et
l'émergence de la supranationalité;
- développement des organisations non-gouverne-
mentales et leur épanouissement;
- collaboration entre les sociétés civiles;
- importance de plus en plus grande des organisations
politiques internationales comme l'Internationale Socialiste
et l'universalité de l'idéal démocratique;
- interdépendance des économies plutôt que leur
affrontement sauvage;
- règlement pacifique des conflits dans une nouvelle
société des nations, riche des expériences passées.
Voilà les défis que le Front Populaire Ivoirien voudrait
voir relever par le monde, l'Afrique, la Côte d'Ivoire. Mais
le projet de société est avant tout un engagement du Front
Populaire Ivoirien, de ses militants et de ses dirigeants.
Nous voulons avancer avec toutes les forces démocratiques
de Côte d'Ivoire qui entendent l'intérêt commun comme
nous, avec les forces démocratiques qui, en Afrique,
entendent l'intérêt commun de l'Afrique dans le même sens
que nous, avec toutes les forces démocratiques qui, dans le
monde entendent l'intérêt de I 'humanité dans la même
acception que nous.
Laurent GBAGBO
Président du Front Populaire Ivoirien
17
INTRODUCTION DE HARRIS MÉMEL-FOTÊ
DE LA LÉGITIMITÉ
-
A UN PROJET DE SOCIETÉ :
QU'EST-CE
À DIRE? POURQUOI?
De tout temps, les sociétés humaines, peu ou prou, se
sont préoccupées des raisons, des conditions et des
modalités de leur existence dans l'environnement
historique, à la fois naturel et culturel, qui était le leur. Dans
les discours de leurs penseurs politiques, les sociétés à
écriture, ailleurs et en Afrique, ont donné des formulations
systématiques à ces préoccupations. Texte qui présente le
profil de la société humaine dans laquelle un individu ou
une collectivité rêve de vivre, entreprise de conscience,
essai de maîtrise du destin collectif, qui fait participer
l'image du futur à la construction du présent, cette exigence
est partagée par tous les Etats contemporains, soucieux de
limiter l'incertitude d'un monde contradictoire, un monde
plein à la fois de promesses et de menaces pour la vie et la
liberté des peuples et des individus.
Cette exigence, est à fortiori, la nôtre, société héritière
de l'esclavage, de la colonisation et d'une décolonisation
inachevée, aspirant à un développement autonome,
moderne, viable et juste. Telle est la première justification,
d'ordre général, à ce projet de société.
19
Mais à l'ère et dans l'aire des nations, un projet de
société apparaît comme un élément et un facteur du
développement culturel qui accompagne la démocratisation
de la société. Ici, en Côte d'Ivoire, comme en Afrique et
ailleurs, l'élaboration et la confrontation des projets, les
débats s'y rapportant et leur remise à jour de temps en
temps, doivent concourir à dépersonnaliser les débats
politiques, à enraciner la démocratie nouvelle, à moderniser
la société et la culture africaines. Là est la deuxième
justification de caractère historique.
D'un point de vue pratique, troisième et dernière
justification, le projet de société joue un triple rôle: source
d'information, source d'inspiration, source de réflexion.
Aux adversaires qui veulent juger et combattre le Front
Populaire Ivorien comme aux sympathisants qui entendent
comprendre, consulter et coopérer, le Projet présente les
fins que vise le parti, les voies qu'il envisage d'emprunter,
les moyens qu'il se propose de mettre en oeuvre. Aux
militants, le Projet, collectivement discuté et adopté, sert en
premier lieu de guide pour percevoir le nouvel horizon
ouvert au combat et pour comprendre la logique des luttes.
Il sert, en deuxième lieu, de source d'inspiration pour
inventer de nouveaux langages et de nouvelles tactiques
adaptés aux terrains et aux circonstances, pour entreprendre
des actions de masse, toujours inédites, plus efficaces. Il
permet, en troisième lieu, la réflexion sous ses trois
formes: d'abord la critique, celle du programme qui doit à
chaque moment l'actualiser et celle des élus que leur
confiance place en première ligne, à tous les niveaux;
ensuite l'autocritique individuelle et collective, qui doit
assouplir et rénover la pensée et l'action, à chaque niveau, à
chaque moment; enfin, dans le moyen ou long terme, une
amélioration, voire une réactualisation du Projet lui-même,
si nécessaire, comme l'histoire l'autorise ailleurs et en
Afrique, aujourd'hui.
20
Téléchargement