FONDER UNE NATION AFRICAINE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALISTE EN CÔTE D'IVOIRE LE FRONT POPULAIRE IVOIRIEN Créé en 1982, Le Front Populaire Ivoirien rassemble tous ceux qui, en Côte d'Ivoire, se battent pour libérer la personne humaine de toutes les aliénations qui l'oppriment et pour assurer à l'homme, à la femme, le libre exercice de leurs droits et le plein épanouissement de leurs facultés naturelles, dans le respect de leurs droits à l'égard de la collectivité. Parce qu'ils sont des démocrates conséquents, les membres de FPI estiment qu'il ne peut exister de démocratie réelle que dans une société démocratique pluraliste où, sur le plan économique, l'initiative privée (individuelle ou collective) est garantie et respectée, et où l'État veille à la défense des intérêts de la nation et à l'équilibre des forces économiques et sociales en présence. Parce que tous les droits de la personne humaine et toutes les formes de liberté (politique, économique et sociale) sont indissociables les unes des autres, le F.P.I. dans sa volonté de construire une société plus juste, affirme son désir d'assurer les conditions essentielles à l'établissement d'un régime démocratique: suffrage universel et égal, éducation, culture et information démocratiquement organisées, respect de la liberté de conscience et de la laïcité de l'école et de l'État. @ L'Harmattan 1998 ISBN: 2-7384-6235-9 FRONT POPULAIRE IVOIRIEN Congrès extraordinaire du F.P.I. (décembre 1994) FONDER UNE NATION AFRICAINE DÉMOCRATIQUE ET SOCIALISTE " EN COTE D'IVOIRE Texte rédigé sous la direction de Harris MÉMEL-FOTÊ Préfacé par Laurent GBAGBO L'Harmattan 5-7, rue de l'École Polytechnique 75005 Paris - FRANCE L'Harmattan Inc. 55, rue Saint-Jacques Montréal (Qc) - CANADA H2Y lK9 PRÉFACE DE LAURENT GBAGBO L'HÉRITAGE ET L'ESPÉRANCE A - D'UN SIÈCLE À UN AUTRE, D'UN MILLÉNAIRE À UN AUTRE C'est à un tournant de l'histoire que le Front Populaire Ivoirien présente à la Côte d'Ivoire, à l'Afrique et au monde son projet de société. Dans trois ans nous serons au XXIè siècle, dans le IIIè millénaire. Fin et début de siècle, fin et début de millénaire qu'accompagnent des calamités et de grands bouleversements : tremblements de terre, cyclones, inondations en Europe, au Japon, en Asie, en Amérique; pandémie du SIDA qui n'épargne aucune partie du monde; persistance du paludisme qui reste l'une des premières causes de mortalité dans les pays tropicaux et particulièrement en Afrique; ravages de la drogue dans toutes les sociétés parmi les jeunes; conflits armés en Afrique, en Europe de l'Est et en Amérique du sud. Partout, dans tous les domaines de l'existence et de la connaissance, les incertitudes se multiplient: la religion et la science, moyens de salut deviennent des sources d'angoisse et d'inquiétude. Cette crise généralisée s'étend aux doctrines et aux idéologies. Les idéologies "globalisantes" reculent; le "socialisme scientifique" est ébranlé avec la faillite de l'Union Soviétique mais le capitalisme n'en demeure pas 5 moins dans une impasse humaine. L'humanité continue de payer cher un succès du capitalisme qui expose le monde au risque de sa propre destruction. Les interprétations à caractère mystique auxquelles ces phénomènes donnent souvent lieu traduisent en réalité l'angoisse de l'humanité face aux conséquences de ses propres errements au moment du bilan. Les tournants comme celui que nous vivons sont en effet des moments privilégiés. Ils nous offrent, comme tout anniversaire, l'occasion de mesurer la distance parcourue. Notre angoisse est d'autant plus grande qu'est longue la période concernée par le bilan et sont incertains les lendemains. C'est comme si nous étions entre deux précipices. Aussi, ces moments, où le destin semble hésiter à prendre forme, invitent-ils d'abord à la réflexion avant d'engager à l'action car, nous avons un héritage à assumer, si nous voulons réellement incarner une nouvelle espérance. Face à ce défi, le Front Populaire Ivoirien ne parie ni sur le miracle ni sur la chance qui sont des catégories faussement rassurantes. Il présente un projet de société. Tout projet est porté par un bilan. Tout projet vient prolonger une histoire. Tout projet est un engagement. B - TOUT PROJET EST PORTÉ PAR UN BILAN Celui du IIè millénaire et du XXè siècle qui s'achèvent incite à la réflexion parce que ces deux périodes nous lèguent un monde contradictoire; "un monde plein à la fois de promesses et de menaces pour la vie et la liberté des peuples et des individus". Le XXè siècle se présente en effet d'abord comme le siècle du progrès; le siècle de l'aboutissement des efforts 6 des siècles passés aux plans des idées, de la connaissance de la nature, de l'homme, de ses besoins et de ses aspirations. Des développements scientifiques, techniques, économiques changent fondamentalement la face du monde et la place de l'homme dans le monde: - prodiges de la médecine avec la mise au point de vaccins, de médicaments, de techniques de diagnostic et de soins contre des maladies redoutables dont certaines, comme la rage, sont éradiquées et d'autres, comme la lèpre, sont sur le point d'être vaincues; - inventions et développements dans l'aéronautique et dans la conquête de l'espace ayant abouti aux premiers pas de l'homme sur la lune, aux stations orbitales, aux navettes spatiales et aux satellites artificiels; - développement de la communication et des télécommunications qui fait de nous les habitants d'un "village planétaire" et transforme la culture en une industrie maJeure; - rationalisation du travail avec les premières théories sur l'organisation de la production, la rentabilité, l'efficacité, etc, qui deviennent des "valeurs" de la société moderne. La fondation Nobel, créée en 1900, a aujourd'hui l'âge d'un siècle et les prix qu'elle décerne distinguent les auteurs et les acteurs des plus grands succès de ce siècle en physique, en chimie, en médecine, en littérature, dans la recherche de la paix et, depuis 1969, en économie. La liste des lauréats depuis la création des prix révèle que c'est dans les pays développés et démocratiques que l'on trouve la grande majorité des acteurs des progrès de l'humanité, dans les domaines où il s'agit de soulager l'homme de ses peines, d'augmenter ses connaissances, de le rendre maître de son destin. Cette situation constitue l'un des plus grands défis des pays sous-développés au XXlèsièc1e. 7 Mais le XXè siècle n'est pas que le siècle du progrès. Il est marqué par deux guerres ayant tué plus de personnes que n'en ont tuées tous les conflits antérieurs réunis. La première guerre mondiale, 1914-1918, n'est pas seulement la première du genre dans l'ordre chronologique. Elle est la première guerre totale de l'histoire par la mobilisation massive à l'échelle mondiale, la propagande militaire, les bombardements aériens et les gaz asphyxiants. C'est la première guerre mondiale qui crée véritablement le pouvoir et la fortune d'une nouvelle catégorie d'industriels et de commerçants: les fabricants et les trafiquants d'armes. Elle provoque une commotion humaine sans précédent. Historiens et polémologues avancent 12 millions et demi de morts causés directement et un chiffre égal de morts causés indirectement par la guerre. L'humanité croyait avoir atteint le bout de l'horreur. Mais, moins d'une génération après cette catastrophe, éclate la seconde guerre mondiale; continuation, dit-on, et non réplique de la première qu'elle dépasse dans l'accroissement des forces de mort et dans la redoutable efficacité d'arsenaux sans cesse renouvelés. On estime à 26 millions le nombre de soldats morts ou disparus. Les victimes civiles sont sans nombre. La seconde guerre mondiale inaugure en effet l'ère atomique dans la mort. La première bombe atomique, "little boy", lâchée sur Hiroshima le 6 août 1945 cause, en quelques heures, la mort de 78 150 personnes, 13 939 personnes portées disparues, 9 284 personnes grièvement blessées parmi la population civile et 20 000 soldats tués. La deuxième bombe atomique, sur Nagasaki le 9 août 1945, tue 36 000 personnes et fait 40 000 blessés. Comment, après la première, la seconde guerre mondiale a-t-elle été possible? 8 L'entre-deux-guerres a vu se développer la plus grande contestation de la démocratie parlementaire de l'histoire, avec la montée des totalitarismes: le stalinisme d'une part, la contagion fasciste de l'autre, et la recrudescence des messianismes conquérants de part et d'autre. A partir de 1922, Joseph Staline, le "petit père des peuples", établit une implacable dictature sur l'Union soviétique. Il liquide, au passage, l'expérience semi-libérale de la NEP au profit d'un socialisme autoritaire et d'une économie dirigée de guerre. Au même moment, les régimes fascistes de l'Allemagne hitlérienne, de l'Italie mussolinienne, de l'Espagne franquiste font des émules aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Yougoslavie, etc. Ces régimes entendent modeler un nouveau type d'homme dévoué au parti unique, capable de discipline et de sacrifice. C'est le triomphe de la propagande politique et de la manipulation des opinions; "le viol des foules" suivant des mécanismes fondés sur la xénophobie, l'exaltation d'une appartenance ethnique, nationale ou raciale, l'attaque et l'exclusion de personnes non sur la base de ce qu'elles font, mais d'après ce qu'elles sont. Autant de pratiques dont la conjugaison débouche sur la seconde guerre mondiale et sur la terrifiante solution finale de l'extermination des juifs par les nazis. Les Etats totalitaires de l'entre-deux -guerres, qu'ils soient "de gauche" ou de "droite", qu'ils soient au Nord ou au Sud, en Europe ou en Asie, ont en commun le culte du chef, se veulent "dans le sens de l'histoire", mêlent à la politisation de la société une dramatisation de la vie quotidienne: chaque geste, chaque engagement acquiert une résonance exceptionnelle dès lors que l'idéologie omniprésente l'inscrit dans un vaste projet messianique ou dans un projet subversif. 9 La guerre provoquée par ces totalitarismes s'est terminée en 1945 sur un partage du monde dont l'un des points culminants reste l'érection, en 1961, du Mur de Berlin. Ironie de l'histoire, c'est l'année où le monde se sépare en deux que l'ONU voit le jour en 1945 pour organiser la paIX. Voilà les temps dont nous sommes les héritiers; voilà l'âge de feu dont nous revenons. Oublier que nous avons à assumer cet héritage-là, c'est nous oublier nous-mêmes. En avoir conscience incite à la mesure, à la modération, à la méfiance vis-à-vis des extrémismes. C - TOUT PROJET VIENT PROLONGER UNE HISTOIRE Prolonger une histoire, ce n'est pas répéter les échecs, les oublis, les frustrations. Il s'agit d'explorer les voies non empruntées, de libérer les voix étouffées et les aspirations occultées ou trahies. Je suis d'une génération dont toutes les "guerres" sont en train de prendre fin. La guerre Est-Ouest (tantôt chaude, tantôt froide) s'est affaissée en même temps que le mur de Berlin qui en était le symbole historique. En dépit des lenteurs de l'histoire, la crise israélo-palestinienne, vieille de plus d'un demi-siècle, est en voie de résolution par l'action de leaders d'organisations membres de l'Internationale Socialiste: le parti socialiste israélien d'Itsak Rabin et Shimon Pérès d'une part et l'Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) de Vasser Arafat de l'autre. Le régime d'Apartheid est démantelé en Afrique 10 du Sud avec l'élection de Nelson Mandela à la tête d'une République Sud-Africaine multiraciale et démocratique. Dans le même temps, et à une allure soutenue à partir de la décennie 1980-1990, on voit s'éteindre, s'effondrer ou se transformer les dictatures militaires ou civiles, dans les pays de l'Est ou de l'Ouest, du Nord ou du Sud, en Amérique Latine ou en Afrique, se réclamant ou non de l'idéologie communiste, mais ayant en commun le régime du parti unique. Ce sale temps pour les dictatures correspond à l'effondrement des économies dirigées de ces mêmes pays. Le bilan de ces régimes montre qu'aucun d'eux n'est parvenu aux résultats en vue et au nom desquels ils ont sacrifié la démocratie et souvent des milliers de vies humaines. Le "développement" promis n'est pas au rendezvous, pas plus que la "paix" ou "l'unité nationale". Au contraire, partout, dans les pays de l'Est comme dans les pays d'Afrique ayant subi le parti unique, des nationalités ou des ethnies, des religions ou des régions se regardent en chiens de faïence ou se déchirent dans des guerres civiles: ex-Yougoslavie, Algérie, Rwanda, etc. Partout, on observe sur les traces du parti unique les disparités régionales, l'accroissement de la misère dans les villes et à la campagne. Partout, ces pays croulent sous le poids de la dette extérieure. Avec 7 445 millions de dollars en 1980 et 17,997 millions de dollars de dette extérieure en 1992, la Côte d'Ivoire est classée, dans le rapport de la Banque Mondiale sur le développement dans le monde, pour 1994, dans la catégorie des pays gravement endettés, avec l'Albanie, l'Argentine, la Bolivie, Cuba et le Pérou parmi les pays à revenu intermédiaire. La leçon que notre époque tire ou devrait tirer de ce bilan négatif, c'est qu'il existe un lien entre la démocratie et le développement économique et que le dirigisme . 11 économique est une dimension non négligeable des régimes autoritaires. C'est pourquoi, la chute des dictatures s'accompagne aussi de la réhabilitation de l'économie de marché dont la négation, la contestation ou l'ignorance par les régimes de socialisme autoritaire ou de libéralisme autoritaire ont conduit aux désastres sociaux et économiques de cette fin du XXè siècle. Mais il y a, au-delà des échecs actuels, un "jugement de l'histoire". En effet, ce n'est pas seulement aujourd'hui que la question des relations entre la démocratie et le marché occupe le centre des débats sur la meilleure forme de société. Pour le socialisme qui est, on l'oublie souvent, l'extension logique du mouvement libéral moderne, cette question-là est centrale. Elle oppose deux branches ou deux modèles du socialisme; le marxisme-léninisme ou communisme d'une part et le socialisme démocratique de l'autre dans un débat qui dure depuis la fin du XIXè siècle, depuis la première guerre mondiale, depuis la révolution bolchévique. L'histoire sanctionne aujourd'hui des thèses imposées jadis par la guerre ou par la répression et réhabilite celles qui furent alors déclarées « minoritaires ». Ces dernières, sans doute jugées inadaptées au contexte où elles ont émergé, s'imposent aujourd'hui à nous à la faveur d'un nouveau contexte international délivré du syndrome de l'ennemi structurant, communisme ou capitalisme, suivant les« blocs» d'appartenance. Edgard Morin dit de la première guerre mondiale qui marque véritablement l'entrée dans le XXè siècle qu'elle a brisé une autre évolution que symbolisaient les noms de Jaurès et de Liebknecht; «le siècle a bifurqué en 1914, puis en 1917. On ne peut savoir où il serait allé mais on peut penser qu'il allait ailleurs. L 'histoire humaine a peut-être capoté, avorté en 1914-1918... » 12 Nous savons aujourd'hui où les thèses ayant prévalu au début de ce siècle nous ont conduits. C'est pourquoi, nous proclamons notre attachement au socialisme démocratique comme étant pour nous la voie pour «sortir du XXè siècle» et entrer dans le IIIè millénaire. Cette option se justifie non seulement par la justesse des thèses du socialisme démocratique concernant l'Etat, la société et l'économie, mais aussi par les grandes orientations du monde contemporain dans les domaines politique, social et économique. « Il n y a, pensons-nous, de socialisme que démocratique, commençant par la démocratie et l'approfondissant, négociant ses avancées avec l'identité culturelle nationale, avec le progrès de la connaissance, avec le peuple souverain, avec l'environnement mondial et naturel, bref avec l'histoire de la société et de la culture », comme l'écrit le professeur Mémel-Fotê. A travers ce choix le Front Populaire Ivoirien reprend le débat sur la meilleure forme de société là où la guerre et les dictatures l'avaient interrompu. En ce sens, notre projet de société vient prolonger l'histoire même du socialisme dont les adversaires s'empressèrent de proclamer la fin avec la désintégration de l'URSS. Mais la faillite du modèle soviétique ouvre au contraire l'ère du socialisme démocratique et de l'économie sociale de marché qui lui correspond. Pour le socialisme démocratique que nous revendiquons, une économie entièrement nationalisée et contrôlée par l'Etat ou plutôt par le Parti-Etat fait peser de graves menaces sur la liberté, l'égalité et la productivité. Par contre, la liberté, l'égalité des droits et la rentabilité peuvent être valablement conciliées dans une économie mixte de manière à correspondre le mieux possible aux objectifs de la politique économique socialiste. Tel est le sens de l'économie sociale de marché. 13 Parce qu'il repose sur la démocratie libérale, sur la démocratie économique et sur la solidarité internationale à travers l'Internationale Socialiste reconstituée en 1951, le socialisme démocratique constitue la voie de l'espérance ouverte au monde contemporain. Il est le moyen de notre engagement face aux défis de notre temps, parce que tout projet est un engagement. - D TOUT PROJET EST UN ENGAGEMENT Car, si l'histoire ne s'arrête pas, c'est parce qu'elle comporte des promesses que les hommes et les femmes s'engagent à réaliser, des défis que les femmes et les hommes s'engagent à relever. Le XXIè siècle et le IIIè millénaire nous placent d'abord devant les défis de la science. Les nouveaux pouvoirs scientifiques apparaissent comme pratiquement illimités dans le champ total de la nature en général et dans le secteur de la vie en particulier... Aujourd'hui, la nature apparaît vulnérable devant l'assaut technologique qui met en péril son intégrité... La nature humaine peut subir des modifications biologiques et psychiques, peuplant de risques l'aventure de son essence... La science n'est plus seulement un pouvoir aux mains de l'homme, elle est également et de manière tragique, un pouvoir sur l'homme, un pouvoir dont les effets ne sont plus à la portée de l'homme. Non seulement les conséquences de son action ne sont pas toutes perceptibles dans le présent, mais encore la chaîne de ces conséquences est infinie sur l'homme lui-même et sur son environnement social ou naturel. 14 La caractéristique de la science actuelle, c'est aussi l'irréversibilité des dégâts qu'elle a provoqués. Aucune réparation de ces dégâts n'est envisageable (envisagée elle n'atteindrait pas les mêmes organismes) surtout s'il s'agit de la vie et plus particulièrement de l'espèce humaine. Pendant ce temps, la biologie moléculaire a décodé le texte génétique, dont l'existence constituait pour d'aucuns le secret de la vie. Or, par-delà les progrès que l'humanité est en droit d'attendre de cette découverte (thérapeutique de certaines maladies, accroissement de la productivité dans l'agriculture, etc), les manipulations génétiques ouvrent aussi la voie vers l'eugénisme (manipulation visant à susciter des individus ou des groupes d'individus ayant des aptitudes particulières) et vers les armes bactériologiques. De ce point de vue, la biologie moléculaire est à la biologie ce que la physique nucléaire est à la physique. Si les besoins de plus en plus croissants en énergie imposent l'option nucléaire, le risque de prolifération de l'arme nucléaire demeure une source d'inquiétude de notre époque. L'humanité est toujours sous la grave menace des arsenaux nucléaires des puissances formant, il y a moins d'une décennie, les deux « blocs» militaires. Comme toutes les parties du monde, l'Afrique est confrontée à ces défis de la science. Elle doit pouvoir prendre sa part d'engagement non pas en s'enfermant dans un « romantisme» antiscientifique, mais en cherchant plutôt à acquérir une maîtrise dans tous les secteurs de la science. La science doit aider l'Afrique à maîtriser son devenir propre, à commencer par la maîtrise de sa population. Le défi démographique n'est pas spécifique à l'Afrique; il est sans doute le problème de régulation le plus important aujourd'hui. Les chiffres sont bien connus. En l'espace des premiers quatre mille ans, la population a été multipliée par 18, atteignant le total de 86,5 millions. 15 Depuis lors, le taux d'expansion démographique s'est accru très rapidement, d'un millénaire à l'autre, d'un siècle à l'autre et même, au cours des XIXè et XXè siècles, d'une décennie à l'autre...On a estimé que la population mondiale atteindra 7 milliards en l'an 2000. Si l'on n'y prend garde, les disparités et les déséquilibres démographiques entre les régions, les pays et les continents laisseront voir une partie de l'humanité s'étouffer elle-même, s'entre-déchirer par des guerres ou des génocides atroces, ou s'exposer à des pénuries diverses. Dans cette perspective, c'est dans l'immédiat qu'une responsabilité éthique et politique incombe solidairement à toute I'humanité. La question est celle du rapport entre, d'une part, le taux de croissance démographique et, d'autre part, le taux de croissance économique qui conditionne l'évolution soit vers la richesse, soit vers la reproduction de la pauvreté, ce qu'un contemporain a nommé l'équilibre de la pauvreté. Le monde et l'Afrique doivent pouvoir envisager cette question dans la perspective d'une population à laquelle il soit possible de garantir l'abondance des produits mis à la disposition des personnes et l'innocuité de l'environnement. Et c'est là un autre grand défi de notre temps: le défi écologique. Il concerne la destruction des forêts tropicales au Sud et les pluies acides au Nord; la pollution des eaux et les déchets indestructibles; le «trou» dans la couche d'ozone et la régression de l'hygiène. Ce qu'on appelle la conscience écologique repose sur cette idée que l'humanité doit sortir de l'illusion que toutes les fautes sont réparables. Nous savons désormais que les agressions contre la nature occasionnent des séquelles irréversibles et exposent I'humanité entière, quel que soit l'endroit où atteinte est portée à la nature. Ceci devrait amener I'humanité à relever le défi de la solidarité: 16 - solidarité face au défi écologique, mais également solidarité entre les peuples avec le recul des Etats nations et l'émergence de la supranationalité; - développement des organisations non-gouverne- mentales et leur épanouissement; - collaboration entre les sociétés civiles; - importance de plus en plus grande des organisations politiques internationales comme l'Internationale Socialiste et l'universalité de l'idéal démocratique; - interdépendance des économies plutôt que leur affrontement sauvage; - règlement pacifique des conflits dans une nouvelle société des nations, riche des expériences passées. Voilà les défis que le Front Populaire Ivoirien voudrait voir relever par le monde, l'Afrique, la Côte d'Ivoire. Mais le projet de société est avant tout un engagement du Front Populaire Ivoirien, de ses militants et de ses dirigeants. Nous voulons avancer avec toutes les forces démocratiques de Côte d'Ivoire qui entendent l'intérêt commun comme nous, avec les forces démocratiques qui, en Afrique, entendent l'intérêt commun de l'Afrique dans le même sens que nous, avec toutes les forces démocratiques qui, dans le monde entendent l'intérêt de I 'humanité dans la même acception que nous. Laurent GBAGBO Président du Front Populaire Ivoirien 17 INTRODUCTION DE HARRIS MÉMEL-FOTÊ DE LA LÉGITIMITÉ - A UN PROJET DE SOCIETÉ : QU'EST-CE À DIRE? POURQUOI? De tout temps, les sociétés humaines, peu ou prou, se sont préoccupées des raisons, des conditions et des modalités de leur existence dans l'environnement historique, à la fois naturel et culturel, qui était le leur. Dans les discours de leurs penseurs politiques, les sociétés à écriture, ailleurs et en Afrique, ont donné des formulations systématiques à ces préoccupations. Texte qui présente le profil de la société humaine dans laquelle un individu ou une collectivité rêve de vivre, entreprise de conscience, essai de maîtrise du destin collectif, qui fait participer l'image du futur à la construction du présent, cette exigence est partagée par tous les Etats contemporains, soucieux de limiter l'incertitude d'un monde contradictoire, un monde plein à la fois de promesses et de menaces pour la vie et la liberté des peuples et des individus. Cette exigence, est à fortiori, la nôtre, société héritière de l'esclavage, de la colonisation et d'une décolonisation inachevée, aspirant à un développement autonome, moderne, viable et juste. Telle est la première justification, d'ordre général, à ce projet de société. 19 Mais à l'ère et dans l'aire des nations, un projet de société apparaît comme un élément et un facteur du développement culturel qui accompagne la démocratisation de la société. Ici, en Côte d'Ivoire, comme en Afrique et ailleurs, l'élaboration et la confrontation des projets, les débats s'y rapportant et leur remise à jour de temps en temps, doivent concourir à dépersonnaliser les débats politiques, à enraciner la démocratie nouvelle, à moderniser la société et la culture africaines. Là est la deuxième justification de caractère historique. D'un point de vue pratique, troisième et dernière justification, le projet de société joue un triple rôle: source d'information, source d'inspiration, source de réflexion. Aux adversaires qui veulent juger et combattre le Front Populaire Ivorien comme aux sympathisants qui entendent comprendre, consulter et coopérer, le Projet présente les fins que vise le parti, les voies qu'il envisage d'emprunter, les moyens qu'il se propose de mettre en oeuvre. Aux militants, le Projet, collectivement discuté et adopté, sert en premier lieu de guide pour percevoir le nouvel horizon ouvert au combat et pour comprendre la logique des luttes. Il sert, en deuxième lieu, de source d'inspiration pour inventer de nouveaux langages et de nouvelles tactiques adaptés aux terrains et aux circonstances, pour entreprendre des actions de masse, toujours inédites, plus efficaces. Il permet, en troisième lieu, la réflexion sous ses trois formes: d'abord la critique, celle du programme qui doit à chaque moment l'actualiser et celle des élus que leur confiance place en première ligne, à tous les niveaux; ensuite l'autocritique individuelle et collective, qui doit assouplir et rénover la pensée et l'action, à chaque niveau, à chaque moment; enfin, dans le moyen ou long terme, une amélioration, voire une réactualisation du Projet lui-même, si nécessaire, comme l'histoire l'autorise ailleurs et en Afrique, aujourd'hui. 20