L'âge de l'autogestion
Pierre Rosanvallon
1976
But global de l'essai : poser le problème d'une théorie politique originale du socialisme.
« L'autogestion ».
L'autogestion serait :
-Réhabilitation de la problématique politique du socialisme
-Appropriation des moyens de pouvoir (et pas seulement de production) dans la société
-Stratégie pour cette appropriation
-Reconsidérer les rapports entre l'économie et les autres formes d'activité sociale
Le marxisme n'a jamais constitué une théorie politique digne de ce nom. Pour la bourgeoisie, le
politique est séparé de l'économie et de la société : tout conflit social est ramené à un conflit
d'opinion confiné dans la sphère politique. Le marxisme, lui, nie les conflits lorsqu'ils ne peuvent
être amenés à un conflit de classe ; pour lui la question politique est réduite à la prise du pouvoir et
à sa disparition.
« C'est parce que les marxistes n'ont jamais élaboré une théorie du pouvoir politique que le
socialisme et le marxisme ont toujours oscillé entre la perspective utopique d'une fin du politique et
les errements tactiques d'un pouvoir réaliste. »
« Là la théorie est silencieuse, la pratique peut toujours être monstrueuse. C'est la pratique
bolchévique et son volontarisme qui ont écrit les blancs de la théorie du marxisme. »
C'est un idéalisme politique : assimilation de tout conflit politique dans un conflit de classe, ou la
dissolution de l'activité politique dans la sphère économique.
Entre Proudhon (conseillisme) et Lasalle (démocratie populaire), le socialisme n'a jamais exprimé
de théorie politique nouvelle. Marx reproche à Proudhon de ne pas se préoccuper de l'Etat, et à
Lasalle il reproche l'insuffisance de penser la transformation sociale à travers l'Etat.
La proposition autogestionnaire :
« La proposition autogestionnaire fondée sur la propriété sociale des moyens de production et la
planification démocratique, consonne avec le projet libéral de limitation du pouvoir étatique et d'un
pouvoir propre de la société civile. »
(Société civile = entreprises, associations, comités de quartier, groupes de consommateurs.ices,
clubs.)
Permettre que se constitue une véritable société civile, qui reprend des tâches qui étaient effectuées
par l'Etat ou les capitalistes jusqu'à présent.
Réduire la taille de l'Etat en réadaptant ses tâches. L'Etat aurait essentiellement un rôle de régulation
sociale.
Autonomisation de la sphère politique comme lieu d'expression et de discussion des choix
collectifs. Décentralisation des institutions politiques dans les collectivités locales. Décentralisation
le pouvoir au plus bas niveau possible. Démocratie véritable.
Produire les concepts d'institutions politiques nouvelles. Permettre la mobilité institutionnelle de la
société.
Impasses de la démocratie populaire : élitisme, avant-garde, savoir objectif qui vient du sommet,
savoir subjectif et partiel qui vient de la base, démocratie de destination et pas des processus de
décision.
Impasses de la démocratie directe : ne peut fonctionner qu'au niveau local, ne dure pas. « Entropie
démocratique » : avec les différentes échelles de délégation qui s'additionnent, on perd beaucoup de
pouvoir de décision.
Autogestion : une société d'expérimentation. Rompre avec la conception linéaire du temps, « vivre
demain dans les luttes d'aujourd'hui », rompre la distinction entre avant et après la révolution.
L'Etat doit garantir et organiser le droit à l'expérimentation sociale, et non appliquer des schémas de
société.
Produire la récupération au point d'en donner une indigestion au système. Le capitalisme
récupérerait beaucoup de choses mais finirait par être submergé.
(Nico : la pointe des expérimentations laisse toujours un sillage, qui est récupéré, mais ce n'est pas
forcément une défaite)
L'autogestion est un projet de société, pas un modèle de société.
Marx : « aucune société ne se dissout et ne peut être remplacée tant qu'elle n'a pas développé toutes
les formes de vie qui sont contenues implicitement dans ses rapports. » (Nico : le point négatif de
cette idée, c'est le côté Hégélien de Marx) Développons donc toutes ces formes de vie jusqu'à faire
basculer le système.
Gramsci : la crise, c'est quand le vieux meurt et le neuf ne peut pas naître.
Stratégie proposée par Rosanvallon :
Développement de contre-institutions.
L'expérimentation crée des événements à résonance symbolique, qui donnent à voir et à penser
autrement, ce qui déséquilibre le système. Depuis 68, on rompt avec le dualisme entre préparation
de la révolution et action de la révolution.
Luttes dans l'entreprise (« ce sont le coeur de cette stratégie »). « Mais l'expérimentation hors de la
production apparaît plus facile, peut-être parce qu'elle est plus facilement permise par le pouvoir :
éducation, santé... »
Il faut dépasser la conception bourgeoise de la propriété
La solution n'est pas de trouver un nouveau propriétaire aux propriétés existantes, il faut
déstructurer la propriété bourgeoise.
3 droits de la propriété bourgeoise :
-l'usus : le droit d'user de la chose
-le fructus : le droit d'en percevoir les revenus
-l'abusus : le droit d'en disposer et de l'aliéner (vendre, transformer, léguer, détruire...)
Dans l'autogestion, la propriété n'existe pas en tant que telle : elle est remplacée par le système des
différents droits et devoirs. « Dépropriation », éclatement et redistribution des différents droits et
devoirs (entreprise, région, Etat, collectivités diverses...).
Exemple : le pouvoir de décider de l'organisation du travail dans l'atelier n'est pas forcément exercé
par le même groupe (travailleurs.euses) que le pouvoir de cider de reconvertir les activités de
l'entreprise (fédération des consommateurs.ices, collectivités publiques,...). (Christophe: Sur
certains points, on peut imaginer la codécision).
Il faudra réduire la division du travail (« lutter pour la démocratie, c'est démasquer le faux savoir
spécialisé qui n'est qu'un mode de domination sociale »). Egaliser les niveaux d'information. (Nico :
20% ou 25% du temps de travail devrait être dévolu à la formation) Socialiser les moyens
d'organisation et d'information.
« Le langage spécialisé, la rétention des informations utiles et la multiplication des informations
secondaires, sont les trois moyens par lesquels le pouvoir consolide sa position dans l'entreprise et
dans la société. »
Plan et marché
On a besoin d'un système mixte pour répondre aux insuffisances respectives du plan et du marché.
Construire un modèle de planification démocratique centralisé et de marchés contrôlés. Le plan doit
être le moyen de choisir un modèle de développement, il faut autogérer le plan, le politiser,
subordonner la rationalité de ses méthodes à des choix de société. Les économies capitalistes sont
hautement planifiées par des hauts fonctionnaires et des grandes groupes industriels : il s'agit de
déprivatiser cette planification occulte pour la politiser.
Socialisme
« Il est faux de considérer le socialisme comme un mode de production économique. Ca veut dire
rester prisonnier de l'idéologie productiviste et de l'idéologie du travail. » « Le socialisme est une
politique avant d'être une économie. Il faut remettre l'économie à sa place et pour cela ne pas
réduire toute activité humaine au travail. Le socialisme est un mode d'organisation sociale. »
« L'idée même d'abondance est une dangereuse fiction. » Or le socialisme a été conçu beaucoup
comme période de transition vers l'abondance.
« Il faut réduire la sphère économique, en développant un secteur non-marchand. »
« Une société multi-dimensionnelle et non homogène d'un point de vue des technologies, des
formes d'échange et de production économique, et des sphères d'activité sociale. »
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