Synthèse
Troubles cognitifs non démentiels
de la maladie de Parkinson
Cognitive disorders in Parkinson’s disease
without dementia
RICHARD LÉVY
BERNARD PILLON
Inserm U 610 et Fédération
de neurologie,
Hôpital de la Salpêtrière,
Paris
Résumé. La maladie de Parkinson est une affection cérébrale multifocale dans laquelle les
troubles cliniques ne peuvent pas être limités au syndrome moteur. Des troubles cognitifs,
certes modérés, sont présents dès le début de la maladie. Ils sont principalement liés à la
dérégulation des circuits anatomo-fonctionnels qui unissent les ganglions de la base au
cortex frontal. Ainsi ces troubles résultent en partie de difficultés de contrôle des ressources
attentionnelles. Ces déficits perturbent particulièrement les processus stratégiques de pla-
nification du comportement. Ce défaut de contrôle se répercute sur l’ensemble des grands
champs de l’activité mentale (mémoire, langage, fonctions visuo-spatiales). Ces difficultés
cognitives résultent en premier lieu de la déplétion dopaminergique nigro-striatale et
méso-cortico-limbique. Celle-ci semble suffisante pour expliquer les troubles cognitifs fron-
taux qui apparaissent précocement dans la maladie de Parkinson. En particulier, la dénerva-
tion nigro-striatale induit un dysfonctionnement en cascade dans les ganglions de la base
qui retentit finalement sur le cortex frontal. Il est probable qu’avec l’évolution de la maladie,
l’altération des autres systèmes de neurotransmission ascendants (cholinergique surtout
mais aussi sérotoninergique et noradrénergique) ainsi que d’éventuelles lésions corticales
directes, concourent à aggraver les troubles cognitifs, voire à en modifier leur nature.
Mots clés : maladie de Parkinson, fonctions exécutives, attention, dopamine, ganglions de
la base, cortex préfrontal
Abstract. The cognitive disorders observed in non-demented Parkinsonian patients are
frequent but subtle. They mostly result from difficulties to control attentional resources.
These deficits particularly disturb the strategies involved in planning as well as in encoding
and retrieval processing of memory, whereas consolidation of the mnemonic traces and
instrumental functions are relatively spared. These deficits can be related to the striatal
dopamine depletion (in particular in the caudate nuclei) which seems sufficient to account
for the cognitive disorders that appear early in the course of the disease. In particular, the
caudate dopamine depletion induces a cascade of dysfunction within the basal ganglia,
downstream of the striatum, which ultimately affects the prefrontal functions. It is likely
that, in the course of the disease, lesions of other ascending systems of neurotransmission
(cholinergic, serotoninergic and noradrenergic pathways) contribute to worsen the cogni-
tive disorders and also to modify their clinical pattern. The impact of direct cortical lesions
can also be discussed but it seems that these lesions mostly contribute to the cognitive
deficits in the late stages of Parkinson’s disease.
Key words:Parkinson’s disease, executive functions, attention, dopamine, basal ganglia,
prefrontal cortex
La
symptomatologie de la maladie de Parkinson est
dominée par des troubles moteurs. L’utilisation de
tests neuropsychologiques, sélectionnés ou mis
au point pour étudier l’efficience intellectuelle des patients
atteints de cette maladie, a cependant montré l’existence
de troubles cognitifs [1]
. Leur fréquence dépend de la
sensibilité des épreuves utilisées. Avec des épreuves
adaptées (tableau 1), elle pourrait atteindre environ
90 % des patients. Ces troubles sont subtils, mais sus-
ceptibles d’interférer avec une activité professionnelle.
Un véritable syndrome démentiel est beaucoup plus
rare. Quelle est la nature des troubles cognitifs des
patients parkinsoniens non déments ? Quelles sont les
bases pathophysiologiques de ces troubles ?
Psychol NeuroPsychiatr Vieil 2006;4(n
o
spécial 1) : S25-S34
doi: 10.1684/pnv.2006.0005
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 4, n° spécial 1, décembre 2006 S25
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Les troubles cognitifs
de la maladie de Parkinson
L’efficience intellectuelle globale et les fonctions
instrumentales (langage, praxies, gnosies) sont préser-
vées chez la majorité des patients atteints de maladie
de Parkinson. Quatre secteurs cognitifs sont générale-
ment considérés comme perturbés.
Le domaine visuospatial
Des perturbations des fonctions visuospatiales ont
été observées chez des patients atteints de maladie de
Parkinson, même lorsque l’efficience intellectuelle glo-
bale est préservée et que les composantes motrices de
la tâche à effectuer sont faibles [2]. Toutefois, l’épreuve
d’appariement de formes de Benton, dont la perfor-
mance est perturbée chez les patients atteints d’une
lésion pariétale, est réussie dans la maladie de Parkin-
son. Les difficultés des patients parkinsoniens n’appa-
raissent qu’avec des épreuves plus complexes, qui
requièrent un niveau de contrôle attentionnel élevé,
comme l’épreuve d’orientation de lignes de Benton, ou
l’élaboration interne d’une réponse, comme les figures
de Rybakoff. De plus, si on fait covarier les scores obte-
nus à des épreuves évaluant les fonctions visuospatia-
les et ceux qui sont obtenus à des épreuves évaluant
les fonctions exécutives, fonctions sous la dépendance
du cortex préfrontal, le déficit exécutif persiste alors
que le déficit visuospatial disparaît [3]. Ces données
indiquent que le traitement des données visuospatiales
est respecté et que ce sont seulement l’intégration et
l’utilisation de ces données dans l’élaboration et la ges-
tion de la réponse qui sont perturbées.
La mémoire
Les composantes d’encodage passif et de consoli-
dation des données mnésiques dans la mémoire épiso-
dique sont préservées dans la maladie de Parkinson,
alors que les composantes stratégiques de manipula-
tion et d’intégration de ces données sont perturbées.
Mémoire à court terme
La répétition immédiate d’une série de chiffres ou
du pointage séquentiel de carrés répartis aléatoirement
sur une feuille est préservée. Dans ces épreuves, le
patient doit seulement reproduire l’ordre imposé par
l’examinateur. Par contre, les épreuves de mémoire à
court terme qui imposent une manipulation du matériel
à mémoriser et donc l’utilisation de processus stratégi-
ques (mémoire de travail) sont perturbées [4-9]. C’est le
cas, par exemple de l’épreuve de Brown-Peterson,
dans laquelle un délai pouvant aller jusqu’à une ving-
taine de secondes est interposé entre la présentation
du stimulus (des lettres ou des mots) et la réponse, le
patient devant exécuter pendant le délai une tâche
interférente (compter de trois en trois à partir d’un
nombre proposé par l’examinateur). C’est le cas aussi
des épreuves de mémoire de travail visuospatiale,
dans lesquelles le patient doit, par exemple, reproduire
une matrice comprenant un nombre identique de car-
rés noirs et de carrés blancs, répartis de façon aléa-
toire. Les troubles de mémoire de travail visuospatiale
apparaissent dès les stades les plus précoces de la
maladie, alors que les troubles de mémoire de travail
verbale sont observés plus tardivement [10]. Ce déca-
lage temporel peut être lié à une plus grande sensibilité
des épreuves visuospatiales qui demanderaient davan-
tage de ressources attentionnelles. Il peut aussi être dû
au fait que ces deux formes de mémoire de travail font
intervenir des circuits anatomiques différents, la partie
supérieure du cortex préfrontal pour la mémoire spa-
tiale, la partie inférieure pour la mémoire verbale.
Mémoire explicite
Cette mémoire dépasse les limites de l’empan, soit
en terme de quantité de matériel à mémoriser, soit en
terme de durée de maintien de la trace mnésique. Elle
peut être divisée en mémoire épisodique, en référence
aux souvenirs acquis dans un contexte temporo-spatial
précis (le repas de la veille au soir ou le récit entendu
Tableau 1.Proposition pour l’évaluation neuropsychologique
des troubles cognitifs de la maladie de Parkinson.
Table 1. Proposed battery for the cognitive evaluation in Par-
kinson’s disease patients.
Démence Échelle de Mattis (1)
Mémoire Test d’apprentissage verbal de Californie (2)
Épreuve de Grober et Bushke (3)
Fonctions
instrumentales
Épreuves du Boston diagnostic aphasia
examination (4)
Batterie d’examen de l’apraxie (5)
Fonctions
exécutives (6) Test de classement de cartes de Wisconsin
Fluence verbale
Séries graphiques et motrices
Test de Stroop
Épreuve de Trail making test
Comportement de préhension,
utilisation et imitation
1) pour évaluer l’efficience globale ; 2) pour étudier les stratégies d’apprentissage
chez les patients non-déments ; 3) pour distinguer entre un trouble de la stratégie
de rappel (d’origine frontale) et une amnésie antérograde (d’origine temporo-
diencéphalique) chez les patients déments ; 4) pour différencier une aphasie vraie
d’un trouble de l’évocation lexicale ; 5) pour distinguer une apraxie d’un trouble de
la planification et de la programmation séquentielle du geste ; 6) pour détecter un
dysfonctionnement frontal.
D’après Pillon et al. (1996), reproduit avec la permission des auteurs.
R. Lévy, B. Pillon
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quelques minutes auparavant), et mémoire sémanti-
que (les connaissances générales, partagées par
l’ensemble des personnes appartenant à une même
culture, sans référence aux conditions dans lesquelles
ces informations ont été apprises, par exemple : Qui a
peint La Joconde ?). Le fait que l’évocation du souvenir
soit consciente l’oppose à la mémoire implicite. La
mémoire épisodique est globalement préservée dans
la maladie de Parkinson si l’on utilise des épreuves
dont l’organisation et les liens associatifs sont suffi-
sants pour structurer le matériel à mémoriser. C’est le
cas, par exemple, de la mémoire de récits ou de
l’apprentissage de couples de mots, particulièrement
lorsque ces couples s’appuient sur des associations
sémantiques préétablies. La procédure d’apprentis-
sage verbal mise au point par Grober et Buschke per-
met, d’une part, de contrôler l’encodage et, d’autre
part, d’apprécier la quantité d’information réellement
mise en mémoire, en fournissant au patient des indices
de rappel pour les items qu’il n’a pas pu évoquer spon-
tanément. Le rappel indicé est normal, mais la perfor-
mance est, en revanche, perturbée dans les épreuves
qui impliquent le développement de stratégies comme
le test d’apprentissage verbal de Californie, dans lequel
les patients parkinsoniens utilisent davantage une stra-
tégie externe (apprentissage par cœur) qu’une straté-
gie interne (organisation sémantique) [11]. L’apprentis-
sage spatial, dans lequel le patient doit élaborer des
liens arbitraires entre des images et leur localisation,
est également perturbé dans la maladie de Parkinson
[12]. Dans toutes ces épreuves, la pente de la courbe
d’apprentissage (évolution de la performance au cours
des essais) est cependant identique chez les patients et
chez les sujets contrôles. De plus, il n’y a pas de perte
d’information après un délai de 15 minutes (écart tem-
porel entre le dernier essai de l’apprentissage et un
rappel différé). Ces résultats montrent que la consolida-
tion de la trace mnésique, qui dépend du système
hippocampique, est préservée dans la maladie de
Parkinson, tandis que les processus stratégiques
d’organisation du matériel à mémoriser qui dépendent
du cortex préfrontal sont perturbés dans cette maladie.
Cette dissociation est parfaitement illustrée par une
étude dans laquelle des patients atteints de maladie de
Parkinson devaient apprendre à associer des chiffres et
des couleurs dans deux conditions différentes [13].
Dans la première condition, le lien associatif était fourni
par l’examinateur qui demandait au patient de se sou-
venir, par exemple, que le chiffre 1 était associé à la
couleur rouge. Dans cette première condition, la perfor-
mance des patients comparée à celle de sujets contrô-
les était normale. Dans la deuxième condition, le lien
associatif devait être découvert par le sujet. Celui-ci
devait deviner par essais et erreurs quelle était la cou-
leur associée à chacun des chiffres. Dans cette
deuxième condition, qui demande une organisation du
matériel à mémoriser, la performance des patients était
perturbée par rapport à celle des sujets témoins. Ces
différents résultats suggèrent que la performance des
patients atteints de maladie de Parkinson en mémoire
épisodique dépendrait du niveau d’auto-organisation
et des ressources attentionnelles requises par le maté-
riel à mémoriser [14].
La même dissociation entre maintien de la trace
mnésique et organisation défectueuse de cette trace a
été observée au niveau des souvenirs anciens, qu’il
s’agisse de souvenirs épisodiques ou sémantiques. En
ce qui concerne les souvenirs personnels ou sociaux,
les patients atteints de maladie de Parkinson ont une
reconnaissance normale, mais une organisation tem-
porelle défectueuse. Concernant des acquisitions
sémantiques comme le vocabulaire, les patients par-
kinsoniens n’ont pas de difficultés pour évoquer la
signification des mots, mais peuvent en rencontrer
lorsqu’ils doivent élaborer des stratégies de recherche
inhabituelles, par exemple donner en une minute le
plus grand nombre possible de mots commençant par
une lettre donnée.
Mémoire implicite
Dans cette forme de mémoire, la performance
s’améliore avec la répétition de la tâche, attestant la
réalité d’un apprentissage. Ce fait a pu être démontré
chez les patients atteints d’un syndrome amnésique :
les patients nient le plus souvent avoir déjà vu le maté-
riel à mémoriser, pourtant leur courbe d’apprentissage
est normale. Les épreuves d’amorçage, qui dépendent
des régions corticales postérieures, sont préservées
dans la maladie de Parkinson. Par contre, les épreuves
d’apprentissage procédural, qui font intervenir les
noyaux gris centraux, sont généralement perturbées.
Les tâches de mémoire procédurale peuvent aller des
aspects les plus moteurs (poursuite de cibles en mou-
vement) aux plus cognitifs (lecture en miroir). Compa-
rée à celle de sujets contrôles, la performance des
patients atteints de maladie de Parkinson à ces épreu-
ves est caractérisée par les éléments suivants : appren-
tissage moins efficace (le niveau de la courbe reste
inférieur à celui des sujets contrôles), difficultés de
maintien, plus grande variabilité inter et intra-
individuelle. Ces éléments suggèrent que l’apprentis-
sage procédural, bien que non conscient et théorique-
ment acquis de façon automatique, ferait aussi
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intervenir des ressources attentionnelles. Cette hypo-
thèse est confirmée par le fait que la performance à la
plupart de ces épreuves est corrélée avec les scores
obtenus à des épreuves qui évaluent les fonctions exécu-
tives qui sont sous la dépendance du cortex préfrontal. Il
est vraisemblable que : 1) les ressources attentionnelles
nécessaires augmentent en passant du moteur au cogni-
tif ; 2) chez le sujet normal leur implication diminue au
cours de l’automatisation progressive de la procédure ;
3) chez le patient atteint de maladie de Parkinson, elles
restent requises tout au long de l’apprentissage, le dys-
fonctionnement des noyaux gris centraux perturbant
l’automatisation de la procédure [15]
.
Au total, les difficultés mnésiques des patients
atteints de maladie de Parkinson dépendent donc du
niveau d’auto-organisation de la tâche à effectuer et
des ressources attentionnelles requises. Qu’il s’agisse
de mémoire de travail, de mémoire explicite ou impli-
cite, la sévérité des déficits est généralement associée
à la sévérité du syndrome dysexécutif.
Les fonctions exécutives
Le terme de fonctions exécutives ou intégratrices se
réfère à l’ensemble des processus nécessaires à la pla-
nification de comportements adaptés à des situations
environnementales nouvelles. Ces processus - élabora-
tion d’une stratégie adaptée à un but et aux conditions
de l’environnement, maintien de cette stratégie malgré
la présence de distracteurs, inhibition de comporte-
ments appris antérieurement mais inadaptés à la situa-
tion présente, flexibilité mentale nécessaire pour
s’adapter à une situation nouvelle lorsque l’environne-
ment se modifie - sont considérés comme étant sous la
dépendance des lobes frontaux. Ils sont particulière-
ment exposés dans la maladie de Parkinson, étant
donné les relations anatomo-fonctionnelles entre le
cortex frontal et les noyaux gris centraux. Certaines
épreuves peuvent mettre en évidence une perturbation
de ces différents processus. Dans le test de classement
de cartes de Wisconsin, le patient doit élaborer par
essai et erreur une catégorie conceptuelle (par exemple
la couleur) à partir du seul feed-back de l’examinateur,
maintenir cette catégorie pendant un certain nombre
de réponses successives, puis changer de catégorie
lorsque le feed-back est modifié. Cette épreuve, la plus
classiquement utilisée pour l’évaluation des fonctions
exécutives, fait donc intervenir, à elle seule, l’élabora-
tion conceptuelle, le maintien du critère de classement,
l’inhibition des interférences (les autres catégories
conceptuelles) et des comportements appris antérieu-
rement mais inadaptés à la situation présente (les caté-
gories renforcées précédemment). D’autres épreuves
font intervenir plus spécifiquement l’un ou l’autre de
ces processus. Par exemple, le test de Stroop permet
de comparer la capacité de dénommer des couleurs
dans deux situations différentes : dénomination de pla-
ges colorées, dénomination de la couleur de l’encre
avec laquelle sont écrits des mots dont le contenu
sémantique est un autre nom de couleur (mot
« rouge » écrit en vert). Dans cette deuxième condition,
le sujet doit donc inhiber sa tendance naturelle à lire les
mots, pour ne s’intéresser qu’à la plage colorée formée
par le mot. Le contraste entre les deux situations per-
met de mesurer la capacité à se libérer d’un automa-
tisme acquis. La plupart des épreuves évaluant les
fonctions exécutives ont été trouvées perturbées dans
la maladie de Parkinson, souvent dès les stades les
plus précoces de la maladie, quand elle n’est pas
encore traitée [1].
L’attention
L’attention n’est pas une opération mentale uni-
taire, mais plutôt un ensemble de processus nécessai-
res au traitement de l’information, à l’élaboration d’une
représentation mentale, à son maintien en mémoire de
travail, à sa manipulation et à l’élaboration de la
réponse. La perturbation de ce processus pourrait per-
mettre d’interpréter les difficultés cognitives des
patients atteints de maladie de Parkinson.
L’ensemble des études semble suggérer que, mal-
gré leur apparente diversité, les troubles cognitifs des
patients atteints de maladie de Parkinson pourraient
résulter du dysfonctionnement de quelques mécanis-
mes fondamentaux. La nature de ces mécanismes
reste débattue. S’agit-il des mêmes mécanismes que
ceux qui sont perturbés dans les lésions frontales ? La
continuité fonctionnelle du cortex frontal et des noyaux
gris centraux a été suggérée à partir de travaux effec-
tués chez l’animal [16]. En relation avec cette hypo-
thèse, un manque de flexibilité mentale, considéré
comme caractéristique des patients présentant des
lésions frontales, a été proposé pour expliquer les trou-
bles cognitifs des patients parkinsoniens [17]. Cette
perte de flexibilité n’apparaîtrait, cependant, que
lorsqu’une stratégie interne doit être élaborée et main-
tenue [18] et serait due à une diminution des ressour-
ces attentionnelles nécessaires à l’élaboration d’une
telle stratégie [19]. Comme les patients atteints de
lésions frontales, les patients atteints de maladie
de Parkinson seraient particulièrement perturbés
lorsqu’ils doivent accomplir plusieurs tâches en même
temps. Ces patients parkinsoniens effectuent normale-
ment des temps de réaction simples visuels ou auditifs,
mais contrairement à des sujets contrôles, ils sont inca-
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pables d’effectuer les deux épreuves simultanément
[20]. Les deux informations ne sont pas traitées en
parallèle, mais successivement, comme le montre
l’importance du décalage entre les deux réponses.
Cette incapacité de traiter simultanément plusieurs
informations cognitives rappelle les difficultés éprou-
vées par ces patients sur le plan moteur. Les mêmes
difficultés cognitives sont observées chez des patients
ayant subi une cortectomie dans les régions médianes
et dorsolatérales des lobes frontaux pour épilepsie
rebelle aux traitements médicamenteux habituels, ce
qui confirme l’hypothèse de la continuité fonctionnelle
entre cortex préfrontal et noyaux gris centraux. Cette
hypothèse n’exclut pas la possibilité que ces structures
interviennent dans les mêmes fonctions par des méca-
nismes différents. Par exemple, cortex frontal et
noyaux gris centraux pourraient jouer un rôle complé-
mentaire, mais non identique, dans le contrôle de
l’attention. Les résultats de recherches récentes sont en
accord avec cette hypothèse [21]. L’utilisation du para-
digme de Posner chez les patients atteints d’une mala-
die de Parkinson a confirmé l’existence dans cette
maladie d’une difficulté de maintien de l’attention.
Dans ce paradigme, les sujets doivent réagir le plus
rapidement possible à des stimuli qui apparaissent à
gauche ou à droite d’un écran. L’apparition des stimuli
est précédée d’un signal préparatoire neutre (ne don-
nant aucune information sur l’apparition du stimulus),
valide (indiquant le côté d’apparition du stimulus) ou
invalide (indiquant le côté contraire de celui où va
apparaître le stimulus). Les patients parkinsoniens
engagent leur attention aussi facilement que des sujets
contrôles, comme le montre l’amélioration de perfor-
mance liée à l’indice valide par rapport à l’indice neu-
tre. En revanche, ils désengagent plus rapidement leur
attention, comme l’indique l’absence de perturbation
de la performance liée à l’indice invalide par rapport à
l’indice neutre [22].
Mécanismes pathophysiologiques
des troubles cognitifs
de la maladie de Parkinson
Les troubles cognitifs de la maladie de Parkinson
sont la conséquence d’un dysfonctionnement de struc-
tures cérébrales dévolues à l’élaboration et au contrôle
de l’action tel le cortex frontal. Plusieurs systèmes neu-
ronaux lésés contribuent au dysfonctionnement frontal
et par conséquent à la genèse des troubles cognitifs
(figure 1) : 1) la perte progressive des neurones dopa-
minergiques de la pars compacta de la substance noire
(SNpc) ; 2) la perte des neurones dopaminergiques de
l’aire tegmento-ventrale (ATV) ; 3) l’atteinte des structu-
res cholinergiques du septum (en particulier du noyau
basal de Meynert) ; 4) l’atteinte des autres systèmes
ascendants de neurotransmission (systèmes noradré-
nergique et sérotoninergique) pourrait aussi contribuer
aux troubles cognitifs de la maladie de Parkinson ; 5)
enfin, il convient aussi de discuter de l’implication
éventuelle des lésions corticales directes observées au
cours de l’évolution de la pathologie « parkinso-
nienne ».
La perte des neurones dopaminergiques
de la SNpc et le dysfonctionnement striatal
Au cours de la maladie de Parkinson, la SNpc- struc-
ture dopaminergique du mésencéphale projetant mas-
sivement sur le néostriatum (putamen et noyau caudé)-
est touchée précocement et intensément. La déplétion
dopaminergique est plus intense dans le putamen (en
relation avec le système moteur) que dans le noyau
caudé (en relation avec les régions corticales associati-
ves comme le cortex préfrontal) [23]. Toutefois, l’exis-
tence de troubles cognitifs de type « frontaux », même
à la phase précoce de la maladie de Parkinson, plaide
pour le rôle crucial joué par la dénervation nigro-
striatale dans la genèse d’un certain nombre de trou-
bles cognitifs. Ainsi, des difficultés de mémoire de tra-
vail et de planification ont été mises en évidence au
Cortex cérébral
ATV (DA)
Locus
Coeruleus (NA)
Raphé
dorsal (5-HT)
Basal de
Meynert
(Ach)
SNpc (DA)
Striatum dorsal
Striatum ventral
Figure 1. Lésions des systèmes de neurotransmission ascen-
dants. Les lésions concernent la SNpc, l’ATV, le noyau basal de
Meynert, le locus coeruleus et le raphé dorsal ; Ach : acétylcho-
line ; DA : dopamine ; 5-HT : sérotonine ; NA : noradrénaline ;
SNpc : pars compacta de la substance noire ; ATV : aire
tegmento-ventrale.
Figure 1. Lesions of the ascendant neurotransmission systems.
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