La chirurgie esthétique est-elle lucrative?

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PRATIQUE PRIVÉE
en chirurgie plastique ne sont pas suffisamment exposés aux techniques de la
chirurgie esthétique. «Ils vont faire énormément de réductions mammaires, mais
combien de facelifts, de lifting du front ou
de peeling? Au moins une solide formation de chirurgien offre les meilleures conditions pour apprendre ces techniques
plus tard.» Pour sa part, le Dr Fanous affirme avoir réduit ses frais en publicité, la
réputation de son travail attire plus de
clientèle. «Le patient prend son temps. Il
compare, il lit, parle à ses amis... Un bon
résultat va attirer 3 ou 4 clients supplémentaires.» La recette de son succès est
dans son choix de patient. «La chirurgie
esthétique n'est pas vitale. Parfois, les demandes du patient sont irréalistes, à
d'autres moments sa condition physique
n'est pas bonne. On n'opère pas
quelqu'un qui n'est pas prêt psychologiquement, non plus.» Donc, est-ce
que cette réputation lui attire des fortunes
inouïes? «Avoir des patients pour des
chirurgies esthétiques, c'est la chose la
plus difficile, soutient le Dr Fanous. Mon
cabinet doit toujours fonctionner à 100 %,
être prêt à donner des services. À certaines périodes de l'année, je peux
tomber dans le rouge durant des mois.»
LA GUERRE DU MARKETING ET DES COMPÉTENCES
PAR PAUL THERRIEN
[email protected]
LA CHIRURGIE
ESTHÉTIQUE EST-ELLE
SI LUCRATIVE?
L'amélioration des techniques et le raffinement des résultats ont fait de la
chirurgie esthétique une procédure populaire auprès d'une clientèle soucieuse
de son image corporelle. Les augmentations mammaires, les abdominoplasties
ainsi que les traitements non chirurgicaux
comme les injections font désormais partie de la culture populaire. Si on peut se le
payer, pourquoi pas? Est-ce à dire, alors,
que ce marché est une mine d'or pour les
chirurgiens plastiques, ORL, dermatologues, ophtalmologistes et omnipraticiens
qui en font une partie de leur gagne-pain?
Rien n'est moins sûr.
Le secteur de la chirurgie esthétique est,
semble-t-il, en plein essor. Les derniers
chiffres au Canada indiquent une augmentation de ces procédures de l'ordre
de 25%... de 2002 à 2003, mais aucune
donnée crédible et plus récente n'existe!
Au Québec, c'est également le néant.
Pour avoir une idée de la progression de
ce marché du bistouri, il n'y a que les
chiffres disponibles chez l'Oncle Sam,
fournis par l'American Society for Aesthetic Plastic Surgery. Depuis 1997, le
nombre de chirurgies esthétiques y a fait
un bond de 82 %. En dix ans, il y a eu
334 % d'abdominoplasties supplémentaires. Le nombre d’augmentations
mammaires a connu une croissance de
252 %. Les traitements non chirurgicaux
ont grimpé de 233 %. Est-ce que ces
chiffres se refléteraient au Québec? C’est
possible. Il s'agirait alors d'un marché en
très forte expansion et plusieurs
médecins tenteraient avec raison
d'obtenir leur part du gâteau.
Il n'y a pas de spécialité officiellement re24 Santé inc. mai / juin 2010
connue en chirurgie esthétique au
Canada... pas même de formation minimale requise. Une zone grise permet à
n'importe quel médecin ayant suivi une
formation d'appoint d'ajouter une technique «esthétique» à sa pratique.
Soulignons que le Collège des médecins
est en processus de révision de ce milieu
afin d'y clarifier les droits et les responsabilités pour chaque champ de formation
médicale. Le Collège avait déjà publié, en
2005, à la suite du décès médiatisé de
Micheline Charest dans une clinique de
chirurgie esthétique de Montréal, un
«Guide d’exercice des chirurgies en milieu
extrahospitalier». Selon divers témoignages recueillis, ce nouvel encadrement des conditions d'opération en
milieu privé aurait coûté entre 100 000 et
200 000 $ en rénovations à plusieurs propriétaires de la belle province.
LA MIXITÉ DE REVENUS
La différence entre une chirurgie esthétique et plastique dépend de la couverture ou non du service médical par la
RAMQ. C'est du moins la définition donnée par le Dr Gilles Beauregard, président
de l'Association des spécialistes en
chirurgie plastique et esthétique du
Québec (ASCPEQ), laquelle représente
122 chirurgiens québécois. La démarcation pour une réduction mammaire est de
250 grammes de tissu par sein. «À 240
grammes, ce n'est pas couvert par la
Régie, mais il s'agit d'opérations identiques dans les deux cas. C'est l'agent
payeur qui diffère», précise-t-il. Une cicatrice au visage sera couverte, mais pas
à la main, donc la première chirurgie est
considérée comme plastique, et l'autre,
esthétique. Il va sans dire, alors, que la
chirurgie pour modifier l'apparence existe
depuis fort longtemps, c'est la gamme de
procédures non couvertes par la RAMQ
qui s'est agrandie avec les années. Par
exemple, la liposuccion a vu le jour en
1980 et n'est toujours pas couverte. Les
chirurgiens plastiques ont depuis les
débuts du régime d'assurance maladie le
privilège de partager leur travail entre des
procédures couvertes par le public et
payées au privé. Le grand changement a
été la nécessité pour les chirurgiens plastiques d'investir dans leurs propres salles
opératoires, l'accessibilité aux plateformes chirurgicales se réduisant dans les
milieux hospitaliers du Québec, précise le
président de l'ASCPEQ. Ces frais doivent
être couverts par le patient, par contre,
même si l'acte est couvert par la RAMQ.
Le Dr Beauregard reconnaît que le nombre de chirurgies esthétiques a considérablement augmenté depuis une
décennie. Plusieurs facteurs en sont responsables, dont une amélioration des
techniques d'anesthésie. «En 1960, endormir un patient pour deux heures était
assez important. Tandis qu'aujourd'hui,
nous connaissons tous les paramètres au
point où endormir un patient pour 20
heures n'est pas exceptionnel.» Il ajoute
que la culture générale a changé: ainsi,
une jeune femme investissant 7000 $
pour une augmentation mammaire n'est
pas mal vu par la société aujourd'hui.
Comment perçoit-il le fait que des
médecins qui n'ont pas la formation de
chirurgiens plastiques puissent manier le
bistouri? «C'est un domaine mal contrôlé.
Des chirurgies sont effectuées des fois par
des gens qui n'ont pas la formation pour le
faire, mais le Collège est en train de vérifier ça. Pour faire une chirurgie, ça prend
une formation de chirurgien, donc 5 à 6
ans d'entraînement pour être capable de
détecter et prévenir les complications.»
L'autre grand changement dans le domaine a été l'entrée des médecins dans
l'Office des professions, en 1991, ouvrant
la porte au marketing des services médicaux. Pour le meilleur comme pour le pire
dans le cas de la chirurgie esthétique. «La
base de la publicité étant de faire valoir les
avantages et de minimiser les inconvénients...», laisse-t-il tomber. «Certains
omnipraticiens y ont même affirmé faire
de la chirurgie plastique, même si leur licence de pratique ne le spécifie pas.»
LA GUERRE DES COMPÉTENCES
«La compétition ne vient pas vraiment de
mes confrères chirurgiens. Mes dépenses
publicitaires servent surtout à me positionner par rapport aux grands nombres
de procédures faites par mes collègues
non spécialistes », indique le Dr Claude
Léveillé, chirurgien plastique à Québec.
Sans chiffrer le montant, il ajoute que ses
frais publicitaires sont considérables. «Je
trouve ça anormal qu'un ORL fasse le gros
de sa pratique en augmentation mammaire. Ce n'est pas parce que l'on est spécialiste de la gorge que l'on devient un
spécialiste du soutien-gorge!» Il considère
la situation comme d'autant plus injuste
que les spécialistes comme lui doivent
payer une assurance responsabilité dispendieuse, et que l'omnipraticien qui fait
de la chirurgie esthétique ne payera que
10 % de ce montant pour s'assurer. «On
parle même de laisser les injectables aux
infirmières sans la présence d'un
médecin, ajoute-t-il. On s'éloigne de la
responsabilité médicale!»
Également chirurgien plastique, le Dr
Nabil Fanous, de Montréal, va même plus
loin, dénonçant le fait que les résidents
«C'est l'enfer!», lance d'emblée la Dre
Élise Bernier, omnipraticienne de Sherbrooke, parlant de la difficulté à attirer sa
clientèle. «Mes collègues médecins
pensent que la chirurgie esthétique, c'est
la ruée vers l'or, mais il faut réaliser à quel
point maintenir une clinique nécessite un
investissement en matériel, en temps, en
formation, en suivi, le tout selon les
normes très serrées du ministère de la
Santé. Ce n'est pas parce que c'est un
domaine en dehors des soins de santé
publique que l'on fait des fortunes.
Quand une intervention te rapporte
20 000 $ mais que les frais pour la semaine s'élèvent à 18 000 $, il ne reste
plus grand-chose.» La Dre Bernier mentionne aussi que dans un mauvais climat
économique, l'esthétique est la première
sur la liste des réductions dans le budget.
Elle ajoute que ce n'est pas une pratique
sans soucis : «Quand les patientes ne
sont pas contentes, elles peuvent t'empêcher de dormir plusieurs nuits. Juste
vis-à-vis nous-mêmes, c'est difficile.
Même si l'on pense avoir tout fait pour
bien informer la patiente, des fois, c'est
mal compris. On ne peut pas, non plus,
garantir les résultats en médecine.» ⌧
mai / juin 2010 Santé inc. 25
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