Introduction à l’Histoire juive Photo : fouilles archéologiques du Mur des Lamentations de Jérusalem. Note : il serait littéralement impossible de résumer trois mille ans d’Histoire juive en quinze pages, rien qu’en raison du fait qu’au cours des dernières 2500 années, les Juifs ont été dispersés dans le monde entier. Ce module met en lumière juste quelques uns des événements, périodes, personnes et problématiques les plus importants et n’a pas pour objectif d’être exhaustif. Nous avons choisi de nous concentrer sur un nombre restreint de personnages clés qui ont eu un impact important dans le développement de la vie intellectuelle juive dans différentes zones à différentes époques. Malheureusement, il n’y a aucune femme parmi eux, puisque jusqu’au XIXe siècle le rôle des femmes juives était confiné à la maison. Une note sur la prononciation des termes hébreux : en général, elle respecte la prononciation de l’anglais, avec l’exception de « ch » qui est prononcé (χ). 1 Diaspora / Galut Le mot grec diaspora signifie dispersion ou éparpillement. De nos jours, il est utilisé pour parler de personnes de toutes nationalités qui habitent en dehors de leur pays. Toutefois, à l’origine le mot était uniquement utilisé pour parler des Juifs qui habitaient en dehors de la Terre Sainte. Le terme hébreux Galut (exil) a aussi souvent été utilisé. C’est seulement au XXe siècle qu’un équivalent en hébreux au terme de diaspora a été créé : Tfutzot. En examinant l’histoire des Juifs et du Judaïsme, on ne peut pas passer à côté du fait que les Juifs s’établirent dans différentes parties du monde et vécurent longtemps en dehors de la Terre Sainte. C’est surprenant, mais pendant plus de 2.000 ans les Juifs ont continué à se considérer comme un seul peuple, et étaient considérés de même par les autres, bien qu’il n’y ait pas eu d’Etat juif pendant toute cette période. L’Histoire des Juifs est caractérisée par l’exil de leur patrie. Dans la Bible, on peut trouver l’importante (mais jusqu’à aujourd’hui non documentée) description de l’exode des Israélites d’Egypte (Moïse 2-5), qui est commémorée par Pessach. Le premier exil historiquement documenté du peuple juif est l’exil à Babylone (586-538 av. JC). Il advint après la capture du Royaume de Juda en 586 av. JC et l’incendie subséquent du Temple juif de Jérusalem (le « Premier Temple »). Alors que la majorité de la population juive reste sur place à cette époque, de nombreux rabbins, des servants à la cour et la classe aisée urbaine furent déplacés à Babylone. Sur place, ils développèrent une théologie d’après laquelle Dieu n’était pas seulement présent dans le Temple de Jérusalem, mais aussi en exil. Cette étape marque la transition du culte d’un dieu parmi les autres (hénothéisme) vers la croyance de l’existence d’un seul et unique Dieu (monothéisme). La chute du Royaume de Juda n’était pas attribué à une quelconque faiblesse de Dieu, mais à l’échec du peuple juif à suivre ses commandements. Les coutumes qui prirent de l’importance pendant cette période d’exil sont celles qui pouvaient être observées et pratiquées loin du Temple et de la patrie juive. Elles incluaient en particulier le Sabbat et la circoncision – qui continuent tous deux d’être des éléments centraux dans toutes les branches de la foi juive. Suite à la victoire des Perses sur les Babyloniens en 539 av. JC, les Juifs furent autorisés à retourner en Terre Promise. Afin d’obtenir le statut de minorité sous les Perses, les Juifs furent obligés de mettre par écrit leurs commandements et leurs traditions. Aujourd’hui cet épisode est considéré comme l’une des motivations clés ayant entraîné l’écriture de la Torah. Ce livre fut écrit en se 2 basant sur les expériences rassemblées des Juifs étant restés en Terre Sainte et ceux revenant de captivité à Babylone et il décrit à la fois les façons de pratiquer la religion en Terre Sainte et en exil. Peu après le retour de captivité à Babylone, la Palestine fut capturée par les Grecs. En 168 avant JC. les Juifs perdirent leur statut de minorité autonome, le Temple fut dédié à Zeus et la Torah fut déclarée invalide en tant que document juridique. En conséquence, la révolte des Maccabées advint et le Temple fut reconsacré. Cet événement est commémoré par Hanukah. Une fois que le premier objectif fut atteint (la consécration du Temple et la réinsertion de la Torah comme source de droit), de nombreuses guerres de conquêtes commencèrent, qui s’étendirent bien au-delà des frontières du Royaume de Juda. Elles culminèrent avec l’occupation romaine de la Palestine. En l’an 70 après JC. Jérusalem tombait finalement, suivant d’importantes révoltes juives, et le Temple était rasé. Après cet événement, il n’y eu plus d’Etat juif en Terre Promise pendant près de 2000 ans. Le Temple ne fut jamais reconstruit. 3 Photo : le Mur des Lamentations à Jérusalem est l’ancien mur ouest du Temple et pour cette raison, c’est l’endroit le plus sacré pour les Juifs. De nos jours, le Dôme du Rocher et la mosquée Al Aksa, tous deux importants sanctuaires musulmans, sont situés sur le site du Temple. Pourtant, cet événement ne mit pas fin à la vie juive en Palestine, et pour les siècles suivants les fondations du Judaïsme rabbinique furent posées. La christianisation du royaume juif qui débuta au IVe siècle n’eut pas seulement un impact négatif sur les Juifs, mais encouragea aussi un retour conscient à leurs propres traditions. Cependant, au Ve siècle, il y eu une augmentation des mesures répressives contre les Juifs et leur autonomie partielle fut totalement perdue. Mais néanmoins, même à cette époque et jusqu’à l’invasion arabe en 634 après JC., les Juifs continuèrent à vivre en Terre Sainte. Les Juifs étaient aussi établis à Babylone suite à l’exil à Babylone, et aux Ve et VIe siècles, la ville devint le foyer intellectuel du Judaïsme et le resta longtemps. Ainsi, à l’époque où il y avait encore une population juive active en Terre Sainte, une communauté de Juifs exilés menait le développement intellectuel de la religion. C’est là que le Talmud en Babylonien fut écrit – pour de nombreux érudits, il s’agit du document juif le plus important. A cette époque, plusieurs communautés juives existaient déjà en dehors d’Israël et Babylone. Les raisons étaient en partie dues aux mouvements de population, mais aussi au fait que de nombreuses personnes se convertirent au Judaïsme vers 4 la fin de l’époque du Second Temple. Suite à la destruction du Temple, cette tendance augmenta. Dans les centres culturels d’Antioche et Alexandrie, mais aussi en Palestine, des individus se convertirent au Judaïsme, ainsi que des familles entières et des communautés. C’est aussi à cette époque que de nouvelles communautés de la diaspora juive arrivèrent en Europe, en particulier en Espagne, Allemagne et Pannonie (territoire comprenant des morceaux des actuelles Hongrie, Autriche, Serbie, Croatie et Slovénie). A l’aube du premier millénaire, la population juive mondiale comptait huit millions de membres, dont un quart en Judée, et un million à Babylone, en Egypte, en Syrie et en Asie Mineure1. D’importantes communautés existaient aussi à cette époque en Italie centrale et méridionale, et dans les villes européennes de garnison, y compris Cordoue, Marseille, Londres, Trèves et Cologne. 1 Ortag Peter: Jüdische Kultur und Geschichte, Bonn, 2007, p. 77 5 Image : la diaspora juive dans l’Empire romain 6 Le Moyen Age juif Les conquêtes arabes (632 après JC.) sont généralement considérées comme étant le début du Moyen Age juif, qui va jusqu’à la deuxième moitié du XVIIe siècle. En fonction de leur localisation, les Juifs vécurent à cette époque soit sous l’influence chrétienne, soit sous celle musulmane et c’est la raison pour laquelle nous la traiterons comme une seule période. « Les contacts et luttes entre le Judaïsme et l’Islam manquait de l’intimité et l’amertume qui caractérisait dès le début les relations entre Juifs et Chrétiens au temps où ces derniers s’éloignaient de la foi juive. Les disputes entre Juifs et Chrétiens tournaient autour de la validité de la loi, la question de savoir si le messie était bien arrivé, l’incarnation et l’ascension de Jésus et la nature divine. En contraste, les disputes entre Judaïsme et Islam se focalisaient sur la question de savoir si les prédictions du Prophète s’étaient arrêtées avant ou avec Mahomet, et sur les différences entre les textes de loi juifs et musulmans »2. Ces raisons expliquent les différences significatives dans la situation des Juifs au sein des sociétés chrétiennes et musulmanes au Moyen Age. Dans le contexte des guerres de conquête musulmanes sous Omar Ibn al-Chattab (592-644 après JC.), des lois sur le traitement des peuples sujets furent passées. Parmi elles, il y avait une disposition garantissant la protection des membres de religions monothéistes (ahl al-kitāb, le peuple du livre). Ainsi, les Juifs devinrent ḍimmis, protégés par la loi. Alors que leur liberté de religion aurait pu être restreinte et qu’ils auraient pu être sujets à de grandes taxes, ce statut leur permit de conserver et pratiquer leur foi sans être confinés dans des ghettos, comme en Europe. Les contacts entre Juifs et Musulmans dans les régions sous domination musulmane furent bien plus proches que ceux entre Juifs et Chrétiens dans la plupart des régions chrétiennes. Les raisons sont d’abord le fait que les Juifs n’étaient pas forcés à vivre dans des ghettos, mais aussi à cause de la langue commune. L’arabe était l’une des langues dans laquelle les philosophes et théologiens islamiques écrivaient. Les érudits juifs pouvaient lire l’arabe et l’utilisaient même dans leurs propres publications. De nombreux travaux primordiaux apparurent à cette époque suite à la réception par les Juifs de la théologie islamique. 2 Ben-Sasson, Haim Hillel: Geschichte des jüdischen Volkes. Von den Anfängen bis zur Gegenwart, Munich, 1978, p. 494 7 La péninsule ibérique Comme on peut le voir sur la carte ci-dessus, les communautés juives les plus anciennes dans ce qui est aujourd’hui le Portugal et l’Espagne, étaient déjà présentes à l’époque romaine. Pourtant, elles eurent leur « période d’or » à l’époque de la domination islamo-arabe à partir de 711-713, lorsque les Arabes réussirent à sortir les Wisigoths de la péninsule ibérique. Sous l’Emirat de Cordoue à partir de 755, de nombreux Juifs accédèrent aux plus hauts rangs administratifs de l’Etat et devinrent ministres et officiers militaires, ou se firent un nom en devant docteurs ou érudits. Les Juifs cultivés, parlant plusieurs langues, ont aussi joué un rôle important de médiateurs entre les religions. Ce fut principalement des Juifs érudits d’Espagne, qui traduisirent des écrits académiques musulmans en castillan et catalan. Ces textes furent ensuite traduits en latin par des Chrétiens. S’il n’y avait pas eu cette médiation par les Juifs, la haute scolastique ne se serait jamais développée. Accomplissements des Juifs espagnols3 Sujet Grammaire de l’hébreux Auteur Juda b. David Hayyuj (945-1000) Grammaire et poésie hébraïques Samuel ha-Nagid (9931055); expert de Wesir et Halacha Grammaire de l’hébreux Jona Ibn Janach (première moitié du XIe siècle) Grammaire et dictionnaire (en arabe) Grammaire de l’hébreux et commentaires bibliques Abraham Ibn Esra (10891164)* Poète, expert en grammaire, astronome, docteur, et philosophe A écrit plusieurs grammaires en Italie au milieu du XIIe siècle ; commentaires sur presque tous les livres de la Bible Commentaires bibliques Mose b. Nachman; Ramba" n (1194-1270) Halacha Isaak Alfasi (Ri"f) (10131103) En particulier des commentaires de la Torah et du Livre de Job Sefer ha-Halkhot 3 Travail Travaux fondamentaux sur le verbe hébreux (en arabe) Dictionnaire de l’hébreux biblique (en arabe) ; Ben Tehellim ; Ben Mischlé ; Ben Qohelet Importance Première théorie du verbe hébreux inspiré par la grammaire arabe Haut point de lexicologie de l’hébreux ; exemple unique de la guerre de poésie en hébreux ; aussi poésie morale et courte Ses deux parties représentent la première description compréhensive de l’hébreux biblique A transmis la grammaire arabo-juive à l’Occident. Son travail est basé sur les principes grammaticaux et rationnels. Il était en avance sur son temps pour son emphase de la sémantique Discussions intenses de ses principaux précurseurs Intégration de la Haggadah dans l’argumentation halachique Source : Galley, S. : Das Judentum, Frankfurt/Main, 1006, p. 82 8 Sujet Halacha, philosophie Auteur Mose b. Maimun; Maimonides, Ramba"m (1135-1204)** Travail Mishneh Torah (Jad haChasaka); commentaire sur la Mishna; Sefer haMizwot; Moreh Nevukhim (Guide pour les Perplexes) Importance A conçu l’un des codes les plus importants pour la loi du Talmud. Il représente le pinacle de la philosophie juive du Moyen Age. Son travail devint la base des générations ultérieures et influença, entre autres, Thomas d’Aquin Philosophie et poésie Salomo Ibn Gebirol (ca. Mekor Chajim (Fons Système platonique sans 1020-1057) Vitae); l’original en arabe référence directe aux est perdu sources juives. Il eut un fort impact sur les scolastiques chrétiens Philosophie et poésie Jehuda ha-Levi (ca. Sefer ha-Kusari Défense du Judaïsme face 1075-1141)*** Shireh Zijon (Chansons à l’Islam et la Chrétienté ; de Zion); Shireh ha-Galut discussions de la philosophie d’Aristote ; (Chansons de l’Exil), Pijjut philosophie et tous types de poésies Poésies en hébreux Kitab al-Muhadara Première poésie en Wa al-Mudhakara hébreux ; rimes Sefer ha-Anak homonymiques servant (Tarshish) de modèle pour la poésie ultérieure *a dû fuir l’Espagne musulmane pour trouver refuge dans l’Occident chrétien ou dans d’autres pays musulmans **a été forcé à fuir l’Espagne chrétienne ***a dû fuir le Maghreb pour l’Andalousie Cependant, avec le tournant du millénaire, les Reconquistadores commencèrent à gagner du terrain dans la péninsule ibérique, en partant du Nord. La structure sociale établie se fragmenta à cette période et les dirigeants de l’Afrique du Nord, en prenant le pouvoir, rendirent la vie des Juifs difficile. Beaucoup d’entre eux fuirent dans des régions chrétiennes où ils vécurent relativement bien pendant les siècles suivants. Pourtant, avec les progrès de l’invasion de la Reconquista, des lois contre les Juifs devinrent plus restrictives. A la fin du XIVe siècle, des émeutes anti-juives eurent lieu en de nombreux endroits contrôlés par les Chrétiens, forçant les Juifs à retourner dans la zone encore sous contrôle musulman, alors limité à la ville de Grenade. A partir de 1412, les Juifs qui restaient étaient obligés de porter un badge les identifiant comme Juifs et ils devaient habiter dans des ghettos. Dans la dernière moitié du XVe siècle, l’Inquisition commença dans la péninsule ibérique, avec des conséquences catastrophiques pour la population juive. En 1492, Grenade tomba et les Juifs furent expulsés comme les Maures qui dirigeaient. De nombreux Juifs se convertirent au christianisme à cette époque. Pourtant la suspicion que leur conversion n’était pas réelle persista pour des siècles. Dans le contexte de l’Inquisition, cette suspicion pouvait avoir pour conséquence la mort, pour les personnes d’origine juive. 9 D’autres Juifs qui ne se sont pas convertis, trouvèrent asile au Maroc, dans les républiques commerçantes du Nord de l’Italie, et l’Empire ottoman. Sur place, ils eurent souvent un rôle clé dans leurs communautés et furent les instruments d’un renouveau culturel et religieux du Judaïsme oriental. De nos jours, les Juifs d’Orient et d’Afrique du Nord sont couramment identifiés comme Sépharades (Espagnols), alors que cela ne correspond pas à la réalité historique. Le Judaïsme sépharade n’est en fait qu’une branche, bien que très importante, du Judaïsme babylonien oriental. Image : la péninsule ibérique au temps de la Reconquista. A partir du milieu du XIIIe siècle, les dirigeants chrétiens avaient repoussé la zone sous contrôle musulman jusqu’à l’Emirat de Grenade. Source : Ortag Peter, Jüdische Kultur und Geschichte, Bonn, 2007, p86. 10 7. Les foyers culturels juifs au Moyen Age Sources : Bautz, Franz J, Geschichte der Juden, Munich, 1992 11 France Comme le montre la carte ci-dessus, l’histoire des Juifs en France remonte aussi loin qu’à l’époque de l’Empire romain. Les Juifs ont habité en Gaule depuis l’époque de César et ils avaient des droits importants à l’époque des Francs. Ces droits furent étendus sous le règne de Charlemagne. Pourtant, après sa mort on commença à les leur restreindre. Pendant les croisades, l’histoire des Juifs en France fut un mélange d’excès anti-Juifs et leur acceptation, des expulsions répétées et leur retour, jusqu’à leur expulsion définitive au XIVe siècle. Deux siècles passèrent avant que les Juifs (principalement des Juifs convertis d’Espagne) ne soient réadmis en France. En terme de rite religieux, la France était divisée : les Juifs du Sud de la France étaient de tradition sépharade, alors que ceux du Nord étaient de tradition ashkénaze4. « Les communautés du Midi bénéficiaient […] de la culture urbaine intacte de la région méditerranéenne avec ses influences « romaines ». Ils étaient bien mieux intégrés que leurs coreligionnaires d’Europe du Nord »5. En 1791, les pleins droits civils furent étendus aux Juifs français dans le sillage de la Révolution française6. Allemagne En Allemagne aussi il y a des traces de présence de communautés juives très tôt. La première implantation juive enregistrée sur le territoire allemand est à Cologne, avant même que les premières communautés chrétiennes s’y établissent. En Allemagne, les Juifs et Chrétiens vécurent côte à côte pendant presque 1.000 ans en relative harmonie – ceci se voit avec les implantations de Juifs dans les centre villes. Pourtant en Allemagne la première croisade marqua aussi un tournant – pendant et autour de l’année 1069, des pogroms menés par des foules agressives, similaires à ce qui se passait dans de nombreuses villes françaises, advinrent en Allemagne. Après une période de calme relatif, le XIIIe siècle fut témoin d’une nouvelle vague de pogroms éveillés par des rumeurs de rituels meurtriers et de profanations hostiles. Comme en France, l’Allemagne voit alterner des périodes d’harmonie avec des excès de persécutions anti-Juifs. C’était bien le cas aux XVIe et XVIIe siècles : « en 1510, des Juifs furent brûlés à Berlin, en 1551 les Juifs furent expulsés de Bavière, du Palatinat en 1555, la Marche de Brandebourg en 1573, et d’Autriche en 1671 ». 7 Galley, p. 89 Galley, p. 99 6 Ortag, p. 87 7 Ortag, p. 91 4 5 12 Image : Territoires où les Juifs étaient tolérés Territoires où les Juifs n’avaient pas le droit de s’établir Territoires avec une faible population juive, voire inexistante Aux environs de 1500, le centre de la vie juive en Europe s’est déplacé vers l’Est. Une forte interdiction à l’installation était mise en place dans de nombreux endroits du continent. Les exceptions étaient – en quelque sorte – l’Empire allemand, et en particulier la Pologne et l’Italie. Source : Ortag, p. 90. 13 Pologne Les persécutions des Juifs en Europe de l’Ouest dans le contexte des croisades a mené les Juifs de l’Ouest à se déplacer à l’Est. En Pologne, ils trouvèrent un pays accueillant. Comme les Chrétiens allemands arrivant en Pologne en même temps, les Juifs furent respectés par les Polonais comme des « pionniers en commerce, industrie et finance » 8. Dès le début du XIIIe siècle, les Juifs polonais furent mis sous la protection des rois polonais. Une véritable migration de masse de Juifs vers la Pologne eut lieu au XVIe siècle. En Pologne (et Lituanie et Ukraine) il y avait une énorme demande de travailleurs qualifiés et d’experts, au même moment où les Juifs étaient persécutés en Europe centrale et dans la péninsule ibérique. Il est intéressant que ces Juifs qui arrivaient d’Espagne et Portugal, autant que les Juifs de l’Est qui habitaient déjà en Ukraine depuis des siècles, abandonnèrent rapidement leurs traditions sépharades pour adopter le rite ashkénaze. Ainsi, les Juifs qui s’établirent en Europe de l’Est étaient composés non seulement de Juifs d’Europe de l’Ouest (ou Ashkénazes) mais aussi des Juifs orientaux (Sépharades), bien que les traditions de ces derniers s’éteindront par la suite en Europe de l’Est. 8 Bautz, Franz J, Geschichte der Juden, Munich, 1992, p. 115 14 Image : Pendant le Haut Moyen Age en Europe, les Juifs vivaient principalement dans la péninsule ibérique et en Provence, Bourgogne, vallée de la Loire, région du Bas-Rhin, Italie du Sud et Byzance. En particulier, la communauté juive prospère dans les régions du Rhin et de Mainz supportèrent le poids des persécutions des participants à la première croisade. 15 Source : Bautz 16 Personnes importantes Moïse Maimonide (1135-1204) Statue de Maimonide à Cordoue (Source : Galley, p.95) Rabbi Moshe ben Maimon (Maimonides en latin, abrégé par l’acronyme Rambam en hébreux) est l’érudit le plus célèbre à avoir émergé de la communauté juive d’Espagne. Dans son œuvre majeure, Le Guide pour les Perplexes (en arabe Dalālat al-ḥā irīn, en hébreux More nevuchim), Maimonide examine la compatibilité de la religion juive avec la philosophie grec de la raison. Le texte a été écrit en accord avec les règles strictes de la littérature islamique Kalam et a largement circulé en Europe au XIIIe siècle. Le travail de Maimonide est un premier exemple de l’échange d’idées fructueux entre islam et judaïsme à l’époque où il est écrit. L’accueil du texte en Europe et son influence significative sur les penseurs chrétiens montre comment les Juifs ont joué un rôle médiateur entre islam et chrétienté. Parmi les penseurs influencés par Maimonide il y a Thomas d’Aquin et Maître Eckhart. Au XVIIIe siècle, son travail a été redécouvert par Moses Mendelssohn pour la haskala. Maimonide est né à Cordoue mais a quitté l’Espagne en 1159 avec sa famille, voyageant d’abord au Maroc puis à Akko en Terre Sainte, avant de répondre à l’appel du Sultan d’Egypte pour devenir son physicien personnel. En accord avec sa volonté, après sa mort, Maimonide fut enterré à Tibériade en Terre Sainte où sa tombe peut encore être visitée aujourd’hui. Maimonide a écrit ses travaux philosophiques en judéo-arabe, c’est-à-dire en arabe avec l’alphabet hébreux. Ils furent rapidement traduits en hébreux. 17 Rachi Le rabbin Schlomo Yitzchak, (généralement raccourci par l’acronyme Rachi en hébreux) est né en 1040 dans la ville française de Troyes, où il mourut en 1105. C’est inhabituel pour cette époque mais il étudia dans les villes lointaines de Mainz et Worms et il fut l’élève le plus important de Yeshiva (école de la Torah) à Worms. Aujourd’hui encore Rachi est reconnu comme le commentateur de la Bible le plus important grâce à sa nouvelle méthode d’interprétation biblique. « Il a combiné l’exégèse associative-homilétique du Midrash avec la recherche de la « simple signification » de la Bible. […] Ses commentaires courts et précis traitent à la fois la signification littérale du texte biblique et ses conséquences éthiques » (Galley, p. 113). La si célèbre écriture de Rachi, par lequel ses commentaires bibliques sont généralement écrits dans la marge des livres sacrés, a probablement été développée plusieurs siècles après sa mort. Le premier livre publié en hébreux fut une Bible avec les commentaires de Rachi. L’écriture hébraïque généralement utilisée dans les publications contemporaines est montrée à droite, avec l’écriture de Rachi à gauche. Source : www.juedisches-recht.de 18 Moses Mendelssohn La pensée des Lumières reçu un fort accueil chez les Juifs allemands – les Lumières juives, ou haskala, est le mouvement de pensée juif qui répond aux Lumières en Allemagne, et qui guide les Juifs à s’émanciper. Moses Mendelssohn (1729-1786) est généralement reconnu comme le « père des Lumières juives ». Mendelssohn fut le premier Juif a traduire la Bible en haut allemand. Dans une édition récente de sa traduction, nous pouvons lire qu’il : « était le fils d’un scribe de la Torah à Dessau. Il reçu de son père et du rabbin de Dessau David Fränkel, une solide éducation de la littérature juive traditionnelle. Cette initiation à la pensée juive fut loin de la théorie et elle porta ses fruits dans la pratique. Moses a mené sa vie en accord avec la tradition juive, qui à son avis était le fondement des Juifs. En 1743, à l’age de 14 ans, Moses suivit Fränkel à Berlin où il parfit sa culture générale. La soif et la curiosité de connaissances de Mendelssohn lui ouvrirent la voie pour entrer dans la vie culturelle allemande. En plus de la poursuite de son éducation rabbinique, Mendelssohn choisit des études de philosophie générale. Ainsi, il intégra deux cultures intellectuelles antagonistes à cette époque : la tradition rabbinique et la philosophie moderne. Par cette synthèse, Mendelssohn chercha a surpasser le philosophe religieux du Moyen Age Moses Maimonides. […] Pour Mendelssohn, la tradition juive doit être passée à la génération suivante de manière engageante et responsable, et il était persuadé que sa traduction de la Torah en haut allemand allait en ce sens. […] L’idéal de Mendelssohn était les Juifs sensibles aux Lumières pour qui la pratique religieuse était orientée par la raison, mais qui retenaient quand même les vertus de la tradition au quotidien. » 19 (Die Tora (La Torah), édité avec une introduction d’Annette M. Böckler – Jüdische Verlagsanstalt, Berlin, 2001) Image provenant de : http://lang.rice.edu/CSLShowcase/GermanProject/Elizabeth_urban.htm Le Besht A l’époque moderne, la problématique de la « division de la communauté entre élites érudites et masses inéduquées » (Galley, p. 138) a émergé au sein de la communauté juive. L’hassidisme tente de « réintégrer les pratiques religieuses dans le quotidien des gens ordinaires » (Galley, p. 139). Le Ba al shem tov (possesseur du bon nom), ou Israel ben Elieser (généralement raccourci à l’acronyme Besht en hébreux) a développé l’enseignement mystique derrière l’hassidisme d’Europe de l’Est. Le Besht est né aux environs de 1700 à Okop, et est décédé en 1760 à Miedzyborz (ces deux villes sont en Podolie, région qui appartenait à cette époque à la Pologne et qui se trouve à présent en Ukraine). Nous savons peu de choses sur sa vie, mais l’ouverture des archives soviétiques a au moins confirmé son existence comme figure historique. « Aussi loin qu’on puisse reconstituer depuis ses écrits et ses successeurs, son programme théologique tentait de réintégrer les pratiques religieuses dans la vie quotidienne des gens ordinaires. C’était basé sur la croyance mystique que Dieu était présent partout. Ainsi les Juifs pénétraient la surface matérielle de la vie et des tâches quotidiennes pour mieux s’attacher à la présence de l’essence divine immanente en toute chose. Cet attachement à Dieu, ou Devekut, était autant possible dans la prière quotidienne d’un simple commerçant de bétail que dans la lecture du Talmud par un érudit. Devekut doit s’étendre à tous les domaines de la vie, tout le monde a la possibilité d’accéder à Dieu dans toute situation » (Galley, p. 139). Après la mort de Besht, le hassidisme devint un mouvement mystique important en Pologne et Ukraine, mais était amèrement combattu par les érudits traditionnels. Image provenant de : http://de.wikipedia.org/wiki/Israel_ben_Elieser 20 Yiddish Même après leur migration en Pologne, les Juifs allemands conservent leur langue, le yiddish, un dialecte de moyen/haut allemand, qui est utilisé comme lingua franca par les Juifs ashkénazes depuis plusieurs siècles. Il y avait plusieurs dialectes de yiddish, en fonction de la localisation du narrateur, son langage était plus ou moins influencé par le polonais ou l’ukrainien. Une distinction se fait entre le yiddish de l’Ouest et de l’Est, par exemple le yiddish parlé en Europe de l’Ouest et en Europe de l’Est. Le yiddish existe comme langue littéraire depuis le seizième siècle et est généralement écrit avec les caractères hébraïques. Les termes hébreux sont généralement écrits comme en hébreux, mais prononcés différemment. Le déclin du yiddish de l’Ouest débute avec la Haskalah, l’instruction et l’émancipation des Juifs d’Europe de l’Ouest. Très rapidement, le yiddish ne fut plus parlé que par les Juifs d’Europe de l’Est, où il survécut très bien au XIXe siècle période, à laquelle une riche littérature en langue yiddish apparu. Cependant, les différentes catastrophes du XXe siècle qui frappèrent les Juifs accélérèrent le déclin de cette langue. Une estimation d’environ 11 millions de Juifs, soit 60% de la population juive mondiale, parlaient le yiddish avant la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, il y a environ 3 millions de personnes parlant yiddish à travers le monde. Peu de Juifs parlent yiddish comme langue maternelle, dans des communautés ultra orthodoxes d’Israël et aux Etats-Unis. Les personnes qui parlent yiddish aux Etats-Unis parlent un dialecte yiddish américanisé. Dans les deux pays, des mouvements séculiers promeuvent la renaissance du yiddish. La proximité du yiddish avec l’allemand se ressent encore très bien, comme dans la translittération suivante des nombre de un à dix : ejns, zwej, draj, fir, finf, seks, sibn, acht, najn, zen. Pour un aperçu de yiddish, regardez ces actualités : http://www.youtube.com/watch?v=j3X2d7cjahc&feature=fvst Une tentative pour faire revivre le yiddish : google yiddish. 21 Ladino Le ladino ou judéo-espagnol, une langue parlée par les Juifs d’origine espagnole, s’est développé uniquement après l’expulsion des Juifs d’Espagne et représentait pour eux ce que le yiddish était pour les Ashkénazes. D’innombrables dialectes de ladino existait, dépendant de communautés particulières et de leur localisation géographique, qui s’étendait de l’Angleterre à l’Empire ottoman, en passant par l’Italie, Amsterdam et l’Afrique du Nord. Par le passé, le ladino était parlé par de nombreux Juifs et, comme le yiddish, il a le statut de lingua franca. Pourtant aujourd’hui, il y a moins de 200.000 personnes parlant ladino à travers le monde, avec une très faible part qui le parle comme langue maternelle. Cependant, en Israël et dans d’autres pays, il existe des associations qui luttent pour préserver l’héritage du ladino et des projets visent à créer une documentation sur cette langue. Les nombres de un à dix en ladino : Uno, dos, trez, kuatro, sinko, sesh, syete, ocho, mueve, dyez Le Petit Prince en ladino, en hébreux et écriture latine. 22 Lorsque le ladino est écrit en écriture hébraïque, l’écriture de Rashi est généralement utilisée. Pour un aperçu du ladino, regardez cet extrait : http://www.youtube.com/watch?v=q2EZFbGJzqA&feature=related La narratrice est née à Jérusalem. Elle raconte une anecdote à propos de Dshucha, un personnage clé du folklore arabe et ladino. Cette anecdote raconte comment Dshucha, qui n’a jamais vu de mirroir, en achète un croyant acheter un portrait de son père, puisque « l’homme dans le cadre » (son image) est très similaire à son père. Plus tard, sa femme jette un coup d’œil discret au miroir et est persuadée que c’est une image de la belle amante de Dshucha. Lorsqu’elle montre l’image présumée, le miroir, à sa mère, sa mère remarque « avec une amante comme ça, tu n’as rien à craindre ». 23 Hébreux L’hébreux est largement reconnu comme étant la langue de la Bible. Toutefois, sa contribution à la consolidation d’une identité juive à travers les millénaires, et son rôle de lingua franca des Juifs exilés sont moins connus. L’hébreux utilisé dans la Bible n’était plus parlé depuis le deuxième siècle, mais il continuait à être utilisé dans les communautés juives comme langue littéraire. Alors que les notes de procédures dans les tribunaux religieux étaient écrits en yiddish, les tracts religieux étaient écrits en hébreux et les Juifs s’écrivaient en hébreux et lisait généralement dans cette langue. En terme de langue d’écriture, une distinction était souvent faite entre les textes religieux et séculiers. Ainsi le Rambam a écrit son Mishne Torah en hébreux, mais son travail philosophique, le Moreh Nevuchim, a été écrit en judéo-arabe, c’est-à-dire en arabe écrit avec des caractères hébraïques. Cependant, de nombreux travaux qui n’ont pas été écrits directement en hébreux ont été traduits en hébreux dès leur publication. De plus, ils pouvaient être lus par les Juifs du monde entier. Les livres de médecine et d’autres travaux scientifiques étaient souvent écrits en hébreux. Le statut de l’hébreux parmi les Juifs au Moyen Age est comparable à celui du latin pour les Chrétiens à la même époque. Dans le contexte de l’Haskalah, l’hébreux a été modernisé. Moses Mendelssohn était hostile au yiddish. Il a écrit des essais et d’autres travaux en hébreux et dans de nombreux cas il a dû créer de nouveaux mots en hébreux. L’hébreux a été de plus en plus promu comme langue de communication de tous les jours dans le développement du mouvement sioniste. Ce changement apparaît dans le contexte du changement d’opinion sur le yiddish, auquel les Sionistes faisaient référence comme la « langue des ghettos ». Dans son Der Judenstaat (L’Etat juif), Theodor Herzl exprimait ses doutes quant à la possible utilisation de l’hébreux comme langue du quotidien, mais rejetait catégoriquement le yiddish comme langue d’un Etat juif. Il était plus enclin à voir l’allemand comme une langue potentielle pour Israël. La renaissance de l’hébreux comme langue parlée et sa mise en pratique et son développement en tant que langue nationale pour un pays est sans précédent dans l’histoire. Le fait que cinq millions d’Israéliens parlent cette langue comme langue maternelle, et l’existence de multiples registres et sociolectes (par exemple l’argot des jeunes, littéraire et le langage scientifique) attestent du succès de cette renaissance. L’extrait vidéo suivant d’un show télévisé donne un aperçu de l’hébreux moderne : http://www.youtube.com/watch?v=QSTIe25jiiM&feature=related Dedans, les comédiens prennent en dérision l’ashkénaze séculaire, révélant ainsi à quel point ce sujet est d’actualité. 24 Auteur : Barbara Viehmann, M.A. Traduction de l’allemand vers l’anglais : Dr. Anne Boden Traduction de l’anglais vers le français : Romain Gastaldello 25