Module 2 Histoire juive

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Introduction à l’Histoire juive
Photo : fouilles archéologiques du Mur des Lamentations de Jérusalem.
Note : il serait littéralement impossible de résumer trois mille ans d’Histoire
juive en quinze pages, rien qu’en raison du fait qu’au cours des dernières 2500
années, les Juifs ont été dispersés dans le monde entier.
Ce module met en lumière juste quelques uns des événements, périodes,
personnes et problématiques les plus importants et n’a pas pour objectif d’être
exhaustif. Nous avons choisi de nous concentrer sur un nombre restreint de
personnages clés qui ont eu un impact important dans le développement de la
vie intellectuelle juive dans différentes zones à différentes époques.
Malheureusement, il n’y a aucune femme parmi eux, puisque jusqu’au XIXe
siècle le rôle des femmes juives était confiné à la maison.
Une note sur la prononciation des termes hébreux : en général, elle respecte la
prononciation de l’anglais, avec l’exception de « ch » qui est prononcé (χ).
1
Diaspora / Galut
Le mot grec diaspora signifie dispersion ou éparpillement. De nos jours, il est
utilisé pour parler de personnes de toutes nationalités qui habitent en dehors de
leur pays. Toutefois, à l’origine le mot était uniquement utilisé pour parler des
Juifs qui habitaient en dehors de la Terre Sainte. Le terme hébreux Galut (exil) a
aussi souvent été utilisé. C’est seulement au XXe siècle qu’un équivalent en
hébreux au terme de diaspora a été créé : Tfutzot.
En examinant l’histoire des Juifs et du Judaïsme, on ne peut pas passer à côté du
fait que les Juifs s’établirent dans différentes parties du monde et vécurent
longtemps en dehors de la Terre Sainte.
C’est surprenant, mais pendant plus de 2.000 ans les Juifs ont continué à se
considérer comme un seul peuple, et étaient considérés de même par les autres,
bien qu’il n’y ait pas eu d’Etat juif pendant toute cette période.
L’Histoire des Juifs est caractérisée par l’exil de leur patrie. Dans la Bible, on
peut trouver l’importante (mais jusqu’à aujourd’hui non documentée)
description de l’exode des Israélites d’Egypte (Moïse 2-5), qui est commémorée
par Pessach.
Le premier exil historiquement documenté du peuple juif est l’exil à Babylone
(586-538 av. JC). Il advint après la capture du Royaume de Juda en 586 av. JC
et l’incendie subséquent du Temple juif de Jérusalem (le « Premier Temple »).
Alors que la majorité de la population juive reste sur place à cette époque, de
nombreux rabbins, des servants à la cour et la classe aisée urbaine furent
déplacés à Babylone. Sur place, ils développèrent une théologie d’après laquelle
Dieu n’était pas seulement présent dans le Temple de Jérusalem, mais aussi en
exil. Cette étape marque la transition du culte d’un dieu parmi les autres
(hénothéisme) vers la croyance de l’existence d’un seul et unique Dieu
(monothéisme). La chute du Royaume de Juda n’était pas attribué à une
quelconque faiblesse de Dieu, mais à l’échec du peuple juif à suivre ses
commandements. Les coutumes qui prirent de l’importance pendant cette
période d’exil sont celles qui pouvaient être observées et pratiquées loin du
Temple et de la patrie juive. Elles incluaient en particulier le Sabbat et la
circoncision – qui continuent tous deux d’être des éléments centraux dans toutes
les branches de la foi juive.
Suite à la victoire des Perses sur les Babyloniens en 539 av. JC, les Juifs furent
autorisés à retourner en Terre Promise. Afin d’obtenir le statut de minorité sous
les Perses, les Juifs furent obligés de mettre par écrit leurs commandements et
leurs traditions. Aujourd’hui cet épisode est considéré comme l’une des
motivations clés ayant entraîné l’écriture de la Torah. Ce livre fut écrit en se
2
basant sur les expériences rassemblées des Juifs étant restés en Terre Sainte et
ceux revenant de captivité à Babylone et il décrit à la fois les façons de pratiquer
la religion en Terre Sainte et en exil.
Peu après le retour de captivité à Babylone, la Palestine fut capturée par les
Grecs. En 168 avant JC. les Juifs perdirent leur statut de minorité autonome, le
Temple fut dédié à Zeus et la Torah fut déclarée invalide en tant que document
juridique.
En conséquence, la révolte des Maccabées advint et le Temple fut reconsacré.
Cet événement est commémoré par Hanukah.
Une fois que le premier objectif fut atteint (la consécration du Temple et la
réinsertion de la Torah comme source de droit), de nombreuses guerres de
conquêtes commencèrent, qui s’étendirent bien au-delà des frontières du
Royaume de Juda. Elles culminèrent avec l’occupation romaine de la Palestine.
En l’an 70 après JC. Jérusalem tombait finalement, suivant d’importantes
révoltes juives, et le Temple était rasé. Après cet événement, il n’y eu plus
d’Etat juif en Terre Promise pendant près de 2000 ans. Le Temple ne fut jamais
reconstruit.
3
Photo : le Mur des Lamentations à Jérusalem est l’ancien mur ouest du Temple et pour cette raison, c’est
l’endroit le plus sacré pour les Juifs. De nos jours, le Dôme du Rocher et la mosquée Al Aksa, tous deux
importants sanctuaires musulmans, sont situés sur le site du Temple.
Pourtant, cet événement ne mit pas fin à la vie juive en Palestine, et pour les
siècles suivants les fondations du Judaïsme rabbinique furent posées. La
christianisation du royaume juif qui débuta au IVe siècle n’eut pas seulement un
impact négatif sur les Juifs, mais encouragea aussi un retour conscient à leurs
propres traditions.
Cependant, au Ve siècle, il y eu une augmentation des mesures répressives
contre les Juifs et leur autonomie partielle fut totalement perdue. Mais
néanmoins, même à cette époque et jusqu’à l’invasion arabe en 634 après JC.,
les Juifs continuèrent à vivre en Terre Sainte.
Les Juifs étaient aussi établis à Babylone suite à l’exil à Babylone, et aux Ve et
VIe siècles, la ville devint le foyer intellectuel du Judaïsme et le resta
longtemps. Ainsi, à l’époque où il y avait encore une population juive active en
Terre Sainte, une communauté de Juifs exilés menait le développement
intellectuel de la religion. C’est là que le Talmud en Babylonien fut écrit – pour
de nombreux érudits, il s’agit du document juif le plus important.
A cette époque, plusieurs communautés juives existaient déjà en dehors d’Israël
et Babylone. Les raisons étaient en partie dues aux mouvements de population,
mais aussi au fait que de nombreuses personnes se convertirent au Judaïsme vers
4
la fin de l’époque du Second Temple. Suite à la destruction du Temple, cette
tendance augmenta. Dans les centres culturels d’Antioche et Alexandrie, mais
aussi en Palestine, des individus se convertirent au Judaïsme, ainsi que des
familles entières et des communautés.
C’est aussi à cette époque que de nouvelles communautés de la diaspora juive
arrivèrent en Europe, en particulier en Espagne, Allemagne et Pannonie
(territoire comprenant des morceaux des actuelles Hongrie, Autriche, Serbie,
Croatie et Slovénie).
A l’aube du premier millénaire, la population juive mondiale comptait huit
millions de membres, dont un quart en Judée, et un million à Babylone, en
Egypte, en Syrie et en Asie Mineure1. D’importantes communautés existaient
aussi à cette époque en Italie centrale et méridionale, et dans les villes
européennes de garnison, y compris Cordoue, Marseille, Londres, Trèves et
Cologne.
1
Ortag Peter: Jüdische Kultur und Geschichte, Bonn, 2007, p. 77
5
Image : la diaspora juive dans l’Empire romain
6
Le Moyen Age juif
Les conquêtes arabes (632 après JC.) sont généralement considérées comme
étant le début du Moyen Age juif, qui va jusqu’à la deuxième moitié du XVIIe
siècle. En fonction de leur localisation, les Juifs vécurent à cette époque soit
sous l’influence chrétienne, soit sous celle musulmane et c’est la raison pour
laquelle nous la traiterons comme une seule période.
« Les contacts et luttes entre le Judaïsme et l’Islam manquait de l’intimité et
l’amertume qui caractérisait dès le début les relations entre Juifs et Chrétiens au
temps où ces derniers s’éloignaient de la foi juive. Les disputes entre Juifs et
Chrétiens tournaient autour de la validité de la loi, la question de savoir si le
messie était bien arrivé, l’incarnation et l’ascension de Jésus et la nature divine.
En contraste, les disputes entre Judaïsme et Islam se focalisaient sur la question
de savoir si les prédictions du Prophète s’étaient arrêtées avant ou avec
Mahomet, et sur les différences entre les textes de loi juifs et musulmans »2.
Ces raisons expliquent les différences significatives dans la situation des Juifs au
sein des sociétés chrétiennes et musulmanes au Moyen Age. Dans le contexte
des guerres de conquête musulmanes sous Omar Ibn al-Chattab (592-644 après
JC.), des lois sur le traitement des peuples sujets furent passées. Parmi elles, il y
avait une disposition garantissant la protection des membres de religions
monothéistes (ahl al-kitāb, le peuple du livre). Ainsi, les Juifs devinrent ḍimmis,
protégés par la loi. Alors que leur liberté de religion aurait pu être restreinte et
qu’ils auraient pu être sujets à de grandes taxes, ce statut leur permit de
conserver et pratiquer leur foi sans être confinés dans des ghettos, comme en
Europe.
Les contacts entre Juifs et Musulmans dans les régions sous domination
musulmane furent bien plus proches que ceux entre Juifs et Chrétiens dans la
plupart des régions chrétiennes. Les raisons sont d’abord le fait que les Juifs
n’étaient pas forcés à vivre dans des ghettos, mais aussi à cause de la langue
commune. L’arabe était l’une des langues dans laquelle les philosophes et
théologiens islamiques écrivaient. Les érudits juifs pouvaient lire l’arabe et
l’utilisaient même dans leurs propres publications. De nombreux travaux
primordiaux apparurent à cette époque suite à la réception par les Juifs de la
théologie islamique.
2 Ben-Sasson, Haim Hillel: Geschichte des jüdischen Volkes. Von den Anfängen bis zur
Gegenwart, Munich, 1978, p. 494
7
La péninsule ibérique
Comme on peut le voir sur la carte ci-dessus, les communautés juives les plus
anciennes dans ce qui est aujourd’hui le Portugal et l’Espagne, étaient déjà
présentes à l’époque romaine. Pourtant, elles eurent leur « période d’or » à
l’époque de la domination islamo-arabe à partir de 711-713, lorsque les Arabes
réussirent à sortir les Wisigoths de la péninsule ibérique. Sous l’Emirat de
Cordoue à partir de 755, de nombreux Juifs accédèrent aux plus hauts rangs
administratifs de l’Etat et devinrent ministres et officiers militaires, ou se firent
un nom en devant docteurs ou érudits.
Les Juifs cultivés, parlant plusieurs langues, ont aussi joué un rôle important de
médiateurs entre les religions. Ce fut principalement des Juifs érudits d’Espagne,
qui traduisirent des écrits académiques musulmans en castillan et catalan. Ces
textes furent ensuite traduits en latin par des Chrétiens. S’il n’y avait pas eu cette
médiation par les Juifs, la haute scolastique ne se serait jamais développée.
Accomplissements des Juifs espagnols3
Sujet
Grammaire de l’hébreux
Auteur
Juda b. David Hayyuj
(945-1000)
Grammaire et poésie
hébraïques
Samuel ha-Nagid (9931055); expert de Wesir et
Halacha
Grammaire de l’hébreux
Jona Ibn Janach
(première moitié du XIe
siècle)
Grammaire et
dictionnaire (en arabe)
Grammaire de l’hébreux
et commentaires
bibliques
Abraham Ibn Esra (10891164)*
Poète, expert en
grammaire, astronome,
docteur, et philosophe
A écrit plusieurs
grammaires en Italie au
milieu du XIIe siècle ;
commentaires sur
presque tous les livres de
la Bible
Commentaires bibliques
Mose b. Nachman;
Ramba" n (1194-1270)
Halacha
Isaak Alfasi (Ri"f) (10131103)
En particulier des
commentaires de la Torah
et du Livre de Job
Sefer ha-Halkhot
3
Travail
Travaux fondamentaux
sur le verbe hébreux (en
arabe)
Dictionnaire de l’hébreux
biblique (en arabe) ; Ben
Tehellim ; Ben Mischlé ;
Ben Qohelet
Importance
Première théorie du verbe
hébreux inspiré par la
grammaire arabe
Haut point de lexicologie
de l’hébreux ; exemple
unique de la guerre de
poésie en hébreux ; aussi
poésie morale et courte
Ses deux parties
représentent la première
description
compréhensive de
l’hébreux biblique
A transmis la grammaire
arabo-juive à l’Occident.
Son travail est basé sur
les principes
grammaticaux et
rationnels. Il était en
avance sur son temps
pour son emphase de la
sémantique
Discussions intenses de
ses principaux
précurseurs
Intégration de la
Haggadah dans
l’argumentation
halachique
Source : Galley, S. : Das Judentum, Frankfurt/Main, 1006, p. 82
8
Sujet
Halacha, philosophie
Auteur
Mose b. Maimun;
Maimonides, Ramba"m
(1135-1204)**
Travail
Mishneh Torah (Jad haChasaka); commentaire
sur la Mishna; Sefer haMizwot; Moreh
Nevukhim (Guide pour
les Perplexes)
Importance
A conçu l’un des codes
les plus importants pour
la loi du Talmud. Il
représente le pinacle de la
philosophie juive du
Moyen Age. Son travail
devint la base des
générations ultérieures et
influença, entre autres,
Thomas d’Aquin
Philosophie et poésie
Salomo Ibn Gebirol (ca.
Mekor Chajim (Fons
Système platonique sans
1020-1057)
Vitae); l’original en arabe référence directe aux
est perdu
sources juives. Il eut un
fort impact sur les
scolastiques chrétiens
Philosophie et poésie
Jehuda ha-Levi (ca.
Sefer ha-Kusari
Défense du Judaïsme face
1075-1141)***
Shireh Zijon (Chansons
à l’Islam et la Chrétienté ;
de Zion); Shireh ha-Galut discussions de la
philosophie d’Aristote ;
(Chansons de l’Exil),
Pijjut
philosophie et tous types
de poésies
Poésies en hébreux
Kitab al-Muhadara
Première poésie en
Wa al-Mudhakara
hébreux ; rimes
Sefer ha-Anak
homonymiques servant
(Tarshish)
de modèle pour la poésie
ultérieure
*a dû fuir l’Espagne musulmane pour trouver refuge dans l’Occident chrétien ou dans d’autres pays musulmans
**a été forcé à fuir l’Espagne chrétienne
***a dû fuir le Maghreb pour l’Andalousie
Cependant, avec le tournant du millénaire, les Reconquistadores commencèrent
à gagner du terrain dans la péninsule ibérique, en partant du Nord. La structure
sociale établie se fragmenta à cette période et les dirigeants de l’Afrique du
Nord, en prenant le pouvoir, rendirent la vie des Juifs difficile. Beaucoup d’entre
eux fuirent dans des régions chrétiennes où ils vécurent relativement bien
pendant les siècles suivants. Pourtant, avec les progrès de l’invasion de la
Reconquista, des lois contre les Juifs devinrent plus restrictives. A la fin du
XIVe siècle, des émeutes anti-juives eurent lieu en de nombreux endroits
contrôlés par les Chrétiens, forçant les Juifs à retourner dans la zone encore sous
contrôle musulman, alors limité à la ville de Grenade. A partir de 1412, les Juifs
qui restaient étaient obligés de porter un badge les identifiant comme Juifs et ils
devaient habiter dans des ghettos. Dans la dernière moitié du XVe siècle,
l’Inquisition commença dans la péninsule ibérique, avec des conséquences
catastrophiques pour la population juive. En 1492, Grenade tomba et les Juifs
furent expulsés comme les Maures qui dirigeaient. De nombreux Juifs se
convertirent au christianisme à cette époque. Pourtant la suspicion que leur
conversion n’était pas réelle persista pour des siècles. Dans le contexte de
l’Inquisition, cette suspicion pouvait avoir pour conséquence la mort, pour les
personnes d’origine juive.
9
D’autres Juifs qui ne se sont pas convertis, trouvèrent asile au Maroc, dans les
républiques commerçantes du Nord de l’Italie, et l’Empire ottoman. Sur place,
ils eurent souvent un rôle clé dans leurs communautés et furent les instruments
d’un renouveau culturel et religieux du Judaïsme oriental. De nos jours, les Juifs
d’Orient et d’Afrique du Nord sont couramment identifiés comme Sépharades
(Espagnols), alors que cela ne correspond pas à la réalité historique. Le
Judaïsme sépharade n’est en fait qu’une branche, bien que très importante, du
Judaïsme babylonien oriental.
Image : la péninsule ibérique au temps de la Reconquista. A partir du milieu du XIIIe siècle, les dirigeants
chrétiens avaient repoussé la zone sous contrôle musulman jusqu’à l’Emirat de Grenade.
Source : Ortag Peter, Jüdische Kultur und Geschichte, Bonn, 2007, p86.
10
7. Les foyers culturels juifs au Moyen Age
Sources : Bautz, Franz J, Geschichte der Juden, Munich, 1992
11
France
Comme le montre la carte ci-dessus, l’histoire des Juifs en France remonte aussi
loin qu’à l’époque de l’Empire romain. Les Juifs ont habité en Gaule depuis
l’époque de César et ils avaient des droits importants à l’époque des Francs. Ces
droits furent étendus sous le règne de Charlemagne. Pourtant, après sa mort on
commença à les leur restreindre. Pendant les croisades, l’histoire des Juifs en
France fut un mélange d’excès anti-Juifs et leur acceptation, des expulsions
répétées et leur retour, jusqu’à leur expulsion définitive au XIVe siècle. Deux
siècles passèrent avant que les Juifs (principalement des Juifs convertis
d’Espagne) ne soient réadmis en France.
En terme de rite religieux, la France était divisée : les Juifs du Sud de la France
étaient de tradition sépharade, alors que ceux du Nord étaient de tradition
ashkénaze4.
« Les communautés du Midi bénéficiaient […] de la culture urbaine intacte de la
région méditerranéenne avec ses influences « romaines ». Ils étaient bien mieux
intégrés que leurs coreligionnaires d’Europe du Nord »5.
En 1791, les pleins droits civils furent étendus aux Juifs français dans le sillage
de la Révolution française6.
Allemagne
En Allemagne aussi il y a des traces de présence de communautés juives très tôt.
La première implantation juive enregistrée sur le territoire allemand est à
Cologne, avant même que les premières communautés chrétiennes s’y
établissent. En Allemagne, les Juifs et Chrétiens vécurent côte à côte pendant
presque 1.000 ans en relative harmonie – ceci se voit avec les implantations de
Juifs dans les centre villes.
Pourtant en Allemagne la première croisade marqua aussi un tournant – pendant
et autour de l’année 1069, des pogroms menés par des foules agressives,
similaires à ce qui se passait dans de nombreuses villes françaises, advinrent en
Allemagne.
Après une période de calme relatif, le XIIIe siècle fut témoin d’une nouvelle
vague de pogroms éveillés par des rumeurs de rituels meurtriers et de
profanations hostiles. Comme en France, l’Allemagne voit alterner des périodes
d’harmonie avec des excès de persécutions anti-Juifs. C’était bien le cas aux
XVIe et XVIIe siècles : « en 1510, des Juifs furent brûlés à Berlin, en 1551 les
Juifs furent expulsés de Bavière, du Palatinat en 1555, la Marche de
Brandebourg en 1573, et d’Autriche en 1671 ». 7
Galley, p. 89
Galley, p. 99
6 Ortag, p. 87
7 Ortag, p. 91
4
5
12
Image : Territoires où les Juifs étaient tolérés
Territoires où les Juifs n’avaient pas le droit de s’établir
Territoires avec une faible population juive, voire inexistante
Aux environs de 1500, le centre de la vie juive en Europe s’est déplacé vers l’Est. Une forte interdiction à
l’installation était mise en place dans de nombreux endroits du continent. Les exceptions étaient – en quelque
sorte – l’Empire allemand, et en particulier la Pologne et l’Italie. Source : Ortag, p. 90.
13
Pologne
Les persécutions des Juifs en Europe de l’Ouest dans le contexte des croisades a
mené les Juifs de l’Ouest à se déplacer à l’Est. En Pologne, ils trouvèrent un
pays accueillant. Comme les Chrétiens allemands arrivant en Pologne en même
temps, les Juifs furent respectés par les Polonais comme des « pionniers en
commerce, industrie et finance » 8.
Dès le début du XIIIe siècle, les Juifs polonais furent mis sous la protection des
rois polonais. Une véritable migration de masse de Juifs vers la Pologne eut lieu
au XVIe siècle. En Pologne (et Lituanie et Ukraine) il y avait une énorme
demande de travailleurs qualifiés et d’experts, au même moment où les Juifs
étaient persécutés en Europe centrale et dans la péninsule ibérique.
Il est intéressant que ces Juifs qui arrivaient d’Espagne et Portugal, autant que
les Juifs de l’Est qui habitaient déjà en Ukraine depuis des siècles,
abandonnèrent rapidement leurs traditions sépharades pour adopter le rite
ashkénaze. Ainsi, les Juifs qui s’établirent en Europe de l’Est étaient composés
non seulement de Juifs d’Europe de l’Ouest (ou Ashkénazes) mais aussi des
Juifs orientaux (Sépharades), bien que les traditions de ces derniers s’éteindront
par la suite en Europe de l’Est.
8
Bautz, Franz J, Geschichte der Juden, Munich, 1992, p. 115
14
Image : Pendant le Haut Moyen Age en Europe, les Juifs vivaient principalement dans la péninsule ibérique et
en Provence, Bourgogne, vallée de la Loire, région du Bas-Rhin, Italie du Sud et Byzance. En particulier, la
communauté juive prospère dans les régions du Rhin et de Mainz supportèrent le poids des persécutions des
participants à la première croisade.
15
Source : Bautz
16
Personnes importantes
Moïse Maimonide (1135-1204)
Statue de Maimonide à Cordoue (Source : Galley, p.95)
Rabbi Moshe ben Maimon (Maimonides en latin, abrégé par l’acronyme
Rambam en hébreux) est l’érudit le plus célèbre à avoir émergé de la
communauté juive d’Espagne. Dans son œuvre majeure, Le Guide pour les
Perplexes (en arabe Dalālat al-ḥā irīn, en hébreux More nevuchim), Maimonide
examine la compatibilité de la religion juive avec la philosophie grec de la
raison. Le texte a été écrit en accord avec les règles strictes de la littérature
islamique Kalam et a largement circulé en Europe au XIIIe siècle.
Le travail de Maimonide est un premier exemple de l’échange d’idées fructueux
entre islam et judaïsme à l’époque où il est écrit. L’accueil du texte en Europe et
son influence significative sur les penseurs chrétiens montre comment les Juifs
ont joué un rôle médiateur entre islam et chrétienté. Parmi les penseurs
influencés par Maimonide il y a Thomas d’Aquin et Maître Eckhart.
Au XVIIIe siècle, son travail a été redécouvert par Moses Mendelssohn pour la
haskala.
Maimonide est né à Cordoue mais a quitté l’Espagne en 1159 avec sa famille,
voyageant d’abord au Maroc puis à Akko en Terre Sainte, avant de répondre à
l’appel du Sultan d’Egypte pour devenir son physicien personnel. En accord
avec sa volonté, après sa mort, Maimonide fut enterré à Tibériade en Terre
Sainte où sa tombe peut encore être visitée aujourd’hui.
Maimonide a écrit ses travaux philosophiques en judéo-arabe, c’est-à-dire en
arabe avec l’alphabet hébreux. Ils furent rapidement traduits en hébreux.
17
Rachi
Le rabbin Schlomo Yitzchak, (généralement raccourci par l’acronyme Rachi en
hébreux) est né en 1040 dans la ville française de Troyes, où il mourut en 1105.
C’est inhabituel pour cette époque mais il étudia dans les villes lointaines de
Mainz et Worms et il fut l’élève le plus important de Yeshiva (école de la
Torah) à Worms.
Aujourd’hui encore Rachi est reconnu comme le commentateur de la Bible le
plus important grâce à sa nouvelle méthode d’interprétation biblique.
« Il a combiné l’exégèse associative-homilétique du Midrash avec la recherche
de la « simple signification » de la Bible. […] Ses commentaires courts et précis
traitent à la fois la signification littérale du texte biblique et ses conséquences
éthiques » (Galley, p. 113).
La si célèbre écriture de Rachi, par lequel ses commentaires bibliques sont
généralement écrits dans la marge des livres sacrés, a probablement été
développée plusieurs siècles après sa mort. Le premier livre publié en hébreux
fut une Bible avec les commentaires de Rachi.
L’écriture hébraïque généralement utilisée dans les publications contemporaines
est montrée à droite, avec l’écriture de Rachi à gauche.
Source : www.juedisches-recht.de
18
Moses Mendelssohn
La pensée des Lumières reçu un fort accueil chez les Juifs allemands – les
Lumières juives, ou haskala, est le mouvement de pensée juif qui répond aux
Lumières en Allemagne, et qui guide les Juifs à s’émanciper. Moses
Mendelssohn (1729-1786) est généralement reconnu comme le « père des
Lumières juives ». Mendelssohn fut le premier Juif a traduire la Bible en haut
allemand. Dans une édition récente de sa traduction, nous pouvons lire qu’il :
« était le fils d’un scribe de la Torah à Dessau. Il reçu de son père et du rabbin
de Dessau David Fränkel, une solide éducation de la littérature juive
traditionnelle. Cette initiation à la pensée juive fut loin de la théorie et elle porta
ses fruits dans la pratique. Moses a mené sa vie en accord avec la tradition juive,
qui à son avis était le fondement des Juifs. En 1743, à l’age de 14 ans, Moses
suivit Fränkel à Berlin où il parfit sa culture générale. La soif et la curiosité de
connaissances de Mendelssohn lui ouvrirent la voie pour entrer dans la vie
culturelle allemande. En plus de la poursuite de son éducation rabbinique,
Mendelssohn choisit des études de philosophie générale. Ainsi, il intégra deux
cultures intellectuelles antagonistes à cette époque : la tradition rabbinique et la
philosophie moderne. Par cette synthèse, Mendelssohn chercha a surpasser le
philosophe religieux du Moyen Age Moses Maimonides. […] Pour
Mendelssohn, la tradition juive doit être passée à la génération suivante de
manière engageante et responsable, et il était persuadé que sa traduction de la
Torah en haut allemand allait en ce sens. […] L’idéal de Mendelssohn était les
Juifs sensibles aux Lumières pour qui la pratique religieuse était orientée par la
raison, mais qui retenaient quand même les vertus de la tradition au quotidien. »
19
(Die Tora (La Torah), édité avec une introduction d’Annette M. Böckler –
Jüdische Verlagsanstalt, Berlin, 2001)
Image provenant de : http://lang.rice.edu/CSLShowcase/GermanProject/Elizabeth_urban.htm
Le Besht
A l’époque moderne, la problématique de la « division de la communauté entre
élites érudites et masses inéduquées » (Galley, p. 138) a émergé au sein de la
communauté juive. L’hassidisme tente de « réintégrer les pratiques religieuses
dans le quotidien des gens ordinaires » (Galley, p. 139).
Le Ba al shem tov (possesseur du bon nom), ou Israel ben Elieser (généralement
raccourci à l’acronyme Besht en hébreux) a développé l’enseignement mystique
derrière l’hassidisme d’Europe de l’Est.
Le Besht est né aux environs de 1700 à Okop, et est décédé en 1760 à
Miedzyborz (ces deux villes sont en Podolie, région qui appartenait à cette
époque à la Pologne et qui se trouve à présent en Ukraine).
Nous savons peu de choses sur sa vie, mais l’ouverture des archives soviétiques
a au moins confirmé son existence comme figure historique.
« Aussi loin qu’on puisse reconstituer depuis ses écrits et ses successeurs, son
programme théologique tentait de réintégrer les pratiques religieuses dans la vie
quotidienne des gens ordinaires. C’était basé sur la croyance mystique que Dieu
était présent partout. Ainsi les Juifs pénétraient la surface matérielle de la vie et
des tâches quotidiennes pour mieux s’attacher à la présence de l’essence divine
immanente en toute chose. Cet attachement à Dieu, ou Devekut, était autant
possible dans la prière quotidienne d’un simple commerçant de bétail que dans
la lecture du Talmud par un érudit.
Devekut doit s’étendre à tous les domaines de la vie, tout le monde a la
possibilité d’accéder à Dieu dans toute situation » (Galley, p. 139).
Après la mort de Besht, le hassidisme devint un mouvement mystique important
en Pologne et Ukraine, mais était amèrement combattu par les érudits
traditionnels.
Image provenant de : http://de.wikipedia.org/wiki/Israel_ben_Elieser
20
Yiddish
Même après leur migration en Pologne, les Juifs allemands conservent leur
langue, le yiddish, un dialecte de moyen/haut allemand, qui est utilisé comme
lingua franca par les Juifs ashkénazes depuis plusieurs siècles. Il y avait
plusieurs dialectes de yiddish, en fonction de la localisation du narrateur, son
langage était plus ou moins influencé par le polonais ou l’ukrainien. Une
distinction se fait entre le yiddish de l’Ouest et de l’Est, par exemple le yiddish
parlé en Europe de l’Ouest et en Europe de l’Est. Le yiddish existe comme
langue littéraire depuis le seizième siècle et est généralement écrit avec les
caractères hébraïques. Les termes hébreux sont généralement écrits comme en
hébreux, mais prononcés différemment. Le déclin du yiddish de l’Ouest débute
avec la Haskalah, l’instruction et l’émancipation des Juifs d’Europe de l’Ouest.
Très rapidement, le yiddish ne fut plus parlé que par les Juifs d’Europe de l’Est,
où il survécut très bien au XIXe siècle période, à laquelle une riche littérature en
langue yiddish apparu. Cependant, les différentes catastrophes du XXe siècle qui
frappèrent les Juifs accélérèrent le déclin de cette langue. Une estimation
d’environ 11 millions de Juifs, soit 60% de la population juive mondiale,
parlaient le yiddish avant la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, il y a
environ 3 millions de personnes parlant yiddish à travers le monde. Peu de Juifs
parlent yiddish comme langue maternelle, dans des communautés ultra
orthodoxes d’Israël et aux Etats-Unis. Les personnes qui parlent yiddish aux
Etats-Unis parlent un dialecte yiddish américanisé. Dans les deux pays, des
mouvements séculiers promeuvent la renaissance du yiddish.
La proximité du yiddish avec l’allemand se ressent encore très bien, comme
dans la translittération suivante des nombre de un à dix : ejns, zwej, draj, fir,
finf, seks, sibn, acht, najn, zen.
Pour un aperçu de yiddish, regardez ces actualités :
http://www.youtube.com/watch?v=j3X2d7cjahc&feature=fvst
Une tentative pour faire revivre le yiddish : google yiddish.
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Ladino
Le ladino ou judéo-espagnol, une langue parlée par les Juifs d’origine
espagnole, s’est développé uniquement après l’expulsion des Juifs d’Espagne et
représentait pour eux ce que le yiddish était pour les Ashkénazes.
D’innombrables dialectes de ladino existait, dépendant de communautés
particulières et de leur localisation géographique, qui s’étendait de l’Angleterre
à l’Empire ottoman, en passant par l’Italie, Amsterdam et l’Afrique du Nord. Par
le passé, le ladino était parlé par de nombreux Juifs et, comme le yiddish, il a le
statut de lingua franca. Pourtant aujourd’hui, il y a moins de 200.000 personnes
parlant ladino à travers le monde, avec une très faible part qui le parle comme
langue maternelle. Cependant, en Israël et dans d’autres pays, il existe des
associations qui luttent pour préserver l’héritage du ladino et des projets visent à
créer une documentation sur cette langue. Les nombres de un à dix en ladino :
Uno, dos, trez, kuatro, sinko, sesh, syete, ocho, mueve, dyez
Le Petit Prince en ladino, en hébreux et écriture latine.
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Lorsque le ladino est écrit en écriture hébraïque, l’écriture de Rashi est
généralement utilisée.
Pour un aperçu du ladino, regardez cet extrait :
http://www.youtube.com/watch?v=q2EZFbGJzqA&feature=related
La narratrice est née à Jérusalem. Elle raconte une anecdote à propos de
Dshucha, un personnage clé du folklore arabe et ladino. Cette anecdote raconte
comment Dshucha, qui n’a jamais vu de mirroir, en achète un croyant acheter un
portrait de son père, puisque « l’homme dans le cadre » (son image) est très
similaire à son père. Plus tard, sa femme jette un coup d’œil discret au miroir et
est persuadée que c’est une image de la belle amante de Dshucha. Lorsqu’elle
montre l’image présumée, le miroir, à sa mère, sa mère remarque « avec une
amante comme ça, tu n’as rien à craindre ».
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Hébreux
L’hébreux est largement reconnu comme étant la langue de la Bible. Toutefois,
sa contribution à la consolidation d’une identité juive à travers les millénaires, et
son rôle de lingua franca des Juifs exilés sont moins connus. L’hébreux utilisé
dans la Bible n’était plus parlé depuis le deuxième siècle, mais il continuait à
être utilisé dans les communautés juives comme langue littéraire. Alors que les
notes de procédures dans les tribunaux religieux étaient écrits en yiddish, les
tracts religieux étaient écrits en hébreux et les Juifs s’écrivaient en hébreux et
lisait généralement dans cette langue.
En terme de langue d’écriture, une distinction était souvent faite entre les textes
religieux et séculiers. Ainsi le Rambam a écrit son Mishne Torah en hébreux,
mais son travail philosophique, le Moreh Nevuchim, a été écrit en judéo-arabe,
c’est-à-dire en arabe écrit avec des caractères hébraïques. Cependant, de
nombreux travaux qui n’ont pas été écrits directement en hébreux ont été
traduits en hébreux dès leur publication. De plus, ils pouvaient être lus par les
Juifs du monde entier. Les livres de médecine et d’autres travaux scientifiques
étaient souvent écrits en hébreux. Le statut de l’hébreux parmi les Juifs au
Moyen Age est comparable à celui du latin pour les Chrétiens à la même
époque.
Dans le contexte de l’Haskalah, l’hébreux a été modernisé. Moses Mendelssohn
était hostile au yiddish. Il a écrit des essais et d’autres travaux en hébreux et
dans de nombreux cas il a dû créer de nouveaux mots en hébreux.
L’hébreux a été de plus en plus promu comme langue de communication de tous
les jours dans le développement du mouvement sioniste. Ce changement
apparaît dans le contexte du changement d’opinion sur le yiddish, auquel les
Sionistes faisaient référence comme la « langue des ghettos ». Dans son Der
Judenstaat (L’Etat juif), Theodor Herzl exprimait ses doutes quant à la possible
utilisation de l’hébreux comme langue du quotidien, mais rejetait
catégoriquement le yiddish comme langue d’un Etat juif. Il était plus enclin à
voir l’allemand comme une langue potentielle pour Israël.
La renaissance de l’hébreux comme langue parlée et sa mise en pratique et son
développement en tant que langue nationale pour un pays est sans précédent
dans l’histoire. Le fait que cinq millions d’Israéliens parlent cette langue comme
langue maternelle, et l’existence de multiples registres et sociolectes (par
exemple l’argot des jeunes, littéraire et le langage scientifique) attestent du
succès de cette renaissance.
L’extrait vidéo suivant d’un show télévisé donne un aperçu de l’hébreux
moderne : http://www.youtube.com/watch?v=QSTIe25jiiM&feature=related
Dedans, les comédiens prennent en dérision l’ashkénaze séculaire, révélant ainsi
à quel point ce sujet est d’actualité.
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Auteur : Barbara Viehmann, M.A.
Traduction de l’allemand vers l’anglais : Dr. Anne Boden
Traduction de l’anglais vers le français : Romain Gastaldello
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