ENTRETIEN AVEC SARAH CARVALLO

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ENTRETIEN AVEC SARAH CARVALLO
maître de conférences en philosophie à l’École Centrale de Lyon.
Sarah Carvallo est maître de conférences en philosophie à
l’Ecole Centrale de Lyon. Ses travaux portent sur l’histoire et la
philosophie de la médecine au XVIIe et XVIIIe siècle et sur les
représentations du vivant. Elle est l’auteur de nombreux articles
et ouvrages dont notamment Leibniz (Paris, Hachette-Université,
collection : Prismes, 2001) et Stahl-Leibniz : la controverse sur la
vie, l’organisme et le mixte (édition critique, traduction
commentée et préface ; Paris : Vrin, 2004).
propos recueillis le 24 janvier 2011 par Marianne Chouteau
Les biotechnologies, les nanotechnologies, les clones, les robots, les êtres
chimériques bouleversent notre vision du monde en général et de l’humanité en
particulier. A travers son regard de philosophe, Sarah Carvallo brosse ici un portrait
de ces changements en mettant en évidence les conséquences qu’ils peuvent avoir
sur
notre
représentation
du
vivant
et
de
l’homme
philosophes, entre des philosophes sur
des points précis de la connaissance
ducorps humain ou sur des points plus
généraux comme la méthode, ou encore
la distinction métaphysique de l’âme et du
corps. A chaque fois, j’observe que ce que
Le cœur de ma recherche est l’étude du
nous avons hérité aujourd’hui comme
dialogue entre les philosophes et les
représentations du corps et de la
médecins. J’ai d’abord commencé à
médecine est issu d’enjeux institutionnels,
travailler en étudiant ce processus au
politiques, philosophiques, académiques
XVIIe siècle puis je l’ai fait pour l’époque
et religieux très importants. En d’autres
contemporaine.
A
termes,
la
« Dès que nous introduisons de nouvelles
travers
cela,
j’ai
manière
dont
réalités telles que les clones, les corps
étudié la manière
nous
transformés, les cyborgs, les androïdes, etc. –
dont s’est élaborée
comprenons
cela crée de nouvelles interactions à la fois
une certaine idée du
notre
corps
avec ces nouvelles réalités entre nous en tant
corps humain et de la
et
notre
qu’humains. » médecine moderne
médecine
en parallèle. J’étudie
aujourd’hui
est
issue
de
ce
que les
donc des controverses entre des
controverses de ce XVIIe siècle ont pu
médecins, entre des médecins et des
laisser. Cela m’a permis de penser la
Quels sont aujourd’hui vos thèmes de
recherche et comment s’articulent-ils
avec les questions relatives au vivant,
aux biotechnologies, etc ?
1 Direction de la Prospective et du Dialogue Public 20 rue du lac ‐ BP 3103 ‐ 69399 LYON CEDEX 03 www.millenaire3.com
naissance d’une certaine représentation
moderne du corps et de la médecine. J’ai
ensuite constaté qu’ à l’époque postmoderne c’est-à-dire après les années
1970, on vivait t un phénomène de crise
dans les représentations du corps humain
et de la médecine. Ainsi, je travaille avec
des médecins et d’autres chercheurs et
j’essaie de voir ce qui est en train de se
dessiner à travers ces nouvelles
conceptions du vivant et de la médecine.
Est-ce par ce biais que vous abordez
les questions éthiques soulevées ?
L’éthique est une des dimensions de cette
question mais fondamentalement je suis
plus dans une lignée anthropologique sur
la vision de l’homme. L’éthique constitue à
mes
yeux
une
partie
de
cette
anthropologie de la technique et plus
particulièrement de la médecine. Il est vrai
que le champ de l’éthique est le champ
aujourd’hui le plus visible dans la société
lorsque l’on travaille sur ces questions.
C’est ce qu’on appelle la bio-éthique. Au
XVIIe siècle, la question éthique apparaît
également et notamment via ses relations
avec le droit ; mais cette question n’est
pas centrale. Bref, je suis dans une
approche plus épistémologique et plus
anthropologique, qu’éthique.
Il me semble que re-situer dans un
ancrage historique les changements que
nous observons aujourd’hui est vraiment
un enjeu important. Cela concerne
plusieurs niveaux : la science mais aussi
la politique, la justice ou le social. Il est
intéressant de voir comment des décisions
ont été prises par le passé et comment
elles conduisent aujourd’hui à des prises
de position particulières ou à des
impasses.
Vous regardez donc comment on a
envisagé le vivant et notre rapport aux
techniques par le passé ou dans un
autre espace culturel et vous en
déduisez la façon dont on considère
l’homme aujourd’hui ?
Je n’ai pas de vision systématique. Mon
objectif est de pointer des moments ou
des sujets où la médecine et la
philosophie sont en crise pour répondre à
des problèmes précis. Ce qui m’intéresse
est le jeu de controverses et ce qu’il soustend.
Pouvez-vous
exemples ?
nous
indiquer
des
Un exemple très probant et d’actualité est
celui de l’amélioration du corps humain.
Au XVIIe siècle, le corps humain est
considéré comme parfait car il a été créé
par Dieu. Il y a là une analogie entre le
monde (macrocosme) et le corps
(microcosme) ; tous deux créés par Dieu
dans la perfection. De fait, la médecine est
là pour restaurer cette perfection et il faut
justifier la maladie, la mort, la violence par
rapport à la volonté de Dieu. Il y a un
contexte métaphysique et théologique qui
ancre
l’idée de santé dans cette
perfection et qui justifie la médecine
comme une collaboration au projet du
Créateur pour restaurer la perfection du
corps humain. Si on se place maintenant
dans l’époque contemporaine, que voiton ? Comment se manifeste cette idée de
la perfection ? Au travers de ce que l’on
peut
analyser
notamment
via
le
mouvement transhumanistei, on voit que le
corps est perfectible mais qu’il n’existe
plus de norme quant à la perfection. Cette
dernière peut toucher la longévité, la
sexualité, l’intelligence, la force, la
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mémoire,
etc.
Cette
notion
de
perfectionnement ne renvoie alors pas à la
santé. Elle correspond plutôt à une
investigation permanente de toutes les
potentialités du corps. Cela reprend une
question développée par Spinozaii qui
nous dit « nul ne sait ce que peut le
corps. » ; sauf qu’au XXIe siècle, on n’a
plus de but à atteindre. On ne sait plus
quand le corps sera parfait, ni en
référence à quoi. C’est une quête sans
limite qui oblige la médecine à se redéfinir.
Est-ce que la médecine a vocation à aider
cette quête de corps parfait ? A partir de
quel moment la médecine change-t-elle
d’identité ? Il s’agit d’un espace de
négociation entre la demande sociale et
une certaine conception du progrès de la
médecine. En effet, cette dernière a
développé des capacités techniques qui
ne demandent qu’à être mises en œuvre.
Même les médecins qui ont une réflexion
éthique sur leur pratique sont tentés par
ces possibilités techniques. Nous sommes
dans
une
redéfinition
de
notre
représentation du corps humain et par là
même notre représentation de l’humanité.
En d’autres termes, les possibilités que
nous offrent les techniques et les
représentations que nous avons de
nous-mêmes et du corps, nous
poussent
à
créer
des
« corps
parfaits » ?
Il n’y a plus de représentation de la
perfection. Au XVIIe siècle, le corps parfait
a été défini en termes esthétiques. Avec la
théorie du portrait, on a défini la beauté.
Aujourd’hui selon les groupes sociaux
dans lesquels vous allez vous inscrire,
vous n’aurez pas la même représentation
du corps parfait. Il n’y a plus d’idée
universelle. En revanche, il y a l’idée que
le corps peut être perfectionné. A partir du
moment où l’ on comprend que le corps
n’est pas seulement quelque chose de
donné, de naturel, mais est quelque
chose qui devient, il y a alors recherche de
ce que pourrait ou devrait être ce corps.
Contrairement au XVIIe siècle, cette
recherche s’est déplacée sur les
techniques. On voit en elles une forme de
réponse pour atteindre cette potentialité
exacerbée du corps. On rejoint là, la
question philosophique de l’individu et du
moi (cf. les travaux de Vincent Descombes
à ce propos). J’appréhende donc la
question de la transformation du corps
aujourd’hui comme un dialogue entre les
biotechnologies qui permettent d’agir sur
le corps et la reconnaissance que nous ne
maitrisons
pas
complètement
les
conséquences de ce que nous faisons. Et
c’est à ce niveau là que se pose la
problématique bio-éthique actuelle : nous
sommes responsables de ce que nous
faisons, mais plus radicalement nous
sommes les seuls responsables de ce que
nous devenons. Il faut se rendre compte
que nous sommes dans une espèce de
spirale qui nous oblige à repenser
l’humanité : nous n’avons plus de nature
et nous n’avons plus de Dieu. Nous
devons nous repenser en tant qu’humain.
Est-ce que vous voyez à ce niveau un
lien avec les robots et notamment avec
les robots androïdes qui nous
ressemblent et qui nous questionnent
sur notre rapport à la perfection
corporelle ?
De façon générale, je trouve que les
biotechnologies sont essentielles dans la
définition de notre humanité. Dès que
nous introduisons de nouvelles réalités
telles que les clones, les corps
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transformés, les cyborgs, les androïdes,
etc. – cela crée de nouvelles interactions à
la fois avec ces nouvelles réalités et
évidemment
entre
nous
en
tant
qu’humains. Cela redistribue l’espace de
nos interactions ainsi que celui de notre
devenir. Toute la question des androïdes
repose sur le fossé que l’on essaie de
creuser entre le sujet – c’est-à-dire le soi –
et des « hommes » qui seraient « nonsoi ». On voudrait est faire exister un être
pleinement soi qui est la représentation
fondamentale
de
notre
humanité
aujourd’hui en Occident et des êtres
dépourvus de soi et qui resteraient des
objets. Cette dichotomie ne fonctionne que
si on la maîtrise. A ce niveau, les robots
ne posent pas de problématiques éthiques
aussi cruciales que les clones ou les
chimères ou bien les processus de
prolongation de la vie. Les robots restent
des machines et j’ai du mal à me projeter
dans des formes de robots qui
remettraient fondamentalement en cause
notre humanité. En revanche, prenons
l’exemple de la cryogénie qui transforme
la mort. Si on enlève la mort à un être
humain, on remet fondamentalement en
cause son humanité. Le soi a toujours été
pensé comme unique et limité dans le
temps si on remet en cause cela, on remet
en cause l’essence même de l’humanité.
On observe pourtant des phénomènes
de fascination et de peur par rapport
aux androïdes ? Vous semblent-ils
justifiés ?
Il est vrai que la science-fiction s’est très
tôt emparée de la figure de l’androïde et a
développé des imaginaires empreints à la
fois de mystère et d’angoisse. Mais, il faut
regarder le phénomène de peur du côté
de la philosophie. C’est ce que Hans
Jonas a mis en place en disant qu’il fallait
développer une heuristique de la peur. Ce
qu’il y a d’intéressant avec la peur est
qu’elle se cristallise sur les points
sensibles de ces nouvelles réalités là. Il
faut donc comprendre pourquoi cela nous
fait peur et à quoi cela nous renvoie. Dans
le cadre des êtres artificiels, cela nous
renvoie au fait que nous sommes les seuls
sujets agissant à travers ces techniques et
que
nous
n’en
maitrisons
pas
complètement les conséquences. Nous
n’avons pas les moyens d’évaluer les
conséquences de ce que nous sommes
entrain de faire. Il
est urgent de
reconnaître ce que nous faisons
aujourd’hui ; j’irais même jusqu’à dire qu’il
nous faut obliger les individus et les
différents acteurs à reconnaître cette
responsabilité. La peur et la fascination
doivent nous aider à déterminer nos choix
sociaux et collectifs. Il y a là un véritable
enjeu pour savoir ce qu’est la vie, ce
qu’est l’homme, etc.
Pourquoi est-ce
comprendre ce
aujourd’hui ?
si important de
qu’est l’humanité
Pour un philosophe, c’est un enjeu
traditionnel. Si on reprend l’adage de
Delphes : « Connais-toi toi-même » ; la
quatrième question de Kant pour la
philosophie
est
« qu’est-ce
que
l’homme ? »
La philosophie a pour dessein de
comprendre l’homme, donc de reconnaître
que notre humanité n’est pas donnée
comme
un
fait,
mais
construite,
transformée. C’est cette définition qui va
fonder politiquement la façon dont nous
allons vivre ensemble. La question de
l’humanité supporte les autres : qu’est-ce
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qu’être heureux ? qu’est-ce que mon
corps ? quels droits ai-je ou n’ai-je pas ?
quel est mon rapport à l’autre ? à son
corps ? à son visage ?
Les
biotechnologies,
les
nanotechnologies, les robots, les
mouvements
comme
le
transhumanisme reposent donc la
question de l’humanité d’une autre
façon ?
Il y a une autre question qui est au cœur
de la philosophie : qu’est-ce que le
monde ? Et l’inscription de l’homme dans
le monde est vraiment essentielle.
Aujourd'hui cette question a changé de
forme car nous avons beaucoup de
connaissances biologiques. Toutefois, elle
reste d’actualité car nous n’avons jamais
été dans une humanité aussi malléable. Et
ce, notamment à cause des technologies
et de la prise de conscience du pluralisme
culturel. Cela nous oblige à revisiter les
catégories fondamentales de l’homme de
façon très critique. Nous ne pouvons plus
considérer qu’il existe un Homme
universel comme Descartes l’a cru. Ceci
est un véritable bouleversement pour les
Occidentaux. Mais cette notion de
mouvance est très présente en bioéthique. Ce qui est valable pour un
peuple ne l’est pas forcément pour un
autre. Toute la difficulté aujourd’hui est de
garder cette perspective universelle en
l’adaptant à chacune des spécificités des
groupes sociaux. Et cela vaut aussi pour
les techniques que nous utilisons. Par
exemple, la définition de ce qu’est
l’humain influe sur l’utilisation des
biotechnologies : on ne les utilise pas
partout de la même façon car on ne
considère pas partout l’homme de la
même façon. On sait aujourd’hui que nous
n’aurons jamais de définition figée de ce
qu’est l’humanité.
Cette question de la distinction entre la
machine et l’homme est très vieille.
D’abord, il faut savoir que « organe » veut
dire « machine », « instrument » en grec.
Au XVIIe siècle, on pense le corps comme
une machine. Au XVIIIe siècle, La Mettrieiii
écrit
L’homme-Machine
et
conçoit
vraiment le corps humain comme une
machine. En Occident, la machine est tout
à la fois le modèle du corps et l’altérité
radicale du corps. La machine c’est un
corps sans sujet et en même temps c’est
le modèle du corps. Tous les progrès de la
médecine se sont fondés sur cette
capacité à lire le corps humain comme
une machine. On voit bien à travers le
temps que les différentes machines que
nous avons inventées ont changé notre
manière de comprendre le corps. Au XVIIe
siècle par exemple, l’horloge permet de
comprendre
les
engrenages,
les
phénomènes de frottement dans le corps,
etc. L’invention de l’ordinateur va
permettre de comprendre un corps
cybernétique. L’interaction entre les
machines et le corps n’est donc pas
nouvelle. Aujourd’hui, ce qu’il y a de très
troublant est qu’il y a des machines
naturelles et des corps « machiniques ».
Ce qui était jusqu’alors une méthode pour
comprendre notre corps ne peut plus être
utilisé car les frontières entre le corps
humain et la machine s’amenuisent voire
disparaissent. C’est à ce niveau que l’on
retrouve la subjectivité comme signe
distinctif entre le corps « propre » et la
machine. Notre rapport aux machines
dans la culture occidentale est critique
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pour comprendre ce que nous sommes.
Reprenons un autre exemple qui montre
bien cette fusion entre l’homme et la
machine.
Lorsque
vous
êtes
en
réanimation par exemple : le vivant est
maintenu par la machine. La mort devient
une mort technique et cela touche
vraiment aux fondamentaux de notre
existence. Ce qui est nouveau aussi en ce
début de XXIe siècle est que cette fusion
homme-machine est maintenant présente
dans toutes les cultures.
Si on se projette dans quelques années
et qu’on imagine que notre société
accueillera des robots de toutes sortes,
peut-on concevoir que cela change
notre rapport à autrui ? et donc notre
façon d’envisager l’éthique ?
Quand on voit des publicités avec des
robots androïdes qui viennent aider des
personnes âgées à retrouver leurs
lunettes, à leur donner leurs médicaments,
etc. Cela questionne effectivement notre
rapport à autrui. Je rapprocherai cela de
l’esclavage. En 1848, il y a des esclaves
dans le monde et ce sont des hommes
sans être des hommes. J’ai l’impression
que l’on va être dans le même cas de
figure. Il faut qu’on arrive à faire une
distinction claire entre ce qui est humain et
ce qui ne l’est pas et que l’on édicte des
règles de fonctionnement social. Avec les
robots, tant qu’il n’y a pas trop de fusion
entre l’être biologique et l’être machine,
cela me paraît possible. Nous risquons
d’avoir beaucoup plus de problèmes avec
le clonage. Mais, il me semble que ce
nouveau rapport à l’altérité sera encadré.
Donc si on reprend le problème des
robots, on va faire des catégories ?
Ceux qui ne seront que des machines,
ceux qui seront des hybrides, ceux qui
seront des mi-humains ; et à chacune
de ces catégories nous assignerons
des rôles sociaux de l’esclave au
partenaire ?
Oui. Il y aura sans doute ce genre de
phénomènes. Peut-être aura-t-on des
processus d’identification à son robot, des
phénomènes d’affection et d’attachement
d’un côté et d’un autre des robots traités
en esclaves. De là surgit quand même un
problème de fond. Si l’individu veut
accéder à une espèce d’authenticité de la
vie humaine, il ne peut pas d’un côté avoir
un rapport d’esclavage et d’un autre côté
un rapport d’identification avec une autre
forme qui n’est pas humaine. En outre, il
faut reconnaître que je ne peux être libre
que si l’autre est libre. Rendre esclave un
humain nous renvoie notre propre
contradiction. La question est de savoir si
lorsque le robot sera mon esclave, ce
rapport d’esclavage ne rendra pas
impossible ma liberté. C’est ce qu’avait
montré Hegel : dans l’esclavage, le moins
libre des deux c’est le maître. En tout cas,
l’objectif de la philosophie est de pointer
ces contradictions et d’aider la société et
l’individu à s’en défaire pour être libre.
Pensez-vous que ces contradictions
soient plus fortes au XXIe siècle
qu’auparavant ?
Ces contradictions ont toujours été fortes ;
quels que soient les siècles. Les choses
évoluent : on considère femmes et
hommes égaux, en France, l’esclavage
n’existe plus, on a élaboré des droits de
l’enfant, etc. Tout ça redéfinit l’essence de
notre humanité. Aujourd’hui, les choses se
déplacent sur d’autres préoccupations
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dont la collectivité devra se charger. Cela
prend du temps. La prise de conscience
des rapports entre humains, entre
humains et non-humains nous renvoie à la
définition de l’humanité. L’inhumanité ou
an-humanité nous renvoie à notre propre
humanité. Un des phénomènes les plus
importants du XXe siècle est la notion de
crime contre l’humanité. Quand est-ce que
l’homme se nie lui-même dans son
humanité ? La communauté internationale
a réussi à créer un tribunal international, à
faire des lois, à établir des définitions, etc.
On retrouve le même enjeu avec les
animaux, les robots ou les
biotechnologies : se mettre d’accord sur
un minimum qui se situe au-delà de nos
différences culturelles sur lequel nous ne
pouvons pas transiger. C’est là aussi que
se précise l’enjeu de la politique : il faut
bien qu’il y ait l’Etat et les instances
politiques locales pour assumer ces
questionnements et les résoudre en lien
avec les citoyens
i
Le transhumanisme est un mouvement i intellectuel et culturel qui prône l’utilisation des sciences et des techniques – et
notamment des biotechnologies – pour améliorer le corps humain. Les transhumanistes refusent le handicap, la maladie, la
faiblesse, etc. qu’ils jugent être des souffrances inutiles.
ii
Baruch Spinoza (1632-1677) est un philosophe néerlandais.
iii
Julien Jean Offray de la Mettrie (1709‐1751) est un médecin et philosophe français. 7 Direction de la Prospective et du Dialogue Public 20 rue du lac ‐ BP 3103 ‐ 69399 LYON CEDEX 03 www.millenaire3.com
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