COMMUNIQUÉ Une étude confirme l'inefficacité des doses de morphine en urgence pour traiter les douleurs aiguës sévères TOULOUSE, 18 juillet (APM Santé) - Selon une étude à paraître dans la revue American Journal of Emergency Medicine, les 2 doses recommandées dans le traitement des douleurs aigües en urgence, variant du simple au double, ont des effets similaires et ne soulagent pas toujours les patients. "Les doses recommandées sont en dessous des valeurs efficaces, ce qui confirme la mauvaise prise en charge de la douleur, spécialement en urgence, et la crainte persistante suscitée par l'emploi des dérivés morphiniques", affirme à l'APM le Dr J-L DUCASSÉ, coordinateur du pôle de médecine d'urgences du CHU de Toulouse et superviseur de l'étude. Médicament ancien aux propriétés bien connues, efficace dans la lutte contre la douleur aiguë et de surcroît bon marché, la morphine reste sous employée et mal utilisée en urgence. "Contrairement à ce qu'on a cru pendant longtemps, sa pharmacologie est pourtant bien connue des urgentistes mais elle est peu appliquée, essentiellement par peur des effets secondaires", précise le Dr DUCASSÉ qui parle d'"opïophobie" chez les médecins et les soignants confrontés à la prise en charge en urgence de la douleur aiguë. Outre ses propriétés antalgiques, la morphine a en effet une action dépressive sur la fonction respiratoire, qui s'observe même à faible dose, et qui peut aboutir à un arrêt respiratoire. Cette dépression, due à une diminution de la sensibilité des centres respiratoires au CO2, s'établit parallèlement à l'effet analgésique. Nausées et vomissements figurent également parmi les effets indésirables de la morphine, "des effets qui peuvent être évités en respectant les protocoles et les modalités de surveillance", précise le Dr DUCASSÉ. INEGALITE DE TRAITEMENT MORPHINIQUE Dans une étude antérieure, les Drs Jean-louis DUCASSÉ, Vincent BOUNES et leurs collègues ont déjà montré une inégalité de traitement morphinique selon les patients et le type de douleur, en présentant deux cas cliniques à des urgentistes : un homme jeune présentant des fractures du poignet et une femme âgée souffrant d'une douleur abdominale hyperalgique. Parmi les 193 réponses au questionnaire recueillies auprès des médecins de 2 CHU et 6 centres hospitaliers généraux, 96 % des personnes interrogées prescrivent un morphinique dans le premier cas, alors que la femme âgée reçoit ce type de traitement pour 82% des médecins, mais seulement en 2e intention, après examen physique ou avis chirurgical. "Dans le 2e cas, les urgentistes expliquent leur réticence par un risque de fausser le diagnostic lorsque qu'il y a un traitement des douleurs abdominales, alors qu'il a été prouvé que ce risque n'est pas fondé", explique le Dr DUCASSÉ. "C'est plutôt les complications qui sont redoutées". "Nous devons à tout prix modifier nos croyances, notre attitude et suivre des protocoles stricts d'analgésie pour arriver enfin à l'égalité antalgique dans les urgences", ont conclu les auteurs de l'étude. En cas de douleur aiguë, 2 doses de morphine sont officiellement recommandées. La 1ère recommandation émane de la conférence de consensus de la Société Francophone d'Urgences médicales de 1993, qui a suggéré aux médecins urgentistes d'utiliser la morphine par voie intraveineuse à la dose initiale de 0,1 mg/kg, suivie de réinjections. La 2e recommandation a été émise par la conférence d'experts de la Société Française d'Anesthésie Réanimation (SFAR) qui a, quant à elle, proposé en 2000 une 1ère injection de 0,05 mg/kg. "Ces chiffres variant du simple au double n'ont eu pour effet que d'ajouter un flou à une pratique déjà sujette à des préjugés", souligne le Dr DUCASSÉ. Afin de comparer l'effet de ces 2 doses, l'équipe du CHU de Toulouse a lancé une nouvelle étude dont la présentation a été récompensée, lors du dernier congrès des urgences de Paris, par le "U d'or" pour sa qualité scientifique. Après accord du comité d'éthique, 106 patients ont été inclus et randomisés entre un groupe A recevant, à l'insu du patient et du médecin évaluateur, une dose 0,05mg/kg de morphine, suivie de réinjections de 0,025 mg/kg toutes les 5 min, et un groupe B auquel a été administrée une dose de 0,1 mg/kg puis 0,05 mg/kg. Les patients des deux groupes ont également reçu 1g de paracétamol. PAS D'EFFETS INDÉSIRABLES POUR 0,15 mg/kg Au bout de 30 min, 67 % des patients du groupe A étaient analgésiés tandis que ce pourcentage s'élevait à 77 % pour le groupe B. Quatre-vingt-cinq pour cent des personnes du groupe A se sont montrées satisfaites de leur prise en charge antalgique, contre 97 % pour le groupe B. Aucune différence significative au niveau des effets secondaires n'a été constatée. La seule différence significative entre les deux doses a été observée 10 min après l'injection, avec une analgésie pour 17 % des patients du groupe A, contre 40 % pour le groupe B, ce qui constitue, selon les auteurs, l'unique bénéfice pour doubler les doses de morphine. "Ces résultats confirment bien que les deux doses recommandées sont en dessous des valeurs efficaces", souligne le Dr DUCASSÉ. "Les anciens travaux de pharmacologie consacrés à la morphine confortent cette observation en définissant une dose efficace comprise entre 0,1 et 0,2 mg/kg. Dans notre service, nous avons donc choisi depuis début 2007 d'utiliser une dose de 0,15 mg/kg et aucun effet indésirable n'a été jusqu'à présent signalé." Devant la rareté des études menées sur le dosage des injections intraveineuses de morphine, le Dr DUCASSÉ espère que ces résultats permettront une prise de conscience sur le défaut de prise en charge de la douleur aiguë en urgence et sur le besoin d'une démarche qualité qui inclurait une utilisation adaptée de la morphine et de ses dérivés. L'équipe du CHU de Toulouse suggère de multiplier les études sur le sujet. Elle envisage une autre étude randomisée pour comparer la morphine à la dose de 0,15 mg/kg au sufentanil, un dérivé morphinique réservé à l'analgésie en cas d'intervention chirurgicale, dont l'action serait plus intéressante par rapport à la morphine dans le cas de douleurs traumatiques. La Revue des SAMU - Médecine d’Urgence - 2007 - 286