Forum Med Suisse 2010;10(51–52):896–898 897
HigHligHts 2010:Médecine générale
est saisie comme une guérison, et le taux de guérisons
augmente statistiquement. Un succès?Etqu’en est-il de
la mortalité de ces deux maladies cancéreuses? Elle est
en diminution. Un fruit de l’intervention rapide grâce
au dépistage et au traitement précoce? Cela reste à
prouver, car la mortalité baisse de façon similaire dans
le groupe de population soumis au dépistage et dans ce-
lui qui ne l’est pas. Il est àsupposer que d’autres facteurs
jusqu’ici inconnus exercent ici un effet –encore un vaste
domaine à explorer dans la prévention quaternaire. La
question éthique se formule ainsi: combien de sujets en
bonne santé a-t-on le droit de rendre malades artificiel-
lement pour sauver une seule personne malade?
Style de vie. Bien que le comportement bénéfique pour
la santé soit peu coûteux et dépourvu d’effets indési-
rables, l’être humain peine à l’adopter dans la vie quo-
tidienne: pratiquer une activité physique régulière,
contrôler son poids, s’alimenter sainement, consom-
mer de l’alcool avec modération, s’abstenir de fumer du
tabac et de consommer d’autres stupéfiants, maintenir
son stress sous contrôle, s’assurer de bonnes perspec-
tives professionnelles et socio-économiques, faire face
au changement. Les efforts entrepris en prévention pri-
maire, nombreux et coûteux, les traitements médicaux,
les mesures légales frisant la mise sous tutelle, tout cela
ne nous a pas empêchés de piétiner sur place. Les
forces d’opposition sont plus puissantes. De nom-
breuses personnes sont inquiètes et se donnent de la
peine. Rares sont celles qui réussissent à changer leur
comportement de façon durable. Les épidémiologues
prédisent un accroissement de la charge des maladies
et des coûts. Que devons-nous faire? Renforcer la stra-
tégie actuelle? Ne serait-il pas plus indiqué d’élaborer
de nouvelles réflexions en matière de prévention qua-
ternaire?
… sur la prévention secondaire
En prévention secondaire, le traitement de risques
connus tels que les valeurs élevées de tension arterielle,
de glycémie et de cholestérolémie occupe une place très
importante dans notre société. Un flux immense de
contacts médicaux et d’analyses de laboratoires contri-
bue à la saisie des paramètres sur les êtres humains
pour évaluer ces facteurs de risques isolés ou combinés.
Jusqu’à présent, il n’existe pas de certitude scientifique
permettant de savoir quelle personne en bénéficie, ni
quelles sont les valeurs limites de résultats dans les-
quelles un patient peut profiter de la prévention secon-
daire. Nous ne savons toujours pas quelle grandeur de
facteur, dix ou cent, est médicalement acceptable pour
le NNT; nous ne savons pas le taux d’effets délétères
pour la santé (NNH) auquel nous avons le droit de nous
accommoder dans le sillage de l’utilité d’un traitement.
Nous ne disposons pas de connaissances scientifique-
ment fondées sur les conséquences des interactions en
polypharmacie, souvent nécessaire. Nous négligeons
quel effet sur la santé peut avoir l’application, par souci
d’anticipation, d’un traitement préventif censé éviter
des maladies potentielles. Nous ignorons tout des effets
négatifs sur le plan biopsychosocial qui peuvent éven-
tuellement découler de la soumission fortement ancrée
et quasi névrotique àla«croyance» au bienfait de la
prévention. Il est rare de percevoir de l’inquiétude au
sujet des coûts astronomiques et de l’énorme force de
travail médicale nécessaires àcet effet. Tout un champ
d’efficacité àexplorer dans nos réflexions sur la préven-
tion quaternaire. Sommes-nous prêts, et avons-nous le
droit de prétendre maîtriser le tsunami préventionnel
qui déferle sur les médecins et les patients? Il est urgent
de prévoir une halte pour se consacrer àdes analyses
scientifiques.
… sur la prévention tertiaire
Quand la maladie chronique devient cliniquement ma-
nifeste, le NNT des traitements des facteurs de risque
isolés, eux-mêmes souvent combinés, baisse jusqu’à ne
comporter plus qu’un ou deux chiffres. La statistique
considère cette régression comme un succès. Toutefois
sur le plan individuel, l’utilité pour tel ou tel patient
continue à relever du hasard. Pour la plupart des trai-
tements polypharmaceutiques, le potentiel d’effets se-
condaires ou d’interactions n’a pas encore fait l’objet
d’études. Il en va de même de l’état des connaissances
sur les risques consécutifs aux dosages fréquemment
élevés des médicaments; ces dosages sont nécessaires
pour atteindre les valeurs limites des divers facteurs de
risque, plus rigoureuses dans la prévention tertiaire. Il
s’agit en général de patients vulnérables, relativement
âgés et polymorbides,atteints d’autres maladies encore
qui à leur tour ont besoin d’interventions thérapeu-
tiques et d’une prévention tertiaire spécifique. Et chez
ces personnes s’ajoutent encore d’autres conseils et
interventions de prévention primaire et secondaire.
Connaissons-nous la relation du NNH au NNT dans nos
actions? Savons-nous à quel moment les divers traite-
ments préventifs n’ont plus de sens et quand il faut les
stopper? Pouvons-nous fournirunconseil critique ànos
patients, en nous basant sur des faits probants?
Dans le suivi des malades chroniques polymorbides,
par ailleurs fréquemment diagnostiqués, la gestion des
traitements de prévention tertiaire et les contrôles
consécutifs occupent une part importante du temps du
médecin de famille. Le pilulier déborde. La plupart des
comprimés visent l’évolution future de la maladie. Seuls
quelques-uns sont nécessaires pour combattre les
symptômes actuels. La gestion de ces comprimés aux
noms barbares tourne à l’aventure organisationnelle
incessante aussi bien pour les médecins de famille que
pour les patients. Le risque d’erreurs est grand, surtout
lorsqu’il s’agit d’adapter les dosages, de passer à des
génériques et tout particulièrement lors des sorties
d’hôpital. Les besoins personnels des patients risquent
bien de se trouver écartés au profit de ces activités pré-
ventives. On assiste à un retrécissement de l’espace
réservé aux entretiens d’accompagnement avec le
patient et ses proches, nécessaire pour parler de son
bien-être, de leur affliction, et des conséquences au
quotidien et momentanées de la maladie, de l’avenir et
des«dernières choses». Est-ce encore défendable sur le
plan éthique? Il est urgent de réfléchir à une prévention