Texte de présentation de l'enregistrement, p.26
CBS Inc. 1982)
Après avoir commenté brièvement cette assertion, montrez en quoi le mariage du savant et du populaire
interroge nécessairement la liberté et l'ambition artistiques du compositeur.
Illustrez vos propos en faisant référence au 19ème et au 20ème siècles ;
La proposition qui suit ne doit pas être considérée comme la réponse attendue. Il s'agit seulement de
quelques pistes destinées à éclairer la réflexion des candidats.
"On n' a jamais...", expression qui traduit l' admiration d' un thuriféraire sans prudence et qui ne semble pas tenir
compte d' un engouement assez répandu dans les années 20 pour "la musique populaire à la mode" ( citons, sans
trop chercher, Ravel, Milhaud, Stravinsky, Satie etc...)
(...)"le "folklore" commercial des dancings et de la radio..." donc, non pas la musique paysanne ou traditionnelle
à laquelle se sont référés les musiciens du XIXe et Bartok au XXe, pour ne citer que lui, mais celle, urbaine, qui
prend son essor avec les progrès techniques de diffusion, et qui, liée à la chanson et à la danse, adopte des
tournures "jazzy" et sud américaines.
(...)"avec une aussi grande liberté." Comme pour la première remarque, thuriféraire sans prudence, la liberté d'
un Ravel ou d' un Stravinsky ne semblant pas moins grande. Mais cette liberté reste vide si nous ne lui trouvons
pas un contenu. Ce n' est pas seulement la liberté de se servir de ce matériau mais plutôt de s' en servir sans
contrainte, c' est à dire en échappant aux codes mêmes de ce matériau, de pouvoir l' insérer dans un projet
artistique autonome. De ce point de vue, on ne voit pas ce qui différencie Weill des compositeurs déjà nommés.
(...)"personne n' avait encore osé se servir des formes de la musique populaire moderne à des fins aussi
ambitieuses." Toujours cette naïveté du thuriféraire car s' il faut entendre "formes" comme genre, structure ou
syntaxe, le "blues" de Ravel ou le "tango" de Stravinsky ne sont pas moins ambitieux. Ambition artistique qui
fait se lever tous les purismes: pour Ravel, on invoque une falsification, pour Stravinsky (via Adorno) une
réification, avec en arrière fond un modèle absolu corrompu. En tout cas on désigne bien un déplacement, une
originalité, un degré d' ambition artistique, insupportables aux adulateurs de l' origine. Quoi qu' il en soit, Pérez
désigne bien un courant musical nouveau. Des compositeurs très divers s' intéressent au "folklore" urbain des
années 20, musique populaire contemporaine qui leur permet de tourner le dos au romantisme en renonçant à la
poésie nostalgique des musiques paysannes. Il associe à leur travail les idées de liberté et d' ambition qu' on
pourrait appliquer à tous les compositeurs qui ont essayé de marier le savant et le populaire quelles que soient
leurs sources et les motivations idéologiques qui les ont guidés. Être libre pour un artiste c'est d' abord être
capable de se déprendre des formes codifiées par les conventions, c'est prendre la liberté de ne pas être sérieux.
Quand Chopin prend pour modèle les mazurkas il trace une des lignes les plus ambitieuses de son art. Cette
référence populaire est l' occasion d' approfondir tous les éléments de sa syntaxe au niveau du rythme, du phrasé,
de la modalité, de l' harmonie et du contrepoint. Cette référence, loin d' être une entrave, est un envol permanent
de l' imagination sans que pourtant ne se rompe jamais le lien avec cette danse. Nous ne saurons jamais pourquoi
c est cette forme populaire qui lui a servi de creuset même lorsqu' il accepte de jouer le jeu de sa simple
géométrie de surface (ABA) ou celui de l' inamovibilité de son rythme pendant de larges sections. C' est aussi le
même constat pour le tango de Stravinsky: même géométrie de surface avec codification des modes (Amineur,
BMajeur, A), même jeu avec le rythme sans compter les stéréotypes mélodiques et harmoniques et, à l'intérieur,
une mise en ouvre contrapuntique qui se joue des changements e registres et qui, traversant tout le morceau, lui
donne l' allure suprême d'une épure essentielle et non pas d' une réification. Donc, dans ces mariages, l' ambition
se trouve du côté du non renoncement au savant dans la mise en ouvre, la liberté du côté de cette ambition elle-
même et surtout de ce choix mystérieux du populaire, l'art dans cette inscription du populaire dans une poésie de
la nostalgie ou de l'hommage.
Ce qu' il est impossible de savoir, c'est pourquoi ces artistes ont choisi ce terrain du populaire pour mettre en
ouvre leur art, même quand cette référence entre à son tour dans l' ordre d' une convention. L' histoire générale
de la musique en occident est remplie de cet entrelacement quasi permanent. Bien sûr, chacun de ces mariages