La santé du rio de la Plata
La recherche pourrait mener à l'adoption de politiques et de
règlements interdisant l'extraction du sable en Uruguay.
2001-09-28
par Paul Halpern
Une ambitieuse « institution virtuelle » pluridisciplinaire, établie par des chercheurs uruguayens et
canadiens, améliore la gestion et la conservation du rio de la Plata dont la largeur par endroit peut
atteindre 300 kilomètres. Il s’agit du plus grand estuaire de l’Amérique du Sud.
« Il ne suffit pas d’étudier l’extraction de sable, de consigner l’endroit où elle a eu lieu et d’en
montrer les effets au sein d’une communauté », a dit M. Robert Fournier, professeur
d’océanographie à l’Université Dalhousie à Halifax, en Nouvelle-Écosse. « Il faut empêcher
l’extraction du sable sur les plages de l’Uruguay en proposant des politiques et des règlements qui
l’interdisent. »
En effet, depuis dix ans, l’Uruguay et le Canada font des recherches communes sur l’estuaire du
rio de la Plata, recherches qui pourraient mener à des décisions propres à préserver l’estuaire et à
conserver ses précieuses ressources. Les résultats obtenus jusqu’à maintenant — une manne de
données sur divers aspects du réseau fluvial et du littoral — ont suscité la création d’une
commission multisectorielle qui doit se pencher sur les problèmes de la région. Fait intéressant à
noter : tout le processus s’est fait à l’enseigne de la collaboration.
Un réseau fluvial en péril
L’estuaire du rio de la Plata — le plus large au monde — est formé par deux confluents, les
rivières Uruguay et Parana. Son bassin hydrographique prend sa source au centre du Brésil, à la
ligne de démarcation entre le bassin de l’Amazone et celui du rio de la Plata. Sur les quelque
1 000 kilomètres qui le conduisent à la mer, le rio de la Plata recueille l’eau de plusieurs rivières
qui coulent depuis les hautes terres du Brésil, du nord de l’Argentine, du sud du Brésil et du
Paraguay. Avant de se jeter dans l’Atlantique, le fleuve traverse Montevideo (1,5 million
d’habitants), la zone de villégiature de Punta del Este (500 000 habitants en haute saison) sur le
littoral nord et Buenos Aires (13 millions d’habitants) sur sa frontière sud.
Un grand nombre d’espèces aquatiques vivent dans l’estuaire qui sépare l’Uruguay de l’Argentine
faisant ainsi du réseau du rio de la Plata un endroit privilégié pour les adeptes de la pêche
artisanale qui doivent côtoyer la flotte industrielle intérieure.
Mais l’estuaire fait face à plusieurs problèmes complexes. Par exemple, près de 70 p. 100 de la
population de l’Uruguay de 3,3 millions d’habitants demeurent à moins de 100 kilomètres du
littoral. L’activité humaine crée la pollution marine et accélère l’érosion des plages et des dunes.
La déforestation et l’agriculture mécanisée contribuent aussi à l’érosion du sol, ce qui mène à la
sédimentation. De plus, les mauvaises techniques d’extraction de sable contribuent à la dégradation
du littoral. Les pêches s’épuisent rapidement. Une détérioration de l’écosystème qui nuit tout à la
fois aux populations locales et à l’industrie touristique.
Institution virtuelle, réelle collaboration
Le Canada a commencé à s’intéresser au rio de la Plata en 1991 lorsque, au cours d’une visite
officielle au Canada, le président de l’Uruguay, Louis Lacalle, a signé un protocole d’entente avec
l’Université Dalhousie. S’inspirant de cette entente, le président Lacalle a proposé une « université
de la mer » à Punta del Este.
Cependant, après avoir visité l’Uruguay, M. Fournier et M. Anthony Tillett, de l’Institut
international Lester B. Pearson de Dalhousie, ont eu une autre idée : créer une « institution
virtuelle » en rassemblant des organismes canadiens et uruguayens pour cerner et régler les
problèmes de la zone côtière. Deux ans plus tard, le Centre de recherches pour le développement
international (CRDI) a inauguré le Programme de soutien de la gestion intégrée des zones littorales
du rio de la Plata, connu depuis comme étant le projet EcoPlata.
EcoPlata a eu des débuts modestes. Au départ, « ce fut une tentative pour déterminer si nous
pouvions aider les participants à travailler ensemble, a dit M. Fournier. Parmi les partenaires, nous
comptions la Faculté des sciences de la Universidad de la República de l’Uruguay, le Servicio de
Oceanografia, Hidrografia y Meteorología de la Armada (SOHMA), el Instituto Nacional de
Pesca (INAPE) et REDES — Amigos de la Tierra, une organisation non gouvernementale. Parmi
les participants canadiens, on peut mentionner le CRDI, l’Université Dalhousie, l’Université
Acadia à Wolfville, en Nouvelle-Écosse, et l’Institut Bedford d’océanographie à Darmouth, en
Nouvelle-Écosse.
La première enquête consistait à déterminer comment les facteurs environnementaux et les
activités humaines ont des effets sur les frayères et les zones d’alevinage du « corbeau de mer » ou
corvina, une espèce importante tout autant pour la pêche artisanale que pour la pêche commerciale.
La corvina représente environ 14 p. 100 de l’ensemble des prises dans l’estuaire, mais la récolte de
poissons a diminué ces dernières années.
« Ce fut une grande question interdisciplinaire, de dire M. Fournier. Cela a permis entre autres à
des physiciens, à des chimistes, à des biologistes et à des géologues de travailler ensemble sur le
même dossier : Qu’en est-il des sédiments, des polluants, de la circulation de l’eau qui ont tous une
influence sur le corbeau de mer et un effet à long terme sur sa survie ? »
Bien que cet effort ait engendré un grand nombre d’études valables, il a aussi démontré que les
institutions participantes pouvaient très bien travailler en équipe. Résultat ? En 1997, lorsqu’on a
reconduit le projet EcoPlata, son envergure et l’aide financière ont augmenté considérablement.
Un plus grand effort
Le projet EcoPlata, ainsi élargi, poursuit un certain nombre de démarches pour examiner comment
réaliser le développement durable dans l’estuaire. Il s’agit donc :
d’établir une initiative multisectorielle de gestion intégrée des zones littorales qui englobe
des recherches sur les pêches, l’océanographie, la protection de l’environnement et
l’urbanisme;
d’élaborer une politique côtière et un cadre de planification auprès des autorités nationales
et municipales;
d’établir des mécanismes financiers viables pour la gestion du littoral;
de favoriser les partenariats canadiens;
d’encourager le transfert des technologies pour la gestion du littoral.
Parmi les bailleurs de fonds, mentionnons le CRDI, le Programme des Nations Unies pour le
développement, l’Organisation des Nations Unie pour l’éducation, la science et la culture et le
ministère du Logement, de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement de l’Uruguay.
Au cours des quatre ans qui se sont écoulés depuis l’inauguration de cette initiative, les chercheurs
ont entrepris diverses activités. Ils ont commencé par évaluer le côté uruguayen de l’estuaire. Au
moyen des données ainsi obtenues, ils ont élaboré un système d’information géographique pour
améliorer la planification. Le projet a déterminé trois sites pilotes, qui permettraient à l’équipe de
concentrer ses énergies et puis d’y reproduire les résultats ailleurs.
Les chercheurs ont aussi surveillé les tendances — température, marées, salinité, teneur en
nutriments, ainsi que la contamination de l’eau, les pressions sur les ressources, l’érosion des
plages et les déchets solides sur les plages. En définitive, l’équipe s’est penchée sur certaines des
questions plus critiques, dont la nécessité de protéger les régions côtières par la création de parcs et
de réduire les répercussions de la pollution des déchets solides près des localités qui n’ont pas
accès à de bons services sanitaires.
De la recherche à la politique
Le gouvernement uruguayen s’est engagé à verser une somme de 430 000 $CAN pour poursuivre
le projet EcoPlata au cours des trois prochaines années. Selon M. Fournier, l’un des plus
importants indicateurs de succès sera la façon dont les participants traduiront les recherches en
politiques efficaces. Les cartes thématiques de la région côtière réalisées à partir de systèmes
d’information géographique (SIG) montrent, par exemple, la couverture terrestre, l’utilisation
réelle des sols, l’infrastructure, la production agricole, les activités industrielles, les services, les
données démographiques, la pêche artisanale. L’équipe se servira de ces données pour proposer
des lignes directrices devant orienter les politiques en vue d’adopter des méthodes plus durables.
Grâce à cet effort soutenu, le projet EcoPlata est devenu crédible auprès des artisans des politiques.
Et le gouvernement de l’Uruguay l’a clairement manifesté en mai 2001 lorsqu’il a créé une
commission spéciale pour se pencher sur la région côtière du rio de la Plata. La commission réunit
les autorités nationales et municipales, ainsi que les institutions touristiques et la police côtière.
Étant donné son importance croissante et sa capacité de réseautage, EcoPlata a été nommé
Secrétariat technique de la commission.
Paul Halpern est un rédacteur spécialisé en sciences et en environnement de Halifax, en Nouvelle-
Écosse.
Renseignements
M. Robert O. Fournier, Professeur, Département d’océanographie, Université Dalhousie,
Halifax, Nouvelle-Écosse, Canada B3H 3J5; tél. : (902) 494-3666; téléc. : (902) 494-3877;
M. Walter Couto, Chef de projet (Uruguay), Pza. Cagancha 1335, 11200 Montevideo, Uruguay;
tél. : (598-2) 900-2602; téléc. : (598-2) 901-1800; courriel : [email protected]
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