
Médicalisation de la vieillesse : enjeux et ambivalences
Retraite et société 67 > avril 2014
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souhaitent avoir accès à tous les progrès techniques disponibles. Quels que soient leur
âge, leur maladie et leur niveau de dépendance, elles veulent vivre encore, le mieux et
le plus longtemps possible. Personnes âgées et proches font conance au monde médi-
cal dans son ensemble et ne veulent pas qu’il baisse les bras trop tôt.
L’exemple des patients rencontrés lors de l’étude d’éthique clinique sur la prise en charge
des cancers du colon chez les personnes âgées3 est en cela emblématique. Il s’agissait
dans cee étude de savoir si ces personnes bénécient des mêmes traitements que des
patients plus jeunes et de connaître leurs volontés? La grande majorité des patients a
envie d’être traitée, de se soigner au mieux. Cinq personnes sur cinquante-cinq, seule-
ment, refusent des chimiothérapies, dont trois ont été opérées pour leur cancer aupa-
ravant. Les plus indépendants d’entre eux, physiquement et psychiquement, parlent
beaucoup de leur qualité de vie, du besoin qu’ils ont à continuer à vivre, leur stimula-
tion provenant principalement de leur vie familiale. Même les patients qui sont dépen-
dants, physiquement ou psychiquement, et parfois institutionnalisés, estiment pouvoir
proter du peu que la vie leur apporte encore, du point de vue relationnel surtout, et
principalement grâce à leurs proches.
D’autres personnes âgées rencontrées dans le cadre d’une étude sur les directives antici-
pées4 (DA), étaient suivies pour insusance cardiaque (n =20). Objectivement, ils étaient
très malades si l’on en croit la classicationASA5. Mais subjectivement, ils semblent en
être moins conscients, ne se sentant pas malades du cœur: entre deux crises, la qualité
de vie est correcte et ne s’altère pas si vite que cela. Ils ne se voient pas mourir prochai-
nement malgré leur âge et l’état d’avancement de leur maladie cardiaque. Ils souhaitent
avant toute chose «obtenir de la médecine toute l’aide nécessaire pour que la vie conti-
nue de valoir la peine». La mort les obsède pourtant, mais ils ne se représentent pas la
maladie et ne rapportent pas ce qu’ils ressentent à une défaillance cardiaque6.
Au-delà du type de maladie, la gravité de celle-ci ou le niveau de dépendance peuvent
interférer sur les choix des personnes en termes de demande de traitement. Nous avons
ainsi poursuivi nos enquêtes en observant les prises de décisions médico-sociales éthi-
quement diciles chez des personnes âgées en institution gériatrique (Ehpad ou hôpi-
tal) lors de trois moments clés de leur parcours: l’arrivée dans le lieu, un changement
de situation (hospitalisation, discussion thérapeutique, arrêt de thérapeutiques actives,
mise sous tutelle, etc.) et la n de vie7. Là encore, les personnes étaient demandeuses
de soins, quie à ce que cela puisse paraître paradoxal parfois avec le refus ou la mau-
vaise acceptation d’être institutionnalisé.
3. Étude menée chez 55 patients (22 en CHU gériatrique, 23 en CHU général) dont 30 femmes et 15
hommes. Les patients au CHU gériatrique étaient plus âgés (90/84 ans), atteintes de plus de comorbidi-
tés (77/48 %), plus de troubles cognitifs (64/16 %) et étaient plus dépendantes et/ou institutionnalisées
(64/18 %).
4. Les directives anticipées ont été introduites en France par la loi du 22 avril 2005, relative aux droits
des malades et à la fin de vie (art. L. 1111-11 du Code de la santé publique).
5. L’ASA (American Society of Anesthesiologists) a établi une classification des patients devant subir une
intervention chirurgicale en cinq catégories selon la gravité de leur pathologie pour quantifier le risque
anesthésique. Le risque est croissant de la classe 1 à la classe 5.
6. V. Fournier, D. Berthiau, E. Kempf, J. d’Haussy, 2013, « Are advance directives useful for doctors and
what for ? », Presse médicale, Feb 21, Les directives anticipées chez les personnes de plus de 75 ans,
Brochure, Eric Favereau et Marta Spranzi. http://ethique-clinique.com/publications/les-brochures/
7. L’étude a été menée dans six Ehpad et trois services de moyens et longs séjours gériatriques d’un
hôpital parisien de l’AP-HP.