146 M.-C. Gandolphe, J.-L. Nandrino
ou indirecte [8]. Lors de la récupération directe, le sou-
venir autobiographique est activé spontanément suite à un
indice interne ou environnemental. Ce processus est rapide
et sollicite peu de ressources exécutives centrales. Il permet
d’induire la récupération de souvenirs plutôt spécifiques,
c’est-à-dire situés précisément dans le temps et l’espace.
De plus, lors de la récupération directe, l’information émo-
tionnelle associée à l’événement passé est aussi réactivée
[8]. Lors de la récupération indirecte, l’événement person-
nel du passé est reconstruit volontairement par l’individu.
Ce mode de récupération fait appel à un processus top-down
débutant par la récupération d’un souvenir général, progres-
sivement spécifié [34]. Ce processus est donc attentionnel
et plus lent que la récupération directe.
Le fait d’interrompre la reconstruction du souvenir
durant le processus de récupération indirecte alors que seule
une information vague a été atteinte aboutit à un processus
particulier que l’on désigne par surgénéralisation.
Ce phénomène serait sous-tendu par trois mécanismes,
exposés par Williams et al. [40] dans le modèle caR-FA-X.
L’évitement fonctionnel
La reconstruction d’un souvenir encodé dans le système de
mémoire épisodique génère également la récupération de
l’affect associé à l’événement passé. Lorsque le souvenir
s’avère être fortement chargé affectivement, la surgé-
néralisation correspond alors à un processus d’évitement
fonctionnel en ce sens qu’il permet de réduire la survenue
de l’émotion car la spécification du souvenir est stoppée
avant sa résurgence [8]. La généralisation des souvenirs
autobiographiques est renforcée à court terme en évitant
l’affect négatif et peut être considérée comme une stratégie
d’évitement cognitif [18].
L’effet de capture de la récupération liée à la
rumination
Chez les individus ayant une tendance à la rumination, et
notamment les patients dépressifs, les informations rela-
tives à la représentation de soi sont saillantes et vont être
fortement activées lors de la présentation d’un mot cible
émotionnel. Au lieu d’avoir un effet facilitateur dans la
récupération, cette grande accessibilité des informations
liées à soi risque au contraire d’empêcher la progression
du processus de spécification du souvenir, par un effet de
«capture », aboutissant à un phénomène de surgénéralisa-
tion [40].
Le déficit des fonctions exécutives
La récupération indirecte est un processus lent qui requiert
des ressources exécutives [8]. Un déficit des fonctions exé-
cutives est lié à une plus grande distractibilité, menant à des
perturbations dans la capacité à inhiber les informations non
pertinentes durant le processus de spécification. La surgé-
néralisation découlerait donc également de la difficulté de
l’individu à écarter certaines informations parasites, favo-
risant l’effet de «capture »énoncé ci-dessus [40].
Ainsi, le phénomène de surgénéralisation a été mis
en évidence pour les souvenirs autobiographiques négatifs
chez des patients présentant un trouble dépressif majeur
[25,31,40], chez des patients souffrant de troubles anxieux
aigus ou de stress post-traumatique [9,10].
Cependant, peu d’études ont évalué ce phénomène chez
les patients présentant une problématique addictive, à
l’exception de quelques travaux portant sur les trouble
des conduites alimentaires [24,20] et une étude chez les
patients alcooliques [1].
Au vu de ces premiers constats concernant la surgénérali-
sation chez les individus dépendants à une substance, et aux
troubles de la mémoire autobiographique chez ces patients,
cette étude s’intéresse aux perturbations de la mémoire
autobiographique chez les consommateurs de substances.
Le but de cette étude est donc d’évaluer la mémoire
autobiographique chez des consommateurs de cannabis
en comparaison à des polyconsommateurs dépendants aux
opiacés afin de vérifier l’existence d’un biais de surgéné-
ralisation et de tester si celui-ci varie en fonction de la
substance consommée.
Par ailleurs, nous cherchons à déterminer si le phé-
nomène de surgénéralisation dépend de l’intensité de la
consommation, c’est-à-dire s’il est davantage observable
chez des individus dépendants, que chez des individus pré-
sentant un abus ou une consommation occasionnelle.
Méthode
Participants
Soixante-neuf individus, consommateurs de substances psy-
choactives âgés de 16 à 35 ans, ont accepté de participer
à l’étude, ainsi que 38 individus non consommateurs. Ils
sont tous volontaires et ont signé une lettre de consente-
ment. Parmi les usagers de substances, 51 consommateurs
de cannabis et 18 polyconsommateurs de substances ont été
répartis dans quatre groupes selon leur niveau de dépen-
dance. Leur appartenance aux différents groupes a été
établie selon les critères de dépendance de Goodman [16].
Un groupe (G2) est composé de 17 consommateurs occa-
sionnels à réguliers de cannabis, dont 16 hommes et une
femme, âgés en moyenne de 21,8 ans (±2,7). Leur fré-
quence de consommation varie entre une à cinq fois par
semaine et leur usage de cannabis n’est pas quotidienne.
Le nombre moyen de prise de cannabis par mois est de 18,5
(±14,3). Un autre groupe (G3) est constitué de 17 patients
présentant une consommation abusive de cannabis, dont
16 hommes et une femme, âgés en moyenne de 22 ans (±3).
Leur fréquence de consommation est d’une vingtaine de fois
par semaine minimum et leur nombre moyen de prise de
cannabis par mois est de 154,5 (±94,4). Dix-sept patients
dépendants au produit, dont 15 hommes et 2 femmes,
constituent un dernier groupe de consommateurs dépen-
dants au cannabis (G4). Ils sont âgés en moyenne de 21,2 ans
(±3,1). Ils ont une consommation quotidienne, dont la fré-
quence par mois est de 362,9 (±121,3), et remplissent
l’ensemble des six critères de Goodman. Rencontrés dans
le cadre d’une consultation cannabis, les patients étaient
accompagnés par un psychologue qui excluait de l’étude les
patients ayant des antécédents récents d’un autre trouble