TD3 Cannabis

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Dysfonctionnements cognitifs – L2 –M. Gauché -TD3
TD 3
semestre 1
Document étudiant
CANNABIS
OBJECTIFS :
1. Rappeler des notions de psychologie cognitive 1ère année et les lier à la consommation de cannabis.
2. Apprivoiser la littérature scientifique
Etude de l’article de Gandolphe (2011)
Consignes :
Lire le texte (30 minutes) et répondre aux questions suivantes :
1. Qu’est-ce que la mémoire autobiographique ? Quel autre nom peut-on lui donné ?
2. Quels sont les mesures effectuées dans cette recherche ?
3. Quels sont les résultats des chercheurs ? Que peut-on conclure concernant l’impact de la
consommation de cannabis sur le fonctionnement cognitif ?
Page 1 sur 10
L’Encéphale (2011) 37, 144—152
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOPATHOLOGIE
Stratégies de surgénéralisation des souvenirs
autobiographiques chez les consommateurs de
cannabis et les polyconsommateurs de substances
psychoactives
Overgeneralization of autobiographical memory strategies in cannabis
users and multiple psychoactive substance consumers
M.-C. Gandolphe , J.-L. Nandrino ∗
Département de psychologie, EA 1059, équipe famille, santé & émotions (FASE), université Lille—Nord-de-France, UPRES URECA,
BP 60149, 59653 Villeneuve d’Ascq cedex, France
Reçu le 9 septembre 2009 ; accepté le 8 avril 2010
Disponible sur Internet le 14 août 2010
MOTS CLÉS
Mémoire
autobiographique ;
Dépendance ;
Cannabis ;
Addiction
∗
Résumé Des perturbations cognitives sont observées chez les consommateurs de substances
psychoactives, en particulier au niveau des processus attentionnels et des fonctions exécutives mais aussi de la mémoire. Le but de cette recherche est d’étudier chez ces patients
l’organisation de leurs souvenirs autobiographiques. On cherche à vérifier s’ils utilisent un mode
de récupération général de leurs souvenirs autobiographiques, et si ce phénomène s’amplifie en
fonction de l’importance de la consommation. Cinquante et un consommateurs de cannabis ont
participé à cette étude, dont un groupe de consommateurs occasionnels, un groupe d’individus
présentant des conduites d’abus et un groupe d’individus dépendants. Ils ont été comparés à un
groupe de 18 sujets dépendants polyconsommateurs et un groupe de 38 participants témoins.
L’ensemble des participants a répondu au test de mémoire autobiographique de Williams et
Scott (1988) [39], après une évaluation clinique concernant leur consommation, leur niveau
de dépression, d’anxiété, d’alexithymie et la mémoire épisodique. Les résultats montrent une
augmentation du nombre de souvenirs autobiographiques à la fois pour les souvenirs positifs
et négatifs. Cette surgénéralisation s’amplifie à mesure que la consommation s’approche d’un
comportement de dépendance, alors qu’aucun déficit majeur de la mémoire épisodique n’est
observé. Les patients dépendants au cannabis surgénéralisent autant leurs souvenirs que les
polyconsommateurs.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (J.-L. Nandrino).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010.
doi:10.1016/j.encep.2010.06.004
Mémoire autobiographique et consommation de cannabis
KEYWORDS
Autobiographical
memory;
Dependence;
Cannabis;
Addiction
145
Summary
Objectives. — Psychoactive substance consumption induces cognitive impairments in terms of
episodic memory and attentional and executive function deficits. This study aims to investigate
whether the recall of autobiographical memories is disturbed in substance consumers, and in
particular whether those patients tend to evoke memories at a general level rather than at
a specific level when confronted by an emotional cue word. Furthermore, we aim to verify
whether adopting a more general memory retrieving style is a dynamic phenomenon and if it
depends on the type of substance consumed.
Design and methods. — The participants of this research were 51 cannabis users, including
17 occasional cannabis users, 17 cannabis abusers and 17 individuals addicted to cannabis. They
were compared to 18 multiple substance-dependent individuals and to 38 nondependent individuals. Participants were subjected to the Williams and Scott (1988) [39] autobiographical
memory test. After an assessment of the mode of substance consumption, several clinical
dimensions were measured, such as depression (BDI), anxiety (STAI Y A and B), alexithymia
(TAS 20) and episodic memory (RLS-15).
Results. — The results show that the percentage of general positive and negative memories
recalled increases progressively as the consumption takes on the characteristics of addictive
behavior, while we observe no deficit in episodic memory. The level of alexithymia evolved in
parallel with the percentage of general memories. These results are not dependent on the type
of substance used and can not be explained by the level of depression.
Conclusions. — Overgeneralization is a phenomenon observable in psychoactive substance
consumers, whatever the type of substances used, which sets in progressively as the dependence develops. Our results show that overgeneralization is not only due to an impairment of
mnesic abilities, implying that this phenomenon could be underlined by several mechanisms.
The role of overgeneralization as a functional avoidance established in attempt to protect individuals from emotion resurgence is discussed. Furthermore, the impact of deficits in executive
functions on the recall of autobiographical memories in substance abusers has not been studied
and would be an interesting path of research.
© L’Encéphale, Paris, 2010.
Introduction
Chez les consommateurs de substances psychoactives, de
nombreuses recherches ont mis en évidence des troubles
cognitifs, et en particulier l’effet délétère de ces substances
sur l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives [23].
Pope et Yurgelun-Todd [29] ont montré une faible flexibilité
mentale, une augmentation de la persévération, un déficit
de l’apprentissage et des capacités à maintenir et suspendre
l’attention chez les consommateurs de cannabis, dénotant
une perturbation du fonctionnement des systèmes attentionnels et exécutifs. Une baisse des activités cérébrales
dans les régions impliquées dans l’encodage de souvenirs
[5], ainsi que dans les processus attentionnels [26,27], a
été relevée chez les consommateurs de cannabis. De même,
lors d’une tâche de Stroop modifiée, une hypoactivité cérébrale est observée chez les consommateurs de cannabis
en comparaison avec des individus non consommateurs,
alors qu’aucune différence de performance n’a été relevée à cette tâche. Ces résultats suggèrent une altération
de l’activité cérébrale des régions normalement impliquées
dans les fonctions exécutives qui serait compensée par la
sollicitation de régions cérébrales annexes chez les consommateurs de cannabis [20]. Par ailleurs, on a également pu
observer des troubles de la mémoire [4,19,20]. En particulier, Solowij et al. [35] ont montré que la consommation de
cannabis engendre des déficits au niveau mnésique et atten-
tionnel durant la période de consommation mais surtout que
l’importance des déficits serait lié au nombre d’années de
prise de produit [36].
Ces perturbations du système attentionnel, mnésique et
des fonctions exécutives s’observent suite à une consommation récente de produits (moins de 24 heures après la
première prise) [27], mais également à plus long terme
[12,30]. Bolla et al. [6] ont d’ailleurs mis en évidence chez
des individus abstinents depuis 28 jours, que plus la consommation de cannabis hebdomadaire est importante, plus les
performances à des tâches mesurant les fonctions exécutives et la mémoire sont faibles.
D’une façon générale, ces déficits cognitifs sont également remarquables chez des consommateurs d’autres
substances, telles que les amphétamines, l’ecstasy (MDMA),
la cocaïne et de façon moindre, l’héroïne [23]. Parmi les
perturbations mnésiques, des troubles de la mémoire autobiographique sont observés chez les consommateurs de
substances. Eiber et al. [11] ont montré une pauvreté des
souvenirs autobiographiques chez les individus dépendants
à l’héroïne.
La mémoire autobiographique, qui correspond à la
mémoire de l’histoire personnelle, permet le rappel des
événements de la vie antérieure et joue un rôle majeur
dans l’élaboration du sentiment d’identité [28]. La récupération des souvenirs autobiographiques est générée par deux
processus différents amenant à une récupération directe
146
ou indirecte [8]. Lors de la récupération directe, le souvenir autobiographique est activé spontanément suite à un
indice interne ou environnemental. Ce processus est rapide
et sollicite peu de ressources exécutives centrales. Il permet
d’induire la récupération de souvenirs plutôt spécifiques,
c’est-à-dire situés précisément dans le temps et l’espace.
De plus, lors de la récupération directe, l’information émotionnelle associée à l’événement passé est aussi réactivée
[8]. Lors de la récupération indirecte, l’événement personnel du passé est reconstruit volontairement par l’individu.
Ce mode de récupération fait appel à un processus top-down
débutant par la récupération d’un souvenir général, progressivement spécifié [34]. Ce processus est donc attentionnel
et plus lent que la récupération directe.
Le fait d’interrompre la reconstruction du souvenir
durant le processus de récupération indirecte alors que seule
une information vague a été atteinte aboutit à un processus
particulier que l’on désigne par surgénéralisation.
Ce phénomène serait sous-tendu par trois mécanismes,
exposés par Williams et al. [40] dans le modèle caR-FA-X.
L’évitement fonctionnel
La reconstruction d’un souvenir encodé dans le système de
mémoire épisodique génère également la récupération de
l’affect associé à l’événement passé. Lorsque le souvenir
s’avère être fortement chargé affectivement, la surgénéralisation correspond alors à un processus d’évitement
fonctionnel en ce sens qu’il permet de réduire la survenue
de l’émotion car la spécification du souvenir est stoppée
avant sa résurgence [8]. La généralisation des souvenirs
autobiographiques est renforcée à court terme en évitant
l’affect négatif et peut être considérée comme une stratégie
d’évitement cognitif [18].
L’effet de capture de la récupération liée à la
rumination
Chez les individus ayant une tendance à la rumination, et
notamment les patients dépressifs, les informations relatives à la représentation de soi sont saillantes et vont être
fortement activées lors de la présentation d’un mot cible
émotionnel. Au lieu d’avoir un effet facilitateur dans la
récupération, cette grande accessibilité des informations
liées à soi risque au contraire d’empêcher la progression
du processus de spécification du souvenir, par un effet de
« capture », aboutissant à un phénomène de surgénéralisation [40].
Le déficit des fonctions exécutives
La récupération indirecte est un processus lent qui requiert
des ressources exécutives [8]. Un déficit des fonctions exécutives est lié à une plus grande distractibilité, menant à des
perturbations dans la capacité à inhiber les informations non
pertinentes durant le processus de spécification. La surgénéralisation découlerait donc également de la difficulté de
l’individu à écarter certaines informations parasites, favorisant l’effet de « capture » énoncé ci-dessus [40].
M.-C. Gandolphe, J.-L. Nandrino
Ainsi, le phénomène de surgénéralisation a été mis
en évidence pour les souvenirs autobiographiques négatifs
chez des patients présentant un trouble dépressif majeur
[25,31,40], chez des patients souffrant de troubles anxieux
aigus ou de stress post-traumatique [9,10].
Cependant, peu d’études ont évalué ce phénomène chez
les patients présentant une problématique addictive, à
l’exception de quelques travaux portant sur les trouble
des conduites alimentaires [24,20] et une étude chez les
patients alcooliques [1].
Au vu de ces premiers constats concernant la surgénéralisation chez les individus dépendants à une substance, et aux
troubles de la mémoire autobiographique chez ces patients,
cette étude s’intéresse aux perturbations de la mémoire
autobiographique chez les consommateurs de substances.
Le but de cette étude est donc d’évaluer la mémoire
autobiographique chez des consommateurs de cannabis
en comparaison à des polyconsommateurs dépendants aux
opiacés afin de vérifier l’existence d’un biais de surgénéralisation et de tester si celui-ci varie en fonction de la
substance consommée.
Par ailleurs, nous cherchons à déterminer si le phénomène de surgénéralisation dépend de l’intensité de la
consommation, c’est-à-dire s’il est davantage observable
chez des individus dépendants, que chez des individus présentant un abus ou une consommation occasionnelle.
Méthode
Participants
Soixante-neuf individus, consommateurs de substances psychoactives âgés de 16 à 35 ans, ont accepté de participer
à l’étude, ainsi que 38 individus non consommateurs. Ils
sont tous volontaires et ont signé une lettre de consentement. Parmi les usagers de substances, 51 consommateurs
de cannabis et 18 polyconsommateurs de substances ont été
répartis dans quatre groupes selon leur niveau de dépendance. Leur appartenance aux différents groupes a été
établie selon les critères de dépendance de Goodman [16].
Un groupe (G2) est composé de 17 consommateurs occasionnels à réguliers de cannabis, dont 16 hommes et une
femme, âgés en moyenne de 21,8 ans (± 2,7). Leur fréquence de consommation varie entre une à cinq fois par
semaine et leur usage de cannabis n’est pas quotidienne.
Le nombre moyen de prise de cannabis par mois est de 18,5
(± 14,3). Un autre groupe (G3) est constitué de 17 patients
présentant une consommation abusive de cannabis, dont
16 hommes et une femme, âgés en moyenne de 22 ans (± 3).
Leur fréquence de consommation est d’une vingtaine de fois
par semaine minimum et leur nombre moyen de prise de
cannabis par mois est de 154,5 (± 94,4). Dix-sept patients
dépendants au produit, dont 15 hommes et 2 femmes,
constituent un dernier groupe de consommateurs dépendants au cannabis (G4). Ils sont âgés en moyenne de 21,2 ans
(± 3,1). Ils ont une consommation quotidienne, dont la fréquence par mois est de 362,9 (± 121,3), et remplissent
l’ensemble des six critères de Goodman. Rencontrés dans
le cadre d’une consultation cannabis, les patients étaient
accompagnés par un psychologue qui excluait de l’étude les
patients ayant des antécédents récents d’un autre trouble
Mémoire autobiographique et consommation de cannabis
addictif (dépendance à une autre substance, troubles alimentaires). Les participants ne présentaient aucun signe
d’un trouble psychiatrique, ni de déficit intellectuel. Les
18 individus polyconsommateurs (G5) sont constitués de
15 hommes et de trois femmes, âgés en moyenne de 25,6 ans
(± 4,5). Ils répondent aux six critères de dépendance de
Goodman [16] et sont des consommateurs actifs, rencontrés au début de leur prise en charge ou les premiers jours
de leur hospitalisation dans un centre de traitement des
dépendances. L’ensemble de ces patients présentent une
dépendance aux opiacés et consomment pour la plupart
d’autres substances psychoactives en parallèle. Des analyses
d’urines ont permis de vérifier leur consommation active.
Les patients présentant des antécédents de troubles alimentaires, des signes d’un trouble psychiatrique ou d’un déficit
intellectuel ont été écartés de l’étude.
Enfin, un groupe de 38 individus non consommateurs de
substances psychoactives, hormis une consommation occasionnelle d’alcool ou de tabac pour certains, constitue le
groupe témoin (G1). Ce groupe est composé de 33 hommes
et de cinq femmes dont l’âge moyen est de 22,8 ans (± 3,7).
Aucun de ces participants n’a d’antécédents addictifs, ni
ne présente de signe d’un trouble psychiatrique ou de déficit intellectuel. Les participants du groupe témoin ont été
recrutés à l’université de Lille 3. Les participants des cinq
groupes ont été appariés au niveau de l’âge et du sexe.
Aucun des participants n’était sous neuroleptique ou sous
antidépresseur au moment des évaluations.
Patients et évaluations cliniques
Évaluation de la consommation
Le niveau de consommation et de dépendance des participants a été établi selon les critères de Goodman [16].
De plus, des analyses d’urine effectuées uniquement chez
les individus polyconsommateurs ont précisé la nature et la
quantité approximative des produits consommés.
Évaluations cliniques
Après avoir évalué la consommation des participants, plusieurs dimensions cliniques ont été mesurées. Le niveau
de dépression a été évalué avec l’inventaire de dépression
de Beck : BDI [3] ; traduction et validation française [14]),
le niveau d’anxiété avec la State Trait Anxiety Inventory
(STAI Y)-A (pour l’anxiété état) et la STAI Y-B (pour l’anxiété
trait) [37] ; traduction et validation française [15]) et le
niveau d’alexithymie avec la Toronto Alexithymia Scale à
20 items (TAS 20) [2] ; traduction et validation française
[21,22]). La performance en mémoire épisodique des participants a été évaluée par un test de rappel libre à 15 items
avec remémoration sélective (RLS-15) [33] pour contrôler
la présence d’un déficit mnésique chez les participants. Ce
test permet de vérifier les perturbations de la mémoire à
court terme et du rappel différé.
Il se présente sous la forme d’une liste de 15 mots que
l’expérimentateur lit au participant. Ce dernier doit ensuite
rappeler autant de mots de la liste que possible dans l’ordre
dans lequel ils lui viennent à l’esprit. Cette procédure est
répétée jusqu’à temps que le participant soit capable de
rappeler la liste complète. Le nombre d’essais est compta-
147
bilisé, ainsi que le nombre moyen de mots rappelés par essai
(celui-ci est calculé en additionnant le nombre de mots rappelés à chaque essai et en divisant ce score par le nombre
d’essais).
Une heure après ce premier exercice, les mots sont présentés à nouveau et le participant a un essai pour rappeler
le maximum de mots possible. Le nombre de mots récupérés
en rappel différé est alors comptabilisé.
L’évaluation de la mémoire autobiographique a été effectuée par le test de mémoire autobiographique de Williams
et Scott [39], validation et traduction française [29]). Ce
test se présente sous la forme d’une liste de 20 mots cibles
à valence positive ou négative qui se succèdent alternativement. L’expérimentateur lit les mots à haute voix et
demande au participant d’associer à chacun des mots cibles,
un souvenir spécifique du passé.
Les participants répondent alors soit par un souvenir
spécifique, comme demandé dans la consigne, soit par un
souvenir général, ou bien ils peuvent ne pas donner de
réponse si aucun souvenir ne leur vient à l’esprit. Aucun
temps limite de réponse n’a été donné aux participants.
Selon le modèle intégratif de Conway [7], les souvenirs
spécifiques sont des souvenirs localisés dans le temps et
l’espace. Par exemple, au mot cible « heureux », un souvenir spécifique possible serait « le jour de mes 18 ans ». À
l’inverse, les souvenirs généraux sont des souvenirs vagues,
répétitifs ou faisant référence à une classe d’événement.
Par exemple, au mot cible « heureux », un souvenir général
possible serait « lors les dernières vacances ».
Nous avons calculé le pourcentage de réponses générales
par la formule ci-dessous :
Nombre de réponses générales
Nombre de réponses générales + Nombre de réponses spécifique
× 100
Le pourcentage de souvenirs généraux nous a permis de
déduire celui des souvenirs spécifiques. Le nombre moyen
des non-réponses de chaque participant a également été
étudié.
Procédure
La recherche est présentée aux participants comme une
étude sur la mémoire. Les participants sont informés du
caractère anonyme et confidentiel de l’étude. Chaque
patient est libre de refuser de participer. Chaque participant
signe un consentement éclairé.
L’étude commence par l’épreuve de rappel à court terme
du RLS-15 et par les auto-évaluations : la TAS 20, le BDI et la
STAI Y-A et B. Le test de mémoire autobiographique leur est
ensuite soumis avant de terminer la passation par l’épreuve
de rappel différé du RLS-15.
Analyses statistiques
Au vu de l’homogénéité des variances entre les cinq groupes
et de l’effectif de nos cinq groupes, nous avons utilisé des
tests statistiques paramétriques.
148
Nous avons réalisé une analyse de variance (Anova) afin
de mesurer l’effet principal du type de consommation sur
les résultats aux tests préliminaires (RLS-15, STAI Y, TAS 20 et
BDI). Puis, nous avons utilisé le test de Bonferroni pour les
comparaisons deux à deux.
Concernant le test de mémoire autobiographique, l’effet
possible du niveau de dépression des patients sur leur rappel autobiographique [40] a été pris en considération en
procédant à une analyse de covariance (Ancova) (en dépit
de certaines limites induites par cette méthode de traitement). Après nous être assurés de l’homogénéité des pentes,
des comparaisons par paires (test de Bonferroni) ont été
réalisées.
Résultats
M.-C. Gandolphe, J.-L. Nandrino
tant une addiction ont le même nombre moyen d’essais.
Néanmoins, les polyconsommateurs ne manifestent pas non
plus de différence de score avec les individus ayant une
consommation abusive et occasionnelle de cannabis, alors
que les patients dépendants au cannabis ont un nombre
moyen d’essais supérieur aux consommateurs occasionnels.
Pour le nombre de mots rappelés en différé, aucune
différence significative n’est observée entre les groupes,
sauf pour les polyconsommateurs. Ces derniers ont un
nombre de mots rappelés en différé inférieurs aux individus
témoins, aux consommateurs occasionnels. En revanche, il
n’y a pas de différence significative remarquable entre les
polyconsommateurs et les patients présentant un abus ou
dépendants au cannabis.
Résultats aux tests cliniques préliminaires
Résultats au test de mémoire autobiographique
Effet principal de la consommation sur les résultats aux
tests cliniques préliminaires
Les résultats de l’Anova montrent qu’il y a un effet principal du type de consommation sur le niveau d’anxiété
état (F(4,102) = 11,2 ; p < 0,001), d’anxiété trait (F(4,102) = 19 ;
p < 0,001), de dépression (F(4,102) = 36,7 ; p < 0,001) et
d’alexithymie (F(4,102) = 7,2 ; < 0,001) (Tableau 1).
Il existe également un effet principal du type de consommation sur les différents paramètres du test de mémoire
épisodique : nombre moyen de mots rappelés (F(4,102) = 2,5 ;
p < 0,05), nombre moyen d’essais (F(4,102) = 8,2 ; p < 0,001) et
nombre de mots rappelés en différé (F(4,102) = 4,9 ; p < 0,01).
Homogénéité des pentes
Pour les souvenirs autobiographiques généraux, les pentes
peuvent être considérées comme homogènes (F(4, 97) = 0,48 ;
p = 0,75), de même pour les souvenirs généraux positifs
(F(4, 97) = 2,25, p = 0,07) et pour les souvenirs généraux négatifs (F(4, 97) = 1,2 ; p = 0,32). L’homogénéité des pentes n’est
pas rejetée.
Comparaisons par paire des résultats aux évaluations
cliniques préliminaires
Concernant l’ensemble des tests cliniques préliminaires, les
résultats montrent que les scores des individus témoins,
des consommateurs occasionnels de cannabis et des individus ayant une consommation abusive de cannabis ne sont
pas différents mais qu’ils se distinguent en revanche des
patients dépendants au cannabis et des patients polyconsommateurs (pour les scores de dépression, d’anxiété état
et d’alexithymie). Cependant aucune différence entre le
groupe de patients présentant un abus et le groupe de
patients dépendants au cannabis n’est observée pour les
tests d’anxiété trait et d’alexithymie. De plus, au niveau
des deux groupes de patients dépendants (au cannabis et
polyconsommateurs), il n’y a aucune différence significative
entre les deux groupes de patients dépendants pour les tests
d’anxiété état et d’alexithymie. Cependant, pour les tests
d’anxiété trait et de dépression, les polyconsommateurs ont
des scores supérieurs aux patients dépendants au cannabis.
Au niveau de la mémoire épisodique, l’ensemble des participants a globalement rappelé le même nombre moyen
de mots en rappel immédiat aux différents essais, sauf les
polyconsommateurs dont le score est inférieur aux consommateurs occasionnels.
Le nombre moyen d’essais au test de rappel immédiat
ne diffère pas pour les individus témoins, les consommateurs occasionnels et les patients présentant un abus. En
revanche, il est plus important pour les individus dépendants au cannabis et pour les polyconsommateurs que pour
les individus témoins. Ces deux groupes de patients présen-
Effet principal de la consommation sur les résultats au
test de mémoire autobiographique
L’Ancova révèle un effet du type de consommation sur
le pourcentage de souvenirs autobiographiques rappelés
(F(4, 101) = 25,6 ; p < 0,001), quelle que soit leur valence
émotionnelle (positifs : F(4, 101) = 19,3 ; p < 0,001 ; négatifs :
F(4,101) = 13,7 ; p< 0,001). Les résultats montrent également
un effet du type de consommation sur le nombre de nonréponses (F (4, 101) = 4,7 ; p < 0,01) (Fig. 1).
Comparaisons par paire des résultats au test de mémoire
autobiographique
Concernant les souvenirs autobiographiques quelle que soit
leur valence émotionnelle, les résultats montrent que les
individus témoins ont un pourcentage de souvenirs généraux
rappelés plus faible que les autres groupes. Les consommateurs occasionnels de cannabis ne diffèrent pas à la fois
des individus témoins et des individus présentant un abus,
alors que ces deux groupes sont significativement différents.
Malgré un pourcentage de souvenirs généraux plus élevé
pour les patients présentant un abus que pour les individus
témoins, ces derniers rappèlent significativement moins de
souvenirs généraux que les patients dépendants au cannabis et les polyconsommateurs. Ces deux groupes de patients
dépendants ne présentent aucune différence significative
concernant leur pourcentage de souvenirs généraux autobiographiques rappelés (Fig. 1).
Si l’on distingue les souvenirs autobiographiques négatifs et positifs, l’évolution du pourcentage de souvenirs
généraux négatifs est la même que pour le pourcentage de
souvenirs généraux toute valence émotionnelle confondue :
le pourcentage de souvenirs négatifs rappelés est le même
pour le groupe témoin et le groupe de consommateurs occasionnels et il augmente en fonction de l’importance de la
consommation.
G1
STAI Y A
STAI Y B
BDI
TAS 20
Nombre moyen de
mots rappelés
en rappel
immédiat
Nombre moyens
d’essais
Nombre moyen de
mots rappelés
en rappel
différé
% souvenirs
généraux
% souvenirs
généraux
négatifs
% souvenirs
généraux
positifs
Nombre de
non-réponse
33,3
34,8
2,3
45,1
10,5
G2
(± 7)
(± 6,8)
(± 2,2)
(± 10,8)
(± 0,9)
36,7
39,2
2,2
45,3
10,9
G3
(± 9,9)
(± 6,1)
(± 1,8)
(± 8)
(± 0,8)
36,2
39
4,2
47,2
10,8
G4
(± 11,3)
(± 8)
(± 2,4)
(± 8,5)
(± 1,1)
46,5
45,8
7,8
55,4
10,5
G5
(± 13,2)
(± 10,5)
(± 4,4)
(± 8,5)
(± 1,1)
49,6
54,9
12,3
56,9
9,9
(± 10,5)
(± 11,3)
(± 4,8)
(± 10,6)
(± 1,2)
G1 vs G2
G1 vs G3
G1 vs G4
G1 vs G5
G2 vs G3
G2 vs G4
G2 vs G5
G3 vs G4
G3 vs G5
G4 vs G5
P=1
P= 0,80
P=1
P=1
P=1
P = 1
P = 0,89
P = 0,52
P = 1
P = 1
P < 0,001
P < 0,001
P < 0,001
P < 0,005
P = 1
P < 0,001
P < 0,001
P < 0,001
P < 0,001
P = 0,31
P=1
P=1
P= 0,79
P=1
P=1
P < 0,05
P = 0,25
P < 0,001
P < 0,05
P = 1
P < 0,01
P < 0,001
P < 0,001
P < 0,01
P < 0,05
P < 0,05
P = 0,23
P < 0,05
P = 0,15
P = 1
P < 0,01
P < 0,001
P < 0,001
P < 0,05
P = 0,13
P=1
P< 0,05
P< 0,001
P=1
P= 0,95
P=1
P < 0,001 P = 0,07
P = 0,05
P = 0,05
P=1
P = 1
P = 0,07
P=1
7,8 (± 1,9)
6,8 (± 3,2)
P=1
P = 0,98
P < 0,001 P < 0,01
13,2 (± 1,7)
12,4 (± 1,9)
P=1
P = 1
P = 0,33
33,8 (28—39) 44,2 (38—49) 62,4 (57—68)
66,1 (59—73)
P= 0,6
P < 0,001 P < 0,001 P < 0,001 P= 0,13
P < 0,001 P < 0,001 P < 0,001 P < 0,001 P = 1
15,8 (12—19)
16,9 (12—21) 24,4 (20—28)
36 (32—40)
32,7 (27—38)
P=1
P < 0,01
P < 0,001 P < 0,001 P < 0,001 P < 0,05
11,4 (9—14)
16,6 (13—20) 19,5 (16—23) 26,2 (23—29)
33,1 (29—36)
P< 0,05
P < 0,001 P < 0,001 P < 0,001 P = 1
P < 0,01
P < 0,001 P = 0,14
P < 0,001 P= 0,15
P=1
P = 1
P=1
P < 0,001 P = 1
P < 0,001 P< 0,001
4,7 (± 1,5)
4,9 (± 2)
14,1 (± 1,2)
13,9 (± 1,3)
27,6 (23—32)
0,62 (−0,2—1) 0,52 (−5—2)
5,8 (± 2,1)
13,7 (± 1)
1,18 (0,3—2)
0,58 (—0,6—1) 4,44 (2—5)
P < 0,001 P = 1
P < 0,001 P < 0,001 P= 0,10
P = 1
P < 0,001 P = 1
P=1
P < 0,05
Mémoire autobiographique et consommation de cannabis
Tableau 1 Scores moyens et écart-type des différents groupes de participants et comparaisons par paires (test de Bonferroni) des résultats aux évaluations cliniques et au
test de mémoire autobiographique.
P=1
G1 : groupe témoin ; G2 : groupe des consommateurs occasionnels de cannabis ; G3 : groupe des individus présentant un abus de cannabis ; G4 : groupe des individus dépendants au cannabis ;
G5 : groupe des individus dépendants à plusieurs substances.
149
150
M.-C. Gandolphe, J.-L. Nandrino
Figure 1 Pourcentage de souvenirs généraux rappelés parmi les différents groupes de participants.
G1 : groupe témoin ; G2 : groupe des consommateurs occasionnels de cannabis ; G3 : groupe des individus présentant un abus de
cannabis ; G4 : groupe des individus dépendants au cannabis ; G5 : groupe des individus dépendants à plusieurs substances.
Concernant les souvenirs autobiographiques positifs, les
quatre groupes de consommateurs ont un pourcentage plus
élevé que les individus témoins. Les individus présentant un
abus ne diffèrent significativement ni des consommateurs
occasionnels, ni des patients dépendants au cannabis, malgré un pourcentage significativement plus élevé de souvenirs
généraux positifs rappelés pour les patients dépendants en
comparaison aux consommateurs occasionnels. Les patients
présentant une conduite addictive remémorent significativement plus de souvenirs généraux positifs que les autres
groupes et il n’existe aucune différence significative entre
les patients dépendants au cannabis et les polyconsommateurs.
Enfin, seul les polyconsommateurs présentent un nombre
plus important de non-réponses que les autres participants.
Discussion
Les résultats obtenus au test de Williams et Scott montrent
que les individus présentant un abus de cannabis et les individus dépendants à une substance privilégient davantage
un mode de rappel général que les individus témoins. Par
ailleurs, ce phénomène de surgénéralisation est d’autant
plus remarquable lorsque les individus sont dépendants que
lorsqu’ils présentent un abus et ce quelle que soit la valence
émotionnelle des souvenirs rappelés (Fig. 1). De plus, la
surgénéralisation est observable aussi bien chez les consommateurs de cannabis que chez les polyconsommateurs et ne
peut être expliquée par le niveau de dépression des patients.
Nous pouvons également faire l’hypothèse que le phénomène de surgénéralisation commence à émerger dès lors
que les individus consomment occasionnellement, malgré
une absence de différence significative entre le pourcentage de souvenirs généraux des individus témoins et des
consommateurs occasionnels. En effet, si l’on considère
indépendamment le pourcentage de souvenirs généraux
positifs et négatifs, nous pouvons constater que le groupe
de consommateurs occasionnels ne diffère pas du groupe
témoin et du groupe de patients présentant un abus au
niveau du pourcentage de souvenirs généraux négatifs, en
revanche leur pourcentage de souvenirs généraux positifs
est significativement plus important que celui du groupe
témoin.
Par ailleurs, dans notre étude, le score d’alexithymie
montre que les patients dépendants sont plus alexithymiques que les individus témoins ou ceux dont la
consommation est occasionnelle et ce quelle que soit la
substance consommée. Ces résultats viennent confirmer la
prévalence de l’alexithymie chez les individus dépendants
à une substance psychoactive, largement démontrée dans
la littérature [13]. Aucune différence significative à la TAS
20 n’est également ressortie entre les individus présentant
un abus et ceux dépendants au cannabis. Ces résultats
viennent confirmer les résultats obtenus par Troisi et al. [38]
montrant que plus les individus consomment du cannabis,
plus ils sont alexithymiques.
Les résultats, qui montrent que plus les individus présentent une consommation importante plus ils tendent à
généraliser leurs souvenirs autobiographiques, pourraient
laisser penser que ce phénomène est lié à des perturbations
mnésiques induites par la consommation de substances. Ce
résultat est concordant avec l’observation selon laquelle
les usagers de cannabis avec une consommation hebdomadaire importante présentent des troubles mnésiques et
des perturbations des fonctions exécutives plus importantes
[6].
Cependant, au vu des résultats au test de mémoire épisodique, il semblerait que malgré quelques perturbations
observées chez les polyconsommateurs, l’existence de déficits de la mémoire épisodique chez les consommateurs
de cannabis n’ait pu être observée et ce quelle que soit
l’importance de la consommation.
En effet, concernant le test de rappel libre, les individus
dépendants à plusieurs substances psychoactives rappellent
moins de mots en rappel immédiat que les consommateurs
occasionnels. Néanmoins, les résultats ne mettent en évidence aucune différence du nombre moyen de mots rappelés
en rappel immédiat entre les individus dépendants et les
individus témoins.
De plus, le nombre d’essais nécessaire au rappel de la
liste complète de mots est plus important pour les deux
groupes de patients dépendants que pour les individus
témoins. Les patients dépendants au cannabis ont également besoin de davantage d’essais que les consommateurs
occasionnels. Par ailleurs, les deux groupes de patients
dépendants ne diffèrent pas des consommateurs abusifs
dont le nombre d’essai ne diffère pas des individus témoins
et des consommateurs occasionnels. Ces résultats montrent
une lenteur de l’apprentissage chez les patients dépendants
et a fortiori chez les participants dépendants au cannabis.
Si l’on considère le rappel différé, l’ensemble des
groupes a une performance identique, sauf pour les polyconsommateurs dont le nombre de mots rappelés en différé est
inférieur aux individus témoins et aux consommateurs occasionnels. Il apparaît donc qu’en dépit d’un apprentissage
moins aisé, les patients dépendants au cannabis ne font pas
Mémoire autobiographique et consommation de cannabis
preuve de déficit de la mémoire à long terme. Seuls les polyconsommateurs ont des difficultés à la fois dans le rappel à
court terme et à long terme.
Néanmoins, il est important de préciser que malgré des
performances inférieures aux autres groupes au test de rappel libre, les patients dépendants à plusieurs substances
ont un nombre moyen de mots rappelés supérieur à 11,
valeur seuil en dessous de laquelle les scores sont considérés
comme pathologiques [33]. Cependant, il a été reconnu que
certains facteurs sociodémographiques tels que le niveau
d’études ont un impact sur le score au test de mémoire [33]
et l’on peut supposer que cette différence de performance
puisse y être liée. En effet, la majorité des polyconsommateurs de notre échantillon ont un niveau d’études inférieur
ou égal au baccalauréat, contrairement aux participants du
groupe témoin. Or les individus ayant entrepris des études
supérieures sont ceux dont les performances au test de rappel libre sont les plus élevées, comparés aux individus dont
le niveau d’étude est inférieur [33].
Ce constat suggère que la surgénéralisation des souvenirs autobiographiques observée chez les consommateurs de
cannabis et les polyconsommateurs ne puisse être expliquée
par les effets délétères de la substance sur les performances
mnésiques, ni uniquement par le niveau de dépression des
participants (contrôlé par l’analyse de covariance). Les
scores de dépression des participants n’évoluent pas de
la même manière que les résultats au test de mémoire
autobiographique. En effet, le pourcentage de souvenirs
autobiographiques est plus élevé pour les deux groupes de
patients dépendants en comparaison aux autres groupes,
alors que le score de dépression est plus important pour le
groupe de patients dépendants à plusieurs substances que
pour le groupe d’individus dépendants au cannabis.
Le phénomène de surgénéralisation observé dans ces
populations de sujets consommateurs ou dépendants à des
substances pourrait être sous-tendu par plusieurs mécanismes. Selon le modèle caR-FA-X [40], l’adoption d’un mode
de récupération général des souvenirs dépend de la difficulté à gérer les émotions induites par la récupération
d’un souvenir douloureux, de la présence de mécanisme
de rumination (principalement observé chez les patients
dépressifs), et de la capacité à inhiber les informations non
pertinentes lors de la récupération de souvenirs (troubles
des fonctions exécutives).
Il est établi que la récupération de souvenirs autobiographiques requiert l’utilisation des fonctions exécutives
dont l’altération engendre une difficulté à accéder aux souvenirs spécifique liée à des « erreurs de capture » et par
conséquent, l’émergence d’un phénomène de surgénéralisation [9,40]. Ainsi, la perturbation durable des fonctions
exécutives observée chez les consommateurs de substances
pourrait être un facteur explicatif de la prévalence de
souvenirs généraux rappelés chez ces patients. Au vu des
diverses études révélant un trouble des fonctions exécutives chez les consommateurs de cannabis [6,12,29], il sera
important d’approfondir cette piste de recherche.
Cependant, les perturbations de la mémoire autobiographiques peuvent aussi être pensées comme une stratégie
d’évitement fonctionnel [40]. La reconstruction d’un souvenir encodé dans le système de mémoire épisodique génère
également la récupération de l’affect associé à l’événement
passé. Lorsque le souvenir s’avère être fortement chargé
151
affectivement, la surgénéralisation correspond alors à un
processus d’évitement fonctionnel en ce sens qu’il permet
de réduire la survenue de l’émotion car la spécification du
souvenir est stoppée avant sa résurgence [8]. La généralisation des souvenirs autobiographiques est renforcée à court
terme en évitant l’émergence d’affects négatifs [18]. Cette
hypothèse de la surgénéralisation en tant que stratégie fonctionnelle d’évitement est renforcée par l’observation de ce
phénomène essentiellement chez des individus présentant
des troubles de la régulation émotionnelle [9,17,40].
Le fait que la surgénéralisation soit observable à la
fois pour les souvenirs positifs et négatifs peut sembler
contradictoire avec l’idée d’une stratégie de régulation
émotionnelle. Cependant, comme le suggèrent Williams et
al. [40], la surgénéralisation des souvenirs positifs peut
correspondre à une garantie de l’efficience de cette stratégie de régulation émotionnelle. En effet, un moyen de ne
jamais se retrouver confronté à des souvenirs négatifs est
de récupérer l’ensemble de ses souvenirs à un niveau général. De plus, si la surgénéralisation peut être un moyen de
réduire l’émergence d’émotions négatives, il est possible
que cette stratégie ait évolué vers un pattern de réponse
habituel qui s’étend à l’ensemble des souvenirs quelle que
soir leur valence [32]. À long terme, les individus tendraient
à récupérer des souvenirs généraux de façon plus ou moins
automatique, indépendamment de la valence émotionnelle
associée à l’événement passé.
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