LETEMPS,5octobre1895[NAV]
L’Opéra‐Comiqueestdécidémentvouéàl’art...militaire.Jemehâte
d’ajouterqueMM.ClaretieetCainn’ontpasabusédeleursavantagesàce
pointdevue.Ilsontramasséenquelquesscènesrapidesuneaction
énergique,etmêmeviolente,quiauraiteffarouchésansdoutenos
grand’mèresdansunthéâtrejadisconsacréauxgrâcesnaïvesdeMarie,la
filledurégiment,ousauvagesdeRose,desDragonsdeVillars.
IlyapourtantquelquesrapportsentrelafabledesDragonsetcelle
delaNavarraise:icietlà,ils’agitd’unefillesansnomquiaimeunjeune
paysanetenestaimée,quiperdl’amourdesonfiancéparcequ’elleest
accuséed’unetrahisondontellen’estpascoupable.Seulement,dansles
Dragons,c’estlemariagequisertdedénouement;danslaNavarraise,c’est
lamortdel’unetlafoliedel’autre.
Onvoitquelcheminnousavonsfaitdepuisunetrentained’années
danslemacabre.Aujourd’hui,unlibrettiste,ouplutôtuncompositeur
d’opéracomiquesecroiraitdisqualifiés’ilfaisaitsouriresespersonnages;
ildoitleurmettrelamenaceouledésespoirauxlèvres.Lerires’estréfugié
dansl’opérette,oùiln’apasretrouvé,parmalheur,l’espritdeMeilhacet
d’Halévy.L’opéracomiqueestdevenul’opératragique:ilfautqueles
vieillesgénérationss’yrésignent;quantauxjeunes,onlesafaçonnées
depuisquelquesannéesàcettenouvellemanière.Est‐cevraimentqu’ilsla
préfèrent?LapiècedeMM.ClaretieetCainlesyconvertirait...pourune
soirée,carelleestpoignanteetempoignantedanssestroisquartsd’heure
dedialogueenfiévréentreMlleCalvé,laNavarraise,quiveutépouserM.
Jérôme,lesoldat;quitrouvedevantellel’oppositionpaternelledeM.
Belhomme,lerichepaysan;quitoutàcoupimaginesurunmotdeM.
Bouvet,legénéralconstitutionnel,deserendredanslecampennemipour
ytuerlechefcarlistedansl’espoirdetoucherlafortesommeet,parainsi,
dedéciderlevieuxpaysanrécalcitrantàluidonnersonfils.Parmalheur,
sonamant,convaincuqu’elleestalléedanslecampennemipours’y
vendre,arriveblesséàmortaumomentoùellerevientdesonexpédition
nocturne,lamauditpoursatrahisonetlamauditencorequandilsaitla
vérité,quiluifaithorreuràlui,lesoldatloyal.SurquoilaNavarraisen’a
riendemieuxàfairequedesetueraussioudedevenirfolle:ellechoisitce
secondgenredesuppliceetlecombatfinit–c’estlecasdeledire–faute
decombattants.
Surcelivret,oùlapassionetaussil’émotionsontportéesàleur
combled’intensité,M.Massenetaécritunepartitionquialetortdetrop
rappeler,parsarecherchedeseffets,laCavalleriarusticana,maisoùilapu
cependantdonnerlibrecarrièreàl’artqu’ilpossèdeausuprêmedegréde
secoueroudecaresserlesystèmenerveuxdesspectatrices.Endehorsdes
tamboursetdestrompettesobligatoiresdanslacirconstance,etdontil
disposemagistralement,ilnousadonnédesmorceauxdesentimentetde
passiondesameilleuremanière;lapièceétantpresquetoutentièrede
déclamation,lerôledel’orchestreestsouventprépondérant,etiln’yapas
às’enplaindre,carlafactureducompositeurestaussicurieuseetvariée
quesavante.L’entr’actependantlequels’accomplitlemeurtreetoùse
prépareledénouementaétéparticulièrementapplaudi.