
II.Les fonds souverains : gendarmes des marchés et financeurs de l’économie
mondiale
La présence de ces investisseurs publics sur les marchés financiers impose de nouvelles régulations en
finance. La lutte contre la corruption est une des raisons fondamentales qui expliquent la prolifération des
fonds souverains. Au Nigeria par exemple, le fonds souverain a été mis en place pour s’assurer que les
revenus pétroliers soient gérés de façon transparente. Des critères légaux très clairs définissent le modèle
d’investissement du fonds et les conditions sous lesquelles les revenus sont placés ou retirés, sécurisant
ainsi le capital public du pays. Par ailleurs, les fonds souverains deviennent acteurs d’une régulation de la
qualité des investissements. Le fonds souverain norvégien, « Norges Bank Investment Management »
(NBIM), fait par exemple preuve d’un activisme d’actionnaire qui n’a pas de précédent dans l’histoire de
la finance. Le fonds s’est engagé à se retirer de tout investissement lié à la production de combustibles
fossiles. Dans les entreprises dans lesquelles il est investi, il requiert la réduction des émissions de gaz à
effet de sphère. La taille et l’importance stratégique de NBIM font de ses engagements éthiques un
véritable moyen de pression sur les pratiques financières. NBIM n’hésite pas à mettre en œuvre ses
sanctions : récemment, le fonds a mis un terme à sa participation dans l’entreprise américaine « Duke
Energy Corp. » après la révélation de son bilan de pollution. [4] Non sans une certaine ironie de l’histoire,
c’est un fonds issu de revenus pétroliers qui est aujourd’hui le champion du financement de la transition
énergétique et de la sensibilisation au changement climatique.
L’activisme d’actionnaire des fonds souverains permet également de lutter contre le problème de
l’asymétrie d’information sur les marchés financiers. Le manque de transparence des informations
délivrées par les entreprises, voire la rétention ou la manipulation d’informations (déclaration de faux
profits, dissimulation de pertes…), est une source de risque immense pour les investisseurs et une des
causes de la création de bulles financières. Pour réduire les aléas sur la valeur de leurs actifs, les fonds
souverains demandent une transparence des normes comptables et la publication d’informations
financières fiables de la part des entreprises dans lesquels ils sont investis. Cela renforce la mise en
application des normes internationales de régulation des marchés, comme les « International Financial
Reporting Standards utilisés en Europe » ou les « Generally Agreed Accounting Principles » américains.
Au-delà de ce nouveau rôle de gendarme de la finance, les fonds souverains détiennent aussi une
puissance transformative sur la finance en proposant un nouveau modèle d’investissement. L’essence de
leur stratégie repose sur l’investissement sur un horizon long terme pour garantir que les revenus
d’aujourd’hui bénéficient aux générations futures. Alors qu’un fonds de pension traditionnel a besoin de
produits qui génèrent des retours annuels pour déverser les retraites à ses contribuables chaque année,
les fonds souverains n’ont théoriquement pas d’engagement sur l’année mais plutôt sur 5, 10 voire 20 ans.
Ils ont ainsi une approche contra-cyclique par rapport à la volatilité court terme des marchés. Lors de la
panique qui a saisi les marchés début janvier 2016, les bourses ont chuté dans un mouvement général de
rétraction des investissements et vente des actions. A contre courant de cette tendance, un groupe de
fonds souverains [5] réunis au Forum Économique de Davos le 21 janvier 2016 affirmait leur engagement
contre la volatilité des marchés, en annonçant la création du nouvel indice d’investissement long-terme, le
« S&P Long-Term Value Creation Index ». Cet engagement est très prometteur. Jusqu’à présent, les
investissements long terme étaient désertés par les investisseurs traditionnels. Ils requièrent en effet un
engagement stable et pérenne et sont souvent associés à de forts coûts fixes initiaux, une faible
profitabilité immédiate et des risques qui pèsent sur leur viabilité. Dans le cas de produits illiquides
comme les infrastructures, l’investisseur est impliqué durant l’ensemble de la période d’investissement et
peut difficilement se rétracter en cours. Pour ces raisons, les investisseurs court terme ne préfèrent pas
s’y risquer. Pourtant, ce sont ces investissements qui sont la clé du financement d’une économie globale :
réseaux électriques, voies de communication, assainissement en eau ou encore financement de la
transition énergétique sont autant d’investissements cruciaux délaissés par les règles classiques de la
finance. Les fonds souverains ont une position privilégiée pour combler ce gouffre. On peut citer
l’approche de la « Caisse de dépôt et placement du Québec » (CDPQ) qui travaille directement avec le
gouvernement canadien pour concevoir et financer des projets d’infrastructures publiques et de
transports à impacts sociaux et environnementaux. De la même manière, CDPQ est membre de la