Problèmes économiques No 2.951 02 juillet 2008 DOSSIER : Les fonds souverains A l´origine des fonds souverains Eclairages - Crédit Agricole Riadh El Hafdhi Les marchés financiers internationaux ont vu émerger, au cours de la dernière décennie, un nouvel acteur de poids : les fonds souverains. La plupart d'entre eux ont été créés à partir des réserves et des excédents en devises des pays émergents. Leur but est avant tout de placer et de gérer de manière rentable des liquidités publiques qui ne font pas l'objet d'investissement dans leurs pays d'origine. Aujourd'hui, les fonds souverains sont devenus plus visibles car ils se contentent de moins en moins d'une fonction de stabilisation à court ou à long termes, mais recherchent des rendements élevés. Leurs choix se portent donc moins sur les bons du Trésor mais beaucoup plus sur les actions. Cette stratégie inquiète les gouvernements ne disposant pas de tels fonds : ils craignent que ces liquidités puissent servir des intérêts autres qu'économiques... Les fonds souverains ou la profonde mutation des relations économiques internationales Futuribles Charles du Granrut L'apparition des fonds souverains est un phénomène complexe qui ne se résume pas à une simple accumulation de réserves de change. L'auteur rappelle que l'émergence de ces fonds s'explique par une transformation, à la suite de la grave crise financière de 1997, de la stratégie de croissance des pays asiatiques. Celle-ci ne repose plus seulement sur l'ouverture commerciale, mais également sur la réalisation d'excédents commerciaux et l'accumulation de réserves de change. Dix ans plus tard, le succès de cette stratégie est indéniable. Il confère à ces pays un pouvoir substantiel en matière de gestion des taux de change ainsi que la possibilité de gérer une partie des réserves de façon dynamique sur les marchés internationaux. Par conséquent, le rôle des fonds souverains doit être analysé dans une perspective plus large, celle de l'accession de certains pays émergents au statut de puissance financière. Une menace pour la stabilité financière ? De Nederlandsche Bank Quarterly Bulletin L'activité des fonds souverains peut être bénéfique pour la stabilité financière. La récente crise des subprimes en a été une parfaite illustration lorsque certains d'entre eux se sont portés au secours de banques américaines en difficulté. Par ailleurs, ces fonds étant à la recherche d'investissements qui offrent une garantie de rendement, ils sont particulièrement vigilants concernant l'allocation des capitaux qui doit s'avérer la plus efficace possible. Néanmoins, les fonds souverains peuvent également être la source d'un certain nombre de risques et de tensions. Leur taille (sans doute, dans 10 ans, 15 à 20 % de la valeur des actifs financiers dans le monde) et leur manque de transparence constituent ainsi de réels dangers. Ils risquent d'accroître la volatilité et ainsi de perturber les marchés financiers. Le financement de la dette des grands pays industrialisés pourrait en outre s'avérer plus difficile dans la mesure où les gérants des fonds souverains privilégient les actions et les obligations d'entreprises au détriment des bons du Trésor. Fonds souverains : le retour du capitalisme d'Etat Frankfurter Allgemeine Zeitung Jenik Radon et Julius Thaler L'émergence récente des fonds souverains rend difficile l'analyse de leurs effets sur l'économie. Outre les craintes suscitées par leur manque de transparence, l'activité des fonds souverains provoque de nombreuses interrogations quant à ses conséquences réelles sur le fonctionnement de l'économie de marché. Les auteurs rappellent que les investissements réalisés par un fonds souverain n'engagent pas un investisseur privé mais un Etat, disposant de pouvoirs et d'un potentiel d'influence nettement plus importants. Ainsi, ce dernier pourrait - si cela sert ses fins politiques - supporter plus aisément des participations à pertes. Les fonds souverains pourraient également fausser la concurrence, si les produits d'une entreprise servaient par exemple à subventionner l'activité d'une autre firme figurant dans le portefeuille de ce fonds. Après des années de dérégulation, l'apparition des fonds souverains marque-t-elle le grand retour du capitalisme d'Etat ? Le match des capitalismes Le nouvel Economiste Philippe Plassart et Patrick Arnoux Quand aujourd'hui économistes, philosophes et décideurs politiques s'interrogent sur l'évolution récente du capitalisme, leur conclusion est sans ambiguïté : la prophétie de Friedman d'une planète uniformisée par la mondialisation s'est révélée inexacte. Cette dernière entraîne au contraire la coexistence de différentes formes de capitalisme. Si des forces de convergence demeurent, le capitalisme anglo-saxon semble montrer des signes de faiblesse et perdre de sa force fédératrice. Il doit en effet cohabiter avec d'autres formes de capitalisme : européen continental (comme en Allemagne et en France), familial (comme en Inde et en Chine), ou encore étatique (comme en Russie et en Chine). Cette dernière forme interpelle particulièrement les analystes car elle est révélatrice d'une autre tendance : les fonds souverains montrent que c'est aujourd'hui hors du marché que s'accumulent les capacités d'investissement les plus importantes. Également dans ce numéro MONDIALISATION ET MARCHE DU TRAVAIL Les emplois exportables Finances et développement David Coe Si le phénomène des délocalisations n'a longtemps concerné que les emplois faiblement qualifiés exposés à la concurrence internationale, les technologies de l'information et de la communication (TIC) rendent aujourd'hui de nombreux emplois, en particulier dans le secteur des services, potentiellement " sous-traitables ". Le mouvement de délocalisation de grande ampleur qui pourrait se produire toucherait dès lors également les travailleurs moyennement et hautement qualifiés, pesant ainsi sur leurs niveaux de rémunération comme sur la sécurité de l'emploi (effective ou ressentie) dans les pays développés. Il importera donc, estime l'auteur, afin notamment de rendre la mondialisation plus acceptable, de dédommager les perdants de ce processus, sans toutefois créer de désincitation au travail. SCIENCE ECONOMIQUE Confiance et croissance Centre d'analyse stratégique La confiance, dans la mesure notamment où elle permet d'intensifier les échanges et de favoriser les attitudes coopératives, est nécessaire au développement et au bon fonctionnement d'une économie. L'étymologie de l'adjectif " fiduciaire " - fiducia, en latin, signifie confiance - indique d'ailleurs clairement combien l'usage de la monnaie, c'est-à-dire l'activité économique, repose effectivement sur la confiance. Plusieurs travaux économétriques tendent du reste à confirmer la robustesse du lien entre confiance et croissance. Comme l'ont remarqué les lauréats du Prix du livre d'Economie 2008, Yann Algan et Pierre Cahuc, dans leur essai La société de défiance, les Français se distinguent par une confiance particulièrement faible aussi bien dans les autres que dans les institutions. Le retour de la confiance - donc de la croissance - ainsi que la survie du modèle social français pourraient dès lors passer par une amélioration de la transparence de l'action publique, une simplification de la réglementation (la complexité étant souvent suspectée de dissimuler des différences de traitements importants) ou encore une réforme du système éducatif. DEVELOPPEMENT L'aide au développement revisitée Commentaire Patrick Guillaumont et Sylviane Guillaumont Jeanneney L'aide au développement fait, depuis quelques années, de nouveau l'objet de nombreux débats. Ce regain d'intérêt s'est accompagné d'une augmentation de l'effort d'aide consentie par la communauté internationale. Celle-ci a fini en effet par prendre conscience des écarts que la mondialisation avait contribué à creuser entre les pays développés et émergents et les pays les plus pauvres. L'aide au développement continue cependant d'être victime, en particulier en France, d'un certain nombre d'idées fausses et contradictoires. Les auteurs se proposent, afin de rendre la politique française d'aide au développement plus efficace, d'en remettre en cause cinq parmi les plus dommageables. CROISSANCE Ressources naturelles et solidarité entre générations Etudes Pierre-Noël Giraud La multiplication de discours alarmistes ou catastrophistes concernant le mode d'exploitation des ressources naturelles conduit aujourd'hui une partie de l'opinion à remettre en cause radicalement notre mode de croissance. Si rien ne change, notre dette à l'égard des générations futures pourrait s'avérer, selon elle, incommensurable : nous léguerions ni plus, ni moins à nos descendants une planète sur laquelle les conditions d'existence seraient rendues très difficiles. Afin de clarifier le débat et d'identifier des priorités pour l'action collective, l'auteur revient, ici, sur la manière dont l'économie envisage la question des rapports intergénérationnels dans l'usage des ressources naturelles.