innovant.
Mutations considérables qui signent toujours l’époque contemporaine.
• En France, la monarchie capétienne construit l’Etat en confisquant progressivement à la noblesse les attributs essentiels
de la souveraineté (pouvoir militaire, diplomatique, judiciaire, fiscal, monétaire, etc.). Ce mouvement commence à l’âge
féodal (Xème - XIème siècles), quand la propriété foncière et le pouvoir politique sont démembrés et émiettés entre
suzerains et vassaux, parmi lesquels la royauté peine à s’affirmer. Ce processus de monopolisation des pouvoirs relève de
luttes éliminatoires, faites de guerres et d’alliances judicieuses - notamment matrimoniales - pour finir par
l’assujettissement au roi d’une société de courtisans sous la monarchie absolue (XVIIème - XVIIIème siècles).
Ce mouvement va cependant conduire progressivement l’Etat à s’émanciper du corps physique du prince, à s’en
distinguer, à s’abstraire en un corps institutionnel : l’Etat devient une personne morale. Processus complexe, d’ordre
théologico-politique, analysé par E. KANTOROWICZ (1895-1963 - Les deux corps du Roi - 1957)
• A partir des XIIème - XIIIème siècles, les échanges marchands se développent et l’économie se monétarise. Les recettes
fiscales en numéraire deviennent alors la ressource principale du budget royal, bien loin devant les ressources domaniales
d’antan - souvent en nature - quand le roi n’était qu’un suzerain, ou à peine plus. Ce budget doit et peut couvrir un
appareil administratif civil et militaire qui croît substantiellement au fur et à mesure de la concentration du pouvoir par la
maison royale - appareil qui doit désormais administrer un pays. Alors se dessine un budget public de l’Etat qui traduit le
passage d’une domination privée du souverain à sa « dépendance fonctionnelle envers la société sur laquelle il règne »
(N. ELIAS, La dynamique de l’occident, 1976) : le monopole de domination se socialise, il doit se soumettre à des
responsabilités collectives. L’Etat républicain héritera des structures mises en place par la monarchie.
• L’autonomisation du pouvoir est contemporaine de l’émergence de l’individu libre. Depuis des siècles déjà, la lente
construction de l’administration du royaume, par sa nécessaire remise en cause des enchevêtrements communautaires qui
enchâssent les existences humaines dans des collectifs parfois incompatibles avec l’unification étatique, a conduit à
configurer le statut de l’individu, sujet de l’Etat. Mais l’individu ne restera pas sujet. Pour l’Etat, la perte de l’assise du
ciel implique un basculement vers le bas. Vers le bas symétrique, celui d’une humanité qui se découvre essentiellement
redevable d’elle-même. Mouvement lent et plein de retours, tant l’enjeu - spirituel mais aussi temporel - est grave. De
théocratique la légitimité du pouvoir deviendra démocratique. Le peuple n’obéira qu’à lui-même.
• C'est sur le terrain du droit d'abord, que l'organisation politique nouvelle va être pensée. L'État trouverait son fondement
dans le consentement des individus naturellement libres - sujets de droits. Un contrat social serait la source du pouvoir
souverain. LOCKE (1632-1704) ROUSSEAU (1712-1778) etc.
Idée novatrice certes, mais qui ne suffit pas pour instaurer par elle-même la démocratie. Un Etat autocratique trouverait
certainement, pour se perpétuer, la manière de faire une certaine place à la raison et à des droits de l’homme qu’il aurait
définis et octroyés lui-même.
• En fait, c’est une autre dimension de l’émancipation de l’individu qui va remettre profondément en cause la primauté
ordonnatrice du politique. La référence à la loi divine implique l’assujettissement au passé et à la tradition. Au contraire,
l’avènement de l’individu libre, parce qu’il est un appel à l’invention et à l’autoproduction de soi, est tourné quant à lui,
vers un futur ouvert.
La conquête de l’autonomie ne s’inscrit donc pas seulement dans le droit, elle inverse radicalement le rapport au temps : à
la référence à un passé immobile comme source du pouvoir ordonnateur du politique, se substitue le mouvement de la
création historique dans lequel une nouvelle entité apparaît comme moteur de l’invention collective : la société civile.
« Ce qui compte en priorité, désormais, ce n’est pas l’ordre défini et imposé d’en haut, c’est le mouvement émané d’en
bas. L’instance d’ordre que demeure l’Etat ne peut être qu’au service du mouvement, dont le siège se trouve dans cette
sphère des relations immédiates entre les êtres où ils déploient leur ingéniosité et leur labeur, à la poursuite de leurs
intérêts propres, et où ils échangent les fruits de leur travail. Si l’on veut libérer la puissance d’histoire de la sorte inscrite
dans la société civile, il est indispensable d’en assurer l’indépendance par rapport à l’Etat, comme de garantir la liberté de
manœuvre de ses composantes. Pareille consécration ne peut être valablement obtenue, en réalité, que si l’on fait du
gouvernement ce qu’il doit être, compte tenu de cette primauté de la société, à savoir la représentation de ses intérêts. La
tâche du pouvoir n’est plus de constituer la collectivité, elle est d’exprimer une société devenue distincte de lui. » (M. G.
passages soulignés par nous)
Basculement majeur dans l’histoire politique, ce « renversement libéral » - qui a lieu entre 1750 et 1850 - marque
l’avènement de l’Etat démocratique moderne.
d) Les contradictions de l’Etat moderne.
L’instance politique apparaît désormais réduite à un rôle représentatif : le gouvernement assure les intérêts de la société
civile. Il est à son service. Il fait la politique de la société. Mais en fait, cette relation doit s’appuyer sur un double arrière-
plan pour pouvoir fonctionner efficacement :
- le gouvernement a besoin du pouvoir de l’appareil d’Etat pour gouverner la société de façon effective. Pouvoir qui, en
fait, n’a pas disparu et qui continue, comme par le passé - mais de façon moins visible, plus implicitement - à assurer