Est-il légitime de considérer ces racines fines comme des feuilles souterraines ? J’ai réuni des
arguments qui vont dans les deux sens, afin que la discussion permette au lecteur de se faire une
idée aussi objective que possible. La première question à aborder est celle de l’origine des racines
fines. D’où proviennent-elles ? Comment font-elles leur apparition sur la plante ?
Les racines fines, d’où proviennent-elles ?
En comparant la naissance des feuilles à l’extrémité d’une tige en croissance, et la naissance
des racines fines à l’extrémité d’une racine de structure en croissance, on constate aisément que,
pour l’essentiel, les deux mécanismes sont identiques. La séquence des événements — période
embryonnaire, naissance, développement, période d’activité intense, sénescence, disparition —
est la même dans les deux cas.
Mais la question n’est pas résolue pour autant, car il existe au moins trois différences entre
nos deux organes :
— Les feuilles prennent naissance à la surface de la tige, tandis que les racines fines sont
issues des tissus internes de la racine de structure. Mais cela s’explique : il faut y voir l’effet de la
contrainte majeure qu’affrontent toutes les racines : croître à travers un milieu dense et
hétérogène, ce qui oblige à protéger de l’abrasion les tissus les plus fragiles, donc les plus jeunes.
La « coiffe », à l’extrémité de la racine de structure, répond au même impératif de résistance à
l’abrasion.
— Les feuilles apparaissent sur la tige en des positions prévisibles, selon un ordre strict, d’une
rigueur mathématique, connu sous le nom de phyllotaxie. Les racines fines apparaissent, au
contraire, de façon opportuniste ou aléatoire : il ne semble pas exister de « rhizotaxie ». Mais on
connaît aussi quelques (rares) exemples de feuilles à phyllotaxie aléatoire, et ce caractère ne
sépare donc pas profondément nos deux organes.
— Les nervures des feuilles sont, le plus souvent, réunies entre elles en une surface plane et
active en matière de photosynthèse, le limbe. Les racines fines, bien sûr, n’ont pas de limbe, mais
cela n’empêche pas d’y voir des feuilles, puisque les feuilles du cabomba, non plus, n’ont pas de
limbe, ni celles du fenouil (figure 1).
Si les feuilles et les racines fines apparaissent et se mettent en place de la même manière, peut-
être leurs fonctions sont-elles à ce point différentes que cela les sépare définitivement ? Quelles
sont donc les fonctions des racines fines ?
Les racines fines, à quoi servent-elles ?
Ont-elles des fonctions qui les rapprochent des feuilles classiques, ou qui les en éloignent ?
— Les feuilles, en principe, contiennent de la chlorophylle et, à la lumière, réalisent la
photosynthèse des sucres. Les racines fines, quant à elles, n’en contiennent pas ; d’ailleurs la
chlorophylle ne leur servirait à rien puisqu’elles vivent dans le noir, sous terre. Ce caractère
séparerait ces deux organes si l’on ne disposait des exemples de la pomme de terre, des iris, des
lis, des oignons et de beaucoup d’autres plantes, dont les tiges peuvent être souterraines, donc
porter des feuilles elles aussi souterraines : réduites à l’état d’écailles, ces feuilles-là ne
contiennent pas de chlorophylle. À l’inverse, on connaît aussi des racines aériennes, chez les
orchidées par exemple : ces racines-là sont vertes et, à la lumière, synthétisent des sucres.
— Les racines fines, comme toutes les racines, servent à absorber l’eau dont la plante a besoin
et, a priori, c’est là un rôle très différent de la fonction chlorophyllienne classiquement dévolue
aux feuilles. Mais, dans la réalité, les fonctions ne sont pas aussi séparées que ne le dit la
botanique classique : nous venons de voir le cas des racines vertes qui de synthétisent des sucres ;
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