La méthadone dans le traitement de la douleur cancéreuse

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Cas clinique
Cas clinique
Cancer
La méthadone dans le traitement
de la douleur cancéreuse
Florence Dixmérias-Iskandar*, Fabrice Lakdja*
La patiente récupère partiellement sur
le plan neurologique et conserve une
paraparésie. Parallèlement, apparaisa morphine par voie orale offre un équilibre optimal de la balance
sent des douleurs intenses de l’hémiefficacité-effets indésirables et représente le traitement de
thorax gauche. La scintigraphie osréférence de la douleur cancéreuse (1). Cependant, dans 10 à 30 % des
seuse confirme la dissémination
cas, même correctement conduit, ce traitement est un échec en raison
métastatique à l’arc axillaire de la
d’une analgésie insuffisante et/ou d’effets indésirables excessifs (2). Plu10e côte gauche. Une radiothérapie à
sieurs alternatives sont proposées (3), fondées notamment sur le concept
visée antalgique est effectuée. Progressivement, les douleurs ne sont plus
de rotation des opioïdes, à la recherche de l’agent possédant la meilleure
calmées par l’association dextroprobalance efficacité-effets indésirables. Plusieurs molécules sont dispopoxyphène et kétoprofène. Des antinibles : fentanyl, oxycodone, hydromorphone, méthadone... Pour certains,
convulsivants sont associés devant
la méthadone apparaît comme l’agent de choix du fait de ses propriétés
l’apparition de douleurs à type de
anti-NMDA associées aux effets morphinomimétiques (2).
brûlures dans les dermatomes T6, T7
et T8 gauches. Mal tolérés sur le plan
neurologique, ils sont rapidement inMots clés : Douleur cancéreuse - Méthadone - Rotation
terrompus. L’IRM confirme une évolution au niveau T6T7 avec des signes de compression médullaire et un envades opioïdes - Effets indésirables.
hissement de la région costovertébrale gauche. Aucun
traitement spécifique n’est proposé et le traitement antalgique est renforcé. La morphine orale à libération prolonNous rapportons le cas d’une patiente âgée de 80 ans,
porteuse, au niveau du rachis dorsal, de métastases osgée (30 mg x 2/24h) entraîne dès le cinquième jour une
seuses évoluées et douloureuses d’un carcinome indéconfusion importante avec dysarthrie, somnolence et idées
terminé pour laquelle la méthadone a permis un contrôle
délirantes. La symptomatologie persiste malgré la dimiantalgique satisfaisant, alors que tous les autres traitenution des doses et impose l’arrêt du traitement. D’autres
ments morphiniques testés avaient entraîné des effets
agents sont successivement substitués : fentanyl transdercentraux à type de confusion.
mique (25 µg/h), hydromorphone (8 mg/24 h) puis oxycodone (20 mg/24 h). À chaque fois, après quelques jours
de traitement, les effets neurologiques centraux sont trop
importants pour en permettre la poursuite. La méthadone
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(20 mg/24 h) est débutée par voie orale, tout en continuant
le traitement anti-inflammatoire, et amène rapidement le
Une patiente âgée de 82 ans souffre de douleurs dorsales
contrôle des phénomènes douloureux, sans effets collatéintenses en rapport avec des métastases rachidiennes mulraux notables. La patiente peut à nouveau se mobiliser et
tiples et étendues d’un adénocarcinome bronchique.
reprendre le programme de rééducation fonctionnelle des
L’histoire débute un an auparavant par une paraplégie
membres inférieurs.
brutale liée à une compression médullaire par envahissement métastatique T6-T7 avec épidurite. La patiente bénéficie d’une chirurgie de décompression associant laDiscussion
minectomie et arthrodèse. Les suites opératoires sont
simples et une radiothérapie complète le traitement.
La mise en place d’un traitement morphinique chez une
personne âgée est souvent complexe, notamment en rai* Département d’anesthésie-réanimation-algologie, Institut Bergonié,
son des modifications pharmacocinétiques liées à l’âge
Centre régional de lutte contre le cancer, Bordeaux.
L
Le Courrier de l’algologie (2), no 2, avril/mai/juin 2003
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(réduction de la clairance rénale et du volume de distribution), fréquemment responsables d’une incidence plus
élevée d’effets indésirables neurologiques centraux.
Après avoir éliminé les autres étiologies possibles de
désordres neurologiques, quatre stratégies sont classiquement recommandées : réduction des doses, traitement
symptomatique des effets adverses, changement de voie
d’administration, rotation des opioïdes (4).
La rotation des opioïdes fait partie de l’arsenal du traitement de la douleur cancéreuse face à l’apparition d’une
tolérance au traitement et/ou d’effets indésirables graves
ou intenses. Ce concept de rotation est né de la meilleure
connaissance des trois types principaux de récepteurs
aux opioïdes (5) et de leurs sous-types, ainsi que de la
mise en évidence, plus récente, de leur oligomérisation
(homo- ou hétérodimérisation) à l’origine de complexes
récepteurs pouvant expliquer les phénomènes de tolérance (6). Il existe, de plus, une variabilité individuelle
des effets analgésiques et des effets indésirables des différents morphiniques (7). L’application thérapeutique
repose sur la recherche de la molécule possédant le
meilleur rapport efficacité-effets indésirables, en commençant le traitement à dose équianalgésique.
Cette patiente, âgée de 82 ans, présentait une confusion
importante et durable sous sulfate de morphine et le passage à d’autres agents morphiniques était suivi d’effets
similaires. C’était également le cas avec l’oxycodone,
agent de choix chez la personne âgée en raison de sa
forte biodisponibilité et d’un métabolisme non influencé
par l’âge.
La méthadone est, pour certains auteurs, la molécule substitutive de choix en raison de son double effet analgésique,
agoniste µ et δ, d’une part, et anti-NMDA par son énantiomère dextrogyre, d’autre part (2, 8-10). Par voie orale,
20 mg sont équianalgésiques à 30 mg de morphine. Néanmoins, la plupart des auteurs recommandent, dans le cadre
de la rotation, une dose égale à 75-90 % de la dose équianalgésique théorique. Grâce à sa demi-vie longue, une administration quotidienne suffit, ce qui, par ailleurs, facilite l’observance thérapeutique.
En France, la méthadone est peu employée, tandis que cet
agent est utilisé à titre antalgique dans de nombreux autres
pays. La législation l’avait en effet initialement cantonnée
à la prise en charge substitutive des toxicomanes, mais
elle est désormais facilement obtenue en pharmacie hospitalière comme en officine. Les indications pourraient
donc être élargies et la méthadone pourrait trouver une
place de choix pour le traitement de la douleur d’origine
■
néoplasique.
Résumé/Summary
La méthadone dans le traitement de la douleur cancéreuse
La rotation des opioïdes fait partie de l’arsenal du traitement
de la douleur cancéreuse face à l’apparition d’une tolérance au
traitement et/ou d’effets indésirables graves ou intenses. La
méthadone est pour certains auteurs la molécule substitutive
de choix en raison d’un double effet analgésique. En France,
elle est peu employée, tandis que cet agent est utilisé à titre antalgique dans de nombreux autres pays. Nous rapportons le
cas d’une patiente âgée de 80 ans, présentant des douleurs métastatiques osseuses et pour laquelle seule la méthadone a
permis un contrôle antalgique satisfaisant alors que tous les
autres traitements morphiniques avaient entraîné des effets indésirables.
Methadone as treatment of cancer pain
In the management of cancer pain, opioid rotation is proposed
when treatment-limiting toxicity causes poor compliance
or when tolerance to treatment appears. Thus switching to methadone is an attractive alternative, since it is a potent opioid
which also blocks the NMDA receptor. Methadone is underused
in France. We present a case of a 80-year-old women, suffering
from pain caused by bone metastasis and severe side effects
associated with oral opioids. Successful opioid therapy was
achieved only with methadone with a marked reduction in
sedation and cognitive impairment.
Keywords: Cancer pain - Methadone - Opioid rotation - Adverse
effects.
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