La méthadone dans le traitement de la douleur cancéreuse

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Le Courrier de l’algologie (2), no2, avril/mai/juin 2003
Cas clinique
Cas clinique
Cancer
La méthadone dans le traitement
de la douleur cancéreuse
Florence Dixmérias-Iskandar*, Fabrice Lakdja*
Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 80 ans,
porteuse, au niveau du rachis dorsal, de métastases os-
seuses évoluées et douloureuses d’un carcinome indé-
terminé pour laquelle la méthadone a permis un contrôle
antalgique satisfaisant, alors que tous les autres traite-
ments morphiniques testés avaient entraîné des effets
centraux à type de confusion.
Cas clinique
Une patiente âgée de 82 ans souffre de douleurs dorsales
intenses en rapport avec des métastases rachidiennes mul-
tiples et étendues d’un adénocarcinome bronchique.
L’histoire débute un an auparavant par une paraplégie
brutale liée à une compression médullaire par envahisse-
ment métastatique T6-T7 avec épidurite. La patiente bé-
néficie d’une chirurgie de décompression associant la-
minectomie et arthrodèse. Les suites opératoires sont
simples et une radiothérapie complète le traitement.
La patiente récupère partiellement sur
le plan neurologique et conserve une
paraparésie. Parallèlement, apparais-
sent des douleurs intenses de l’hémi-
thorax gauche. La scintigraphie os-
seuse confirme la dissémination
métastatique à l’arc axillaire de la
10ecôte gauche. Une radiothérapie à
visée antalgique est effectuée. Pro-
gressivement, les douleurs ne sont plus
calmées par l’association dextropro-
poxyphène et kétoprofène. Des anti-
convulsivants sont associés devant
l’apparition de douleurs à type de
brûlures dans les dermatomes T6, T7
et T8 gauches. Mal tolérés sur le plan
neurologique, ils sont rapidement in-
terrompus. L’IRM confirme une évolution au niveau T6-
T7 avec des signes de compression médullaire et un enva-
hissement de la région costovertébrale gauche. Aucun
traitement spécifique n’est proposé et le traitement antal-
gique est renforcé. La morphine orale à libération prolon-
gée (30 mg x 2/24h) entraîne dès le cinquième jour une
confusion importante avec dysarthrie, somnolence et idées
délirantes. La symptomatologie persiste malgré la dimi-
nution des doses et impose l’arrêt du traitement. D’autres
agents sont successivement substitués : fentanyl transder-
mique (25 µg/h), hydromorphone (8 mg/24 h) puis oxy-
codone (20 mg/24 h). À chaque fois, après quelques jours
de traitement, les effets neurologiques centraux sont trop
importants pour en permettre la poursuite. La méthadone
(20 mg/24 h) est débutée par voie orale, tout en continuant
le traitement anti-inflammatoire, et amène rapidement le
contrôle des phénomènes douloureux, sans effets collaté-
raux notables. La patiente peut à nouveau se mobiliser et
reprendre le programme de rééducation fonctionnelle des
membres inférieurs.
Discussion
La mise en place d’un traitement morphinique chez une
personne âgée est souvent complexe, notamment en rai-
son des modifications pharmacocinétiques liées à l’âge
* Département d’anesthésie-réanimation-algologie, Institut Bergonié,
Centre régional de lutte contre le cancer, Bordeaux.
Mots clés : Douleur cancéreuse - Méthadone - Rotation
des opioïdes - Effets indésirables.
L
a morphine par voie orale offre un équilibre optimal de la balance
efficacité-effets indésirables et représente le traitement de
référence de la douleur cancéreuse
(1)
. Cependant, dans 10 à 30 % des
cas, même correctement conduit, ce traitement est un échec en raison
d’une analgésie insuffisante et/ou d’effets indésirables excessifs
(2)
. Plu-
sieurs alternatives sont proposées
(3)
, fondées notamment sur le concept
de rotation des opioïdes, à la recherche de l’agent possédant la meilleure
balance efficacité-effets indésirables. Plusieurs molécules sont dispo-
nibles : fentanyl, oxycodone, hydromorphone, méthadone... Pour certains,
la méthadone apparaît comme l’agent de choix du fait de ses propriétés
anti-NMDA associées aux effets morphinomimétiques
(2)
.
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Le Courrier de l’algologie (2), no2, avril/mai/juin 2003
Cas clinique
Cas clinique
(réduction de la clairance rénale et du volume de distri-
bution), fréquemment responsables d’une incidence plus
élevée d’effets indésirables neurologiques centraux.
Après avoir éliminé les autres étiologies possibles de
désordres neurologiques, quatre stratégies sont classi-
quement recommandées : réduction des doses, traitement
symptomatique des effets adverses, changement de voie
d’administration, rotation des opioïdes (4).
La rotation des opioïdes fait partie de l’arsenal du trai-
tement de la douleur cancéreuse face à l’apparition d’une
tolérance au traitement et/ou d’effets indésirables graves
ou intenses. Ce concept de rotation est né de la meilleure
connaissance des trois types principaux de récepteurs
aux opioïdes (5) et de leurs sous-types, ainsi que de la
mise en évidence, plus récente, de leur oligomérisation
(homo- ou hétérodimérisation) à l’origine de complexes
récepteurs pouvant expliquer les phénomènes de tolé-
rance (6). Il existe, de plus, une variabilité individuelle
des effets analgésiques et des effets indésirables des dif-
férents morphiniques (7). L’application thérapeutique
repose sur la recherche de la molécule possédant le
meilleur rapport efficacité-effets indésirables, en com-
mençant le traitement à dose équianalgésique.
Cette patiente, âgée de 82 ans, présentait une confusion
importante et durable sous sulfate de morphine et le pas-
sage à d’autres agents morphiniques était suivi d’effets
similaires. C’était également le cas avec l’oxycodone,
agent de choix chez la personne âgée en raison de sa
forte biodisponibilité et d’un métabolisme non influencé
par l’âge.
La méthadone est, pour certains auteurs, la molécule sub-
stitutive de choix en raison de son double effet analgésique,
agoniste µ et δ,d’une part, et anti-NMDA par son énan-
tiomère dextrogyre, d’autre part (2, 8-10). Par voie orale,
20 mg sont équianalgésiques à 30 mg de morphine. Néan-
moins, la plupart des auteurs recommandent, dans le cadre
de la rotation, une dose égale à 75-90 % de la dose équi-
analgésique théorique. Grâce à sa demi-vie longue, une ad-
ministration quotidienne suffit, ce qui, par ailleurs, faci-
lite l’observance thérapeutique.
En France, la méthadone est peu employée, tandis que cet
agent est utilisé à titre antalgique dans de nombreux autres
pays. La législation l’avait en effet initialement cantonnée
à la prise en charge substitutive des toxicomanes, mais
elle est désormais facilement obtenue en pharmacie hos-
pitalière comme en officine. Les indications pourraient
donc être élargies et la méthadone pourrait trouver une
place de choix pour le traitement de la douleur d’origine
néoplasique.
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La méthadone dans le traitement de la douleur cancéreuse
La rotation des opioïdes fait partie de l’arsenal du traitement
de la douleur cancéreuse face à l’apparition d’une tolérance au
traitement et/ou d’effets indésirables graves ou intenses. La
méthadone est pour certains auteurs la molécule substitutive
de choix en raison d’un double effet analgésique. En France,
elle est peu employée, tandis que cet agent est utilisé à titre an-
talgique dans de nombreux autres pays. Nous rapportons le
cas d’une patiente âgée de 80 ans, présentant des douleurs mé-
tastatiques osseuses et pour laquelle seule la méthadone a
permis un contrôle antalgique satisfaisant alors que tous les
autres traitements morphiniques avaient entraîné des effets in-
désirables.
Methadone as treatment of cancer pain
In the management of cancer pain, opioid rotation is proposed
when treatment-limiting toxicity causes poor compliance
or when tolerance to treatment appears. Thus switching to me-
thadone is an attractive alternative, since it is a potent opioid
which also blocks the NMDA receptor. Methadone is underused
in France. We present a case of a 80-year-old women, suffering
from pain caused by bone metastasis and severe side effects
associated with oral opioids. Successful opioid therapy was
achieved only with methadone with a marked reduction in
sedation and cognitive impairment.
Keywords: Cancer pain - Methadone - Opioid rotation - Adverse
effects.
Résumé/Summary
Les articles publiés dans “Le Courrier de l’algologie” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© Datebe - septembre 2002.
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