Actualité de Pierre de Coubertin
«
Olympie ne disparut pas seulement de la
surface de la terre : elle disparut du sein des
intelligences.
L’ascétisme dominait. Par là, je
n’entends nullement que l’Europe se trouva sou-
dain peuplée d’ascètes; ce n’est pas ainsi qu’il le
faut entendre. Mais une croyance s’infiltra,
consciente ou non, précise ou non, reconnue en
tout cas et respectée de ceux-là même qui n’y
conformaient pas leur conduite; c’est que le
corps est ennemi de l’esprit, que la lutte entre
eux est un régime fatal et normal, que nulle
entente ne doit être recherchée leur permettant
de s’associer pour gouverner l’individu.
Ce retour ascétique (le mot est mauvais, j’en
conviens, mais il est encore le moins mauvais de
ceux qui s’offrent), ce retour ascétique était-il
désirable pour le bien général ? Je n’hésite pas à
répondre : oui.
»
(p. 111).
Le contre-mouvement datant du moyen âge,
atteint au XIXe siècle un niveau de dégénération
complète. Pour lui faire prendre un bon tournant,
Coubertin (suivant sa propre conception) ranima
les Jeux de l’antiquité. Pour lui, il ne s’agissait pas
là, de faire renaître une époque révolue, dans
une fin nostalgique en soi, de la fertilisation d’un
élément supra-historique, qui ressort de l’harmo-
nisation hellénique du corps et de l’esprit.
PRENDRE COUBERTIN AU SÉRIEUX
Dans l’histoire, Coubertin se place au seuil de la
«
réanimation »
du contenu anthropologique
éternel suivant le culte du corps humain dans
l’antiquité. Les sceptiques peuvent demander de
nos jours si le sport conçu par Coubertin (retour
aux jeux Olympiques de l’antiquité) convient
vraiment à la création de l’eurythmie de la vie —
ou bien si la conception anthropologique visant
l’harmonisation des deux éléments fondamen-
taux chez l’homme, à partir de son corps
(contrairement à l’intention explicite de Couber-
tin) ne stagne plus ou moins dans un culte du
corps. Ils demandent encore si cette conception
de l’intégration de l’esprit dans un procès d’hu-
manisation du sport, ne sert qu’à tromper leurs
contemporains. De belles phrases donc, qui pré-
tendent harmoniser esprit et corps par le corps
— « nos belles visions antiques,.. » (p. 109), mais
rien que des phrases ? Et Coubertin, l’idéaliste,
qui ne voulait pas admettre que sa conception
de l’harmonisation s’évaporât juste au moment
où elle se réalisait dans l’entraînement pur des
forces physiques et que règne de nouveau cette
vieille uniformité, qui devait être dépassée par
l’Olympisme ?
La seule réponse possible aux objections
des sceptiques est la suivante : il faut prendre
Coubertin au sérieux dans sa totalité. Il faut
reconnaître tout ce qu’il a introduit dans le cadre
de ses réflexions sur la culture physique pour
intégrer esprit et culture, non pas comme déco-
ration de l’essentiel, mais comme constituant
véritable de l’essentiel, à savoir l’éducation spor-
tive. Les objections avancées par les sceptiques,
en ce qui concerne la réussite d’une éducation,
qui tient compte de l’ensemble, méritent aussi
d’être prises au sérieux
: comme indications con-
tre des dangers, qui apparaissent immédiate-
ment, quand on renonce à considérer le projet
de Coubertin dans son ensemble.
Si on le fait tout de même — et on devrait le
faire particulièrement de nos jours, cela veut
dire : respecter scrupuleusement et attentivement
ce que nous avons voulu montrer, dans le cadre
restreint de cet article, comme l’essentiel de l’an-
thropologie d’orientation philosophique de l’his-
toire de Coubertin, son Olympisme est soutenu
par l’exigence d’un culte du corporel et doit être
compris comme refus à l’ascétisme dans la tradi-
tion du christianisme occidental.
Sa théorie anthropologique se trouve dans le
contexte d’un plaidoyer pour les droits du corps,
dont les idées furent lancées surtout au XIXe siè-
cle. Mais contrairement aux revendications de
l’émancipation de la « chair » et avant tout celle
de l’instinct sexuel, d’aboutir à une béatitude ter-
restre (comme par exemple en France, le mou-
vement Saint-Simon, mené par Enfantin), l’idée
de Coubertin englobe la résurrection du culte
païen du corps venant de l’antiquité inclus son
antipode : l’esprit exige en même temps la déli-
mitation de ce culte et freine ainsi sa tendance
inhérente vers une autarcie du corporel lors des
activités sportives. Coubertin exige que le sport
soit promu en relation avec les Arts et les
Sciences.
Ce sport doit s’unir aux normes
morales, il doit même dans un certain sens être
imprégné d’un moment ascétique. Celui qui veut
réaliser l’idée du sport, selon Coubertin, doit
fournir des efforts. Cette performance ne peut
être accomplie que grâce à un travail acharné et
en renonçant pour beaucoup à ses impulsions
sensuelles.
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