La recherche sur les maladies mentales a beaucoup progressé du-
rant le dernier siècle. Malheureusement, certains tabous ont persis-
tés avec le temps. Encore aujourd’hui de nombreux spécialistes,
intervenants et parents n’osent discuter de lintimité et de la sexua-
lité de la personne atteinte, par gêne, manque d’information ou
incompréhension. L’histoire explique en grande partie cette situa-
tion. Il faut se rappeler que jadis les hôpitaux étaient gérés par des
communautés religieuses et que la sexualité n’y avait pas sa place.
Mais quand est-il maintenant?
Une étude, datant de 1998, stipule que plus de 50 % des schizo-
phrènes affirmaient être sexuellement actifs. Additionnez les autres
maladies mentales et ce pourcentage augmentera assurément.
Pourtant nous retrouvons peu d’articles scientifiques sur le sujet,
même en 2013. Comme si le fait de ne pas en parler permettait de
l’occulter. Malheureusement, vingt pour cent des Canadiens se-
ront personnellement aux prises avec une maladie mentale au
cours de leur vie. Bien que la plupart des maladies mentales appa-
raissent à l'adolescence et dans la jeune vie adulte, des personnes
de tous âges, de toutes cultures et de tous les niveaux de scolarité
ou de revenu peuvent en souffrir. Beaucoup de gens devront com-
poser avec la maladie mentale et ses conséquences.
Types de maladies mentales
Les maladies mentales prennent plusieurs formes, dont :
les troubles de l'humeur, tels que la dépression et le trouble bipo-
laire, qui affectent la manière dont une personne se sent;
(Suite page 2)
Équipe du journal
Responsable
de la production
Line Lambert,
directrice générale
Collaborateurs
à la rédaction des textes
Line Lambert
Nathalie Haché
Michel Gamache
Impression, diffusion
Lucie Longtin
Printemps 2013 - Volume 20, numéro 2
Maladie mentale,
sexualité et médica-
ments : une réalité né-
gligée
Témoignage de Jean
Forest : itinérance et
maladie mentale
Assemblée générale
Formations
Conférences
Groupes d’entraide
Centre de documen-
tation
1
7
10
10
12
13
14
Dans ce numéro :
Maladie mentale, sexualité
et médicaments : une réalité négligée
Le verbe aimer est un des plus
difficile à conjuguer : son pas-
sé n’est pas simple, son présent
n’est qu’indicatif et son futur
est toujours conditionnel.

2 Le cœur à chœur - Printemps 2013
la schizophrénie, qui affecte sa perception
du monde;
les troubles anxieux, qui font en sorte qu'une
personne a peur de certains endroits, événe-
ments ou situations;
les troubles de la personnalité, qui affectent
la manière dont une personne se voit par
rapport aux autres;
les troubles alimentaires, tels que l'anorexie
et la boulimie, qui ont un effet sur la façon
dont la personne perçoit les aliments et son
image corporelle.
Causes des maladies mentales
Les maladies mentales sont causées par une
interaction complexe entre divers facteurs,
dont les suivants : la génétique, la biologie,
la personnalité, le statut socio-économique
et les événements de la vie.
Symptômes des maladies mentales
Les maladies mentales sont caractérisées
par des changements au niveau de la pen-
sée, de l'humeur et du comportement ou
une combinaison des trois. La personne qui
en souffre présente des symptômes de dé-
tresse important et elle est incapable de
fonctionner normalement pendant une
longue période. Ces symptômes peuvent
être bénins ou graves, en fonction de la ma-
ladie mentale, de l'individu, de sa famille et
de l'environnement du patient.
Diagnostic et tabou
La personne atteinte a généralement eu
une vie avant le diagnostic, donc des rela-
tions intimes, et possiblement des relations
sexuelles avec une autre personne. Mais
quand est-il après le diagnostic et le séjour à
l’hôpital? Encore aujourd’hui certains psy-
chiatres et médecins ne posent aucune
question sur l’intimité du patient et ils n’abor-
dent pas toujours l’effet des médicaments
sur la sexualité. Comme si cette réalité n’exis-
tait pas. Pourtant nous sommes dans une so-
ciété très sexualisée et un torrent de mes-
sages et de photos à teneur sexuelle appa-
raît un peu partout. Un tabou qui persiste
même dans les équipes de traitement. Pour-
tant des études ont démontrées que plu-
sieurs patients ne prenaient pas leurs médi-
caments à cause de l’effet des médica-
ments sur leur corps et leur sexualité, princi-
palement la prise de poids et les dysfonc-
tions sexuelles. Une préoccupation qui de-
vrait être davantage prise en considération,
surtout lors de la non-observance au traite-
ment. Au-delà des symptômes de la mala-
die, les personnes atteintes ont des besoins
et des droits. Le développement d’une rela-
tion humaine saine peut s’avérer très effi-
cace pour le maintien de l’équilibre person-
nel et l’amélioration de la qualité de vie.
Les maladies mentales et la sexualité
Schizophrénie
Les premiers symptômes de la maladie af-
fectent le développement de la sexualité
chez plusieurs personnes atteintes de schizo-
phrénie, particulièrement lorsqu’il y a prédo-
minance de symptômes négatifs et de retrait
social. Généralement, ces personnes ont leur
première relation sexuelle à un âge plus
avancé et ont moins d’activités sexuelles
que les gens de leur âge. Certaines n’ont ja-
mais eu de rapports sexuels avec un(e) par-
tenaire. Par ailleurs les femmes qui sont tou-
chées par la maladie à un âge plus avancé
ont eu davantage d’expériences sexuelles
avant la maladie. Lors des décompensations
psychotiques des symptômes sexuels peu-
vent survenir: délire amoureux ou relié à
l’identité sexuelle, obsessions sexuelles, hy-
persexualité, comportements sexuels inap-
propriés. Chez certaines personnes, la psy-
chose est plutôt associée à une diminution
de l’intérêt pour la sexualité.
Les personnes atteintes de schizophrénie
pratiquent principalement la masturbation,
car peu d’entre elles ont un(e) partenaire.
Celles qui ont eu des rapports sexuels avant
la maladie sont plus enclines à répéter l’ex-
périence malgré des symptômes résiduels.
(Suite de la page 1)
Le cœur à chœur - Printemps 2013
3
En ce sens, les femmes atteintes de schizo-
phrénie rencontrent un partenaire, ont des
relations sexuelles, cohabitent et ont des en-
fants plus souvent que les hommes atteints
de schizophrénie. Les personnes atteintes
d’un trouble de santé mentale sévère ont
plus de risque de contracter une MTS, le virus
du SIDA, de vivre des grossesses non désirées
et des interruptions volontaires de grossesse.
Une pauvreté du jugement, des connais-
sances limitées au sujet de la sexualité, un
manque de contrôle des impulsions, de la
difficulté à entrer en relation interpersonnelle
et un taux élevé de consommation de
drogue et d’alcool contribuent à l’éclosion
de ces problèmes.
La dépression
La perte d’intérêt pour les activités sexuelles
est un symptôme de la dépression rapporté
par une grande majorité des personnes at-
teintes. Des troubles d’excitation et d’or-
gasme peuvent aussi survenir lors d’une dé-
pression. La satisfaction sexuelle est généra-
lement affectée par la diminution de la ca-
pacité à ressentir le plaisir, qui est en fait un
symptôme de la maladie. D’autres éléments
reliés à la dépression peuvent aussi affecter
la sexualité, telles la diminution de l’estime
de soi, la modification de l’image corporelle,
la fatigue, les difficultés conjugales, etc.
Trouble anxieux
Comparativement à la population générale,
les personnes qui souffrent d’un trouble an-
xieux sont plus sujettes à présenter des
troubles du désir, des troubles érectiles ou de
l’anorgasmie (absence d’orgasme).
Trouble obsessif-compulsif
Les personnes qui présentent un trouble ob-
sessif-compulsif sont également plus sujettes
à souffrir d’anorgasmie ou à vivre une cer-
taine aversion pour la sexualité.
Trouble de personnalité limite
Environ la moitié des personnes souffrant
d’un trouble de personnalité limite présen-
tent des comportements sexuels impulsifs et
dans certains cas, de la compulsion sexuelle.
Comparativement à la population générale,
elles ont plus de comportements homo-
sexuels ou bisexuels et davantage d’atti-
tudes érotiques. Elles ont aussi plus de préoc-
cupations et d’insatisfactions liées à leur
sexualité. Ces personnes utilisent souvent la
sexualité pour compenser une faible estime
de soi, pour acquérir un sentiment de pou-
voir ou pour éviter la solitude et lennui. La
relation sexuelle est une façon de « se com-
bler » et de se sentir aimé. Les partenaires
multiples et la prostitution sont des réalités
fréquentes pour ces personnes.
Les effets de certains médicaments
Dysfonction sexuelle
L’effet des médicaments psychotropes sur la
sexualité est difficile à évaluer, car la dépres-
sion et la schizophrénie s’accompagnent
fréquemment de dysfonctions sexuelles et
ce, indépendamment des médicaments. On
estime que la prévalence d’un trouble
sexuel en schizophrénie est entre 50 % et
80% et de 25 % à 75 % concernant la perte
de libido lors de la dépression. Générale-
ment, les troubles sexuels incluent : la baisse
de désir sexuel, l’aversion sexuelle, les
troubles érectiles et éjaculatoires, la séche-
resse vaginale, les troubles de l’orgasme et
les relations sexuelles douloureuses.
(Suite page 4)
4 Le cœur à chœur - Printemps 2013
Impact de la pharmacologie
Étant donné que le sujet est très vaste, nous
ciblerons principalement les effets des anti-
dépresseurs et des antipsychotiques.
Il est possible de résumer une relation
sexuelle en quatre stades : désir (libido), exci-
tation, orgasme et résolution (satisfaction).
Les difficultés peuvent se vivre dans un stade
ou dans plusieurs. Différents neurotransmet-
teurs sont impliqués dans une relation
sexuelle et ils sont les cibles des antipsycho-
tiques et des antidépresseurs, d’où leur im-
pact sur la fonction sexuelle. Les plus impor-
tants neurotransmetteurs sont la dopamine
(effet sur la libido et la stimulation), l’acétyl-
choline (facilite l’érection), la norépinephrine
(effet sur la libido), l’oxyde nitrique (facilite
l’érection), la prolactine (influence la libido,
l’érection et l’orgasme) et la sérotonine (frein
sur le désir sexuel et le plaisir associé).
Causes des dysfonctions
Outre la médication et la maladie psychia-
trique qui sont des facteurs importants,
d’autres médicaments ou situations peuvent
occasionner ce problème. De plus, la sexua-
lité des patients peut aussi être influencée
par des problèmes de contact social, un
sentiment de persécution, des réactions ex-
trapyramidales, une prise de poids reliée à la
médication, etc.
Les antidépresseurs
Entre 4 % et 73 % des personnes qui prennent
un antidépresseur vont développer une dys-
fonction sexuelle. On peut observer des dif-
férences selon l’agent pharmacologique
choisi. Nous savons par exemple que les ISRS,
une famille d’antidépresseur largement utili-
sée, affectent fréquemment la fonction
sexuelle. Des troubles du désir, de l’excitation
et de l’orgasme sont rapportés avec la prise
d’antidépresseur.
Dans la classe des antidépresseurs qui inhi-
bent la recapture de la sérotonine (ISRS),
tous peuvent causer des dysfonctions
sexuelles. La paroxétine (PaxilMD) causerait
le plus de problème érectile et retarderait
l’éjaculation comparativement à la
fluoxétine (ProzacMD) et la sertraline
(ZoloftMD), qui ont un effet moindre. L’esci-
talopram (CipralexMD) et la fluvoxamine
(LuvoxMD) semblent être les médicaments
qui affecteraient le moins la fonction
sexuelle parmi les ISRS.
Concernant la classe des inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine et de la noradré-
naline (ISRN), la venlafaxine (EffexorMD) et la
duloxétine (CymbaltaMD) peuvent retarder
l’éjaculation, mais les troubles sexuels induits
seraient moindres avec la duloxétine. Les an-
tidépresseurs tricycliques (ATC) et les inhibi-
teurs de la monoa-mine oxydase (IMAO)
sont d’autres molécules à risque de causer
des dysfonctions sexuelles.
Enfin, les antidépresseurs comme la mirtaza-
pine (RemeronMD), le bupropion
(WellbutrinMD) et la trazodone (DesyrelMD)
entraînent beaucoup moins d’effets secon-
daires sexuels. Si vous avez des doutes, par-
lez-en avec votre pharmacien ou votre mé-
decin.
Les antipsychotiques
De 35 % à 45 % des patients sous antipsycho-
tique présentent une dysfonction sexuelle.
Les troubles les plus courants sont : la diminu-
tion ou l’absence de désir sexuel, les troubles
érectiles chez les hommes, l’absence d’or-
gasme ou son retard et l’absence d’éjacula-
tion chez l’homme. Les femmes présentent
souvent de l’aménorrhée (absence de
(Suite de la page 3)
Le cœur à chœur - Printemps 2013
5
menstruations) et de la galactorrhée mais le
rapportent peu.
Plusieurs cas ont été mis en évidence par la
mère qui, lors de la lessive, remarquait des
taches sur le soutien-gorge. Les dysfonctions
sexuelles constituent l’effet indésirable le plus
dérangeant pour les patients, mais peu
d’entre eux vont le rapporter spontanément
à leur médecin. Nous savons que certaines
personnes cessent leur traitement pharma-
cologique pour cette raison.
Les antipsychotiques de 1re génération
comme l’halopéridol (HaldolMD), la chlor-
promazine (Largactil MD), la perphénazine
(Trilafon MD) ou le zuclopenthixol (Clopixol
MD) affectent le plus la fonction sexuelle en
raison de leur action au niveau de la prolac-
tine. L’augmentation de la prolactine peut
induire chez la femme l’aménorrhée/
galactorrhée ainsi qu’une diminution de la
libido alors que chez l’homme, elle entraîne
une baisse du désir et parfois une impuis-
sance.
Du côté de la 2e génération, c’est la rispéri-
done (RisperdalMD) qui affecte le plus la
fonction sexuelle, car elle peut causer une
augmentation du niveau de prolactine. Les
autres molécules de 2e génération sont
moins à risque d’augmenter la prolactine,
mais elles ne sont pas dénuées d’effets sur la
fonction sexuelle. En effet, avec l’olanzapine
(ZyprexaMD), plus de 50 % des patients ont
rapporté une dysfonction sexuelle, une dimi-
nution de la libido et de l’impuissance, mais
ceci est moins important qu’avec la rispéri-
done et l’halopéridol. Concernant la cloza-
pine (ClozarilMD), la molécule risque de cau-
ser davantage de troubles érectiles et éjacu-
latoires comparativement aux autres médi-
caments de 2e génération. Avec la quétia-
pine (SeroquelMD), il y a entre 50 % et 60 %
de prévalence de dysfonctions sexuelles,
mais la sévérité est moindre en comparaison
avec la rispéridone, l’olanzapine et l’halopé-
ridol. L’aripiprazole (AbilifyMD) ne semble pas
être associé à des dysfonctions sexuelles.
Interventions possibles
Les dysfonctions sexuelles doivent être rap-
portées au médecin traitant qui pourra éva-
luer si elles sont causées par la médication. Si
tel est le cas, les alternatives de traitement
sont: diminuer la dose à un niveau qui per-
mettra d’éliminer les effets indésirables
sexuels tout en conservant une bonne maî-
trise des symptômes de la maladie; changer
le traitement pour une médication qui induit
peu ou pas d’effet indésirable sexuel; pres-
crire une médication permettant de corriger
les troubles sexuels. Ces interventions doivent
être faites sous la supervision du médecin
traitant.
Et si on en parlait
Malgré le malaise il est important d’aborder
le sujet avec la personne concernée. Une
sexualité saine est bonne pour la santé men-
(Suite de la page 4
(Suite page 6)
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