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KIM GAUTHIER GERVAIS
Candidate à la maitrise en Étude internationales
Université Laval
kim.gauthier-gervais.1@ulaval.ca
À l’aube d’un printemps chinois ?
Dans un pays que l’on considère être l’atelier du monde, l’ascension de la Chine
est loin de faire l’unanimité auprès de l’opinion publique, car l’idéologie du Parti
communiste chinois semble contraire aux principes des droits et libertés chères
aux populations occidentales. De l’admiration à la méfiance, le seul consensus
chez les spécialistes est la perception que la Chine poursuit son ascension
parmi les grandes puissances mondiales.
L’ascension de la Chine
JJD.COM
Dans un pays que l’on considère être
l’Atelier du monde, l’ascension de la Chine
est loin de faire l’unanimité auprès de
l’opinion publique, car l’idéologie du Parti
communiste chinois semble contraire aux
principes des droits et libertés chères aux
populations occidentales. De l’admiration
à la méfiance, le seul consensus chez les
spécialistes est la perception que la Chine
poursuit son ascension parmi les grandes
puissances mondiales.
Tenter de comprendre comment la Chine
a réussi à se tailler une place de choix dans
le système international, là où d’autres ont
échoué, c’est saisir l’état actuel d’un monde
multipolaire en pleine évolution.
Un socialisme aux couleurs chinoises
Le communisme est l’idéologie domi-
nante en Chine depuis la victoire de Mao
sur les forces du Kuomintang en 1949. Après
l’échec de la révolution culturelle, le gouver-
nement chinois se détournera du système
stalinien, sans toutefois se départir du
monopole économique. Malgré cela, depuis
1978, la Chine est engagée dans une tran-
sition complexe d’une doctrine maoïste de
lutte des classes à l’ouverture à l’économie
du marché.
Aujourd’hui, force est de constater que
l’emprise du Parti communiste chinois
sur les principaux leviers économiques et
politiques façonne la réalité du pays. M.
Qu Xing, président de l’Institut chinois des
relations internationales, perçoit dans les
réformes en cours un mouvement « qui fait
passer [la Chine] de l’économie planifiée à
l’économie de marché. » Il considère que la
gouvernance du Parti communiste chinois
est salutaire puisqu’il la conçoit comme
étant le reflet de la volonté du peuple et
qu’elle permettra à terme de maintenir la
stabilité, l’unité et l’harmonie du pays.
C’est dans ce contexte que le nouveau
modèle économique a été mis en place et que
l’on parle aujourd’hui de « socialisme aux
couleurs de la Chine ». Cette particularité
du modèle de gouvernance chinois s’illustre
par ce dicton : « Le peuple est comme l’eau
qui peut porter un bateau, mais aussi le ren-
verser ». En conséquence, l’État s’attribue le
rôle de médiateur de manière à fournir un
équilibre entre le gouvernement et le peuple
pour ainsi éviter le désordre social.
Le rôle de l’État: pour le meilleur et
pour le pire
Cette Chine qui affirme défendre les inté-
rêts de son peuple, génère beaucoup d’in-
compréhension de la part de la communauté
internationale qui conçoit mal comment un
peuple d’environ 1,4 milliard d’habitants
puisse accepter des conditions contraires à
celles préconisées dans un système démo-
cratique. Ainsi, nombreux sont ceux qui
critiquent l’écart démesuré entre les riches
des zones côtières et les pauvres du Centre
et l’Ouest du pays. Les disparités économi-
ques et sociales sont telles que des millions
de Chinois vivent toujours sous le seuil de la
pauvreté et n’ont pas accès à l’eau potable. À
l’ombre des grosses villes telles que Pékin et
Shanghai, les paysans délocalisés ont peine
à survivre malgré la stratégie de dévelop-
pement rural et les réformes économiques
en général qui tardent à améliorer les condi-
tions des populations désœuvrées. De fait,
l’adoption du système capitaliste a eu pour
effet d’améliorer petit à petit le niveau de
vie des Chinois, mais aussi de creuser les
inégalités. Or, l’exode rural amène plus de
10 à 20 millions de paysans dans les centres
urbains par an. Les villes continuent ainsi
de prendre de l’expansion malgré le climat
inégalitaire et où l’État est incapable de
répondre aux demandes sociales.
Comme l’État redoute d’être confronté
à une migration interne incontrôlable,
il maintient le système de domiciliation
(Hukou), la clé de voute du système maoïste
créé en 1958. N’apparaissant ni dans la
Constitution, ni dans les lois du pays, cette
institution fondamentale repose sur un sys-
tème qui compile le lieu de résidence de
tous les citoyens chinois. Aujourd’hui, les
déplacements sont désormais tolérés pour
satisfaire les besoins de main-d’œuvre,
mais l’obtention des prestations de l’État est
toujours soumise à l’autorité administrative
du lieu d’enregistrement d’origine. Des ini-
tiatives, notamment concernant l’accès à la
scolarité des enfants ayant quitté leur zone
administrative, ont été mises en place par
la Loi sur l’instruction obligatoire de 2006.
Elle garantit le droit des enfants migrants à
intégrer les écoles de leur lieu de résidence
effectif et à profiter des mêmes conditions
que les autres élèves. Or, malgré les mesures
provisoires, ces règlements administratifs
de gestion territoriale ont pour effet de
limiter radicalement les droits des citoyens
en déplacement.
Par ailleurs, dans une Chine qui vieillit
au même rythme qu’elle évolue (221 mil-
lions de citoyens âgés de plus de 60 ans d’ici
2015), la politique de l’enfant unique soulève
désormais des doutes. Avec l’arrivée au
pouvoir du Parti communiste chinois, Mao
a mis en place une politique nataliste dans
le but d’augmenter le poids démographique
de la Chine à l’échelle mondiale. On appe-
lait d’ailleurs les femmes ayant plus de dix
enfants les « mamans d’honneur ». Dès 1978,
avec la prise de pouvoir de Deng Xiaopin,
l’État prend des mesures draconiennes pour
gérer l’accroissement de la population et
adopte une politique de contrôle des nais-
sances.
Bien que cette politique heurte les valeurs
de certains, elle aurait permis d’éviter la
naissance de 400 millions de personnes
depuis sa mise en place. Un fait intéressant
lorsque l’on considère que ce nombre équi-
vaut à 11 fois et demie la population actuelle
du Canada (près de 35 millions d’habitants
en juillet 2011). Ainsi, une politique large-
ment critiquée depuis son instauration,
fondée sur l’incitation et la mise en place de
règlementations , aura permis un contrôle
efficient de la croissance démographique de
la Chine.
L’a v en i r d e l a C h i ne
Tenter de comprendre la Chine, c’est la
considérer à la lumière d’une approche
holistique qui prend en compte sa spéci-
ficité. Faut-il donner le temps à la Chine
de gérer sa transition avant de la blâmer
pour sa passivité quant à la mise en oeuvre
de réformes en faveur de la reconnais-
sance des droits fondamentaux? Alors que
certains Chinois sont engagés dans une
bataille visant à faire respecter leurs droits
et libertés, d’autres sont encore tentés de
privilégier une réponse rapide aux besoins
prioritaires de la population.
Une dernière observation reste possible :
dans un climat de liberté limitée, le pouvoir
doit s’appuyer davantage sur les réformes
économiques et sur la croissance pour légi-
timer ses actions. « La légitimité du parti
dépend de la prospérité, non de l’idéologie »,
voilà ce que prône l’actuel gouvernement de
Hu Jintao. Bien que l’accroissement des iné-
galités de revenus, la corruption et la hausse
du chômage paraissent alarmants, le monde
entier participe au progrès économique de
la Chine. Ce parcours unique reflète une
idéologie basée sur la stabilité politique.
La spécialiste des pays émergents et éco-
nomiste auprès du Centre d’études pros-
pectives et d’informations internationales,
Françoise Lemoine, souligne qu’ : « il ne faut
pas oublier que le 1er octobre 1949 célèbre
ce que les communistes chinois appellent la
Libération [et non la Révolution] ».
Volume 6 - Numéro 4 - Décembre 2011