Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce
Conférence
anticolonialiste africain a pu se développer en métropole entre les deux guerres (la censure
était trop répressive sur place). Il y a des cas étonnants : l‘insurrection camerounaise des
années 1950 (sous la direction du syndicaliste Ruben Um Nyobe) exigea d‘abord la
réunification des deux Camerouns, or cela se réfère à la guerre de 1914-18, quand la colonie
allemande créée à la fin du XIXè siècle avait été partagée entre les colonisateurs français et
britannique. Même constat pour la Haute-Volta (Burkina-Faso aujourd‘hui) : créée en 1919
seulement, et supprimée en 1933 pour être partagée entre Niger, Soudan (Mali) et Côte
d‘Ivoire, elle est reconstituée en 1947 à la demande expresse des hommes politique
voltaïques !
Les tournants essentiels furent la Première Guerre mondiale qui ouvrit au monde les soldats
recrutés d‘Afrique (près de 200 000 en AOF et autant au Maghreb), et la Seconde Guerre
mondiale (charte de l‘Atlantique, 1941, et Charte des Nations unies, 1945, affirmant
solennellement le « droit des peuples à disposer d‘eux-mêmes »).
Le sort en était jeté dès 1947, avec l‘indépendance de l‘Inde (et du Pakistan) par les
Britanniques, et celle de l‘Indonésie par les Hollandais (1945-49). L‘aveuglement du
gouvernement français, qui n‘en entreprend pas moins deux guerre coloniales (Indochine et
Algérie) étonne a posteriori. Il s‘explique par une idéologie impériale développée plus
tardivement qu‘ailleurs : aussi bien le gouvernement de Vichy que celui de la France libre,
pour des raisons évidemment opposées, ont glorifié l‘empire, Pétain parce qu‘il pouvait faire
mine de préserver par l‘empire la souveraineté française, et De Gaulle parce qu‘il lui fallait
affirmer sa légitimité de chef d‘État sur le sol français (Conférence de Brazzaville, janvier –
février 1944). L‘idéologie politique de beaucoup de dirigeants africains francophones fut
gagnée par le même courant : ce que demandaient les « élites » de l‗époque, ce n‘était pas
l‘indépendance, mais les mêmes droits que les citoyens français de façon à administrer leurs
territoires eux-mêmes. Le mythe de l‘ « assimilation » avait disparu depuis longtemps
(remplacé du côté français par le terme plus prudent d‘ « association ») ; mais il avait connu
un début de réalisation en Afrique même, dans ce qu‘on appelait les « quatre communes du
Sénégal » (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar), dont les « Originaires » reçurent la
nationalité française dès 1916
. Cette revendication de la nationalité française pour obtenir
l‘égalité pesa longtemps sur la politique interne.
La colonisation presque intégrale du continent avait, pour une période relativement brève,
retiré l‘Afrique du champ des concurrences mondiales. « Mise en réserve » et utilisée
comme telle par les différentes métropoles, surtout pendant la grande dépression des
années 1930, l‘Afrique paraît alors disparaître du jeu global. Mais la parenthèse fut brève. De
la Deuxième Guerre mondiale à la fin de la guerre froide, l‘Afrique a retrouvé toute sa place
dans le système mondial. Redevenue un enjeu international majeur, elle a joué son jeu dans
la politique de non-alignement des pays émergents du tiers-monde car elle devenait aussi
consciente de ses atouts, par la conférence afro-asiatique de Bandung et la conférence de
non-alignement (Tito, Nasser et Nehru, 1955 et 1956).
Ce rôle fut renforcé par les indépendances des années 1960 puisque, désormais, les
quelque 45 États africains, bientôt 55 en comptant les îles, font entendre leur voix aux
Nations unies. L‘OUA joue alors un rôle important. La cartographie est explicite : l‘Afrique se
Blaise Diagne, député élu à l‘Assemblée nationale française (selon un héritage de la révolution française dont relevait les
quelques colonies rescapées du premier empire colonial, celui d‘avant les guerres napoléoniennes, qui avaient le droit d‘élire un
représentant national), négocia cet acquis contre la promesse de lever chez les « sujets » d‘AOF les troupes nécessaires pour
la guerre des tranchées. La citoyenneté des Quatre communes acceptait le droit civil musulman (c‘est à dire la polygamie).
C‘est là l‘origine, on l‘ignore souvent, de la tolérance longtemps accordée en France métropolitaine aux ménages polygames, y
compris lors des migrations du travail d‘après la seconde guerre mondiale.