LES SPECIFICITES DE L’ACCOMPAGNEMENT A DOMICILE
Anne Belgram
Psychologue au sein du réseau Pallium
Animateur de groupe de parole de bénévoles à domicile
Interviewée par Annick Surmont
Annick Surmont :
Votre double activité d’animatrice de groupe de parole et de psychologue dans les
soins palliatifs à domicile vous a amené à une réflexion sur les spécificités de l’accompagnement à
domicile. Quelles sont, pour vous psychologue, ces spécificités ?
Anne Belgram
: Le psychologue qui se déplace au domicile du malade doit transporter avec lui son «
cadre » , c’est-à-dire ses valeurs, ses règles, son appartenance théorique qui lui dicte son éthique, en fait
tout ce qui constitue son identité et oriente son action. Et ce n’est pas toujours évident !
En effet, comme les bénévoles, il se retrouve sur le territoire du patient confronté à toutes sortes
d’éléments qu’il ne maîtrise pas : des éléments matériels comme l’emploi du temps de la famille, le
téléphone, la femme de ménage, le(a) conjoint(e)
qui entre, qui sort, et aussi, ce n’est le moindre, à des jeux relationnels, des énergies entre tous les
acteurs en présence. En institution, les choses sont plus simples, car les règles de fonctionnement sont
imposées par l’institution elle-même et connues de tous.
De cet état de fait, peuvent surgir certaines difficultés.
AS
: Quelles sont, à votre avis, les difficultés les plus fréquentes pour les bénévoles?
AB
: Dans certaines situations où le bénévole est seul avec le malade, il peut être amené à faire des
gestes comme aider à descendre l’escalier, amener en voiture faire une course ; se pose alors la
question : quelles conséquences en cas d’accident pour lui, pour le patient ?
En menant cette réflexion avec les bénévoles, chacun prend conscience de la nécessité, d’une part de
faire signer par le malade et/ou sa famille une décharge, et d’autre part, de pouvoir disposer des
coordonnées d’une personne à appeler en cas d’incident médical, en accord avec la famille.
Ce « référent » le conseille sur ce qu’il convient de faire. C’est même souvent une liste de référents dont
le bénévole dispose pour être sûr d’être en relation avec quelqu’un de disponible.
AS
: sur quels autres thèmes, avez-vous réfléchi avec les bénévoles ?
AB
: Nous avons été amenés à réfléchir sur les limites du toucher. Beaucoup de bénévoles ont appris au
cours de leur formation initiale que l’on doit éviter de toucher les patients pour garder une distance
« professionnelle ». Pourtant récemment une formation sur le toucher a été proposée par l’ASP à ses
bénévoles. Alors, comment faire, quelle position adopter ?
Toucher un malade en dehors d’un acte de soins n’est pas un geste anodin. Dans la communication
ordinaire entre adultes qui ne se connaissent pas très bien, il n’est pas habituel, par exemple, de prendre
la main de l’autre, ou de prendre l’autre dans ses bras. Que peut ressentir un patient lorsqu’un bénévole
lui prend la main ou le prend dans ses bras ? Se sent-il diminué, en situation plus critique parce que ce
geste est inhabituel dans le contexte dans la communication ordinaire ? Ou au contraire, se sent-il
rassuré, compris, aidé ? Et comment ce geste modifie-t-il le lien entre le bénévole et le patient ?
Bien sûr, chaque cas est spécifique, mais réfléchir à cette question, c’est se donner des règles pour mieux
« être » avec le patient.
AS
: Il est évident que, au domicile, cette question du toucher se pose avec encore plus d’ambiguïté
qu’en institution, dans la mesure où le bénévole se sent plus proche du malade et de sa famille.
AB
: Cette question de la place du bénévole dans la famille est une question importante à se poser.
La durée, quelquefois longue, des accompagnements, les gestes faits par le bénévole, les discussions et
même des confidences de la famille, sont autant d’occasions pour lui de s’identifier à un membre de la
famille, et de ne plus trop savoir qui il est vraiment, quel est son rôle. Etre à une place qui n’est pas claire
augmente le risque d’être pris dans les conflits familiaux mais aussi de faire des erreurs de jugement ou
de positionnement dans l’accompagnement—en faire trop par exemple.
D’où la nécessité d’avoir un cadre de fonctionnement clair, une certaine distance professionnelle et une
identité de bénévole forte. Pour savoir comment on doit intervenir, il faut savoir qui on est ! Le bénévole
doit toujours avoir clairement en tête les règles du bénévolat, les responsabilités, ce qu’il peut faire, ce
qu’il ne peut pas, ce qu’il peut partager de soi, ce qu’il ne peut pas partager. Il faut aussi comprendre
pourquoi on peut et ne peut pas faire certaines choses. Enfin, il faut surtout que le bénévole sache en
quoi son écoute est différente de celle des soignants et des autres intervenants. Quelle est la spécificité
de cette écoute ? En quoi elle aide le malade ?
D’où aussi la nécessité d’expliquer au malade et sa famille en quoi consiste le rôle du bénévole, à la
première visite évidemment, et aussi régulièrement à chaque fois que nécessaire.
Réfléchir ensemble à toutes ces questions au fur et à mesure qu’elles se posent, aide chacun à se sentir
mieux, plus conscient de ce qu’il fait et dit et à apporter la meilleure aide possible « d’humain à
humain » .
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