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1.1. Des conquêtes
Dans l’Antiquité comme de nos jours, toute histoire de vassalité,
caractérisée par l’envahissement agressif d’un territoire par un autre,
se construit invariablement par un cycle de violences multiformes
dont les fondements s’illustrent clairement dans l’acte lui-même. Il
n’y a, en effet, aucun peuple au monde si dénué de perspectives de
développement intérieur qu’il s’en remette volontairement à une force
extérieure pour s’affranchir du mal-être et du mal-émerger. C’est ce
que reconnaît implicitement Cicéron en des termes qui établissent
pratiquement la violence par les conquêtes romaines comme un
programme d’émergence nationale :
« La sagesse nous enjoint d’accroître nos ressources, d’augmenter nos
richesses, d’agrandir notre territoire (comment, en effet, pourrait-on
expliquer autrement l’éloge gravé sur les monuments des grands
généraux :’’Il a fait reculer les frontières de l’empire’’ ? Il faut bien qu’il
y ait ajouté quelque chose venant d’autrui) ; elle nous ordonne d’étendre
notre pouvoir sur le plus grand nombre d’hommes possible, de jouir des
plaisirs, d’être florissant, de régner, de dominer… »1.
Dans son essence donc, toute conquête se définit comme une
agression d’un peuple par un autre à travers une juxtaposition de
violences aux péripéties ondoyantes dans certains cas où l’issue des
combats aurait bien pu ne pas être celui inscrit sur le registre de la
postérité et changer le sort du monde. Que serait en effet devenue
Rome, dans l’éventualité d’une telle occurrence, si les Sabins avaient
vaincu Romulus in extremis sauvé par l’intervention des Sabines ? Si
Hannibal avait traversé le Rubicon2 ? Si Tacfarinas avait triomphé des
généraux de Tibère ? Si le Germain Arminius avait remporté la guerre
1 De la République, texte établi et traduit par E. Bréguet, Les Belles Lettres, 2012,
(désormais De Rep.), III, 14, 22.
2 Salluste parmi bien d’autres historiens de l’Antiquité romaine atteste qu’il en faillit
bien peu pour que l’issue de la deuxième guerre punique ne fût pas celle qui favorisa
la troisième de ces confrontations romano-carthaginoises, notamment à travers
l’allusion suivante : Bello Punico secundo, quo dux Carthaginiensium Hannibal post
magnitudinem nominis Romani Italiae opes maxume adtriuerat… ; lire : « Au cours
de la deuxième guerre punique, pendant laquelle le Général carthaginois Hannibal
avait porté à l’Italie les plus rudes coups qu’elle eût jamais supportés depuis
l’établissement de la grandeur romaine… » ; Guerre de Jugurtha, texte établi et
traduit par A. Ernout, Les Belles Lettres, 1941, (désormais Bel. ou Ep.), V, 4.