Encore
la
puissance
de
Marseille
l'histoire
difficile
de
la
bataille
de
l'Ebre
Danièle et Yves ROMAN
Le
rôle
joué
par les Marseillais dans la victoire romaine
sur les Carthaginois àl'embouchure
de
l'Ebre
(217 av. J.-e.)
aété minimisé volontairement par J'historiographie romaine,
ce qui amène les modernes àsous-estimer la valeur de la flot-
te massaliète hellénistique.
Mots-clés: Guerres puniques, bataille
de
l'Ebre, marine, sources,
Marseille grecque, Méditerranée occidentale, 217
av.
J.-e.
The
role
played
by
the inhabitants
of
MarseilJes in the
Roman
victory
over
the Carthaginians
off
the mouth
of
the
Ebro (217
Re.)
has deliberately been minirnized by Romans
historians, which leads
modem
research workers to underes-
timate the merit
of
the hel1enistic Massaliote fleet.
Key words :Punie
wars,
battle off
the
Ebro,
navy,
sources,
Greek
Marseilles, Western Mediterranean,
217
B.e. .
dans Marseille grecque et
la
Gaule
Collection Etudes MassaLiètes, 3(1992),
pp.
57-61
58
Pour obscure
qu'elle
soit, l'histoire de Marseille
de
la
fin du IIIe s. à49
av.
J.-c.
s'appuie
sur quelques certi-
tudes
J.
La
reddition àCésar, en 49 av.
J.-c.
2, marque une
incontestable
et
définitive perte de puissance, quel que soit
l'avenir
de la colonie phocéenne,
notamment
àpartir du
règne
d'Auguste
3.
De
même, la montée en puissance
de
Rome
en
Méditerranée
occidentale,
à
partir
du
Ille
s.
av.
J.-c.
4, ne pouvait, pour la cité des bords du Lacydon,
que signifier une diminution de son rayonnement politique
et
économique.
Pour
C. Jullian la
décadence
massaliote,
commencée avec la seconde guerre punique, se poursuivit
inexorablement,
si bien
qu'à
compter
du
ne
s. av.
J.-c.
Marseille «était redevable à
Rome
de la sécurité de son
commerce
maritime»
(Jullian
1907,520).
Atrop vouloir
«s'épargner des frais
et
des
soldats»
(Ibid.) elle aurait pro-
voqué elle-même son déclin. Maritime
et
commerçante, la
cité phocéenne n'aurait pas cru, pas vu, les appétits territo-
riaux de son désormais trop
puissant
allié.
Reprenant
le
dossier, M. Bats apensé, récemment, trouver l'ultime rai-
son de cette politique. Pour lui, Marseille aété victime de
son conservatisme. «Prisonnière de structures sociales
et
politiques archaïques », elle ne sut pas
s'adapter
au temps
de Rome (Bats 1986, 48).
Nous
n'avons
pas l'intention, aujourd'hui,
d'examiner
ànouveau la totalité de
ce
dossier. Nous nous étonnerons
simplement, en passant,
qu'une
cité aussi pragmatique que
Rome ait, au cours du Ile
s.
av.
J.-c.,
accablé Marseille de
dotations territoriales que celle-ci aurait été incapable
de
contrôler 5. Surtout, nous relèverons
que
la faiblesse
de
Marseille
nous
a
été
le
plus
souvent
rapportée
par
des
sources unilatérales, romaines ou philo-romaines
et
nous
tenterons de montrer, àpropos
d'un
événement
du Ille
s.
av.
J.-c.,
la bataille dite de
l'Èbre,
que celles-ci méritent,
pour le moins, une discussion. Elles font, en effet, trop sou-
vent preuve
d'une
partialité pro-romaine
et
par conséquent
anti-massaliote, qui achève
l'écriture
d'une
histoire bien
orientée mais pas toujours véridique.
Vue de Rome,
c'est-à-dire
par Tite-Live, la situation
initiale
et
la
suite des événements concernant la bataille de
l'Èbre
sont
d'une
grande simplicité. Cn. Scipion, qui dispo-
se de trente navires, quitte son hivernage lorsqu'il apprend
qu'Hasdrubal vient
d'en
faire autant. Mouillant àproximité
de l'Èbre (dix mille pas), il est averti par les Massaliotes
de
la présence de la flotte
et
de
l'armée
carthaginoises. Les
termes employés par Tite-Live sont très clairs. Les deux
vaisseaux massaliotes sont deux navires légers (specula-
1Sur cette histoire, voir Jullian 1907,
193
sq., 383 sq. ;1909, 566 sq. ;Clerc
1927-1929 ;
Moreil
975, 865 et Clavel-Lévêque 1977.
2Carcopino 1936, 840-850 ;Clerc 1927-1929,
65
sq. ;Euzennat 1968- 1970 et
Clavel-Lévêque 1977, 141-144.
3 A unc date incertaine, qui pourrait être cherchéc dans le courant du
ne
s.
ap.
J.-c.,
Nice, colonie de Marseille dépendait encore de sa métropole pour
son administration comme
le
prouve l'existence
d'un
episcopus Nicaellsilllll
(C.IL,
V,
7914). Là-dessus Jullian 1913,362,
n.
1et Barruol 1969,229.
Danièle et Yves ROMAN
tores) destinés àéclairer le reste de la flotte. Grâce aux ren-
seignements des Massaliotes qui n'apparaissent plus par la
suite,
Scipion
s'apprête
àla
bataille
et, selon
Tite-Live
même,
«
le
Romain
...
aligne
ses
vaisseaux
pour
la
bataille»
(Tite-Live, XXII, 19, 11).
Il
devait
finalement
s'emparer
de vingt-cinq navires carthaginois sur quarante
(Tite-Live, XXII, 20, 1).
Polybe confirme, si
l'on
peut parler ainsi àpropos
d'un
écrivain très largement antérieur, la version
de
Tite-Live,
mais il la précise cependant sur quelques points.
C'est
ainsi
qu'il
nous
apprend
que
la
mission de renseignement de-
mandée
aux
Massaliotes
était
véritablement
habituelle,
«
car
les navires
de
cette cité, toujours en avant-garde et les
premiers au danger, étaient prêts às'acquitter de
n'importe
quelle
mission»
(Polybe, III, 95, 6, trad. D. Roussel).
Il
in-
dique également,
ce
qui est loin
d'être
négligeable,
qu'il
y
abien eu bataille navale,
ce
que ne laisse pas véritablement
entendre Tite-Live qui parle
de
la surprise des Carthaginois
au mouillage 6.
De
plus, la lecture de Polybe laisse croire
que le rôle des Grecs fut finalement très important. Mais sa
formulation est trop vague pour que nous puissions en tirer
une quelconque conclusion.
Si nous ne disposions que de ces deux sources,
comme
ce
fut le cas
jusqu'au
début du
xxe
s., nous dirions que la
bataille de
l'Èbre
fut une totale victoire romaine, obtenue
grâce
àun
renseignement
allié. Bien plus,
une
flotte ne
s'improvisant
pas, nous écririons que
Rome
était devenue
une
grande
et
complète
puissance
maritime,
disposant
d'une
flotte significative
et
ayant parfaitement maîtrisé les
difficultés posées par la tactique navale. Or,
ce
récit, qui est
celui de Tite-Live,
s'il
flatte le nationalisme romain et
par
là-même
l'image
de
la Ville,
n'en
est pas moins parfaite-
ment
inexact.
Ce
qui caractérise Marseille, en effet, aussi bien dans le
récit de
Polybe
que
de
Tite-Live
peut
être défini
comme
une série d'omissions.
La
plus évidente est celle des forces
massaliotes engagées dans cette guerre. Rien n'indique que
la flotte romaine
n'ait
été flanquée que de deux navires lé-
gers de Marseille.
Deux
suffirent àl'opération de rensei-
gnement
ce
jour-là
et
c'est
tout
ce
que nous pouvons affir-
mer.
De
même,
rien
n'indique,
à
lire
Tite-Live,
que
les
trente-cinq
navires
de
Scipion
aient
été
tous
romains,
puisque
l'
historien latin se contente de
dire:
«
C'est
avec
une flotte de trente-cinq navires
qu'il
va au devant de
l'en-
nemi »(Tite-Live, XXII, 19, 4, trad. E. Lasserre), même si
Polybe
peut
nous laisser croire àl'existence
d'une
flotte ro-
4Alors se développa l'impérialisme de Rome, aussi certain que tardivement
mis en évidence (Frézouls 1983).
5
li
s'agit
du territoire côtier remis par les Romains àla suite de leur interven-
tion de 154 av. J
.-c.
(Polybe,
XXXlJJ,
8-10), de tout le littoral entre Marseille
et l'Italie à
la
suite de J'intervention de
C.
Sexlius Calvinus en 124 av.
J.-c.
(Strabon, IV,
1,5),
enfin des Fossae Mariallae permettant aux navires de
haute mer de gagner Arles (Strabon, IV, l, 8).
6Sur cette opposition des sources sur ce point, voir Clerc 1927-1
929,20.
Marseille et
la
bataille de l'Èbre
maine de trente-cinq navires,
puisqu'il
rapporte que Sci-
pion «équipa trente-cinq
navires»
(Polybe, Ill, 95, 5).
Sa
comptabilité des forces,
comme
celle de Tite-Live, est de
toute manière, fautive, soit
qu'il
ait omis des bateaux mas-
saliotes dans le total de trente-cinq, soit parce
qu'il
n'a
pas
indiqué
un
nombre
indéterminé
de
navires
massaliotes
outre les trente-cinq mentionnés
7.
L'omission
peut
être
considérée
comme
involontaire ou
de
peu
d'importance,
même si, dans d'autres circonstances, Tite-Live
n'a
pas ou-
blié de noter l'existence des cinq navires alliés qui, en 195
av.
J.-c., se joignirent àLuna aux vingt navires armés pour
transporter
M.
Porcius
Cato
et
ses
troupes
en
Espagne
(Tite-Live, XXXIV,
8,4).
Il
n'en
va pas de même de la tactique de la bataille qui
fut, incontestablement,
d'origine
massaliote.
Car
tout fut
beaucoup plus compliqué, plus sophistiqué que ne
l'a
indi-
qué
Tite-Live
décrivant
la
surprise
des
Carthaginois
au
mouillage. L'amiral phénicien
eut
le temps
d'aligner
ses
vaisseaux, si
l'on
en croit Polybe
8.
Et la bataille,
car
il
y
eut bataille, ne fut en rien un affrontement brutal
d'éperon
d'airain et un abordage àla romaine,
comme
le dit l'histo-
rien latin.
Le
fragment de Sosylos, découvert àWürzburg
au début
de
ce
siècle, permet, en effet,
d'affirmer
que les
Massaliotes ont
joué
un
rôle beaucoup plus important que
celui
d'appoint
qui leur était dévolu dans les récits de Poly-
be
et
de Tite-Live. Ils ont, tout simplement, imposé la tac-
tique 9, une tactique
purement
hellénique, le
8IÉKn:ÀOUÇ,
qui visait à
surprendre
l'ennemi
par
la
présence
d'une
deuxième ligne
de
navires fondant
sur
un adversaire qui,
ayant percé la première, se croyait incontestablement victo-
rieux
JO.
De cette manière, les bris de rames racontés par
Polybe ont toute chance de se rapporter à
ce
mouvement de
navires.
C'est
incontestablement
cette
surprise,
que
ne
mentionnent réellement
ni
Polybe
ni
Tite-Live, qui permit
ensuite àla flotte romaine de
s'emparer
de vingt-cinq vais-
seaux phéniciens.
Il
est donc
clair
que
Tite-Live
n'a
pas
rapporté la première partie
de
la bataille
et
que
Polybe,
sans nul doute parfaitement renseigné,
l'a
remplacée par un
éloge vague
et
général des Massaliotes, procédé qui le dis-
pensait de dire le rôle véritable des Grecs. Asuivre
P.
Pé-
dech (1964, 185-187),
il
est aujourd'hui parfaitement clair
que Polybe ne pouvait accepter le récit pourtant véridique
de l'ancien professeur de grec d'Hannibal àpropos du dé-
clenchement
de
la
seconde
guerre
punique.
Montrer
les
7
L'une
ou l'autre solution est tout à
Fait
possible. Les Massalioles ne se
com-
portent pas dans
cet
engagement
comme
des alliés
constiluant
une Force
d'appoint
tout àfait limitée. Là-dessus infra
n.
Il.
8«Quand l'ennemi
fut
proche,
comme
il
f=
le Carthaginoisl avait résolu de
livrer bataille,
il
fit
appareiller après avoir
Fail
sonner le branle-bas. Ayant
pris le contact avec
la
flone romaine,
il
lui disputa pendant quelque temps la
victoire, mais
commença
bientôt àplier. »
9«Mais les Massaliotes, qui auparavant avaienl fail l'expérience
d'une
ma-
nœuvre employée pour la première
Fois,
disait-on, àla bataille
de
l'Artémi-
sion par Hérakleidès de Mylasa
...
donnèrent
l'ordre
de
ranger les vaisseaux
d'avanl
sur
un
rang en face de l'ennemi,
et
de placer les aUlres en réserve à
59
atermoiements du Sénat,
comme
le firent, àsa suite, Tite-
Live
(XXI,
6,
5-8
et
7,
1)
et
Dion
Cassius
(CLXXII-
CLXXIIJ, édit. E. Gros) revenait àdire que le parti de la
guerre, celui des Scipions, les protecteurs
de
Polybe, ne
l'avait
pas
emporté
d'entrée.
L'historien
de
Mégalopolis
préféra
sur
ce
point
l'inexactitude
et
refusa
globalement
l'œuvre
de Sosylos, considérée
comme
de «vulgaires ra-
gots,
comme
il
s'en
débite
dans
les
boutiques
des
bar-
biers»
(Polybe, IIJ, 20). Quoi
qu'il
en soit de ces débuts de
la guerre,
il
est parfaitement évident désormais que Polybe,
en omettant les conditions
de
la bataille navale, asurestimé
l'action
romaine,
même
si Sosylos exagère, peut-être, en
notant que «les navires massaliotes... furent pour les Ro-
mains les auteurs de tout le
succès»
Il.
Quant àTite-Live,
dépassant le stade de l'omission, il nous adécrit une totale
victoire
de
Rome, obtenue grâce àdes pratiques toutes ro-
maines d'abordage.
Or,
il y a
là,
pour
reprendre
la
terminologie
de
M. Rambaud àpropos de César, toutes les conditions
d'une
déformation historique.
De
même que César aciselé pour
le Sénat son profil de conquérant en sous-estimant le rôle
de
ses légats
(Rambaud
1966, 296),
de
même
Polybe
et
Tite-Live
ont
largement contribué àfixer
l'image
victorieu-
se de
l'Urbs
en sous-estimant le rôle de son alliée massa-
liote.
La
cité
phocéenne
pouvait
alors disparaître, ou en
tout cas
s'effacer
très largement dans l'écriture de l'histoire
de la Méditerranée occidentale. Il suffisait
pour
cela que
l'histoire
soit écrite par une
seule
catégorie
d'historiens,
ceux que le destin
de
Rome préoccupait avant tout.
Il
faut aller plus loin encore
et
dire que l'attitude défor-
matrice
qui
fut
la
leur
n'avait
rien
d'accidentel,
parce
qu'elle
avait
des
correspondances
dans
leur
conception
même
de
l'histoire. Etudiant les idées romaines sur le pro-
grès,
A.
Novara n'a-t-elle pas récemment
noté:
«Les Ro-
mains ont eu l'habitude mentale
de
sélectionner les événe-
ments
du passé
pour
apercevoir
dans celui-ci les étapes
d'un
progrès ». Si
Rome
était bien la Ville Éternelle
12,
par
la
volonté des dieux, l'histoire avait
un
sens et celui-ci ne
pouvait que lui être favorable. Quels
qu'ils
fussent, les al-
liés ne pouvaient, au mieux,
qu'espérer
être des compa-
gnons
de
route
dans
un
cheminement
quasiment
divin.
Marseille
ne
pouvait
échapper
à
la
règle
et
d'autres
exemples disent
qu'il
en fut, par la suite, toujours ainsi.
Sa
"faiblesse" est donc àreconsidérer.
une
dislance
calculée
...
».
Sosylos, fragment dit
de
Würzburg,
d'après
la
trad.
de
Seymour
de
Ricci, reprise par Clerc 1927-1929,
16.
/0 Le
OIÉK1tÀOUÇ
était considéré par Polybe
(l,
51, 9)
comme
«la manœuvre la
plus efficace dans un combat
naval»
(Garlan 1972, 151).
//
Sosylos, Fragment
l,
trad.
de
Seymour
de
Ricci dans Clerc 1927-1929, 16.
Il
Faut
touteFois remarquer,
en
lisant Sosylos,
que
les Massaliotes ne se conlen-
tèrent pas
de
proposer
d'utiliser
le OIÉK1tÀOUÇ mais
qu'ils
«en donnèrent
l'ordre
».
Ale lire, l'impression donnée
par
les Massaliotes
n'est
donc pas
celle
d'alliés,
contribuant pour une Faible part àl'eFfort
de
guerre (deux na-
vires
sur
lrenle-cinq, soit moins
de
6
%)
mais, au minimum,
d'alliés
àpart
égale des Romains.
/2
Turcan 1983
el
pour une autre période Paschoud 1967,
9-1
1.
60
Les sources de la bataille de l'Èbre
Danièle et Yves ROM
Sosylos, fragment dit de Würzburg,
d'après
la trad. de Seymour de
Ricci, reprise par Clerc 1927-1929,
16.
«
...
Tous les navires avaient combattu vaillamment, mais surtout,
de beaucoup, ceux des Massaliotes, car ils avaient commencé les pre-
miers, et furent pour les Romains les auteurs de tout le succès. Leurs
chefs rendirent par leurs exhortations les autres plus courageux, de
même qu'eux-mêmes allèrent contre l'ennemi avec une intrépidité su-
périeure. La défaite des Carthaginois fut doublement grande parce que
les MassaJjotes connaissaient leur tactique particulière. Les Phéniciens
en effet avaient l'habitude, une fois rangés en bataille devant les vais-
seaux ennemis qui leur présentaient la proue, de voguer comme
s'ils
voulaient les éperonner, mais de ne pas en venir au choc, de passer
entre eux, de virer, puis d'aller contre ces vaisseaux qui se trouvaient
alors de flanc devant eux.
Mais les Massaliotes, qui auparavant avaient fait
l'expérience
d'une
manœuvre employée pour
la
première fois, disait-on, àla ba-
taille de l'Artémision par Hérakleidès de Mylasa, supérieur en habileté
àses contemporains, donnèrent l'ordre de ranger les vaisseaux
d'avant
sur
un
rang en face de l'ennemi, et de placer les autres en réserve àune
distance calculée; afin que, dès que
la
première ligne aurait été dépas-
sée par l'ennemi sans avoir jusque-là bougé de leur place, ils attaquas-
sent les vaisseaux ennemis au moment propice, tandis que ceux-ci
chercheraient encore àapprocher les leurs. Ainsi avait fait autrefois cet
Hérakleidès, devenu ainsi l'auteur de la victoire. Maintenant donc les
Massaliotes, comme
je
l'ai dit, se donnèrent tout entiers au souvenir de
leurs anciens exploits... »
Polybe, III, 95-96, traduction
D.
Roussel
«
11
[Hasdrubal] rassembla d'autre part ses troupes de terre, qui
avaient quitté leurs quartiers d'hiver, et entra en campagne. Tandis que
la flotte longeait la côte, l'armée marchait près du rivage. Les deux
forces devaient s'arrêter
au
niveau de l'Èbre.
Cn. Scipion, qui se doutait des intentions
de
l'ennemi,
songea
d'abord àquitter ses quartiers d'hiver pour aller àsa rencontre avec ses
forces de terre et de mer. Mais, lorsqu'il eut connaissance de l'impor-
tance des effectifs et des armements dont disposait l'adversaire,
il
re-
nonça àl'affronter sur terre.
Il
équipa trente-cinq navires, àbord des-
quels
il
fit embarquer comme soldats de marine les meilleurs éléments
de son armée, puis ayant quitté Tarracon, arriva le lendemain devant
l'Èbre.
Il
fit mouiller sa flotte àquelque quatre-vingts stades de celle
de l'ennemi et envoya en éclaireurs deux croiseurs rapides de Massa-
lia, car les navires de cette cité, toujours en avant-garde et les premiers
au
danger, étaient prêts às'acquitter de n'importe quelle mission. Les
Massaliotes étaient pour les Romains des associés valeureux entre
tous;
ils devaient
le
prouver souvent encore par
la
suite, mais cela ap-
parut surtout au cours de
la
guerre d'Hannibal. Ayant donc appris par
ces deux croiseurs que la flotte carthaginoise était ancrée àl'embou-
chure du fleuve, Scipion s'empressa d'appareiller pour lancer contre
elle une attaque brusquée.
Les vigies avaient, longtemps àl'avance, averti Hasdrubal que la
flotte ennemie approchait et
le
Carthaginois, en même temps qu'il ran-
geait ses troupes de terre sur la côte, avait ordonné aux équipages de
ses navires d'embarquer. Quand l'ennemi fut proche, comme
il
avait
résolu de livrer bataille,
il
fit appareiller après avoir fait sonner
le
bran-
le-bas. Ayant pris
le
contact avec
la
flotte romaine,
il
lui disputa pen-
dant quelque temps la victoire, mais commença bientôt àplier. En
effet,
la
présence de troupes amies rangées sur
le
rivage, loin de stimu-
ler l'ardeur combative des marins, leur rendit plutôt
un
mauvais servi-
ce, en leur offrant
un
refuge tout proche. Deux navires carthaginois
fu-
rent capturés avec leurs équipages, quatre autres eurent leurs rames
brisées, tandis que les soldats de marine étaient mis hors de combat.
Les autres se rabattirent sur
le
rivage. Vivement poursuivis par les Ro-
mains, les équipages jetèrent leurs navires à
la
côte, débarquèrent pré-
cipitamment et allèrent se réfugier auprès des troupes de terre.
S'ap-
prochant alors hardiment du rivage, les Romains prirent en remorque
ceux des vaisseaux ennemis qui pouvaient encore naviguer, puis, ravis
de leurs succès, regagnèrent
le
large. Ils avaient triomphé dès leur pre-
mière
attaque;
ils étaient maintenant maîtres de la mer et ils s'étaient
emparé
de
ving-cinq navires carthaginois. Désormais, grâce àce suc-
cès, les perspectives ouvertes aux Romains en Espagne apparurent plus
briliantes. »
Tite-Live, XXII,
19,
4-12 ;XXII, 20, 1-3, traduction
E.
Lasserre
«Quand Cnéius Scipion apprit qu'il [Hasdrubal] avait quitté ses
quartiers d'hiver,
il
prit d'abord le même
parti;
puis n'osant pas trop
lutter sur terre, àcause du grand bruit
qu'on
faisait des nouveaux auxi-
liaires des Carthaginois,
il
embarque l'élite de ses soldats, et
c'est
avec
une flotte de trente-cinq navires qu'il va au-devant de l'ennemi.
Un
jour
après son départ de Tarragone,
il
arrive à
un
mouillage
situé àdix mille pas de l'embouchure de l'Èbre. Deux navires de Mar-
seille, envoyés de en éclaireurs, rapportèrent la nouvelle que
la
flotte
carthaginoise était àl'embouchure du fleuve, et le camp installé sur
la
rive. Pour écraser les ennemis par surprise, et avant qu'ils soient sur
leurs gardes, en les frappant tous àla fois de terreur, Scipion, levant
l'ancre, s'avance contre eux. L'Espagne abeaucoup de tours placées
sur des hauteurs, dont on se sert
et
pour
le
guet
et
pour la défense
contre les pirates. Comme ce fut de
qu'on
aperçut
d'abord
les vais-
seaux romains, on les signala à
Hasdrubal;
et l'alarme avait été don-
née sur terre, et au camp, plus tôt que sur mer et dans les navires -
parce
qu'on
n'y
avait pas entendu encore le battement des rames
ni
les
autres bruits de
la
flotte ennemie, ou que les caps ne
la
découvraient
pas encore -quand soudain Hasdrubal envoie cavalier sur cavalier
aux hommes errant sur le rivage ou tranquilles dans leurs tentes, n'at-
tendant rien moins que l'ennemi ou une bataille ce jour-là, pour leur
ordonner d'embarquer en hâte et de prendre les armes, car
la
flotte ro-
maine n'était déjà pas loin du port. Tel était l'ordre que portaient çà et
les cavaliers envoyés de tous côtés ;bientôt, Hasdrubal lui-même
était avec toute l'armée, et tout retentit de cris variés, rameurs et sol-
dats se précipitant ensemble sur les navires, semblables àdes fuyards
qui quittent la terre plus
qu'à
des gens qui vont au combat. Apeine
tous s'étaient-ils embarqués que les uns, coupant les amart'es, se préci-
pitent sur les ancres, que les autres, pour éviter du retard, en coupent
les
câbles;
et, tout se faisant à
la
hâte et précipitamment, les prépara-
tifs des soldats gênent les manœuvres des marins, l'agitation des ma-
rins empêche les soldats de prendre leurs armes et de s'armer.
Déjà non seulement le Romain approchait, mais
il
avait aligné ses
vaisseaux pour la bataille. Aussi les Carthaginois, troublés, autant que
par l'ennemi et le combat, par leur propre tumulte, après avoir plutôt
tenté
qu'engagé
réellement
la
lutte, virent de bord pour prendre la
fuite. Et comme, en face d'eux, l'embouchure du fleuve n'était guère
accessible àune large colonne
de
navires,
ni
àtous ceux qui se présen-
taient alors en même temps, ils jetèrent çà et
leurs vaisseaux àla
côte, et trouvant les uns de hauts fonds, les autres la terre, partie armés,
partie sans armes, ils se réfugièrent auprès de leur armée rangée sur le
rivage. Cependant, au premier choc, deux bateaux puniques avaient été
pris, quatre coulés.
Marseille et
la
bataille de
l'Èbre
Les Romains, quoique
la
terre appartint àl'ennemi, et
qu'ils
vis-
sent ses troupes en armes border tout le rivage, n'hésitèrent pas àpour-
suivre sa flotte
effrayée;
pour tous les navires qui n'avaient pas brisé
leurs proues en heurtant
le
rivage, ou échoué leurs coques sur de hauts
61
fonds, ils fixèrent des câbles àleur poupe et les tirèrent vers
la
haute
mer;
ils prirent vingt-cinq navires,
sur
quarante.
Et
le plus beau de
la
victoire, ce ne fut pas encore
cela;
ce fut
qu'un
léger combat rendit
les Romains maîtres de toute cette côte. »
Discussions sur celle communication: voir
p.
459.
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