De l`homosexualité au Maroc : entre influences culturelles et vécu

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Sexologies (2010) 19, 181—185
ARTICLE ORIGINAL
De l’homosexualité au Maroc : entre influences
culturelles et vécu夽
I. Kendili (MD) a,∗, S. Berrada (MD) b, N. Kadiri (MD) a
a
b
Centre psychiatrique universitaire — CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc
Centre d’addictologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc
Disponible sur Internet le 16 juin 2010
MOTS CLÉS
Homosexualité ;
Héritage culturel ;
Histoire ;
Croyances ;
Religion
Résumé L’hétérosexisme est entendu comme un système culturel de pensée, de construction
et de perception des sexualités au sein duquel celles ci sont appréhendées de manière hiérarchique ; l’hétérosexualité étant considérée comme la normalité et la seule sexualité légitime.
L’arrivée des Arabes et de l’Islam au 7e siècle n’ont guère pu effacer toutes les traces des autres
religions et traditions ancestrales qui sévissaient au Maroc depuis des siècles. Du sillon arabomusulman, entre patrimoine littéraire et poétique historique ; nous caresserons l’homosexualité
étymologique dans nos dialectes avant d’étayer la vision islamique de l’homosexualité à travers
ses condisciples les plus probants.
© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction
L’homosexualité est sujette à controverse. Plusieurs évènements en témoignent, souvent relatés dans une presse
tiraillée, entre droits de l’homme soit tolérance dite
moderne et préceptes religieux, dits traditionnels.
Le Maroc possède aujourd’hui un mouvement gay qui
revendique ses droits et bien que n’ayant guère pu être
domiciliée au pays, l’association Kifkif est très active
souvent à la une de la presse marocaine la plus prisée.
Par ailleurs, l’homosexualité marocaine a ses ambassadeurs notamment Abdellah Taia dont « Le tarbouche rouge »
DOI de l’article original : 10.1016/j.sexol.2010.03.004.
This issue also includes an English version: Kendili I, Berrada S,
Kadiri N. Homosexuality in Morocco: Between cultural influences
and life experience.
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (I. Kendili).
夽
a fait le tour du monde. . . (Telquel no 367, avril 2009).
Cependant, l’homosexualité n’est guère une conception
moderne d’une sexualité importée de l’Occident comme
nombreux veulent le croire. Il nous incombe de nous
projeter dans l’Histoire afin d’étayer nos connaissances
souvent empruntes de prénotion ainsi que de parfaire notre
recherche.
Le Maroc : une terre d’accueil
L’homosexualité a toujours été présente, tolérée socialement et sujette aux histoires drôles populaires (Choukri,
1980). Elle est même objet d’une répartition géographique :
les régions d’Azemmour ou de Marrakech seraient réputées
pour l’attrait de leurs habitants masculins pour leur propre
sexe ; mais pas seulement puisqu’une région près de Meknès fait l’objet d’une surveillance étroite de la part des
autorités notamment durant le Moussem annuel. Moussem
ayant soulevé la polémique il y a deux ans par la célébration
d’un mariage homosexuel en pleine campagne lors de rites
1158-1360/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.sexol.2010.03.003
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désuets ayant traversé les siècles (La Gazette du Maroc,
no 570, 28 mars 2008).
Cependant, bien que l’homosexualité soit présente et
tolérée, elle l’est sous un voile de silence non dénué de
tabous.
Il nous incombe également de rappeler un Maroc qui
accueillit sans perturbation aucune l’écrivain Jean Genet,
connu pour sa plume acerbe mais aussi pour ses tendances
homosexuelles masochistes qui vécut à Tanger dans les
années 70 ; le célèbre styliste Jean-Paul Gauthier ou encore
Jacques-Henri Soumère, directeur général de l’opéra
Mogador et du Massy, à Paris, homosexuel notoire, ayant élu
domicile à Marrakech avant d’être arrêté et jugé à un an de
prison, non pas pour homosexualité mais pour pédophilie.
Le patrimoine historique
De Carthage à Byzance. . .
En 146 avant notre ère, à la chute de Byzance, les Romains
s’allièrent avec Bocchus, un roi berbère qui régnait sur
toute la région à l’ouest de la Moulouya (fleuve du Maroc
oriental, tributaire de la Méditerranée). Le latin s’implanta
peu à peu au cours de cette période d’occupation et le
Maroc subit alors l’influence socioculturelle romaine.
La présence chrétienne fit son lis dès le ive siècle et se
maintient à l’arrivée des Vandales en 429 après JC (arrivée
au ive siècle), mais le général byzantin Bélisaire reprit la
région en 533 et y imposa les lois de l’Empire byzantin.
Au point de vue linguistique, la région était aux
prises avec les langues berbères, le latin des populations
romanisées et le grec comme langue administrative.
L’épopée arabo-musulmane
De la conquête arabe aux troubles anarchiques
La conquête musulmane commença au Maroc avec une
première expédition menée par Oqba ibn Nafi (681 après
JC) ; mais la véritable conquête musulmane débuta une
vingtaine d’années plus tard, sous Musa ibn Nusayr.
L’implantation arabe fut cependant longue et difficile,
car les Berbères résistèrent autant à l’arabisation qu’à
l’islamisation.
Ainsi considère-t-on que la fondation du Maroc se fit
avec les Idrissides qui allièrent à leur cause, diverses tribus
arabo-berbéro-afro-musulmanes (Epp recht, 2006) faisant
du Maroc le pays aux diverses mœurs et habitus qu’il est
aujourd’hui.
Par ailleurs, les Abbassides sont aux portes de celui-ci
alors ; soulignons qu’Idriss 1er fut assassiné par l’un des
sbires du sultan Harun-al Rashid. . .
Viennent alors les trois dynasties berbères (xie au xvie
siècle) : les Almoravides (les pieux) dirigés par Youssouf
ibn Tachfine, suivis des Almohades (les unitaires), puis les
Mérinides en 1269.
Le Maroc des influences
Le Maroc ou Terre de Dieu en Amazigh est le pays des sept
cultures.
I. Kendili et al.
L’apport culturel gréco-romain semble être un pilier
primordial dans la construction de notre réflexion, et ce,
par la place hégémonique accordée à l’homosexualité. En
effet, la sexualité avec une femme est vide de sens, sans
âme et uniquement domestique dans un monde d’hommes,
ainsi l’amour noble et le plaisir du sexe sont des affaires
d’hommes autant que la politique, les sciences ou les arts
(Durkheim, 1903).
L’homosexualité est donc à cette époque la manifestation d’une misogynie suprême. Cependant, n’omettons pas
une homosexualité féminine déjà très présente en Grèce
Antique mais peu abordée : en effet, alors qu’en pays
grec, les images de la céramique à figures noires et rouges
sont essentielles à l’étude de l’homosexualité masculine,
comme en témoigne l’ouvrage de K. J. Dover, elles sont
pratiquement silencieuses sur les relations sexuelles entre
femmes. On aurait tendance à interpréter le godemiché,
que des femmes portent sur certains vases, comme un
instrument de lesbienne et le signe marqueur d’une scène
d’homosexualité féminine (Leduc, 2008).
Il suffit de lire la Lysistrata d’Aristophane pour se rendre
compte qu’il est d’un usage très étendu (Leduc, 2008).
L’héritage culturel arabo-musulman
De la plume abbasside
Les frontières marocaines caressèrent la dynastie Abbasside
dont le patrimoine poétique reflète la place sociétale de
l’homosexualité ainsi que la tolérance de cette époque.
Nous citerons Abu Nawas (757 — 815 après JC), un des
poètes arabes les plus célèbres du 8e siècle pour ses
frasques sexuelles, sa poésie magnifique et son amour pour
le vin et les éphèbes. Sans omettre qu’il fut également
l’amant du sultan Harun-al-Raschid. . .
Mieux que fille vaut garçon d’Abu Nawas
J’ai quitté les filles pour les garçons
Et, pour le vin vieux, j’ai laissé l’eau claire.
Loin du droit chemin j’ai pris sans façon
Celui du péché, car je préfère.
Me voilà tombé amoureux d’un faon
Coquet, qui massacre la langue arabe (. . .)
Ses pieds sont chaussés et sous son manteau,
Le riche brocart offre sa devine (. . .)
Je suis ignorant en comparaison
D’un garçon ou d’une gamine
Pourtant comment confondre une chienne qui eut
Ses règles chaque mois et mit bas chaque année (*)
Avec celui que je vois à la dérobée :
Je voudrais tant qu’il vînt me rendre mon salut !
Je lui laisse voir toutes mes pensées,
Sans peur du muezzin et de l’imam non plus.
(*)Remarquez la misogynie qui se dégage de ces vers,
avec la violence péjorative du mot « chienne » ; par ailleurs,
on retrouve une obsession chère à la poésie de Rimbaud
des siècles plus tard, soit les menstrues de la même façon
perçues avilissantes par Abu Nawas et Rimbaud, tous deux
ayant eu des amours homophiles.
De l’homosexualité au Maroc
Il semble judicieux également d’insérer une anecdote
relatant une des nombreuses disputes d’Abu Nawas et de
l’épouse première du Sultan :
« Haroun Errachid se plaint un jour à son amant Abu
Nawas de la position classique et ennuyeuse avec
laquelle il fait l’amour à sa femme tous les soirs.
Le poète conseilla au Calife de changer sa pratique.
Le soir venant, le sultan demanda à sa femme de se
retourner. Choquée, cette dernière, sachant qu’une idée
perverse comme celle-là ne pouvait venir que d’Abu
Nawas, décida de le chasser de Bagdad. Accompagnée
de quatre sbires, la femme du calife demanda au poète
de ramasser ses affaires et de quitter la capitale.
Abu Nawas, malin et rusé, se mit alors à ramasser ses
effets et à les mettre dans un seul couffin de la selle de
son cheval. Avec le poids et le déséquilibre, la selle ne
cessa de tomber. La première dame impatiente, hurla :
mais bon Dieu tu ne peux pas utiliser les deux trous et
en finir ? Et à Abu Nawas de rétorquer : n’est-ce pas qu’à
cause des deux trous que tu me chasse de la ville ? ».
De l’empreinte ottomane
Soliman le Magnifique, le plus glorieux des sultans ottomans,
aurait eu une relation avec Ibrahim, un esclave grecque
chrétien islamisé, qu’il nomma grand vizir, et qui exerça
pendent plus de 30 années les plus hautes fonctions de
l’empire, en plus de devenir l’époux de la sœur du sultan.
Nous retrouvons une société misogyne ou le pouvoir se
reflète à travers une homosexualité symbole de pouvoir
dont découlera plus tard la notion d’homosexuel passif qui
scindera la vision sociétale en deux.
Un sultan du Maroc
Dans un livre écrit par George Host, consul du Danemark
auprès d’un sultan marocain et intitulé Sultan du Maroc, on
lit :
« . . . au mois de septembre, il dépêcha le caïd Idriss avec
une lettre au consul d’Espagne par laquelle il demandait
qu’une frégate espagnole lui apportât un jeune homme
espagnol âgé de 15 à 20 ans. . . La même année, celui-ci
envoya le même Idriss voir les consuls du Danemark
et de Suède pour leur demander de faire part à leurs
rois respectifs du souci de l’empereur marocain quand
à la paix fragile existant entre les deux nations. . . Il
leur demandait, en outre, que chacune de leur Cour
veuille lui envoyer un jeune homme de 15 à 20 ans,
d’allure agréable, de bonne éducation, possédant de
bonnes qualités et parfait en son genre, afin d’être
continuellement auprès de sa personne et effectuer les
échanges de courrier entre lui et leurs consuls respectifs.
Ces jeunes gens auraient l’autorisation de retourner
chez eux quand ils le souhaiteraient et on ne devait lui
envoyer ni artistes, ni artisans. . . ».
Jusqu’aux années 40, la culture des éphèbes, musiciens,
chanteurs, serviteurs et accompagnateurs lors des voyages,
a été monnaie courante dans certains milieux bourgeois et
politiques de la société marocaine. Ces éphèbes célébraient
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mariages, baptêmes, circoncisions et autres fêtes, mais
pour une somme symbolique, ils étaient à la disposition de
leur hôte pour le laver, le masser et lui procurer d’autres
plaisirs physiques.
Avec l’indépendance, les nationalistes, les Imams et
d’autres blocs exerçant du pouvoir au Maroc luttèrent
ardemment contre ces pratiques dites douces et ancestrales. L’homosexualité, tout comme la prostitution
féminine et surtout masculine, est presque tolérée à
condition qu’on ne s’exhibe pas, ne s’affiche pas et surtout,
qu’on en parle pas.
Le point de vue socio-anthropologique
La séparation de la société en deux groupes bien distincts a
aussi pour effet d’induire des comportements homosexuels,
ce qui est assez fréquent chez les arabo-musulmans. (Louis,
2003 ; Hoad, 2007).
À l’époque de l’empire ottoman, bien après le début
de l’islamisation, diverses tribus irano-turco-tartares célébraient encore la fête de Basm, un rite homosexuel au cours
duquel les « Batscha » — jeunes garçons élevés et vêtus
comme des filles — étaient mis à la disposition des hommes
de la tribu. Dans de nombreux écrits, un grand nombre de
califes étaient entourés de « mignons » qui leurs servaient
d’esclaves sexuels.
Malek Chebel anthropologue et psychanalyste parle
d’« homosensualité », pour désigner :
« Une attitude des Orientaux en général et des Arabes,
en particulier, qui consiste, en l’absence de partenaire
de l’autre sexe, à reporter sur leurs pairs l’excédent de
sensualité qu’ils n’arrivent pas à écouler autrement »
(Chebel, 1995).
Bien que peu documentée, l’homosexualité féminine est dite organisée : on retrouve des témoignages
d’homosexualité chez les femmes musulmanes et pas
uniquement dans les harems.
C’est ainsi qu’Al Hassan Ibn Mohammed Al Wezaz Al Hassan raconte dans son Leo Africanus écrit en 1526 qu’il existait, à Fez, des groupes de femmes surnommées « sahhaqat »
qui formaient une sorte de secte lesbienne. Elles jouaient
un rôle de « guérisseur pour femme » et, en guise de salaire,
elles se faisaient accorder des faveurs sexuelles. Elles invoquaient le fait que « les esprits » exigeaient ces faveurs. Mais
bien souvent, les femmes fréquentaient les sahhaqat dans
le seul but d’avoir des relations sexuelles avec elles.
« Elles feignaient d’être malades et parvenaient parfois
à entretenir une sahhaqat sous prétexte qu’elles étaient
‘‘possédées du démon’’ et que seule la présence de la
sahhaqat pouvait la protéger du mal ».
Héritage sociétal et soufisme
En organisant la séparation rigoureuse entres les sexes, la
société arabo-musulmane a engendré d’énormes frustrations sexuelles (Louis, 2003 ; Epp recht, 2006), suscitant
des cultures « homosensuelles », où les hommes ont entre
eux des gestes et des sentiments qui sont proches de
l’homosexualité et cultivent l’ambigüité (Chebel, 1997).
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Toute une partie de la tradition soufie s’est trouvée
héritière du rapport maître-disciple qu’entretenait, y
compris dans ses dimensions « pédérastiques », la culture
de la Grèce antique.
Nous ne pouvons ne pas citer Salaheddine Arroumi ou
Mevlana, fils du « Sultan des savants » qui naquit à Balkh
en 1207, au Khorasan, région frontière entre l’Iran et
l’Afghanistan. Celui-ci créa le soufisme et fut le père
spirituel des derviches tourneurs dont la célèbre danse « la
Sema » (manifestation symbolique d’émotion et de douleur)
se dansa la première fois à la mort de son maître spirituel Sems Tabrizi (Eva de Vitray-Meyerovitch 1975—1978 De
Vitray-Meyerovitch, 1975,1995), un derviche errant que l’on
dit également son amant ; lequel amant fut assassiné par
ses propres disciples qui voulurent récupérer leur maître et
mettre fin à cette amour « maitre-disciple » trop fusionnel.
Plus tard, certains soufis (le Turc du 13e siècle, Yunus
Emre) ont cultivé un langage ambigu en comparant leur
amour pour Dieu appelé « l’Ami » à des amours très homophiles, et ce à l’encontre d’une vision chiite imposant
l’inaccessibilité de Dieu.
Homoséxualité et religion
L’homosexualité est un des grands interdits de l’Islam avec
la sexualité en dehors des liens du mariage, la sodomie etc :
« Est maudit celui qui utilise la voie anale dans son acte
intime avec sa femme » (rapporté par Ibn Ady, 1/211).
« Et ils t’interrogent sur la menstruation des femmes
— Dis : ‘‘C’est un mal. Éloignez-vous donc des femmes
pendant les menstrues et ne les approchez que quand
elles sont pures. Quand elles se sont purifiées, alors
cohabitez avec elles suivant les prescriptions d’Allah car
Allah aime ceux qui se repentent, et Il aime ceux qui se
purifient’’ » (Coran, 2 : 222).
Cependant soulignons l’existence d’une croyance
populaire qui véhicule l’idée qu’en Islam, les homosexuels méritent la mort, et certaines autorités religieuses
abondent dans ce sens depuis des années (Murray, 1997).
Cette idée s’appuie sur une seule tradition, attribuée
à Ibn Abbas : ‘‘Tuez l’actif et le passif parmi ceux qui
commettent l’acte du peuple de Loth, ainsi que la bête et
celui qui copule avec une bête’’.
Mais ce hadith unique ne se trouve pas dans les collections les plus importantes, celles de Boukhari et de Muslim si
nous nous référons à Rachid Benzine, écrivain et chercheur
marocain (Les nouveaux penseurs de l’islam, 2004).
I. Kendili et al.
Deux anges se rendent à Sodome, et Loth les accueille
et leur offre l’hospitalité. Mais voilà que les hommes de
Sodome arrivent, encerclent la maison et manifestent le
désir de les violer.
Loth essaye de négocier avec les pervers et va jusqu’à
leur offrir ses deux filles. Les habitants de Sodome disent
à Loth qu’ils préfèrent de loin les hommes.
Les anges font appel à la puissance de Dieu qui rend les
agresseurs aveugles et anéantit la ville ».
Onze des 114 chapitres ou sourates relatent
l’homosexualité. En une seule occurrence cette condamnation, venant juste après celle de l’adultère féminin, est
prononcée ainsi :
« Si deux d’entre vous font une infamie (ou un acte),
sévissez. S’ils reviennent et s’amendent, laissez-les »
(IV, les femmes, 16 ou 20 [suivant les éditions]).
Dans les dix autres, comme nous en avons précédemment parlé, il s’agit de reprises commentées des paroles
attribuées à Loth, neveu d’Ibrahim (Abraham) et habitant
de Sodome, patriarche biblique promu dans le Coran au
rang éminent de prophète.
La fin tragique de cette ville sous un déluge de feu et de
soufre — cependant, certains parlent d’une éruption volcanique au xxve avant Mahomet — qui fut interprétée comme
une punition divine (Genèse, XVIII et XIX) dont le Coran,
plus généralement, menace l’ensemble des incroyants
(notamment dans les sourates II, III, IV, IX, XXII et XXV).
Des interprétations novatrices de certains versets coraniques (Rachid Benzine, 1997) permettent aux auteurs des
voies nouvelles de réflexion tel que l’écrit Malek Chebel en
2007 :
« . . . L’Islam condamne la pénétration ; pour moi il ne
condamne pas l’homosexualité parce que deux femmes
peuvent avoir une relation homosexuelle sans pouvoir,
pratiquer les ‘‘perversités’’ du peuple de Loth, la
pénétration, tout comme deux hommes. . . ».
« L’Islam n’utilise pas le mot homosexuel mais parle
de peuple impie, de Loth et de la dégénérescence.
L’homosexualité est plutôt présentée par défaut. Dans
le Coran, elle est considérée comme un mal dont il faut
se prémunir ».
« Cela tient en quelques lignes terribles. Ce texte a
manifestement pour objet la conservation de l’ordre. Il
s’agit de préserver la forme familiale traditionnelle, de
reconduire l’ordre ancien et de condamner toutes les
autres activités transgressives, y compris les formes de
matrimonialité non conventionnelles ».
Sodome et Gomorrhe
Ibn’Abbâs a dit :
Tous les versets coraniques et les hadiths du prophète qui
évoquent des pratiques homosexuelles, le font en référence
avec l’histoire de Loth, neveu d’Abraham et habitant de
Sodome (Malek Chebel, 1986).
« On doit croire aux versets ambigus, mais il ne faut pas
régler sur eux sa conduite ».
« Cette ville, comme celle de Gomorrhe, seraient alors
emblème de la perversité et Dieu aurait annoncé à Abraham qu’il allait y envoyer deux messagers pour évaluer
la situation.
Irait-on vers une interprétation nouvelle du Coran ?
Les croyances populaires
La famille marocaine, méditerranéenne est assez misogyne.
Longtemps, elle préféra le garçon à la fille et le garçon
De l’homosexualité au Maroc
viril, solide, costaud à son frère chétif, fragile, fin ou
efféminé.
Malgré l’interdiction religieuse d’avoir des relations
sexuelles avant le mariage, la famille pardonne les fracas
d’un garçon coureur de jupons (Chebel, 1997).
Revenons aux origines du piédestale consacré au garçon
dans notre société ou toute société musulmane ; en effet,
le garçon dès sa naissance est un facteur protecteur social
puisqu’il a droit aux deux-tiers de l’héritage contre un
sixième pour la fille, le reste allant aux oncles paternels
s’il n’y a pas de descendant mâle. Pour la femme, un
fils représente la pérennité de la famille ; il incarne le
père protecteur ; il est la protection sociale et civile de la
femme.
Si le garçon est homosexuel, passif donc, il est tout de
suite amené chez un charlatan, un sorcier, une voyante ; il
est malade ou possédé et il faut le guérir. . . sinon le rejeter
(Choukri, 1980).
Par ailleurs, dans une population moderne intellectuelle, on ira consulter le psychothérapeute pour se
« deshomosexualiser » comme le relate M. Harakat dans son
livre Au-delà des Tabous (Harrakat, 1999).
Soit donc une société moderne qui voudrait une définition de l’homosexualité non plus comme possession ou
sortilège mais maladie ; nous restons donc fort éloignés de
l’homosexualité telle une orientation sexuelle dénuée de
l’emprunte psychopathologique pourtant levée dans le DSM
IV depuis nombreuses années.
Conclusion
Les choix d’orientation sexuelle sont ponctués par un
certain nombre de comportements et de sensations. Ces
éléments se transforment en un vécu, en fonction du
sens qu’on leur attribue. Ce sens est en partie conditionné par le contexte socioculturel dans lequel évolue
l’humain, contexte emprunt d’habitus héritage certain
depuis des siècles, illustré par notre épopée à travers influences culturelles et vécu de l’homosexualité au
Maroc.
Ainsi, en Egypte, les pharaons disposaient dans leur
harem de beaux jeunes hommes.
Au Japon, les samouraïs ne cachaient pas leurs relations
homosexuelles.
« Aimer un jeune homme au temps de Socrate était
comme, aujourd’hui, entretenir une maîtresse, puis se fiancer avec une autre femme » disait Proust.
185
Dans l’esprit des Grecs anciens, le mariage entre un
homme et une femme n’avait rien à voir avec l’amour, mais
était avant tout politique et religieux.
Aussi transparaît-il que l’histoire de l’homosexualité au
Maroc dérive d’un vécu historique certain ayant traversé les
siècles, et non une nouvelle vague venue de l’occident.
Conflit d’intérêt
Il n’existe aucun conflit d’intérêt.
Références
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édition en 2004.
Benzine R. Les nouveaux penseurs de l’islam. Paris: Albin Michel;
2004, 304 p.
Chebel M. Encyclopédie de l’amour en Islam. Érotisme, beauté et
sexualité dans le monde arabe, en Perse et en Turquie. 2e édition
2003 Éditions Payot; 1995.
Chebel M. L’esprit de sérail. Mythes et pratiques sexuels au Maghreb. Paris: Payot & Rivages; 1997.
Chebel M. L’Islam expliqué. Ed Perrin; 2007, 260 p.
Chebel M. L’ancien monde, 1986.
Choukri M. Le pain nu, roman traduction Tahar Ben Jelloun. Ed
Maspero; 1980.
De Vitray-Meyerovitch E. Le livre du Dedans de Jalâl ud Dîn Rûmî.
éd. Sindbad; 1975.
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1995 [1978, réédité en 1986 et en 1995, Albin Michel, coll.
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Durkheim E. « Coutumes sexuelles dans la mythologie grécoromaine ». Année Sociologique 1903;6:359—61.
Epp recht M. ‘‘Bisexuality’’ and the politics of normal in African
ethnography. Anthropologica 2006;48:187—201.
Harrakat A. Au-delà des tabous. Ed. Dar Attaliâ; 1999, 220p.
Hoad N. African Intimacies. Race, homosexuality, and globalization.
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Leduc C, 2008. L’homosexualité féminine dans l’Antiquité grecque
et romaine (Boehringer Sandra [préface de D.M. Halperin]),
CLIO. Histoire, femmes et sociétés 28.
Louis G. Hétérosexisme. In: Tin, Louis G, editors. Dictionnaire de
l’homophobie. Paris: Puf; 2003. p. 207—11.
Murray SO. The will not to know: Islamic accomodations of male
homosexuality. In: Murray SO, Roscoe W, editors. Islamic Homosexualities. Culture, History, and Literature. New York/London:
New York University Press; 1997. p. 14—54.
Telquel, hebdomadaire marocain no 367, avril 2009.
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