Sexologies (2010) 19, 181—185 ARTICLE ORIGINAL De l’homosexualité au Maroc : entre influences culturelles et vécu夽 I. Kendili (MD) a,∗, S. Berrada (MD) b, N. Kadiri (MD) a a b Centre psychiatrique universitaire — CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc Centre d’addictologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc Disponible sur Internet le 16 juin 2010 MOTS CLÉS Homosexualité ; Héritage culturel ; Histoire ; Croyances ; Religion Résumé L’hétérosexisme est entendu comme un système culturel de pensée, de construction et de perception des sexualités au sein duquel celles ci sont appréhendées de manière hiérarchique ; l’hétérosexualité étant considérée comme la normalité et la seule sexualité légitime. L’arrivée des Arabes et de l’Islam au 7e siècle n’ont guère pu effacer toutes les traces des autres religions et traditions ancestrales qui sévissaient au Maroc depuis des siècles. Du sillon arabomusulman, entre patrimoine littéraire et poétique historique ; nous caresserons l’homosexualité étymologique dans nos dialectes avant d’étayer la vision islamique de l’homosexualité à travers ses condisciples les plus probants. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Introduction L’homosexualité est sujette à controverse. Plusieurs évènements en témoignent, souvent relatés dans une presse tiraillée, entre droits de l’homme soit tolérance dite moderne et préceptes religieux, dits traditionnels. Le Maroc possède aujourd’hui un mouvement gay qui revendique ses droits et bien que n’ayant guère pu être domiciliée au pays, l’association Kifkif est très active souvent à la une de la presse marocaine la plus prisée. Par ailleurs, l’homosexualité marocaine a ses ambassadeurs notamment Abdellah Taia dont « Le tarbouche rouge » DOI de l’article original : 10.1016/j.sexol.2010.03.004. This issue also includes an English version: Kendili I, Berrada S, Kadiri N. Homosexuality in Morocco: Between cultural influences and life experience. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Kendili). 夽 a fait le tour du monde. . . (Telquel no 367, avril 2009). Cependant, l’homosexualité n’est guère une conception moderne d’une sexualité importée de l’Occident comme nombreux veulent le croire. Il nous incombe de nous projeter dans l’Histoire afin d’étayer nos connaissances souvent empruntes de prénotion ainsi que de parfaire notre recherche. Le Maroc : une terre d’accueil L’homosexualité a toujours été présente, tolérée socialement et sujette aux histoires drôles populaires (Choukri, 1980). Elle est même objet d’une répartition géographique : les régions d’Azemmour ou de Marrakech seraient réputées pour l’attrait de leurs habitants masculins pour leur propre sexe ; mais pas seulement puisqu’une région près de Meknès fait l’objet d’une surveillance étroite de la part des autorités notamment durant le Moussem annuel. Moussem ayant soulevé la polémique il y a deux ans par la célébration d’un mariage homosexuel en pleine campagne lors de rites 1158-1360/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.sexol.2010.03.003 182 désuets ayant traversé les siècles (La Gazette du Maroc, no 570, 28 mars 2008). Cependant, bien que l’homosexualité soit présente et tolérée, elle l’est sous un voile de silence non dénué de tabous. Il nous incombe également de rappeler un Maroc qui accueillit sans perturbation aucune l’écrivain Jean Genet, connu pour sa plume acerbe mais aussi pour ses tendances homosexuelles masochistes qui vécut à Tanger dans les années 70 ; le célèbre styliste Jean-Paul Gauthier ou encore Jacques-Henri Soumère, directeur général de l’opéra Mogador et du Massy, à Paris, homosexuel notoire, ayant élu domicile à Marrakech avant d’être arrêté et jugé à un an de prison, non pas pour homosexualité mais pour pédophilie. Le patrimoine historique De Carthage à Byzance. . . En 146 avant notre ère, à la chute de Byzance, les Romains s’allièrent avec Bocchus, un roi berbère qui régnait sur toute la région à l’ouest de la Moulouya (fleuve du Maroc oriental, tributaire de la Méditerranée). Le latin s’implanta peu à peu au cours de cette période d’occupation et le Maroc subit alors l’influence socioculturelle romaine. La présence chrétienne fit son lis dès le ive siècle et se maintient à l’arrivée des Vandales en 429 après JC (arrivée au ive siècle), mais le général byzantin Bélisaire reprit la région en 533 et y imposa les lois de l’Empire byzantin. Au point de vue linguistique, la région était aux prises avec les langues berbères, le latin des populations romanisées et le grec comme langue administrative. L’épopée arabo-musulmane De la conquête arabe aux troubles anarchiques La conquête musulmane commença au Maroc avec une première expédition menée par Oqba ibn Nafi (681 après JC) ; mais la véritable conquête musulmane débuta une vingtaine d’années plus tard, sous Musa ibn Nusayr. L’implantation arabe fut cependant longue et difficile, car les Berbères résistèrent autant à l’arabisation qu’à l’islamisation. Ainsi considère-t-on que la fondation du Maroc se fit avec les Idrissides qui allièrent à leur cause, diverses tribus arabo-berbéro-afro-musulmanes (Epp recht, 2006) faisant du Maroc le pays aux diverses mœurs et habitus qu’il est aujourd’hui. Par ailleurs, les Abbassides sont aux portes de celui-ci alors ; soulignons qu’Idriss 1er fut assassiné par l’un des sbires du sultan Harun-al Rashid. . . Viennent alors les trois dynasties berbères (xie au xvie siècle) : les Almoravides (les pieux) dirigés par Youssouf ibn Tachfine, suivis des Almohades (les unitaires), puis les Mérinides en 1269. Le Maroc des influences Le Maroc ou Terre de Dieu en Amazigh est le pays des sept cultures. I. Kendili et al. L’apport culturel gréco-romain semble être un pilier primordial dans la construction de notre réflexion, et ce, par la place hégémonique accordée à l’homosexualité. En effet, la sexualité avec une femme est vide de sens, sans âme et uniquement domestique dans un monde d’hommes, ainsi l’amour noble et le plaisir du sexe sont des affaires d’hommes autant que la politique, les sciences ou les arts (Durkheim, 1903). L’homosexualité est donc à cette époque la manifestation d’une misogynie suprême. Cependant, n’omettons pas une homosexualité féminine déjà très présente en Grèce Antique mais peu abordée : en effet, alors qu’en pays grec, les images de la céramique à figures noires et rouges sont essentielles à l’étude de l’homosexualité masculine, comme en témoigne l’ouvrage de K. J. Dover, elles sont pratiquement silencieuses sur les relations sexuelles entre femmes. On aurait tendance à interpréter le godemiché, que des femmes portent sur certains vases, comme un instrument de lesbienne et le signe marqueur d’une scène d’homosexualité féminine (Leduc, 2008). Il suffit de lire la Lysistrata d’Aristophane pour se rendre compte qu’il est d’un usage très étendu (Leduc, 2008). L’héritage culturel arabo-musulman De la plume abbasside Les frontières marocaines caressèrent la dynastie Abbasside dont le patrimoine poétique reflète la place sociétale de l’homosexualité ainsi que la tolérance de cette époque. Nous citerons Abu Nawas (757 — 815 après JC), un des poètes arabes les plus célèbres du 8e siècle pour ses frasques sexuelles, sa poésie magnifique et son amour pour le vin et les éphèbes. Sans omettre qu’il fut également l’amant du sultan Harun-al-Raschid. . . Mieux que fille vaut garçon d’Abu Nawas J’ai quitté les filles pour les garçons Et, pour le vin vieux, j’ai laissé l’eau claire. Loin du droit chemin j’ai pris sans façon Celui du péché, car je préfère. Me voilà tombé amoureux d’un faon Coquet, qui massacre la langue arabe (. . .) Ses pieds sont chaussés et sous son manteau, Le riche brocart offre sa devine (. . .) Je suis ignorant en comparaison D’un garçon ou d’une gamine Pourtant comment confondre une chienne qui eut Ses règles chaque mois et mit bas chaque année (*) Avec celui que je vois à la dérobée : Je voudrais tant qu’il vînt me rendre mon salut ! Je lui laisse voir toutes mes pensées, Sans peur du muezzin et de l’imam non plus. (*)Remarquez la misogynie qui se dégage de ces vers, avec la violence péjorative du mot « chienne » ; par ailleurs, on retrouve une obsession chère à la poésie de Rimbaud des siècles plus tard, soit les menstrues de la même façon perçues avilissantes par Abu Nawas et Rimbaud, tous deux ayant eu des amours homophiles. De l’homosexualité au Maroc Il semble judicieux également d’insérer une anecdote relatant une des nombreuses disputes d’Abu Nawas et de l’épouse première du Sultan : « Haroun Errachid se plaint un jour à son amant Abu Nawas de la position classique et ennuyeuse avec laquelle il fait l’amour à sa femme tous les soirs. Le poète conseilla au Calife de changer sa pratique. Le soir venant, le sultan demanda à sa femme de se retourner. Choquée, cette dernière, sachant qu’une idée perverse comme celle-là ne pouvait venir que d’Abu Nawas, décida de le chasser de Bagdad. Accompagnée de quatre sbires, la femme du calife demanda au poète de ramasser ses affaires et de quitter la capitale. Abu Nawas, malin et rusé, se mit alors à ramasser ses effets et à les mettre dans un seul couffin de la selle de son cheval. Avec le poids et le déséquilibre, la selle ne cessa de tomber. La première dame impatiente, hurla : mais bon Dieu tu ne peux pas utiliser les deux trous et en finir ? Et à Abu Nawas de rétorquer : n’est-ce pas qu’à cause des deux trous que tu me chasse de la ville ? ». De l’empreinte ottomane Soliman le Magnifique, le plus glorieux des sultans ottomans, aurait eu une relation avec Ibrahim, un esclave grecque chrétien islamisé, qu’il nomma grand vizir, et qui exerça pendent plus de 30 années les plus hautes fonctions de l’empire, en plus de devenir l’époux de la sœur du sultan. Nous retrouvons une société misogyne ou le pouvoir se reflète à travers une homosexualité symbole de pouvoir dont découlera plus tard la notion d’homosexuel passif qui scindera la vision sociétale en deux. Un sultan du Maroc Dans un livre écrit par George Host, consul du Danemark auprès d’un sultan marocain et intitulé Sultan du Maroc, on lit : « . . . au mois de septembre, il dépêcha le caïd Idriss avec une lettre au consul d’Espagne par laquelle il demandait qu’une frégate espagnole lui apportât un jeune homme espagnol âgé de 15 à 20 ans. . . La même année, celui-ci envoya le même Idriss voir les consuls du Danemark et de Suède pour leur demander de faire part à leurs rois respectifs du souci de l’empereur marocain quand à la paix fragile existant entre les deux nations. . . Il leur demandait, en outre, que chacune de leur Cour veuille lui envoyer un jeune homme de 15 à 20 ans, d’allure agréable, de bonne éducation, possédant de bonnes qualités et parfait en son genre, afin d’être continuellement auprès de sa personne et effectuer les échanges de courrier entre lui et leurs consuls respectifs. Ces jeunes gens auraient l’autorisation de retourner chez eux quand ils le souhaiteraient et on ne devait lui envoyer ni artistes, ni artisans. . . ». Jusqu’aux années 40, la culture des éphèbes, musiciens, chanteurs, serviteurs et accompagnateurs lors des voyages, a été monnaie courante dans certains milieux bourgeois et politiques de la société marocaine. Ces éphèbes célébraient 183 mariages, baptêmes, circoncisions et autres fêtes, mais pour une somme symbolique, ils étaient à la disposition de leur hôte pour le laver, le masser et lui procurer d’autres plaisirs physiques. Avec l’indépendance, les nationalistes, les Imams et d’autres blocs exerçant du pouvoir au Maroc luttèrent ardemment contre ces pratiques dites douces et ancestrales. L’homosexualité, tout comme la prostitution féminine et surtout masculine, est presque tolérée à condition qu’on ne s’exhibe pas, ne s’affiche pas et surtout, qu’on en parle pas. Le point de vue socio-anthropologique La séparation de la société en deux groupes bien distincts a aussi pour effet d’induire des comportements homosexuels, ce qui est assez fréquent chez les arabo-musulmans. (Louis, 2003 ; Hoad, 2007). À l’époque de l’empire ottoman, bien après le début de l’islamisation, diverses tribus irano-turco-tartares célébraient encore la fête de Basm, un rite homosexuel au cours duquel les « Batscha » — jeunes garçons élevés et vêtus comme des filles — étaient mis à la disposition des hommes de la tribu. Dans de nombreux écrits, un grand nombre de califes étaient entourés de « mignons » qui leurs servaient d’esclaves sexuels. Malek Chebel anthropologue et psychanalyste parle d’« homosensualité », pour désigner : « Une attitude des Orientaux en général et des Arabes, en particulier, qui consiste, en l’absence de partenaire de l’autre sexe, à reporter sur leurs pairs l’excédent de sensualité qu’ils n’arrivent pas à écouler autrement » (Chebel, 1995). Bien que peu documentée, l’homosexualité féminine est dite organisée : on retrouve des témoignages d’homosexualité chez les femmes musulmanes et pas uniquement dans les harems. C’est ainsi qu’Al Hassan Ibn Mohammed Al Wezaz Al Hassan raconte dans son Leo Africanus écrit en 1526 qu’il existait, à Fez, des groupes de femmes surnommées « sahhaqat » qui formaient une sorte de secte lesbienne. Elles jouaient un rôle de « guérisseur pour femme » et, en guise de salaire, elles se faisaient accorder des faveurs sexuelles. Elles invoquaient le fait que « les esprits » exigeaient ces faveurs. Mais bien souvent, les femmes fréquentaient les sahhaqat dans le seul but d’avoir des relations sexuelles avec elles. « Elles feignaient d’être malades et parvenaient parfois à entretenir une sahhaqat sous prétexte qu’elles étaient ‘‘possédées du démon’’ et que seule la présence de la sahhaqat pouvait la protéger du mal ». Héritage sociétal et soufisme En organisant la séparation rigoureuse entres les sexes, la société arabo-musulmane a engendré d’énormes frustrations sexuelles (Louis, 2003 ; Epp recht, 2006), suscitant des cultures « homosensuelles », où les hommes ont entre eux des gestes et des sentiments qui sont proches de l’homosexualité et cultivent l’ambigüité (Chebel, 1997). 184 Toute une partie de la tradition soufie s’est trouvée héritière du rapport maître-disciple qu’entretenait, y compris dans ses dimensions « pédérastiques », la culture de la Grèce antique. Nous ne pouvons ne pas citer Salaheddine Arroumi ou Mevlana, fils du « Sultan des savants » qui naquit à Balkh en 1207, au Khorasan, région frontière entre l’Iran et l’Afghanistan. Celui-ci créa le soufisme et fut le père spirituel des derviches tourneurs dont la célèbre danse « la Sema » (manifestation symbolique d’émotion et de douleur) se dansa la première fois à la mort de son maître spirituel Sems Tabrizi (Eva de Vitray-Meyerovitch 1975—1978 De Vitray-Meyerovitch, 1975,1995), un derviche errant que l’on dit également son amant ; lequel amant fut assassiné par ses propres disciples qui voulurent récupérer leur maître et mettre fin à cette amour « maitre-disciple » trop fusionnel. Plus tard, certains soufis (le Turc du 13e siècle, Yunus Emre) ont cultivé un langage ambigu en comparant leur amour pour Dieu appelé « l’Ami » à des amours très homophiles, et ce à l’encontre d’une vision chiite imposant l’inaccessibilité de Dieu. Homoséxualité et religion L’homosexualité est un des grands interdits de l’Islam avec la sexualité en dehors des liens du mariage, la sodomie etc : « Est maudit celui qui utilise la voie anale dans son acte intime avec sa femme » (rapporté par Ibn Ady, 1/211). « Et ils t’interrogent sur la menstruation des femmes — Dis : ‘‘C’est un mal. Éloignez-vous donc des femmes pendant les menstrues et ne les approchez que quand elles sont pures. Quand elles se sont purifiées, alors cohabitez avec elles suivant les prescriptions d’Allah car Allah aime ceux qui se repentent, et Il aime ceux qui se purifient’’ » (Coran, 2 : 222). Cependant soulignons l’existence d’une croyance populaire qui véhicule l’idée qu’en Islam, les homosexuels méritent la mort, et certaines autorités religieuses abondent dans ce sens depuis des années (Murray, 1997). Cette idée s’appuie sur une seule tradition, attribuée à Ibn Abbas : ‘‘Tuez l’actif et le passif parmi ceux qui commettent l’acte du peuple de Loth, ainsi que la bête et celui qui copule avec une bête’’. Mais ce hadith unique ne se trouve pas dans les collections les plus importantes, celles de Boukhari et de Muslim si nous nous référons à Rachid Benzine, écrivain et chercheur marocain (Les nouveaux penseurs de l’islam, 2004). I. Kendili et al. Deux anges se rendent à Sodome, et Loth les accueille et leur offre l’hospitalité. Mais voilà que les hommes de Sodome arrivent, encerclent la maison et manifestent le désir de les violer. Loth essaye de négocier avec les pervers et va jusqu’à leur offrir ses deux filles. Les habitants de Sodome disent à Loth qu’ils préfèrent de loin les hommes. Les anges font appel à la puissance de Dieu qui rend les agresseurs aveugles et anéantit la ville ». Onze des 114 chapitres ou sourates relatent l’homosexualité. En une seule occurrence cette condamnation, venant juste après celle de l’adultère féminin, est prononcée ainsi : « Si deux d’entre vous font une infamie (ou un acte), sévissez. S’ils reviennent et s’amendent, laissez-les » (IV, les femmes, 16 ou 20 [suivant les éditions]). Dans les dix autres, comme nous en avons précédemment parlé, il s’agit de reprises commentées des paroles attribuées à Loth, neveu d’Ibrahim (Abraham) et habitant de Sodome, patriarche biblique promu dans le Coran au rang éminent de prophète. La fin tragique de cette ville sous un déluge de feu et de soufre — cependant, certains parlent d’une éruption volcanique au xxve avant Mahomet — qui fut interprétée comme une punition divine (Genèse, XVIII et XIX) dont le Coran, plus généralement, menace l’ensemble des incroyants (notamment dans les sourates II, III, IV, IX, XXII et XXV). Des interprétations novatrices de certains versets coraniques (Rachid Benzine, 1997) permettent aux auteurs des voies nouvelles de réflexion tel que l’écrit Malek Chebel en 2007 : « . . . L’Islam condamne la pénétration ; pour moi il ne condamne pas l’homosexualité parce que deux femmes peuvent avoir une relation homosexuelle sans pouvoir, pratiquer les ‘‘perversités’’ du peuple de Loth, la pénétration, tout comme deux hommes. . . ». « L’Islam n’utilise pas le mot homosexuel mais parle de peuple impie, de Loth et de la dégénérescence. L’homosexualité est plutôt présentée par défaut. Dans le Coran, elle est considérée comme un mal dont il faut se prémunir ». « Cela tient en quelques lignes terribles. Ce texte a manifestement pour objet la conservation de l’ordre. Il s’agit de préserver la forme familiale traditionnelle, de reconduire l’ordre ancien et de condamner toutes les autres activités transgressives, y compris les formes de matrimonialité non conventionnelles ». Sodome et Gomorrhe Ibn’Abbâs a dit : Tous les versets coraniques et les hadiths du prophète qui évoquent des pratiques homosexuelles, le font en référence avec l’histoire de Loth, neveu d’Abraham et habitant de Sodome (Malek Chebel, 1986). « On doit croire aux versets ambigus, mais il ne faut pas régler sur eux sa conduite ». « Cette ville, comme celle de Gomorrhe, seraient alors emblème de la perversité et Dieu aurait annoncé à Abraham qu’il allait y envoyer deux messagers pour évaluer la situation. Irait-on vers une interprétation nouvelle du Coran ? Les croyances populaires La famille marocaine, méditerranéenne est assez misogyne. Longtemps, elle préféra le garçon à la fille et le garçon De l’homosexualité au Maroc viril, solide, costaud à son frère chétif, fragile, fin ou efféminé. Malgré l’interdiction religieuse d’avoir des relations sexuelles avant le mariage, la famille pardonne les fracas d’un garçon coureur de jupons (Chebel, 1997). Revenons aux origines du piédestale consacré au garçon dans notre société ou toute société musulmane ; en effet, le garçon dès sa naissance est un facteur protecteur social puisqu’il a droit aux deux-tiers de l’héritage contre un sixième pour la fille, le reste allant aux oncles paternels s’il n’y a pas de descendant mâle. Pour la femme, un fils représente la pérennité de la famille ; il incarne le père protecteur ; il est la protection sociale et civile de la femme. Si le garçon est homosexuel, passif donc, il est tout de suite amené chez un charlatan, un sorcier, une voyante ; il est malade ou possédé et il faut le guérir. . . sinon le rejeter (Choukri, 1980). Par ailleurs, dans une population moderne intellectuelle, on ira consulter le psychothérapeute pour se « deshomosexualiser » comme le relate M. Harakat dans son livre Au-delà des Tabous (Harrakat, 1999). Soit donc une société moderne qui voudrait une définition de l’homosexualité non plus comme possession ou sortilège mais maladie ; nous restons donc fort éloignés de l’homosexualité telle une orientation sexuelle dénuée de l’emprunte psychopathologique pourtant levée dans le DSM IV depuis nombreuses années. Conclusion Les choix d’orientation sexuelle sont ponctués par un certain nombre de comportements et de sensations. Ces éléments se transforment en un vécu, en fonction du sens qu’on leur attribue. Ce sens est en partie conditionné par le contexte socioculturel dans lequel évolue l’humain, contexte emprunt d’habitus héritage certain depuis des siècles, illustré par notre épopée à travers influences culturelles et vécu de l’homosexualité au Maroc. Ainsi, en Egypte, les pharaons disposaient dans leur harem de beaux jeunes hommes. Au Japon, les samouraïs ne cachaient pas leurs relations homosexuelles. « Aimer un jeune homme au temps de Socrate était comme, aujourd’hui, entretenir une maîtresse, puis se fiancer avec une autre femme » disait Proust. 185 Dans l’esprit des Grecs anciens, le mariage entre un homme et une femme n’avait rien à voir avec l’amour, mais était avant tout politique et religieux. Aussi transparaît-il que l’histoire de l’homosexualité au Maroc dérive d’un vécu historique certain ayant traversé les siècles, et non une nouvelle vague venue de l’occident. Conflit d’intérêt Il n’existe aucun conflit d’intérêt. Références Benzine, 1997. Les nouveaux penseurs de l’Islam. 1re édition, 2nde édition en 2004. Benzine R. Les nouveaux penseurs de l’islam. Paris: Albin Michel; 2004, 304 p. Chebel M. Encyclopédie de l’amour en Islam. Érotisme, beauté et sexualité dans le monde arabe, en Perse et en Turquie. 2e édition 2003 Éditions Payot; 1995. Chebel M. L’esprit de sérail. Mythes et pratiques sexuels au Maghreb. Paris: Payot & Rivages; 1997. Chebel M. L’Islam expliqué. Ed Perrin; 2007, 260 p. Chebel M. L’ancien monde, 1986. Choukri M. Le pain nu, roman traduction Tahar Ben Jelloun. Ed Maspero; 1980. De Vitray-Meyerovitch E. Le livre du Dedans de Jalâl ud Dîn Rûmî. éd. Sindbad; 1975. De Vitray-Meyerovitch E. Anthologie du Soufisme. éd. Sindbad; 1995 [1978, réédité en 1986 et en 1995, Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes]. Durkheim E. « Coutumes sexuelles dans la mythologie grécoromaine ». Année Sociologique 1903;6:359—61. Epp recht M. ‘‘Bisexuality’’ and the politics of normal in African ethnography. Anthropologica 2006;48:187—201. Harrakat A. Au-delà des tabous. Ed. Dar Attaliâ; 1999, 220p. Hoad N. African Intimacies. Race, homosexuality, and globalization. Minneapolis/Londres: University of Minnesota Press; 2007. La Gazette du Maroc, no 570, 28 mars 2008. Leduc C, 2008. L’homosexualité féminine dans l’Antiquité grecque et romaine (Boehringer Sandra [préface de D.M. Halperin]), CLIO. Histoire, femmes et sociétés 28. Louis G. Hétérosexisme. In: Tin, Louis G, editors. Dictionnaire de l’homophobie. Paris: Puf; 2003. p. 207—11. Murray SO. The will not to know: Islamic accomodations of male homosexuality. In: Murray SO, Roscoe W, editors. Islamic Homosexualities. Culture, History, and Literature. New York/London: New York University Press; 1997. p. 14—54. Telquel, hebdomadaire marocain no 367, avril 2009.