les hydrocarbures, les villes et les hommes

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LES HYDROCARBURES, LES VILLES ET LES HOMMES
DANS LE NORD-OUEST SIBÉRIEN
Yvette Vaguet
Maître de conférences
UMR I.D.E.E.S.
Département de Géographie
Université de Rouen
76 821 Mont Saint-Aignan Cedex
Email: [email protected]
La constante augmentation de la consommation d’énergie mondiale justifie la quête effrénée des
ressources et l’exploitation de celles-ci est de nature à imposer des bouleversements aux régions
extractrices. Hier, le roi charbon, moteur de transition territoriale, a fait naître les pays noirs.
Aujourd’hui, la suprématie des hydrocarbures a fait émerger la Sibérie occidentale comme un espaceressource mondial. Cette région1 a connu une bifurcation via un changement radical de sa fonction
économique depuis le développement de l’industrie extractive. D’une périphérie oubliée, ignorée,
elle a émergé avec son histoire, certes encore très récente, sa spécificité et de fantastiques retombées
pour le pays. La lecture de ce changement spatial peut s’établir, d’une part, en termes de dynamique
temporelle des rapports de cet espace aux centres régionaux et nationaux, voire mondiaux, et d’autre
part, d’un point de vue du processus de territorialisation.
Figure 1 : Carte de localisation de la province de Tioumen
1
Il s’agit plus précisément de la province de Tioumen composée de l’oblast de Tioumen et des deux okroug autonomes
de Khantys-Mansis au Nord et de Iamalo-Nenets à l’extrême Nord bordant l’océan Arctique. Cette région est grande
comme 2,6 fois la France et 1/10è de la Russie.
1
1. LA TRANSITION ECONOMIQUE PRODUCTRICE DE CHANGEMENT SPATIAL
1.1. Emergence d’un espace de production mondial
L’exploitation du gisement pétrolier de Samotlor en 1964 marque le début de la transition
économique en Sibérie occidentale. L’industrie extractive des hydrocarbures s’est alors développée
rapidement et à grande échelle prenant le pas sur le secteur agricole. Tout le cours moyen de l’Ob a
été rapidement ponctué de gisements pétroliers sur un ensemble qui s’étend sur environ 600 km,
lequel est complété par quelques centres, de dimension plus modeste, à l’Ouest. Plus tardivement, le
gaz de la vallée de la Pour, sur le cercle polaire arctique, plus au Nord, a été exploité. Les conditions
de cette conquête sont extrêmement rudes dans un milieu naturel difficile tant pour l’organisme
humain que pour les infrastructures.
L’autonomie énergétique du pays et la conquête soviétique des espaces septentrionaux « vides » ont
constitué les motivations du projet qui devait voir émerger « ce pays des torchères » (Brunet & Rey,
1996). Ce dernier est tout à fait emblématique d’une transition territoriale contemporaine et de la
naissance d’une identité régionale. Rapidement, la production a explosé au-delà des attentes. En
effet, l’immensité des réserves du sous-sol a porté la Russie parmi les plus grands pays producteurs2.
En 2005, le poids de la province de Tioumen dans la production nationale et mondiale est
respectivement de l’ordre de 68 % et de 8 % pour le pétrole, et, 91 % et 19 % pour le gaz. Si la
Russie est actuellement le géant du gaz, produisant 21,4 % de la production mondiale, c’est donc
bien grâce aux champs ouest-sibériens. Or, la consommation intérieure demeure relativement faible
comparée à d’autres états3 (Lestrange et al., 2005). De la sorte, la région contribue largement à faire
entrer les milliards de pétrodollars dans le pays pour lequel elle est devenue stratégique4 sur le plan
financier et géopolitique. Inévitablement, ses rapports aux centres régionaux et nationaux ont changé.
700
120
600
100
400
300
200
100
0
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
80
Y. Vaguet, UMR IDEES - MTG
Y. Vaguet, UMR IDEES - MTG
500
60
40
20
0
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005
Part du pétrole russe
Part du gaz russe
Part du pétrole mondial
Part du gaz mondial
Production de Pétrole (millions de tonnes)
Production de Gaz (milliards m3)
Figure 2 : Production et poids énergétique de la région* aux échelons national et mondial
* Oblast de Tioumen, Okroug autonomes de Khantys-Mansis et de Iamalo-Nenets
2
3
4
En 2006, la Russie demeurait le 2èm pays producteur de pétrole
En 2003, la Russie consommait 3,3% du pétrole consommé dans le monde. Elle est à un niveau comparable à
l’Allemagne (3,6 %) mais avec un nombre d’habitants bien supérieur (1,8 fois)
rappelons qu’en 2001, les taxes pétrolières comptaient pour 40% dans le budget fédéral.
2
1.2. Variations des rapports territoriaux
A l’échelon mondial, la compétition et la convoitise à l’égard des centres d’extraction dont la Sibérie
occidentale, s’est accrue entre les centres de consommation, notamment l’Asie et l’OCDE. En effet,
la course aux ressources est motivée par des demandes intérieures croissantes, en relation avec les
dynamiques démographiques et économiques, et par une recherche de diversification des fournisseurs
afin de sécuriser l’approvisionnement. Ainsi, le pétrole et le gaz russes, et notamment ouestsibériens, sont acheminés vers l’Europe surtout (78 % en 2003), vers l’Asie du Sud-Est et Pacifique
(3,8 %), l’Amérique latine (3,1 %), la Chine (2,3 %) et les Etats-Unis (1,9 %).
A l’échelon national, les interactions entre la région et l’espace central se sont intensifiées. Elles
relevaient, en premier lieu, de l’orchestration par le pouvoir central de la transition économique de la
région. Par la suite, une inter-dépendance est apparue. L’épopée des hydrocarbures a renforcé et
renouvelé le couple centre-périphérie (Marchand-Vaguet, 2005). Au départ, on peut considérer le
centre comme dominant et la Sibérie occidentale comme une périphérie assurément exploitée. Cette
dernière apparaît comme un instrument au service du renforcement du centre. Actuellement, le pays
s’appuie encore sur la région, dans le processus de transition économique, et le personnel rencontré
sur place, le plus attaché à ce territoire, déplore de subir des décisions qui viennent toujours de
Moscou. Il s’agit d’un espace d’extraction où il n’y a guère eu de volonté de développer des activités
économiques induites. Des capitaux ont été injectés pour le développement industriel de la région, et
les populations ont été encouragées à migrer vers cette province. Cependant, ces flux ne
s’inscrivaient pas dans le cadre d’une politique d’aménagement harmonieux ni de mise en valeur,
mais d’une domination, d’une exploitation aveugle, sans considération aucune pour les autochtones
ni l’environnement local, qui devait laisser la région exsangue5.
L’illustration de cette domination s’exprime avec outrance dans le domaine de l’environnement. Le
gâchis apparaît en effet, comme le corollaire du développement industriel extrêmement rapide et sans
beaucoup de considération pour le milieu d’une extrême vulnérabilité. De fait, les temps de
réhabilitation après perturbation anthropique y sont très longs, essentiellement en raison d’une
activité micro bactérienne réduite par le froid (Vaguet, 2007a). Pourtant, plus de 600 ruptures
majeurs d’oléoducs sont répertoriées chaque année dans le bassin de l’Ob et les pertes de pétrole
dues aux fuites sont évaluées entre 15 et 30 millions de tonnes par an soit 5 à 10% de la production
nationale.
Néanmoins, la dénonciation des saccages de la nature ne peut occulter le bond économique de la
région associé au développement industriel. La région était en 1959, comme l’ensemble de la Russie
asiatique, en état de sous-développement et donc à un niveau bien inférieur au standard de la Russie
européenne. C’était une périphérie oubliée, au Nord totalement ignoré comparativement au Sud
traversé par le transsibérien. Or, elle a bénéficié, surtout le Nord, d’investissements exogènes
considérables à partir du début de l’industrie extractrice (1964). Elle demeure, encore en 2005, la
seconde région de Russie, derrière le centre européen, en termes d’investissements reçus. De ce fait,
l’écart en termes de niveau de développement s’est creusé avec le reste de la Russie asiatique.
Actuellement, la province est devenue un Émirat sibérien et n’a plus grand chose de commun avec
les autres régions de Sibérie.
A l’échelon infra-régional, cette nouvelle donne a fait naître des tensions entre le Sud et le Nord. Ce
dernier avait été placé sous la juridiction du premier par Staline. Actuellement, le Sud n’a guère
l’étoffe d’un centre régional dans le sens plein du terme c’est-à-dire pas uniquement politique, car les
richesses se situent surtout dans le Nord, dans l’okroug de Khantys-Mansis pour le pétrole, et dans
l’extrême Nord, dans l’okroug de Iamalo-Nenets pour le gaz. Quant aux compagnies, leur siège est
souvent à Moscou. A cet égard, la nouvelle constitution de la Fédération de la Russie (1993) a
5
Il est intéressant de noter ici que la langue russe désigne par dobitcha, la “proie”, le “butin” et l’“extraction”, ainsi
dobitcha nefti désigne tout à la fois l’extraction pétrolière et le butin pétrolier.
3
répondu aux attentes de ces territoires producteurs en leur accordant plus d’autonomie face au Sud,
confirmant, peut-être, par là-même, une nouvelle donne entre ceux-ci et le pouvoir central.
2 500
8 100
Total
Population urbaine (indice 100 en 1939)
Total Province
Total INAO
Total KMAO
Total TO
1 500
1 000
500
7 100
Total INAO
Total KMAO
6 100
Total TO
5 100
4 100
3 100
2 100
1 100
1998
1994
1990
1986
1982
1978
1974
1939
1998
1994
1990
1986
1982
1978
1974
1970
1962
1939
1970
100
0
1962
Population urbaine (en milliers)
2 000
Figure 3 : Population régionale
* Oblast de Tioumen, Okroug autonomes de Khantys-Mansis et de Iamalo-Nenets
De plus, les nouveaux rapports Nord-Sud de la région s’inscrivent aussi dans un nouvel équilibre
démographique (Zaitseva, 2002). L’essentiel de l’espace producteur se situe dans le Grand Nord. Les
conditions naturelles y sont similaires à celles de l’Alaska où les hydrocarbures sont exploités à partir
de camps provisoires avec une rotation des équipes de travail, en raison des effets négatifs des rudes
conditions pour l’organisme et des coûts de services (logement et santé notamment) dans le cas
d’installations permanentes. A l’inverse, le caractère pionnier du projet de l’URSS, conformément à
un idéal de peuplement spatialement homogène, aboutissait à l’exploitation des ressources via des
colonies humaines permanentes. Des flux migratoires ont ainsi conduit à un triplement de la
population de la province de Tioumen entre les recensements de 1959 et de 1979, passant de 1,1 à
3,2 millions6. Or, ces apports ont été dirigés surtout vers le Nord aboutissant au recul rapide des
limites de l’œkoumène. En 1959, les deux okroug rassemblaient les autochtones (Khantes et Nenets)
et comptaient, au total, pour 17 % de la population de la région. La société moderne sédentaire était à
l’époque cantonnée au Sud, dans l’oblast de Tioumen structuré par le transsibérien. C’est dans cet
espace méridional que 83 % de la population de la province se concentraient. En 1989, après trente
ans de conquête, on observe une inversion. L’oblast au Sud avait perdu sa large majorité (43 %) au
profit des okroug septentrionaux (57 %), dorénavant plus structurés par les liaisons ferroviaires,
routières et aériennes que par les voies d’eau.
Depuis, l’implosion du bloc soviétique a débouché sur une crise d’une importance particulièrement
aiguë dans ces contrées septentrionales car le coût de la nordicité est reconnu trop lourd dans une
économie de marché. Les populations se sentent abandonnées, oubliées par le centre que beaucoup
appellent ‘le continent’ comme pour mieux marquer leur éloignement et leur isolement. Les
populations ont abandonné ces contrées extrêmes dès qu’elles l’ont pu. Pourtant, de 1991 à 1998, le
Nord de la province de Tioumen a été dix fois moins répulsif que les autres régions du Grand Nord
6
La population est de 5,2 millions en 2002
4
russe. Finalement, le recensement de la population de 2002 fait état de la répartition suivante entre
les trois sujets : 63 % pour l’oblast de Tioumen, 10 % pour l’okroug de Iamalo-Nenets et 27 % pour
celui de Khantys-Mansis.
Par ailleurs, ce dernier recensement de 2002 montre que cet espace producteur d’hydrocarbures
conserve, depuis les années 90, un certain dynamisme relativement à d’autres régions de la Russie
d’Asie et de la Russie septentrionale. En effet, il présente un accroissement démographique positif
depuis 1959 ce qui représente une trajectoire de croissance tout à fait unique (Gaye, 2006). Elle
relève, pour l’essentiel, d’un accroissement naturel parmi les plus élevés de Russie (+10 % sur la
période 1989-2002) mais aussi à un solde migratoire de nouveau positif. Les migrations vers la
région ont en effet repris depuis la réorganisation de la production à la fin des années 1990. La région
demeure un bassin d’emploi attractif.
La transition vers l’activité extractive marque l’étouffement des sociétés traditionnelles des peuples
nomades vivant de la chasse, de la cueillette et de l’élevage extensif. Les autochtones (Khants et
Nenets) ne représentent plus qu’une petite minorité qui a du mal à faire entendre sa voix et qui est
déstabilisée par l’industrie extractrice. Leur système spatial est fondé sur une ruralité, une activité
agricole et un mode de vie nomade. Tandis que les allochtones relèvent d’un autre système, plus
récent, fondé sur une activité industrielle avec une population urbaine. Les tensions portent
concrêtement, d’une part, sur les superficies confisquées par l’industrie qui constitue ainsi autant de
barrages aux routes de migrations saisonnières des troupeaux, et d’autre part, sur la dégradation de
l’environnement. Cependant il serait trop simpliste de réduire la difficulté de cohabiter à la seule
concurrence pour l’espace. Des discordances sont apparues en termes de temporalité et de
complexité. Le premier système spatial, le plus ancien, se caractérise par une quasi-autarcie et le
rythme des transhumances saisonnières nord-sud. Le second système, plus moderne, est ancré dans le
système Monde et évolue au rythme des fluctuations du marché mondial de l’énergie. Que le prix du
baril de pétrole chute et les projets d’extraction plus septentrionaux sont ajournés.
2. VERS LA GÉNÈSE D’UN TERRITOIRE
2.1. Un peuplement urbain sans ville ?
Le peuplement inhérent à la conquête du Nord est de type urbain (Vaguet, 2007b). Ainsi, des 28
villes de la province, 23 ont été créées depuis 1960 dont 21 dans les deux okroug. Au total, 9
seulement ne sont pas directement liées à l’extraction des hydrocarbures cependant, elles le sont
souvent indirectement (industrie de la construction…). Ces villes sont souvent fermées et le nom de
l’entreprise exploitant le principal gisement y est un véritable sésame. Ainsi, la ville de NovyOurengoï, sortie du néant il y a 33 ans, compte aujourd’hui plus de 100 000 habitants et sa population
est employée à 70% par Gazprom, le géant mondial du gaz. Depuis le recensement de la population
de 1959 pour l’okroug de Khantys-Mansis, et celui de 1969 pour l’okroug de Iamalo-Nenets, ces
territoires présentent les croissances urbaines les plus fortes de toute la Russie (Brunet et al., 1995).
La population est ainsi devenue urbaine à 77,5 % en 2004 tandis qu’elle était rurale à 68 % en 1959.
5
Nombre de villes
30
Total
Villes pétrolières
25
Villes gazières
15
10
5
0
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
Y. Vaguet, UMR IDEES - MTG
Autres villes
20
Figure 4 : L’explosion urbaine*
* Oblast de Tioumen, Okroug autonomes de Khantys-Mansis et de Iamalo-Nenets
Le modèle d’émergence d’un centre urbain se présente de la façon suivante. Tout d’abord les
prospecteurs arrivent. Lorsque la prospection s’avère heureuse, l’implantation humaine prend forme
avec une première vague de nouveaux arrivants. Il s’agit surtout d’une main-d’œuvre faiblement
qualifiée destinée à construire les voies de communication, les maisons, les usines… Ces bâtisseurs
sont essentiellement des jeunes hommes célibataires. Une vague de population féminine arrive peu
de temps après tandis que la phase de construction se poursuit. Puis, la population connaît une
période de ‘baby-boom’. Finalement, arrive la main-d’œuvre qualifiée que nécessitent les usines
nouvellement construites (ouvriers spécialisés, ingénieurs et techniciens).
Les différentes phases de construction de la ville sont nettement visibles dans le tissu urbain. Les
quartiers présentent une forte homogénéïté dans le type d’habitat or à chacun d’entre eux correspond
un type de population. Ainsi, au centre ville, se trouvent les immeubles, en périphérie les classes les
plus modestes dans des maisons en bois individuelles ou collectives, voire des foyers. De plus, le
processus d’urbanisation se poursuit en dépit des à-coups de la production et malgré aussi la dernière
crise financière du pays (1998-1999) qui a durement frappées ces villes. On observe sur place un
déserrement de la population opéré par les classes les plus aisées sous forme d’immeubles fermés de
standing et de villas privées dans des nouvelles périphéries. Ainsi, cette lecture engage l’observateur
à une réflexion sur l’avenir de ces centres urbains encore très jeunes et qui, d’ores et déjà, offrent un
haut degré de mixité sociale et géographique en dépit de leur mono activité.
6
Figure 5 : Habitats traduisant les différentes phases d’urbanisme (Clichés: Y. Vaguet)
Figure 6 : Nouveaux quartiers de villes (Clichés : Y. Vaguet et A. Gaye)
Cependant, ces lieux d’extraction et de peuplement n’ont pas tous atteints le seuil des
12 000 habitants nécessaires à l’acquisition du statut de ville. Il faudrait donc plutôt parler de
7
soixante dix centres urbains apparus depuis 1960. Les centres de première génération s’égrènent,
dans l’okroug de Khantys-Mansis, surtout sur le cours moyen de l’Ob. L’okroug de Iamalo-Nenets
présente l’essentiel des ‘villes’ gazières qui sont plus récentes et donc moins étoffées. Elles n’ont
sans doute pas fini de faire leur plein, peut-être ne le feront-elles jamais. En effet, le développement
de ces centres urbains s’est considérablement ralenti depuis le démantèlement de l’URSS. Gazprom
opte aujourd’hui de plus en plus pour les camps provisoires moins onéreux, notamment en termes
d’équipements sociaux. La stratégie de peuplement homogène semble abandonné.
Ainsi, aux urbains sédentaires s’ajoutent, de plus en plus, ceux que l’on peut nommer les nomades du
pétrole et du gaz7 qui viennent travailler pour une durée maximale de un mois en général, puis
repartent dans leur résidence principale plus méridionale (à Moscou, en Ukraine, Biélorussie, au
Kazaksthan…). Ils logent à proximité des plateformes d’extraction dans des cités de quart constituées
d’un alignement de tronçons de pipelines aménagés avec couchettes. Ils arrivent, par avion le plus
généralement, dans la ville de rattachement. De là, un bus de leur compagnie les emmène
directement à leur travail. Toutefois, beaucoup d’entreprises ont abandonné le ramassage aérien de
leurs employés sur l’ensemble du territoire de l’ex-URSS. Les migrations domicile-travail sont
désormais de plus en plus à la charge de l’employé. La conséquence en est probablement la réduction
de l’aire du bassin d’emploi. L’augmentation de la population urbaine des okroug septentrionaux de
5 % pourrait bien relever en partie du rapprochement des employés de leur lieu de travail. Pour
exemple, la ville de Noïabrsk comptabilisait près de 10 000 nomades du pétrole en 1991, soit plus de
10 % de sa population. Ils n’étaient plus que de l’ordre 6 000 en 1999 mais six lignes aériennes leurs
étaient encore exclusivement réservées sur les 17 en fonctionnement.
Figure 7 : Plateforme d’habitat de nomades du pétrole (Cliché : Y. Vaguet)
Ainsi, le Nord de la région s’est fortement peuplé et urbanisé avec la transition économique.
Toutefois, on peut douter de l’urbanité de ces lieux. En effet, une ville, dans sa définition, n’est pas
uniquement un lieu de densité importante, c’est aussi un lieu de fortes interactions sociales offrant de
nombreuses possibilités d’épanouissement des habitants (sur le plan culturel et économique
notamment). Or, ces « villes » n’offrent guère de possibilités en dehors des hydrocarbures. Par
exemple, dans la sphère de l’éducation, les enfants doivent souvent quitter le Nord dès qu’ils
7
En russe, les vakhtoviki sont des travailleurs qui constituent des équipes en rotation sur une base de plusieurs
semaines. La plupart des vakhtoviki retournent, après leur service pour une durée de plusieurs semaines, dans leur foyer
souvent très lointain. Quelques uns peuvent être en repos dans la ville de rattachement. Ils sont alors assimilables à des
employés de ‘quart’ quoique la rotation soit sur un temps plus long que 24h. L’appelation de « nomades du pétrole ou
du gaz » désigne spécifiquement les premiers.
8
souhaitent étudier autre chose que le pétrole ou le gaz. En terme d’activité économique, il s’agit de
villes usines quasi-mono fonctionnelle qui leur vaut d’être régulièrement menacée de fermer selon
l’état de leur réserve, le prix du pétrole et les crises que peut traverser le pays. Pourtant, certaines
autorités locales montrent une volonté de diversification économique, notamment dans les services.
L’investissement des populations dans les nouveaux quartiers vont dans ce sens.
2.2. Les hommes du pétrole, quel lieu d’attache ?
Dans une partie où l’on s’interroge sur la génèse d’un territoire au sens d’un espace socialisé et
approprié, il est nécessaire de présenter la population ouest-sibérienne nouvelle et les rapports qu’elle
entretient avec cet espace. Il y a 20 ans, les 2/3 de la population de la région étaient encore des
nouveaux arrivants qui trouvaient un emploi dans l’industrie du gaz et du pétrole. Une enquête
auprès de ceux-ci a offrert une idée des origines de la population (Logunov, 1999). En 1988,
seulement 4 % des personnes recrutées étaient originaires de la province, seulement 11 % étaient nés
en Sibérie, 12 % dans les régions du Caucase, de l’Asie mineure et du Kazakhstan, 22 % en Ukraine
et surtout 51 % en Russie européenne.
Le recensement de la population de 2002 comparé à celui de 1989 fait apparaître une quasistagnation de la proportion des Russes (72 % dans l’oblast de Tioumen, 66 % dans l’okroug de
Khantys-Mansis et 59 % dans celui de Iamalo-Nenets), une baisse marquée des Ukrainiens (tombées
respectivement à 7, 9 et 13 %) et des Biélorusses (moins de 2 %). A l’inverse, la part des
Azerbaïdjanais a doublé (sans dépassé les 2 %), celle des autochtones a très légèrement augmenté
(près de 7 % dans le Nord). Enfin, la diversification des nationalités est un fait marquant8. Parmi les
arrivants de la CEI, le Kazakhstan et le Tadjikistan sont acutellement les principales zones de départ.
Pour autant, à partir des années 1980 et plus encore durant la décennie 1990, la province devient
elle-même pourvoyeuse de la main-d’œuvre nécessaire au développement des champs d’extraction
plus au nord. Dès lors, le ralentissement de l’immigration traduit ces nouvelles migrations infrarégionales.
Par ailleurs, la structure par âge est tout à fait singulière des fronts pionniers. Chaque ville présente la
séquence chronologique de sa propre émergence dans sa pyramide des âges. Néanmoins, la silhouette
de celle-ci offre des caractéristiques qui sont générales à l’ensemble des villes de la région. Les 20-30
ans ont tout au long de cette conquête constitué la moitié des arrivants, jusqu’à 54,5 % entre 1976 et
1980. La population est donc jeune ; l’âge médian est de 32,3 ans en 2002, ce qui explique aussi que
la natalité y soit supérieure à la moyenne nationale (en 2002, 10,2 naissances pour 1000 hab en
Russie et 12,9 dans la région de Tioumen). La présence des classes d’âge extrême va de pair avec
l’ancienneté de la ville. Il faut attendre la phase de baby boom pour que les premières tranches d’âge
se remplissent. Le corrolaire est l’existence de classes creuses (10-20 ans) entre les primo-arrivants
(20-30 ans) et leurs enfants (0-10 ans). Au sommet de la pyramide, les personnes âgées sont
quasiment absentes. Le remplissage des dernières tranches d’âge est fonction de l’ancienneté de la
ville et dépendant du rapprochement des grands-parents lorsque les arrivants sont installés.
Une autre singularité de la population est le déficit des femmes. Celui-ci traduit la sur-représentation
des hommes dans le processus de migration en dépit de la seconde vague d’immigration qui est
féminine. Le sexe ratio peut aller jusqu’à 113 hommes pour 100 femmes9. Cette particularité est
d’autant plus marquante que la Russie a le plus faible sexe ratio au monde avec 88 hommes pour 100
femmes.
8
la catégorie « autres » de l’Annuaire statistique de la Fédération de Russie prend 3 points dans les trois sujets
9
ville de Labytnangui en 1995
9
> 70
65-69
60-64
Hommes (%)
Femmes (%)
Y. Vaguet, UMR IDEES - MTG
55-59
50-54
45-49
40-44
35-39
30-34
25-29
20-24
16-19
14-15
8-13
6-7
3-5
0-2
15
10
5
0
5
10
15
Source : Département des Statistiques de la Ville de Labytnangui, 1990
Figure 8 : Pyramide des âges d’un centre urbain
Terre d’immigration, les motifs des pionniers à migrer constituent un facteur important dans le
processus d’appropriation. Les motivations ont relevé tant de l’ordre psychologique que de l’ordre
matériel. D’une part, on a utilisé la fascination que le Nord opère dans les esprits conjugué au
caractère héroïque et altruiste de l’homme russe souvent décrit dans la littérature même dans les pires
situations. Mais surtout, pour attirer la main d’œuvre, on accordait des avantages d’autant plus
attractifs vers le cercle polaire. En effet, l’état avait défini une zone administrative du Grand Nord et
ses régions équivalentes et ses habitants pouvaient se prévaloir de certains avantages en contrepartie
des contraintes de vie qu’ils subissent10.
Une enquête a été réalisée en 1987-1988 par E.V. Logunov (1999) auprès de 4 200 travailleurs de
l’industrie extractrice dans quatre villes de la province qui sont du sud au nord : Sourgout, Igrim,
Nadym et Novy-Ourengoï. Parmi les sept principales motivations, les deux premières sont d’ordre
matériel. Les hauts salaires arrivent de loin au premier rang et ce d’autant que la ville-destination se
trouve vers le nord (36 % pour Sourgout, 44 % pour Novy-Ourengoï). Actuellement, les salaires y
demeurent parmi les plus élevés de Russie11. Le manque de logement dans la région de départ arrive
ensuite parmi les principales motivations (de 30 % dans le Sud à 17 % dans le Nord). En 6ème et 7ème
position arrivent souvent l’attrait d’une situation économique plus sûre et la possibilité d’acquérir
une qualification professionnelle meilleure. Entre ces deux groupes de motivations s’intercalent des
motifs faisant référence à l’image du Nord, son prestige, sa fascination et le défi du développement
en milieu extrême. Ces motivations sont toujours plus fortes qu’une meilleure qualification, et
parfois, plus fortes que l’accession à une situation socio-économique plus sûre. Au total, la théorie du
push-pull s’applique aux migrations régionales. Les arrivants ont été poussés à partir par le manque
de logement ou les conflits et ont été attirés sur le front pionnier par les hauts salaires, les promesses
d’un logement, le prestige… Néanmoins, l’enquête n’enregistre pas l’errance de la population depuis
la dislocation de l’URSS. Cette dernière pose forcément la question du devenir de ces projets de
conquête du Grand Nord et de ces populations dans la nouvelle économie de marché.
10
11
coefficient multiplicateur jusqu’à 1,7 pour le salaire, prime conséquente jusqu’à un doublement dans certains lieux,
points de retraite, congés supplémentaires, logement. Désormais, ces avantages n’existent quasiment plus.
Néanmoins, la réalité des salaires élevés est à mettre en regard du coût de la vie élevé dans ces contrées
10
%
50
45
Ourengoï (Nord)
40
35
Nadym
30
Igrim
25
Sourgout (Sud)
20
15
10
5
0
A
B
C
D
E
F
G
Motivations : A. Hauts salaires - B. Problème de logement - C. Désir de contribuer
personnellement au développement du Nord - D. Désir de se tester en situation
extrême - E. Prestige du Nord - F. Situation socio-économique "sûre" - G. Volonté
d'acquérir un travail plus qualifié.
Source : d'après Logunov E.V., 1999
Figure 9 : Les motivations à l’immigration dans les villes de la province
Aujourd’hui, les mesures visant à attirer les hommes nécessaires au développement semblent échouer
pour les personnes hautement qualifiées. Beaucoup d’arrivants ne pensent s’installer que pour une
courte durée, le temps d’amasser l’argent qu’ils estiment nécessaire à leur vie dans les régions
méridionales. Or leur intégration n’a jamais été autant pensée que le développement de l’industrie.
Les jeunes parents ne parviennent pas à trouver un logement sur place alors que c’est une de leurs
principales motivations. Les constructions résidentielles enregistrent un retard par rapport à celles des
bâtiments industriels. Un grand contingent de travailleurs ne trouve une place que dans les dortoirs
de la ville. Force est donc de constater que le cortège des déceptions colle à la région comme un
caractère de sa nouvelle identité. Certains témoignent d’un sentiment « d’être piégé ». Ainsi,
l’expression de « gâchis humain » peut être employée (Radvanyi J., 2004).
Les seconds migrants sont des personnes qui ont immigré pour la première fois dans la province vers
les bassins d’emploi plus au Sud, devenus depuis les bases arrières du front pionnier. Ils migrent
alors une seconde fois vers les nouveaux sites d’exploitation plus au Nord. Ainsi, la course au
meilleur salaire et au logement demeure, et la région ne parvient pas à fixer sa jeune population.
Celle-ci est qualifiée de fluide car les résidents permanents ne sont jamais que de passage. En effet,
43,7 % restent moins de 5 ans dans l’ensemble de la région et 60 % restent moins de 5 ans dans
l’okroug de Iamalo-Nenets. Cette population fluide ne s’approprie que difficilement son nouveau
territoire.
Ainsi, le ‘mal être urbain’ semble exacerbé dans ces villes où l’urbanisme a souvent été négligé et
qui compte une population plutôt exogène, migrante et inadaptée aux conditions naturelles. Sur place
la population témoigne d’une envie de partir souvent motivée par la recherche d’une qualité de vie
meilleure et des conditions naturelles moins rudes, notamment pour les enfants. Paradoxalement, une
réelle attache relevant du processus de territorialisation s’observe, surtout chez les enfants nés sur
place. Dans le même temps, la région acquiert l’image d’un espace gagnant, riche et dynamique, avec
de réelles forces vives composées par des jeunes entreprenants.
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Des entretiens conduits sur place en 2002 et 2003 confirment le fréquent mécontentement des actifs
en termes de salaire, de logement, et du manque d’infrastructures culturelles. L’éventail des
situations peut s’illustrer par quelques figures types. Bourzi est le travailleur accablé par sa
responsabilité de soutient de famille. Il a 60 ans, est ingénieur de formation mais il a perdu son
logement et son travail à Léningrad ainsi que ses économies au moment de la chute de l’URSS. Il est
arrivé dans la région pour trouver un emploi mais, en raison de son âge, il n’a trouvé qu’un poste endeçà de ses qualifications. Bourzi vit dans une chambre d’un foyer modeste de la ville et attend sa
retraite prochaine pour retourner auprès de sa famille au Daghestan. A l’opposé, Anton, correspond
au type du jeune actif dynamique ayant une forte conscience des opportunités que la région peut
offrir pour ceux, comme lui, qui ont une formation supérieure dans le secteur financier. A 25 ans, il
loge dans un foyer moderne avec tout le confort, et travaille dans une agence privée d’estimation des
biens. Anton se dit satisfait de sa situation dans une ville qui a seulement 2 ans de plus que lui. Il l’a
trouve agréable, offrant surtout de bons salaires et elle lui paraît « une ville d’avenir même si elle ne
se développe pas aussi vite qu’on le voudrait ». Pour lui, la Sibérie occidentale est « en chantier
permanent ». Néanmoins, il témoigne d’ores et déjà d’un désir de partir après quelques années. Alla,
à 33 ans, est plus représentative des actifs d’âge moyen. Elle est née dans le Sud de la région. Elle est
arrivée dans le Nord à l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, elle y a ouvert son entreprise. Elle apprécie la
ville qu’elle a fait sienne, la décrivant comme une ville de mixité, non conservatrice où les nouvelles
initiatives sont possibles. Ceci ne l’empêche pas de vouloir, comme la plupart, fuir l’hiver qui dure
10 mois. Enfin, Ivan témoigne du point de vue des générations nées sur place. A 14 ans, il trouve sa
ville « fun » et ne veut pas la quitter. Pourtant, il confie savoir qu’elle fermerait si les réserves de
pétrole venaient à s’épuiser.
3. CONCLUSION
La Sibérie occidentale a été en 30 ans, le siège d’une démonstration du poids de la fonction sociétale
atténuant le gradient d’un milieu physique contraignant. La région a émergé comme un espace
producteur d’hydrocarbures pour le monde et dorénavant les centres urbains septentrionaux sont plus
liés aux centres nationaux qu’à leurs homologues de même latitude. Economiquement, la région est
donc devenue stratégique pour l’économie et la géopolitique du pays et le processus de mise en
valeur du sous-sol se poursuit aujourd’hui sur les rives de l’Océan Arctique lorsque le prix des
hydrocarbures permet la rentabilité de leur exploitation en un tel milieu hostile. Cet espace demeure
au service de l’espace central. Néanmoins, il parvient à avoir quelques retours (investissements et
emplois par exemple) qui le rendent attractif.
Cependant, la question de l’avenir de ces centres urbains au-delà de « l’après-pétrole » demeure
cruciale. Ce sont essentiellement des villes usines dont l’activité n’est guère diversifiée malgé
certaines volontés sur place. La chute des prix du pétrole est susceptible de suspendre des chantiers et
les villes nouvelles sont menacées de fermer chaque année selon la production, l’état de leurs
réserves et du prix du baril. Par exemple, Noïabrsk, centre urbain de la fin des années 1970, est lié à
l’extraction d’un champs pétrolier alentours. Or celui-ci présente une durée de vie estimée
aujourd’hui à 50 ans. Parmi les gens interrogés, beaucoup témoignent d’un pessimisme quant au
devenir de la ville et même de la région au-delà des réserves du sous-sol. Indéniablement, les
annonces répétées par les autorités locales de la fermeture prochaine de la ville renforcent le
sentiment d’errance et d’abandon de la population. De fait, l’avenir se pose ici en d’autres termes que
dans nos anciens pays noirs. Le caractère répulsif du milieu extrême redeviendra prépondérant s’il
n’était plus contrebalancé par une activité économique rémunératrice et attractive.
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Cliché : Y. Vaguet
4. BIBLIOGRAPHIE
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Lestrange C., Paillard C.A., Zelenko P. (2005). Géopolitique du pétrole – un nouveau marché, de
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Radvanyi J., 2004. La nouvelle Russie. Armand Colin.
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Zaitseva A.N. (2002), La population de la province de Tioumen au XXè siècle. Espace Social, 20, 56, 65-70 (en russe).
5. REMERCIEMENTS
Recherche soutenue par le Ministère Français de la Recherche dans le cadre de l’Action Incitative
Jeune Chercheur, Projet “Emergence des villes pétrolières et gazières de Sibérie Occidentale,
Modèle d'organisation spatiale - Approche par télédétection et SIG ” (N° : 67007). Merci aux
participants : M.R. Belgodère, S. Freire-Diaz, A. Gaye, F. Lucchini, Y. Vaguet.
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