1.2. Variations des rapports territoriaux
A l’échelon mondial, la compétition et la convoitise à l’égard des centres d’extraction dont la Sibérie
occidentale, s’est accrue entre les centres de consommation, notamment l’Asie et l’OCDE. En effet,
la course aux ressources est motivée par des demandes intérieures croissantes, en relation avec les
dynamiques démographiques et économiques, et par une recherche de diversification des fournisseurs
afin de sécuriser l’approvisionnement. Ainsi, le pétrole et le gaz russes, et notamment ouest-
sibériens, sont acheminés vers l’Europe surtout (78 % en 2003), vers l’Asie du Sud-Est et Pacifique
(3,8 %), l’Amérique latine (3,1 %), la Chine (2,3 %) et les Etats-Unis (1,9 %).
A l’échelon national, les interactions entre la région et l’espace central se sont intensifiées. Elles
relevaient, en premier lieu, de l’orchestration par le pouvoir central de la transition économique de la
région. Par la suite, une inter-dépendance est apparue. L’épopée des hydrocarbures a renforcé et
renouvelé le couple centre-périphérie (Marchand-Vaguet, 2005). Au départ, on peut considérer le
centre comme dominant et la Sibérie occidentale comme une périphérie assurément exploitée. Cette
dernière apparaît comme un instrument au service du renforcement du centre. Actuellement, le pays
s’appuie encore sur la région, dans le processus de transition économique, et le personnel rencontré
sur place, le plus attaché à ce territoire, déplore de subir des décisions qui viennent toujours de
Moscou. Il s’agit d’un espace d’extraction où il n’y a guère eu de volonté de développer des activités
économiques induites. Des capitaux ont été injectés pour le développement industriel de la région, et
les populations ont été encouragées à migrer vers cette province. Cependant, ces flux ne
s’inscrivaient pas dans le cadre d’une politique d’aménagement harmonieux ni de mise en valeur,
mais d’une domination, d’une exploitation aveugle, sans considération aucune pour les autochtones
ni l’environnement local, qui devait laisser la région exsangue5.
L’illustration de cette domination s’exprime avec outrance dans le domaine de l’environnement. Le
gâchis apparaît en effet, comme le corollaire du développement industriel extrêmement rapide et sans
beaucoup de considération pour le milieu d’une extrême vulnérabilité. De fait, les temps de
réhabilitation après perturbation anthropique y sont très longs, essentiellement en raison d’une
activité micro bactérienne réduite par le froid (Vaguet, 2007a). Pourtant, plus de 600 ruptures
majeurs d’oléoducs sont répertoriées chaque année dans le bassin de l’Ob et les pertes de pétrole
dues aux fuites sont évaluées entre 15 et 30 millions de tonnes par an soit 5 à 10% de la production
nationale.
Néanmoins, la dénonciation des saccages de la nature ne peut occulter le bond économique de la
région associé au développement industriel. La région était en 1959, comme l’ensemble de la Russie
asiatique, en état de sous-développement et donc à un niveau bien inférieur au standard de la Russie
européenne. C’était une périphérie oubliée, au Nord totalement ignoré comparativement au Sud
traversé par le transsibérien. Or, elle a bénéficié, surtout le Nord, d’investissements exogènes
considérables à partir du début de l’industrie extractrice (1964). Elle demeure, encore en 2005, la
seconde région de Russie, derrière le centre européen, en termes d’investissements reçus. De ce fait,
l’écart en termes de niveau de développement s’est creusé avec le reste de la Russie asiatique.
Actuellement, la province est devenue un Émirat sibérien et n’a plus grand chose de commun avec
les autres régions de Sibérie.
A l’échelon infra-régional, cette nouvelle donne a fait naître des tensions entre le Sud et le Nord. Ce
dernier avait été placé sous la juridiction du premier par Staline. Actuellement, le Sud n’a guère
l’étoffe d’un centre régional dans le sens plein du terme c’est-à-dire pas uniquement politique, car les
richesses se situent surtout dans le Nord, dans l’okroug de Khantys-Mansis pour le pétrole, et dans
l’extrême Nord, dans l’okroug de Iamalo-Nenets pour le gaz. Quant aux compagnies, leur siège est
souvent à Moscou. A cet égard, la nouvelle constitution de la Fédération de la Russie (1993) a
5 Il est intéressant de noter ici que la langue russe désigne par dobitcha, la “proie”, le “butin” et l’“extraction”, ainsi
dobitcha nefti désigne tout à la fois l’extraction pétrolière et le butin pétrolier.
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