Théâtre des Marionnettes de Genève Dossier presse – saison 2016 - 2017 RHINOCÉROS Un spectacle de la Cie des Hélice (Ge) en coproduction avec Saint-Gervais-Genève – Le Théâtre, le Teatro Nacional de Bogotà et le Théâtre des Marionnettes de Genève DU 15 AU 25 SEPTEMBRE 2016 Texte : Eugène Ionesco Mise en scène : Isabelle Matter Scénographie : Fredy Porras Interprétation : Khaled Khouri, Olivier Périat et Myriam Sintado Musique : Adrien Kessler Marionnettes et accessoires : Leah Babel, Isabelle Matter Costumes : Maria Galvez, Yuly Guerrero, et Irène Schlatter Lumière : Philippe Maeder Son : Ludovic Guglielmazzi Autour du spectacle Ecrits d’Eugène Ionesco choisis et lus par Philippe Macasdar. Le samedi 17 septembre 2016 à 17h30. Au Théâtre des Marionnettes de Genève | Entrée gratuite Marionnettes sur table, à gaine et portées Théâtre des Marionnettes de Genève 3 Rue Rodo | 1205 Genève Réservations : 022 807 31 07 ou www.marionnettes.ch 90 minutes Adultes, ados -1- Le spectacle 1. L’histoire Une étrange épidémie s’empare d’une petite bourgade : la « rhinocérite ». Les habitants y succombent et se transforment en rhinocéros. Tous, sauf Bérenger, un anti-héros marginal, petit employé de bureau qui résiste par anticonformisme plus que par conviction idéologique. Cette pièce phare d’Eugène Ionesco, grand maître du théâtre de l’Absurde, évoque avec un humour féroce la déshumanisation des rapports sociaux et l’uniformisation de la pensée, ce terreau propice au fanatisme et à l’extrémisme liberticides. La démarche de l’auteur l’amène à mettre notamment en lumière les caractéristiques des totalitarismes fondées sur une glorification du chef, de l’autorité, de la force et du futur aux dépends du présent. Au bestiaire humoristique des chats se joint alors la dramatique animalité des rhinocéros. La pièce façonne les masques du rire et de la folie. Elle fouille le retour aux instincts, à l’animalité, la soumission de l’homme au pouvoir enivrant des systèmes. Rhinocéros Sur les vestiges des valeurs fondamentales de l’humanisme des Lumières qui exprimaient notre fragilité et la complexité de notre humaine condition, les marionnettes racontent le désenchantement du monde. Trois archivistes polyvalents déploient cette farce burlesque et tragique en faisant surgir les personnages de fioles ou de poussiéreux cartons. Les marionnettes vont grandissantes à mesure que la pièce nous approche des rapports sociaux plus intimes, et que l’épidémie progresse. Elles disent la propension à céder aux mots d’ordre simplistes et à se soumettre volontairement aux autoritarismes qui prônent l’ordre et la sécurité comme seul horizon. -2- 2. Une fable burlesque et tragique Dans les grandes lignes, Rhinocéros évoque une maladie, une terrible épidémie qui s’empare des individus : l’uniformisation de la pensée. Uniformisation qui, on l’a vu au siècle passé, a pu conduire aux pires barbarismes. Ecrite en 1958 par Ionesco puis jouée en 1959 en Allemagne pour la première fois, cette pièce a été souvent interprétée comme une dénonciation de la montée du nazisme. 58 ans après, on peut en saisir les implications contemporaines. De nos jours, il redevient courant de voir certains discours politiques à tendance populiste foncer dans le tas, s’approprier certaines thématiques sociales, les instrumentaliser à travers le discours, en stimulant des principes et des moteurs proches du monde animal comme la peur, la valorisation de la force, de la morale « naturelle », de l’instinct grégaire. L’économie néolibérale et sa conception naturaliste des marchés ne fait guère mieux en transformant l’humanité en bancs de consommateurs de moins en moins acteurs de leurs vies. Rhinocéros Les valeurs fondamentales de l’humanisme des Lumières qui exprimaient notre fragilité et la complexité de notre humaine condition sont bel et bien en danger. Rhinocéros, avec son humour féroce et sa poésie absurde, questionne cette perte d’humanité contre une vision brutale, bestiale, et envahissante du monde. Si le propos peut paraître pessimiste, la formidable énergie qui se dégage de l’œuvre et de cet univers permet à l’art d’indiquer une voie pour résister. Compagnie Les Hélices -3- 3. Une singulière épidémie dans un théâtre de la mémoire Rencontre avec Isabelle Matter, metteure en scène. 3.1. L’actualité de la fable Quels sont les principaux éléments qui vous ont attirés dans Rhinocéros ? Isabelle Matter : La période était marquée en 2010 comme de nos jours par la résurgence de discours populistes qui s’affichaient sans complexe, prenant des proportions impressionnantes, tant au niveau suisse qu’européen notamment. Ces poussées de l’extrême droite expriment Rhinocéros notamment, par des propos et des slogans simplistes, le retour à des valeurs supposées traditionnelles et fondamentales. Toute la pensée humaniste se trouve dénigrée par des discours antiintellectualistes y pointant la cause de nombre de maux. Rhinocéros se révèle une pièce d’une grande pertinence sur ces dimensions. La pièce fut montée en 2011 dans le cadre d’une collaboration artistique avec la Colombie. En Colombie, à l’époque, le gouvernement autoritaire a travaillé sur le langage, modifiant les sens de certains mots. Ainsi la guerre civile qui sévissait dans le pays depuis 1948 ne comprenait plus des « guérilleros », mais des « terroristes », une désignation visant à déshumaniser certaines parties du conflit sans relever le rôle délétère et répressif joué notamment par les forces paramilitaires Un discours guerrier dominait la vie politique où toute nuance avait disparu. « Si vous n'êtes pas avec moi, vous êtes contre moi ». Comment discuter, comment penser dans ces conditions ? Autant s'adresser à un rhinocéros... La situation en Europe est évidemment très différente, mais les montées de discours autoritaires et fanatiques qu'elle connaît renvoient à un sentiment d’étrangeté donnant l’impression de ne plus parler la même langue que son interlocuteur. Si le gouvernement a changé depuis en Colombie, en 2016, malheureusement l'Europe continue de vivre sous la pression de l’extrême droite. La valorisation de la force, de l'instinct, du naturel, ne pousse-elle pas Jean à déclarer à son ami Bérenger à l'acte II : « L'humanisme est périmé, vous êtes un vieux sentimental ridicule ! » En 2016, on peut songer à la situation en Autriche avec une avancée inédite depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale de l’extrême droite lors des élections présidentielles de mai dernier Ionesco est à mon sens une voix assez unique mêlant théâtre de l’absurde et constat désespéré sur la fin des libertés et la montée des extrémismes de quelque bord qu’ils soient. Cette voix résonne aujourd'hui alors qu'une majorité de la société civile accepte comme par une soumission volontaire et par peur de ces extrémismes de renoncer à sa liberté. -4- Cette volonté sécuritaire se manifeste par le biais notamment des caméras de télésurveillance ou du traçage de l’humain par tout un maillage informatique. Or, il peut y avoir ici une forme de sacrifice de l’humanisme et des libertés individuelles, de l’égalité sous la bannière de la sécurité devenue l’un des leitmotivs de notre temps. 3.2. L’appel de la marionnette Pourquoi le choix de la marionnette apparait-il comme une évidence pour cette pièce ? L’approche du théâtre par Ionesco ne metelle pas en lumière les rouages et mécanismes conscients et inconscients des êtres et de la société ? Elle montre les ficelles de la tragi-comédie sociale, et disloque les codes de la narration ainsi que les rapports entre réalisme et fantastique. La marionnette permet ce que Ionesco propose dans son théâtre : distance, humour et poésie. Il y a un mouvement de zoom qui suit l’évolution de la pièce. Il y a un mouvement de zoom qui suit l'évolution de la pièce. De petites marionnettes sorties de cartons et fioles sur une étagère, au premier acte, on passe aux relations de travail. Les marionnettes, alors à gaine, sont plus grandes tout en étant davantage investies par le corps du comédien. Ensuite, au stade des relations plus intimes qu’elles soient amoureuses ou amicales, ce sont des marionnettes portées auxquelles l’acteur prête ses jambes et une main. Enfin, pour un Bérenger plongé dans la plus haute des solitudes et résistant comme on respire, c’est l’acteur en chair, torse dénudé qui prend le relais mettant en mouvement émotions, respiration, désespoir et révolte. 3.3. Le décor l’humanité comme mémoire de Parlez-nous de la transposition scénographique avec étagères, bocaux et cartons avec ces personnages d’archivistes, narrateurs et acteurs incarnant certains personnages clefs du drame. L’idée est venue de la fin de Rhinocéros, qui ne laisse plus subsister que Bérenger. Il a résisté à la pandémie de « rhinocérite » et lutte on ne sait jusqu’à quand. Au début, on peut estimer qu’un homme se « rhinocérise » par bêtise ou conformisme. Mais des gens honnêtes et d’une certaine intelligence succombent à leur tour à cette maladie. Le dernier homme, au sens humaniste du terme, devient alors comme une pièce à conviction Rhinocéros -5- de l'existence d'un autre monde, comme un spécimen conservé dans la mémoire de l'histoire. Le théâtre se veut ici un lieu de la mémoire vivante. On peut imaginer que l’action se déroule dans les soubassements d’un musée ou d'une bibliothèque conservant les dernières traces d’une humanité en voie de disparition. Une humanité confrontée à des créatures « mastodontiques » qui jouent des aplats à l’effigie animalière du rhinocéros. Comme le dernier exemplaire de son espèce, Bérenger, anti-héros organique, est sorti de son bocal et mis en jeu. Un trio d’archivistes dévoile depuis ce monde en voie d’être « rhinocérisé » les derniers souffles de l’humanité. Propos recueillis par Bertrand Tappolet 4. Une mise en scène marionnettique Jusqu’à quand existeront les derniers hommes ? Nous avons situé cette œuvre dans des archives qui conserveraient les derniers vestiges de l’humanité, dans un monde rhinocérisé. Trois archivistes, métaphore ironique du théâtre comme gardien de la mémoire, déballent la fable de Ionesco des cartons poussiéreux et en exhibent les personnages, marionnettes de différentes échelles. Le recours à la marionnette pour entrer dans l’univers de Ionesco m’est paru très naturel, presque évident. Les marionnettes sont un support théâtral d’une puissance extraordinaire, qui va toucher à l’essence des choses, à leur origine, qui révèle l’Homme dans sa profonde nudité, et l’œuvre dans son squelette. Dans notre version de Rhinocéros, nous proposons de souligner le mouvement de la pièce de Ionesco, qui va de l’effet social produit par le premier passage de rhinocéros à l’isolement humain Rhinocéros qui se produit sur Bérenger lorsque toute la ville est contaminée. Le premier acte est ainsi présenté par des montreurs, types d’archivistes qui sortent des cartons et fioles de petites marionnettes de table, et qui manipule ce niveau macro-social, sur une étagère empoussiérée. Puis, nous passons à l’échelle des relations plus fermées, les relations de travail. Nos marionnettes sont alors plus grandes, le corps de l’acteur les pénètre un peu plus : des marionnettes à gaine. Viennent les moments des relations plus intimes, d’amitié ou d’amour. Là, des marionnettes encore plus grandes se font face. Des marionnettes portées auxquelles l’acteur prête ses jambes et une main. Et finalement, lorsque Bérenger reste seul, lorsque s’exprime sa résistance du fond de ses tripes, c’est l’acteur en entier qui prend le relais, l’acteur dans toute sa chair, avec ses émotions, sa respiration. La manipulation à vue amplifie l’effet des marionnettes. Les acteurs manipulent les marionnettes et articulent les éléments de la fable. Ils sont les montreurs qui transforment la matière et les mots en signes. Ils partagent avec le public la conscience et le goût du jeu. -6- L’univers scénographique des archives offre un terrain de jeu formidable à la pièce : jeu de construction, et de déconstruction, jeu d’équilibre, mise en perspective des forces et des tensions. Isabelle Matter 5. Des Rhinocéros et des Hommes 5.1. Familles de marionnettes Dans Rhinocéros, deux familles de marionnettes se font face : les marionnettes humaines, et celles des rhinocéros. L’esthétique et les matériaux des premières soulignent la fragilité humaine, mettent en avant son caractère inachevé, le caractère « bricolé », nuancé, complexe de l’être humain. Des visages comme des masques, comme des figures adressées aux autres. L’intérieur est un mystère, un vide intersidéral, que l’on peut remplir de toutes nos croyances sur la nature humaine. Nos marionnettes humaines sont donc faites de ce relief, de ce jeu entre creux et plein. Une marionnette n’est jamais complète, elle nécessite la main, la vie, l’âme du manipulateur pour exister, pour ne plus être un simple objet inerte. L’image du rhinocéros est aujourd’hui plus ambiguë qu’à l’époque où le texte a été écrit. Aujourd’hui, le rhinocéros rime avec espèce menacée, avec un monde sauvage mis en danger par l’activité humaine. A Genève, cette bête a même donné son nom à un haut lieu de la culture alternative et contestataire, dans les années 90. Nous n’avons pas poussé aussi loin notre point de vue sur le rhinocéros. Restonsen à cette image « premier degré » du mastodonte. Que voit-on en effet lorsqu’on observe un rhinocéros ? Une bête craintive au petit cerveau et à la masse immense. Une bête qui fonce droit devant elle. Une bête qui ne peut pas regarder à côté d’elle ou derrière elle. Une bête qui ne peut pas tellement faire dans la nuance… Prenons le rhinocéros comme l’image de l’aplatissement de la réalité, l’abêtissement, la « certitudisation », la simplification… Nos rhinocéros sont ainsi des à-plats d’images photographiques. Compagnie des Hélices -7- 5.2. Une musique jubilatoire et dramatique Dans la pièce, les effets littéraires et les effets scéniques surgissent comme autant d’éléments d’une même partition. La musique les intègre dans sa composition. Dans Rhinocéros, il s’agit par la musique, de valoriser cette sorte d’euphorie tragique qui s’empare de ces futurs ex-humains. La musique a une mission importante de soutien rythmique et de mise en chanson des parties les plus scandées. Son atmosphère se veut démantibulée, vieillotte et son humour se doit d’être sensible. La musique peut aussi dramatiser certaines parties. L’intérêt est de trouver le contre-pied inattendu qui permet la surprise. Rhinocéros La musique est ici enregistrée. L’instrumentation se compose de percussions diverses, y compris casseroles, piano et piano préparé, contrebasse, cœurs, et soutiens virtuels (ordinateur). Adrien Kessler, musicien 6. Synopsis de la pièce et personnages Acte I Les personnages de cette petite ville de province se rencontrent un dimanche matin au café. Tout à coup, un rhinocéros passe. Tout le monde est épouvanté. Quand un rhinocéros dans sa course écrase le chat d’une ménagère, on pressent qu’un danger menaçant plane sur la petite ville. Jean fait la morale à Bérenger qui avoue être mal dans sa peau. Il perd tous ses moyens lorsque Daisy, dont il est amoureux, passe. Acte II Tableau I : Le lendemain matin dans le bureau d’une administration, les employés se disputent au sujet des rhinocéros. Bérenger arrive en retard. Contrairement à son habitude, M. Bœuf n’est pas encore là. On apprend par sa femme que M. Bœuf vient à son tour de devenir rhinocéros. Elle part sur son dos. Les rhinocéros de plus en plus nombreux ont détruit l’escalier et les fonctionnaires sont bloqués. Ils sont libérés par les pompiers qui ne savent plus où donner de la tête. Tableau II : Bérenger rend visite à Jean qui approuve ces métamorphoses : la civilisation humaine doit être démolie, balayée. A son tour, il se métamorphose en rhinocéros. -8- Acte III Quelques jours plus tard, Bérenger reçoit la visite de Dudard, puis de Daisy. Ils sont environnés par les animaux. Daisy et Bérenger se déclarent leur amour mais elle se transforme à son tour. Il ne reste que Bérenger. Il est tenté par la transformation mais il se rend compte qu’il ne peut se transformer. Puis il se ravise : seul, il se battra et résistera. Personnages principaux B érenger C’est le personnage principal. Il boit, se laisse aller, il paraît faible et naïf. Il est défaitiste. S’il est le seul à ne pas se transformer en rhinocéros, c’est parce qu’il a son bon sens, il n’est pas conformiste comme tous ceux qui l’entourent. Bérenger a, en effet, des qualités réelles. Il n'a pas fait d'études, mais a le désir naïf de s'instruire. A défaut d'intelligence profonde, il a du cœur et surtout un grand bon sens, et la juste mesure des mots. Les expressions comme « je sens » et « il me semble » font partie de son vocabulaire et si, à la fin du premier acte, il s'est laissé emporter contre Jean, il se reproche bientôt son attitude, et cherche vite à se réconcilier avec lui. C'est l'objet de sa visite au deuxième acte : constatant avec effroi les progrès de la maladie de son ami, il s'inquiète et veut appeler le médecin. Ce n'est que lorsque la mutation est accomplie que Bérenger comprend le danger, mais l'interrogation du deuxième acte ne fait que souligner son impuissance : « Comment faire ? », J ean L’ami de Bérenger. Pourtant, ils ne se ressemblent pas du tout : Jean est très conformiste, égocentrique, il refuse d’écouter et des comprendre les autres, il se vexe très facilement. Jean est loin d'offrir les nuances psychologiques de son ami, et pourtant, il ne manque pas d'intérêt dans la mesure où son caractère le prédisposait à devenir rhinocéros. Un je ne sais quoi de trop voyant dans sa toilette nous avait dès le début du premier acte fait douter de son goût et, dès ses premiers mots, son manque d'indulgence et même sa dureté nous frappent péniblement. Des phrases comme « J'ai honte d'être votre ami » ou « Je vous vaux bien » ; et même, sans fausse modestie, je vaux mieux que vous » témoignent bien d'une agressivité peu commune et, dans la discussion qui suit, comme dans les leçons qu'il prétend donner à Bérenger, il fait preuve d'autant de prétention que de mauvaise foi. Homme des certitudes, il a réponse à tout. Il ne se rend pas compte de son ridicule quand il répète, sans les appliquer lui-même et sans les comprendre, les recettes de la culture-pourtous : « Visitez les musées, lisez des revues littéraires, allez entendre des conférences (...) En quatre semaines, vous êtes un homme cultivé ». Par-dessus tout, il a l’esprit de contradiction poussé à l’extrême, et l’insulte est prête à jaillir quand l’interlocuteur se permet de ne pas être de son avis. -9- B otard Collègue de Bérenger. Il a des idées fixes. C’est un ancien instituteur, il symbolise donc un certain type de savoir, il incarne l’école publique, laïque et obligatoire. Il confond méthode et vérité, il fonctionne par association d’idées. Il est donneur de leçons. Disons, pour simplifier, que Jean représenterait plutôt un extrémisme de droite raciste, et Botard un extrémisme de gauche ou d'extrême-gauche, antiraciste certes, mais tout aussi borné. Aucun d'entre eux n'a la moindre lumière d'intelligence, mais Jean est plus angoissant, Botard plus ridicule. Il deviendra même odieux quand nous apprendrons par Daisy au troisième acte qu'il a succombé — on peut dire volontairement — à la rhinocérite, puis qu'après avoir manifesté violemment son indignation lors de la transformation de son chef, M. Papillon, il le suivra par conformisme, ou par lâcheté. Ses grands mots n'étaient donc que du vent. Dudard Collègue de Bérenger. Symbolise le savoir universitaire. Lui et le logicien (qui apparaît acte I) sont deux images catastrophiques des intellectuels. Botard et Dudard : la terminaison «-ard» est péjorative. Dudard, par son calme, par sa culture, paraissait armé, lui, pour résister à la rhinocérite. Et c'est justement cette sérénité et cet humanisme qui l'ont perdu parce qu'ils ont abouti au scepticisme. A force de vouloir peser les choses, Dudard en est venu à ne plus sentir à quel moment il fallait savoir dire non. Ne reprend-il pas -pour son confort personnel — le vieil adage : comprendre, c'est justifier ? Par son analyse impitoyable du cas de Dudard, Ionesco nous amène, plus encore qu'avec les autres personnages, à nous interroger Dais y Jeune dactylo, Daisy représente dans la pièce l'élément féminin, l'image de la femme aimée, désirée et consolatrice. Lors de sa première apparition, elle cherche à consoler la ménagère dont le chat vient de mourir, écrasé par le rhinocéros. Puis elle tente de calmer Jean et Bérenger qui se disputent. Elle est toujours complaisante et prête à tout arranger. Elle aime bien Bérenger qui, lui, en est épris. Daisy quittera Bérenger et ne résistera pas à l'appel des autres rhinocéros : elle les trouve beaux comme des dieux ; ce sont eux qui sont désormais normaux. La tentation de se fondre dans la masse est la plus forte. M. P apillon C’est le supérieur de Bérenger. L e C hoeur La ménagère, l'épicier, l'épicière, le patron du café, la serveuse, le vieux monsieur ne sont que des masques. Ils représentent le Chœur, comme dans la tragédie antique, nécessaire ici pour commenter les événements du premier acte. Mais ils les commentent avec des lieux communs et des banalités, ou surtout des propos qui n'ont rien à voir avec la gravité de la situation, et ne témoignent que de l'indifférence générale. On s'apitoie sur la ménagère, l'épicier songe à lui vendre une autre bouteille de - 10 - vin, le vieux monsieur à profiter de l'occasion pour lui faire une déclaration galante, le patron à faire payer les verres cassés à la serveuse, tout le monde s'attendrit sur le chat écrasé, mais personne n'agit : personne (sauf plus tard Bérenger) ne se dit que la présence insolite du rhinocéros exige des mesures urgentes. On ne se soucie que de son intérêt personnel, on parle et c'est tout. L e L ogicien Il fabrique des raisonnements truqués et, bâtissant dans le vide, aboutit à des conclusions burlesques ou démentielles. Le logicien conserve jusqu'au bout un calme imperturbable qui souligne plus encore la vanité ou la monstruosité de sa logique. Symbole des peudos-intellectuels et des « idéologues », traître au langage, donc à la pensée, il est l'anti-Bérenger par excellence, et il était normal que son imposture le menât à la démission, et peut-être même à la « collaboration », tant s'impose par moments dans cette pièce le souvenir des années sombres de l'Occupation. Mais « collaboration » au sens large, avec toutes les puissances infernales de destruction de la pensée et d'aliénation de l’homme. A partir du moment ou ion malmène ou détraque ce merveilleux instrument qu'est ou pourrait être le langage, semble nous dire Ionesco, à partir du moment où la mécanique tourne à vide, et où l'automatisme s'empare des mots, tout devient possible : la rhinocérite nous guette. Etienne Frois, agrégé de lettres, Rhinocéros. Ionesco. 7. La pièce dans son temps « Être comme un homme qui circulerait, avec une lanterne, dans les ténèbres, n'éclairant qu'un tout petit espace autour de lui à mesure qu'il avancerait. Le cercle lumineux se déplace et tout le reste est ou retourne à nouveau dans la nuit la plus profonde… Seule luit la conscience d'un présent, d'un instant éveillé. » Eugène Ionesco, Présent passé, passé présent Le théâtre des années cinquante a été renouvelé entre autres par deux dramaturges, Un langage absurde qui réduit les Eugène Ionesco et Samuel Beckett. Le drame psychologique, la tragédie antique revisitée personnages au rang de pantins. (Giraudoux), la comédie sont désormais écartés, et la mise en scène est réduite à quelques objets emblématiques, à un décor saugrenu. Les obsessions des personnages sont « cultivées » par des monologues confus ou des dialogues illusoires, dans lesquels le langage - son pouvoir, ses structures, ses préjugés idéologiques - est sans cesse remis en cause. - 11 - Ce nouveau théâtre a parfois été nommé le « Théâtre de l’Absurde », car il rappelle en effet les thèmes existentialistes des oeuvres de Sartre ou de Camus. Toutefois, cet absurde ne semble pas aboutir à un engagement (Sartre) ou à une révolte (Camus). Personnages et situations chez Ionesco et Beckett semblent plutôt s’immobiliser dans un tragique total, un nihilisme sans fin. La nature absurde de ce « nouveau théâtre » trouve également ses origines dans le mouvement surréaliste, et plus généralement, dans le rejet des propagandes totalitaires, fascisantes, qui ont tant marqué les premières décennies du 20e siècle. La particularité de Eugène Ionesco et Samuel Beckett est qu’ils ont exposé une philosophie dans un langage lui-même absurde qui réduit les personnages au rang de pantins, détruit entre eux toutes possibilités de communication, ôte toute cohérence à l’intrigue et toute logique aux propos tenus sur scène. L’absurdité des situations mais également la déstructuration du langage lui-même ont fait de ce style théâtral un mouvement dramatique à part entière. Ce type de théâtre montre une existence dénuée de signification et met en scène la déraison du monde dans laquelle l’humanité se perd. Il désigne essentiellement le théâtre de Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Fernando Arrabal, les premières pièces d’Adamov et de Jean Genet… Cette conception trouva appui dans les écrits théoriques d’Antonin Artaud, Le Théâtre et son double (1938), et dans la notion brechtienne de l’effet de distanciation (Verfremdungseffekt). L’apparente absurdité de la vie est un thème existentialiste que l’on trouvait chez Sartre et Camus mais ceux-ci utilisaient les outils de la dramaturgie conventionnelle et développaient le thème dans un ordre rationnel. Sans doute influencé par Huis clos (1944) de Sartre, le théâtre de l’absurde ne fut ni un mouvement ni une école et tous les écrivains concernés étaient extrêmement individualistes et formaient un groupe hétérogène. Ce qu’ils avaient en commun, cependant, outre le fait qu’ils n’appartenaient pas à la société bourgeoise française, résidait dans un rejet global du théâtre occidental pour son adhésion à la caractérisation psychologique, à une structure cohérente, une intrigue et la confiance dans la communication par le dialogue. Héritiers d’Alfred Jarry et des surréalistes, Samuel Beckett (En attendant Godot, 1953, Fin de partie, 1957) ou Jean Vauthier (Capitaine Bada, 1950) introduisirent l’absurde au sein même du langage, exprimant ainsi la difficulté à communiquer, à élucider le sens des mots et l’angoisse de ne pas y parvenir. Ils montraient des antihéros aux prises avec leur misère métaphysique, des êtres errants sans repère, prisonniers de forces invisibles dans un univers hostile (La Parodie d’Adamov, 1949 ; Les Bonnes de Jean Genet, 1947 ; La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, 1950). Par des processus de distanciation et de dépersonnalisation, ces pièces démontent les structures de la conscience, de la logique et du langage. - 12 - 8. La monstruosité du fanatisme « On s'est employé à exorciser et à déceler les sources de la haine, en vain. Comment pourrions-nous nous purger de cet enfer ? Je me fais peur à moi-même et chaque visage nouveau me met en panique : quel est l'enfer, quelle sorte d'enfer s'abrite sous cette façade ? » Eugène Ionesco, Journal en miettes Dans Rhinocéros, pièce écrite immédiatement après Tueur sans gages, Ionesco a choisi un animal solitaire pour traiter Ionesco dénonce le danger du fanatisme. L'angoisse métaphysique se double des phénomènes d’hystérie collective. désormais de préoccupations politiques, qui, plus ou moins directement, seront toujours inscrites dans son œuvre. Ici, le Tueur est nommé : c'est l'homme. Dans Antidotes, Ionesco fait remarquer que, chez Bosch, le diable n'est jamais peint sous les traits de la hideuse bête cornue que le Moyen Age a imaginée, mais que ce sont les hommes qui se transforment en animaux monstrueux. Dans ses paradis, sereins au premier coup d'œil seulement, des crabes, des scorpions menacent, dès le jour de la création, Adam et Eve sur qui Dieu semble pourtant veiller. Il en est de même dans Rhinocéros, où la « bête cornue », c'est l'homme. « L'enfer n'est pas ailleurs, l'enfer est ici, il est en nous, nous sommes l'enfer. » (Antidotes.) La pièce s'ouvre dans une atmosphère de sérénité. Par un beau dimanche, à midi, les habitants d'une petite ville de province se retrouvent avec plaisir sur la place. Mais la paix n'est que de courte durée. Le mal frappe d'emblée, bien plus tôt que dans Tueur sans gages, avant même que l'homme n'ait eu le temps de jouir de la vie (…) On peut se demander pourquoi Ionesco choisit le rhinocéros, qui vit en solitaire, plutôt qu'un animal grégaire. Il semble hésiter lui-même sur les raisons qui ont dicté son choix. « J'aurais dû dire "moutons féroces". Mes rhinocéros sont des moutons qui deviennent enrages. (...) Je cherchais un animal terrible, borne, qui fonce droit devant lui. En feuilletant le Larousse, je suis tombe, par hasard, sur le mot et l'image d'un rhinocéros. A dire vrai, ce mot, je venais de le retrouver, car je l'avais employé auparavant dans mon journal intime de Roumanie, des années trente, et je l'avais complètement oublié. » (Antidotes). Tellement hanté par les images de la solitude, Ionesco a choisi, malgré lui, un animal solitaire comme symbole des phénomènes d'hystéries collectives, le hasard, la page ouverte dans le dictionnaire n'étant là que pour favoriser le choix inconscient… - 13 - Une seule métamorphose s'opère sur scène, celle de Jean, devant Bérenger, qui y assiste, impuissant. Les étapes en sont marquées, scénographiquement, par ses allées et venues de sa chambre à la salle de bains, située en coulisses, où il va regarder dans la glace la bosse qui est apparue sur son front. Chaque fois qu'il revient, il est un peu plus proche de l'animal, sa respiration est bruyante, ses veines se gonflent, sa bosse grossit, la couleur de sa peau change. Chaque contemplation nouvelle dans le miroir entraîne une modification du corps, car, Rhinocéros lorsque Jean regarde sa propre image, il s'identifie de plus en plus à une bête. Le « moiidéal » modèle le corps. Deux moments marquent l'entrée de Jean dans le monde animal. Il enlève sa veste de pyjama, et Bérenger découvre avec horreur que sa poitrine et son dos sont verts. Puis il ôte son pantalon, car il se sent gêné dans ses vêtements. Tout nu, il fonce sur Bérenger, tête baissée, en barrissant… A la fin de la pièce, lorsque tous l'ont quitté pour rejoindre les rangs des rhinocéros, Bérenger est au comble de l'angoisse. Le danger est au-dedans comme au-dehors. Les rhinocéros, qui le cernent de toutes parts, vont démolir sa maison et l'écraser. Mais il tremble aussi car il ne sait plus qui il est, au milieu de tous ces monstres. Il tente vainement de rappeler Daisy, qui vient de s'enfuir, dernier visage humain qu'il ait contemplé. Puis il se bouche les oreilles avec du coton et ferme les fenêtres pour ne plus ni voir ni entendre les rhinocéros qui l'obsèdent. Il cherche désespérément dans sa chambre une image d'homme, se regarde dans la glace. Il sort des photos de ses collègues de bureau, mais il ne reconnaît plus personne. Il installe au mur deux tableaux - le portrait d'un vieillard, d'une grosse femme, celui d'un autre homme - qu'il décroche bien vite et qu'il piétine avec rage, tant il les trouve hideux face aux rhinocéros. Désespéré par sa propre laideur, accablé par sa solitude, il éprouve brusquement le désir de rejoindre le groupe et tente vainement de barrir : « Je suis un monstre, hélas ! Jamais je ne deviendrai rhinocéros. » Il contemple son corps qui lui est devenu étranger, et hurle de terreur, épouvanté d'avoir perdu, en même temps que toute possibilité d'identification, son identité. Sa différence lui apparaît brusquement comme une monstruosité. Marie-Claude Hubert (professeur de littérature française à l’Université de Provence, spécialiste du théâtre des années 50), Eugène Ionesco. - 14 - 9. La satire du langage stéréotypé Un des thèmes principaux que nous rencontrons dans cette pièce, comme dans toutes les autres pièces de Ionesco, est encore et toujours la satire du langage stéréotypé. Mais elle n'a plus l'aspect d'un jeu gratuit, comme par exemple dans La Cantatrice chauve. Elle s'intègre cette fois à une critique de la société, et plaide pour une défense de l'homme. Tout est remis en question dès lors que sont devenus suspects les instruments de la morale, ceux de la culture, ceux de l'humanisme, ceux même de l'intelligence. Pas un des personnages de Rhinocéros n'échappe à la contamination. Bérenger luimême est sur le point de succomber. Ainsi quand Bérenger constate au deuxième acte que son ami a mauvaise mine, et que son teint est verdâtre ; Jean réplique : « Vous Jean répète une leçon apprise dont il n’a adorez me dire des choses désagréables. Et vous, vous êtes-vous regardé ? ». On pourrait jamais éprouvé les effets sur lui-même. dire que justement c'est parce qu'il est en colère qu'il ne se contrôle pas et répond de travers. Mais pourquoi alors se permet-il de jouer au moraliste, et de donner des conseils à Bérenger ? Car les règles qu'il lui donne sont manifestement creuses et vidées de leur substance : il répète une leçon apprise dont il n'a jamais éprouvé les effets sur lui-même. Il a beau dire qu'il veut fournir à Bérenger des armes pour lui apprendre la lutte pour la vie, il ne lui transmet que des mots, c'est-à-dire du vent. « Devenez un esprit vif et brillant. Mettez-vous à la page ». Que préconise-t-il ? De penser, d'utiliser son intelligence, c'est-à-dire que, par une pétition de principe, comme on dit justement en logique formelle, il tient pour admises les qualités mêmes qu'il s'agit pour Bérenger d'acquérir Et quand il lui conseille de visiter des musées, de lire des revues, d'assister à des conférences, c'est une certaine forme d'humanisme vide et sclérosé que Ionesco désire dénoncer, car ces recettes ne sont guère valables que pour des gens déjà cultivés. La preuve qu'il ne s'agit ici que de phrases toutes faites est que le burlesque apparaît sous l'ironie glacée de l'auteur. « En quatre semaines, vous êtes un homme cultivé », et Ionesco, comme Molière, se moque de lui-même : « Avez-vous vu, demande Jean à Bérenger, les pièces de Ionesco ? Il en passe une, en ce moment. Profitez-en, Ce sera une excellente initiation à la vie artistique de notre temps ». Et quand Bérenger, séduit, décide d'aller au musée l'après-midi même, et au théâtre le soir, Jean décline son invitation sous de mauvais prétextes. Etienne Frois, Rhinocéros. Ionesco. - 15 - 10. Eugène Ionesco. Vers l’absurde de toute vie. « Rien n’est comique, tout est tragique. Rien n’est tragique, tout est comique, Tout est réel, irréel, impossible, concevable, inconcevable. Tout est lourd, tout est léger. » Eugène Ionesco Né en 1909 à Slatina d’un père roumain, Eugène Ionesco passa son enfance en France, avant de retourner en Roumanie (1925-1938). Diplômé de l’université de Bucarest, il enseigna le français, tout en écrivant des articles pour des revues littéraires. En 1939, il se fixa définitivement en France, patrie de sa mère. Auteur de critiques, il se tourna vers le drame en 1948, parodiant dans ses premières pièces le théâtre de boulevard. Il rejeta d’emblée le réalisme en faveur de l’absurde, démontrant l’incapacité des gens à communiquer entre eux et le non-sens de la vie. Il s’éloigna des formes dramatiques traditionnelles pour privilégier le dialogue, souvent incohérent, et les pièces en un seul acte. Rhinocéros La Cantatrice chauve fut présentée en 1950, ce récit humoristique et méprisant de la vie de deux familles bourgeoises surprit et affligea la critique. Il poursuivit dans cette veine de l’anti-théâtre, avec des pièces cauchemardesques et ironiques. Dans La Leçon (1950), un professeur tue ses élèves verbalement, tandis que dans Les Chaises (1952), on assiste au raz-de-marée des illusions mortes et des rêves avortés, à l’envahissement par l’accessoire de notre vie quotidienne. La troisième pièce d'Ionesco, créée en 1952, reprise en 1956, connaît maintenant un succès qui ne se dément pas. Le sujet des Chaises est, nous dit l'auteur, « le vide ontologique » ; mais c'est aussi un drame personnel, le miroir d'une conscience. On y retrouve la nostalgie de l'enfance, le sentiment de culpabilité, l'horreur de la vieillesse et de la mort. C'est encore une comédie qui, bien souvent, excite le rire par ses clowneries, ses calembours, ses parodies, ses pirouettes. C'est un ballet : celui des chaises amoncelées dans le mouvement accéléré d'un tourbillon fantastique, et qui demeurent vides. Les vieux font semblant de recevoir une foule d'invités, jusqu'à ce qu'un seul personnage apparaisse enfin sur la scène : hallucination ? Vérité du théâtre ? L'Orateur tant attendu est sourd et muet, et la scène demeure vide, encombrée de chaises. Avec Amédée (1953), on voit grandir le cadavre symbolique des crimes et des mensonges qui détruira la vie d’un couple misérable. En 1959, Rhinocéros, inspiré du fascisme, transforme tous les hommes en bêtes lobtuses. Viendront ensuite Le Roi se meurt (1962), La Soif et la Faim (1964), Macbett (1972). Auteur d’ouvrages de réflexion sur le théâtre, dont le célèbre Notes et contre-notes, il connut la consécration d’être le premier auteur publié de son vivant dans la prestigieuse Pléiade. Il fut élu à l’Académie française en janvier 1970. Il expliqua sa conception de la dérision dans ses Notes et - 16 - Contre-notes et Journal en miettes. Dans son œuvre de maturité, influencée par les théories freudiennes, il explora le subconscient. Il meurt à Paris le 28 Mars 1994. Sous la variété et la diversité, se révèle se révèle une profonde continuité: il existe un univers ionescien, dans ces cryptes de l’âme où se conjuguent l’observation du monde et l’imagination. Ionesco l’évoque dans certaines pages de Notes et contre-notes. « Il y a peut-être une possibilité de faire de la critique: appréhender l’œuvre selon son langage, sa mythologie, son univers, l’écouter. Pour moi, tout théâtre qui s’attache à des problèmes secondaires (sociaux, histoires des autres, adultères) est un théâtre de diversion. C’est un nouveau surréalisme qu’il nous faudrait peut-être. Je peux croire que tout n’est qu’illusion, vide. Cependant, je n’arrive pas à me convaincre que la douleur n’est pas. Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Le comique est tragique, et la tragédie de l’homme dérisoire. Le trop de présence des objets exprime l’absence spirituelle. Le monde me semble tantôt lourd, encombrant, tantôt vide de toute substance, trop léger, évanescent, impondérable. Mon théâtre est très simple (...), visuel, primitif, enfantin. 11. Autour du spectacle Ecrits d’Eugène Ionesco choisis et lus par Philippe Macasdar, Directeur de Saint-Gervais Genève - Le Théâtre dans le cadre des représentations de Rhinocéros au TMG. Le samedi 17 septembre 2016 à 17h30 Au Théâtre des Marionnettes de Genève | Entrée gratuite Rhinocéros Faire vivre les objets, animer les décors « Ce n’est que lorsque j’ai écrit pour le théâtre, tout à fait par hasard et dans l’intention de le tourner en dérision, que je me suis mis à l’aimer, à le redécouvrir en moi, à le comprendre, à en être fasciné; et j’ai compris ce que, moi, j’avais à faire. (...) Si donc la valeur du théâtre était dans le grossissement des effets, il fallait les grossir davantage encore, les souligner, les accentuer au maximum. Pousser le théâtre au-delà de cette zone intermédiaire qui n’est ni théâtre, ni littérature, c’est le restituer à son cadre propre, à ses limites naturelles. Il fallait non pas cacher les ficelles, mais les rendre plus visibles encore, délibérément évidentes, aller à fond dans le grotesque, la caricature (...) Humour, oui, mais avec les moyens du burlesque. Un comique dur, sans finesse, excessif. Pas de comédies dramatiques, - 17 - non plus. Mais revenir à l’insoutenable. Pousser tout au paroxysme, là où sont les sources du tragique. Faire un théâtre de violence : violence comique, violemment dramatique. Éviter la psychologie ou plutôt lui donner une dimension métaphysique. Le théâtre est dans l’exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la plate réalité quotidienne. Dislocation aussi, désarticulation du langage… Mais il n’y a pas que la parole: le théâtre est une histoire qui se vit, recommençant à chaque représentation, et c’est aussi une histoire que l’on voit vivre. Le théâtre est autant visuel qu’auditif. Il n’est pas une suite d’images, comme le cinéma, mais une construction, une architecture mouvante d’images scéniques… Il est donc non seulement permis, mais recommandé de faire jouer les accessoires, faire vivre les objets, animer les décors, concrétiser les symboles. De même que la parole est continuée par le geste, le jeu, la pantomime, qui, au moment où la parole devient insuffisante, se substituent à elle, les éléments scéniques matériels peuvent l’amplifier à leur tour... De même, c’est après avoir désarticulé des personnages et des caractères théâtraux, après avoir rejeté un faux langage de théâtre, qu’il faut tenter, comme on l’a fait pour la peinture, de le réarticuler – purifié, essentialisé. Eugène Ionesco, Notes et Contre-Notes. Une pièce contre les hystéries collectives Rhinocéros Rhinocéros est sans doute une pièce antinazie, mais elle est aussi surtout une pièce contre les hystéries collectives et les épidémies qui se cachent sous le couvert de la raison et des idées, mais n'en sont pas moins de graves maladies collectives dont les idéologies ne sont que des alibis : si l'on s'aperçoit que l'histoire déraisonne, que les personnages des propagandes sont là pour masquer les contradictions qui existent entre les faits et les idéologies qui les appuient, si l'on jette sur l'actualité un regard lucide, cela suffit pour nous empêcher de succomber aux raisons irrationnelles, et pour échapper à tous les vertiges. Des partisans endoctrinés, de plusieurs bords, ont évidemment reproché à l'auteur d'avoir pris un parti anti-intellectualiste et d'avoir choisi comme héros un être plutôt simple. Mais j'ai considéré que je n'avais pas à présenter un système idéologique passionnel, pour l'opposer aux autres systèmes idéologiques et passionnels courants. J'ai pensé avoir tout simplement à montrer l'inanité de ces terribles systèmes, ce à quoi ils mènent, comme ils enflamment les gens, les abrutissent, puis les réduisent en esclavage. On s'apercevra certainement que les répliques de Botard, de Jean, de Dudard ne sont que des formules clés, les slogans des dogmes divers cachant, sous le masque de la froideur objective, les impulsions les plus irrationnelles et véhémentes. Rhinocéros est aussi une tentative de « démystification ». Eugène Ionesco, Préface à "Rhinocéros", 1960 - 18 - 8. La Compagnie des Hélices CétacoliK Création en juin 2000, parcs de Genève, Tournée jusqu’en décembre 2001 Roulotte Enchantée (Lausanne), Théâtre du Galpon (Genève), La Bavette (Monthey), Ponthaux (Fribourg), Magi-Malice (Sierre) Lady Lili Création en juillet 2001, parcs de Genève Tournée jusqu’en décembre 2001 Parcs de Genève Lausanne, Théâtre du Galpon (Genève), La Bavette (Monthey), Comédie de Genève, (manifestation privée) Amarillo City Création en décembre 2004, Théâtre du loup, Genève Tournée jusqu’en octobre 2005 La Bavette (Monthey), Le Petit Théâtre (Lausanne) Tranches Express Création en juillet 2006, parcs et quartiers de Genève Tournée jusqu’en août 2006 Lausanne et Genève FeroZcarril Re – création du spectacle Tranches Express avec une équipe colombienne, en coproduction avec le Festival International de Teatro de Manizales (octobre 2007) Tournée jusqu’en 2012 en Colombie. Un Os à la Noce Création en novembre 2008, au Théâtre de Marionnettes de Genève, en co-production avec le TMG et le Petit Théâtre de Lausanne (jan-fév. 2009). Tournée en Colombie, Romandie, Bâle, Espagne (jusqu’en 2011) Rhinocéros /El Rinoceronte Co-production colombo-suisse entre la Casa del Teatro Nacional de Bogota et SaintGervais Genève le Théâtre, tournée au Crochetan de Monthey (juillet - novembre 2011) L’Europe au Corps Une déambulation ludique et poétique dans le quartier de l’Europe - Genève Novembre 2012 Donne-moi 7 jours Co-production cie des Hélices / Théâtre de Marionnettes de Lausanne, puis tournée à l’Etincelle, MQJ de Genève, Théâtre et la Bavette, Monthey (novembre-décembre 2013), Festival Avignon le Off 2014, TMG automne 2015 - 19 - 9. L’Equipe artistique Isabelle Matter – Mise en scène et texte A la direction du Théâtre des Marionnettes de Genève (TMG) depuis juillet 2015, cette marionnettiste et metteure en scène, dramaturge et comédienne a co-fondé en 2000 la compagnie des Hélices. Elle y a conçu, écrit, mis en scène, interprété et réalisé différents types de spectacles mêlant comédiens et marionnettes. Ainsi des créations itinérantes comme CétacoliK, Lady Lili, Tranches Express et FeroZcarril, et des spectacles en salle comme Amarillo City. Et Un Os à la Noce, libre adaptation d’Antigone de Sophocle et jouée au TMG en 2010. Elle crée Rhinocéros d’Eugène Ionesco, dans le cadre d’un échange interculturel avec la Colombie. Au TMG, elle crée en décembre 2015, Le Roi tout nu d’après un conte d’Andersen et Si je rêve d’après l’œuvre de Calderón de La Barca, La Vie est un songe (avril 2016). Sa recherche vise à emmener le spectateur dans un univers original et sensible, tout en l’invitant à s’interroger sur les rouages de la représentation. Fredy Porras – Scénographie Il collabore depuis 1992 comme scénographe avec le Teatro Malandro, en tant que facteur de masques, comédien et costumier pour différentes productions. Il signe également les scénographies de L’Elisir D’Amor à l’Opéra de Nancy, Le Barbier de Séville à l’Opéra de la Monnaie, Don Pedro et le Commandeur à la Comédie Française, La Flûte Enchantée, au Grand Théâtre de Genève, La Périchole (Toulouse). En 1997, il co-fonde Déclic, où il met en scène, conçoit, réalise, interprète divers projets : Hors Cadre, Tenue Impeccable, Révéler l’invisible, Escale. Il met en scène d’autres créations telles que Plaine de Balayeuses, La Preuve du Contraire, d’Olivier Chiacchiari. En 2012, il réalise la scénographie de Rousseau, une promenade, mise en scène par Cyril Kaiser au Jardin Botanique. En 2013 il co-met en scène avec Michel Favre Les Frères Karamazov, au Théâtre de l’Alchimic. Pour des créations marionnettiques, il signe notamment l’univers scénographique de Un Os à la Noce, Rhinocéros, Le Roi tout nu, Si je rêve, que l’on a pu voir notamment au Théâtre des Marionnettes de Genève. Khaled Khouri – Jeu Né au Liban, il se forme à l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Genève, où il réside. On a pu le voir à l’écran dans des films de Lionel Baier (Garçon Stupide), de Romed Wyder (Absolut), de Claude Goretta (Sartre, l’Âge des Passions), et dans une grande quantité de courts-métrages (de Fredéric Landenberg, Hicham Alhayat, Maurizio Lopez, Clélia Santi notamment). Au théâtre, il joue sous la direction de metteurs en scène comme Jean-Louis Hourdin, Brigitte Jacques, Claude Stratz, Jean Liermier, Richard Vachoux, Anne Bisang (Salomé, 2008), Anne-Marie Delbart, Andrea Novicov, Gisèle Sallin, Marielle Pinsard, Martine Paschoud, Julien George. Il collabore régulièrement avec Lorenzo Malaguerra, notament dans un projet interculturel avec le Liban autour d’Antigone (2006-2008). Il joue aussi et chante dans I Tube You et Pessah mis en scène par Gaspard Boesch. Olivier Périat – Jeu Issu du Conservatoire d’Art Dramatique de Lausanne, il se forme également à l’Opéra de Pékin à l’Académie des Arts Traditionnels de Pékin. Lorsqu’il n’étudie pas en Chine, il joue pour des metteurs en scènes romands tels que Dominique Catton et Christianne Souter, Robert Sandoz, Simone Audemars, Laure Donzé, P-P. Ryngaert, Geneviève Pasquier. . On a pu le voir à Nuithonie dans L’Anniversaire de Pinter, mis en scène par Sylviane Tille, et dans Notre besoin de consolation est impossible à rassasier sous la direction de Christian Egger au Théâtre de Vidy. Il joue entre autres dans Cyrano, Falstaff et Cymbeline sous la direction de Frédéric Polier au Théâtre de - 20 - l’Orangerie, Isabelle Matter pour Rhinocéros de Ionesco au Théâtre Saint-Gervais ; Soyez poli, Monsieur Prévert et Barbabor de D. Catton et C. Souter au Théâtre Am Stram Gram, L’improbable vérité du monde de A. Madani et Comme un quartier de mandarine sur le point d’éclater de Camille Rebetez, mise en scène par Laure Donzé et Dunant de Michel Beretti, mes Simone Audemars à la Comédie de Genève. Il est également metteur en scène (récemment : Marlène, avec amour, de P-L Péclat, L’effet Coquelicot ou la perspective de l’abattoir de Thierry Romanens, Mange Ta Soupe, et Si le Soleil ne Revenait Pas avec la compagnie Youkali) Myriam Sintado –Jeu Comédienne issue de l’école Serge Martin, elle a joué notamment dans les mises en scène de Andrea Novicov, La Maison de Bernarda Alba et La Chasse aux Rats, de Richard Gauteron, Buen Camino de Gaspard Boesh, Pessah, de Michel Favre Le Saperleau et Feydau dans tous ses Etats, de Valentin Rossier, La Noce chez les Petits Bourgeois, de Rodrigo Garcia After Sun, et d’Oskar Gomez Mata Notes de Cuisine. Elle explore le monde de la marionnette à travers les créations Le Guignolu de la compagnie Avec des Si et a collaboré à L’Europe au corps de la Compagnie des Hélices. Au TMG, elle a joué dans Donne-moi sept jours (2015). Adrien Kessler – musicien Né à Genève, il est actif dans le monde de la musique sous bien des aspects. Il compose et interprète comme musicien solo dans AK Solo et Darling, dont sortiront plusieurs albums. Il est également membre fondateur du groupe Goz Of Kermeur, aujourd’hui disparu, mais qui essaimait les scènes alternatives européennes dans les années 90. Il travaille comme musicien, ingénieur du son, mixeur et monteur son pour le cinéma et la télévision, mais aussi pour des pièces et performance de poésie sonore. Il a écrit et interprété la musique pour la scène de différentes formations, notamment pour Yann Marussich (Haikus Urbains, 1997), pour les spectacles de la compagnie de l’Estuaire (Blizzard (1997), Un Fil de Soie (2000), pour le Titus Fall of Rome de Gabriel Alvarez, (2009). Il compose des musiques avec son univers décalé et déjanté, énergique et sensible notamment pour la compagnie Les Hélices (Cétacolik (2000), Lady Lili (2001), Un Os à la Noce (2008), Rhinocéros (2011). Horaire des représentations publiques RHINOCÉROS Septembre Jeu Ven Sam Dim Mar Mer Jeu Ven Sam Dim 15 16 17 18 20 21 22 23 24 25 --------------------- 19h00 19h00 19h00 17h00 20h00 19h00 19h00 19h00 19h00 17h00 - 21 - Prochain spectacle Les Misérables. Adultes, ados, dès 9 ans. | Du 28 sept. au 9 oct. 2016 Pour des informations complémentaires : Bertrand Tappolet Théâtre des Marionnettes de Genève 3, rue Rodo - cp 217 - 1205 genève 4 tél. 022 807 31 04 mobile 079 517 09 47 e-mail [email protected] Rhinocéros. Les photos de libres de droits de ce dossier sont d’Isabelle Meister. Elles sont à télécharger sur : www.marionnettes.ch – presse – images. Davantage d’informations sur : www.marionnettes.ch Théâtre des Marionnettes de Genève - Rue Rodo 3, 1205 Genève / Tél. 022/807.31.00 fax 022/807 31 01 T - 22 -