Dossier presse Rhinocéros TMG 2016

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Théâtre des Marionnettes de Genève
Dossier presse – saison 2016 - 2017
RHINOCÉROS
Un spectacle de la Cie des Hélice (Ge) en coproduction avec Saint-Gervais-Genève
– Le Théâtre, le Teatro Nacional de Bogotà et le Théâtre des Marionnettes de Genève
DU 15 AU 25 SEPTEMBRE 2016
Texte : Eugène Ionesco
Mise en scène : Isabelle Matter
Scénographie : Fredy Porras
Interprétation : Khaled Khouri, Olivier Périat et
Myriam Sintado
Musique : Adrien Kessler
Marionnettes et accessoires : Leah Babel,
Isabelle Matter
Costumes : Maria Galvez, Yuly Guerrero,
et Irène Schlatter
Lumière : Philippe Maeder
Son : Ludovic Guglielmazzi
Autour du spectacle
Ecrits d’Eugène Ionesco choisis et lus par
Philippe Macasdar.
Le samedi 17 septembre 2016 à 17h30.
Au Théâtre des Marionnettes de Genève |
Entrée gratuite
Marionnettes sur table, à gaine et
portées
Théâtre des Marionnettes de Genève
3 Rue Rodo | 1205 Genève
Réservations : 022 807 31 07
ou www.marionnettes.ch
90 minutes
Adultes, ados
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Le spectacle
1. L’histoire
Une étrange épidémie s’empare d’une petite
bourgade : la « rhinocérite ». Les habitants y
succombent et se transforment en rhinocéros. Tous,
sauf Bérenger, un anti-héros marginal, petit employé
de bureau qui résiste par anticonformisme plus que
par conviction idéologique. Cette pièce phare
d’Eugène Ionesco, grand maître du théâtre de
l’Absurde, évoque avec un humour féroce la
déshumanisation
des
rapports
sociaux
et
l’uniformisation de la pensée, ce terreau propice au
fanatisme et à l’extrémisme liberticides. La démarche
de l’auteur l’amène à mettre notamment en lumière
les caractéristiques des totalitarismes fondées sur une
glorification du chef, de l’autorité, de la force et du
futur aux dépends du présent. Au bestiaire
humoristique des chats se joint alors la dramatique
animalité des rhinocéros. La pièce façonne les
masques du rire et de la folie. Elle fouille le retour aux
instincts, à l’animalité, la soumission de l’homme au
pouvoir enivrant des systèmes.
Rhinocéros
Sur les vestiges des valeurs fondamentales de l’humanisme des Lumières qui exprimaient notre
fragilité et la complexité de notre humaine condition, les marionnettes racontent le
désenchantement du monde. Trois archivistes polyvalents déploient cette farce burlesque et
tragique en faisant surgir les personnages de fioles ou de poussiéreux cartons. Les marionnettes
vont grandissantes à mesure que la pièce nous approche des rapports sociaux plus intimes, et
que l’épidémie progresse. Elles disent la propension à céder aux mots d’ordre simplistes et à se
soumettre volontairement aux autoritarismes qui prônent l’ordre et la sécurité comme seul
horizon.
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2. Une fable burlesque et tragique
Dans les grandes lignes, Rhinocéros évoque une
maladie, une terrible épidémie qui s’empare des individus :
l’uniformisation de la pensée. Uniformisation qui, on l’a vu
au siècle passé, a pu conduire aux pires barbarismes.
Ecrite en 1958 par Ionesco puis jouée en 1959 en
Allemagne pour la première fois, cette pièce a été souvent
interprétée comme une dénonciation de la montée du
nazisme. 58 ans après, on peut en saisir les implications
contemporaines. De nos jours, il redevient courant de voir
certains discours politiques à tendance populiste foncer
dans le tas, s’approprier certaines thématiques sociales,
les instrumentaliser à travers le discours, en stimulant des
principes et des moteurs proches du monde animal
comme la peur, la valorisation de la force, de la morale
« naturelle », de l’instinct grégaire. L’économie néolibérale
et sa conception naturaliste des marchés ne fait guère
mieux en transformant l’humanité en bancs de
consommateurs de moins en moins acteurs de leurs vies.
Rhinocéros
Les valeurs fondamentales de l’humanisme des Lumières qui exprimaient notre fragilité et la
complexité de notre humaine condition sont bel et bien en danger.
Rhinocéros, avec son humour féroce et sa poésie absurde, questionne cette perte d’humanité contre
une vision brutale, bestiale, et envahissante du monde. Si le propos peut paraître pessimiste, la
formidable énergie qui se dégage de l’œuvre et de cet univers permet à l’art d’indiquer une voie pour
résister.
Compagnie Les Hélices
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3. Une singulière épidémie dans un théâtre de la mémoire
Rencontre avec Isabelle Matter, metteure en scène.
3.1. L’actualité de la fable
Quels sont les principaux éléments qui vous
ont attirés dans Rhinocéros ?
Isabelle Matter : La période était marquée en
2010 comme de nos jours par la résurgence de
discours populistes qui s’affichaient sans
complexe,
prenant
des
proportions
impressionnantes, tant au niveau suisse
qu’européen notamment.
Ces poussées de l’extrême droite expriment
Rhinocéros
notamment, par des propos et des slogans
simplistes, le retour à des valeurs supposées
traditionnelles et fondamentales. Toute la pensée humaniste se trouve dénigrée par des discours antiintellectualistes y pointant la cause de nombre de maux. Rhinocéros se révèle une pièce d’une grande
pertinence sur ces dimensions.
La pièce fut montée en 2011 dans le cadre d’une collaboration artistique avec la Colombie.
En Colombie, à l’époque, le gouvernement autoritaire a travaillé sur le langage, modifiant les sens de
certains mots. Ainsi la guerre civile qui sévissait dans le pays depuis 1948 ne comprenait plus des
« guérilleros », mais des « terroristes », une désignation visant à déshumaniser certaines parties du
conflit sans relever le rôle délétère et répressif joué notamment par les forces paramilitaires Un
discours guerrier dominait la vie politique où toute nuance avait disparu. « Si vous n'êtes pas avec moi,
vous êtes contre moi ». Comment discuter, comment penser dans ces conditions ? Autant s'adresser à
un rhinocéros...
La situation en Europe est évidemment très différente, mais les montées de discours autoritaires et
fanatiques qu'elle connaît renvoient à un sentiment d’étrangeté donnant l’impression de ne plus parler
la même langue que son interlocuteur.
Si le gouvernement a changé depuis en Colombie, en 2016, malheureusement l'Europe continue de
vivre sous la pression de l’extrême droite. La valorisation de la force, de l'instinct, du naturel, ne
pousse-elle pas Jean à déclarer à son ami Bérenger à l'acte II : « L'humanisme est périmé, vous êtes
un vieux sentimental ridicule ! »
En 2016, on peut songer à la situation en Autriche avec une avancée inédite depuis la fin de la
Seconde Guerre Mondiale de l’extrême droite lors des élections présidentielles de mai dernier
Ionesco est à mon sens une voix assez unique mêlant théâtre de l’absurde et constat désespéré sur la
fin des libertés et la montée des extrémismes de quelque bord qu’ils soient. Cette voix résonne
aujourd'hui alors qu'une majorité de la société civile accepte comme par une soumission volontaire et
par peur de ces extrémismes de renoncer à sa liberté.
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Cette volonté sécuritaire se manifeste par le biais notamment des caméras de télésurveillance ou du
traçage de l’humain par tout un maillage informatique. Or, il peut y avoir ici une forme de sacrifice de
l’humanisme et des libertés individuelles, de l’égalité sous la bannière de la sécurité devenue l’un des
leitmotivs de notre temps.
3.2. L’appel de la marionnette
Pourquoi le choix de la marionnette apparait-il comme une évidence pour cette pièce ?
L’approche du théâtre par Ionesco ne metelle pas en lumière les rouages et
mécanismes conscients et inconscients des
êtres et de la société ? Elle montre les
ficelles de la tragi-comédie sociale, et
disloque les codes de la narration ainsi que
les rapports entre réalisme et fantastique.
La marionnette permet ce que Ionesco
propose dans son théâtre : distance,
humour et poésie.
Il y a un mouvement de zoom
qui suit l’évolution de la pièce.
Il y a un mouvement de zoom qui suit l'évolution de la pièce. De petites marionnettes sorties de cartons
et fioles sur une étagère, au premier acte, on passe aux relations de travail. Les marionnettes, alors à
gaine, sont plus grandes tout en étant davantage investies par le corps du comédien. Ensuite, au stade
des relations plus intimes qu’elles soient amoureuses ou amicales, ce sont des marionnettes portées
auxquelles l’acteur prête ses jambes et une main. Enfin, pour un Bérenger plongé dans la plus haute
des solitudes et résistant comme on respire, c’est l’acteur en chair, torse dénudé qui prend le relais
mettant en mouvement émotions, respiration, désespoir et révolte.
3.3. Le décor
l’humanité
comme
mémoire
de
Parlez-nous de la transposition scénographique
avec étagères, bocaux et cartons avec ces
personnages d’archivistes, narrateurs et acteurs
incarnant certains personnages clefs du drame.
L’idée est venue de la fin de Rhinocéros, qui ne
laisse plus subsister que Bérenger. Il a résisté à la
pandémie de « rhinocérite » et lutte on ne sait
jusqu’à quand. Au début, on peut estimer qu’un
homme se « rhinocérise » par bêtise ou
conformisme. Mais des gens honnêtes et d’une
certaine intelligence succombent à leur tour à cette
maladie. Le dernier homme, au sens humaniste du
terme, devient alors comme une pièce à conviction
Rhinocéros
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de l'existence d'un autre monde, comme un spécimen conservé dans la mémoire de l'histoire.
Le théâtre se veut ici un lieu de la mémoire vivante. On peut imaginer que l’action se déroule dans les
soubassements d’un musée ou d'une bibliothèque conservant les dernières traces d’une humanité en
voie de disparition. Une humanité confrontée à des créatures « mastodontiques » qui jouent des aplats
à l’effigie animalière du rhinocéros. Comme le dernier exemplaire de son espèce, Bérenger, anti-héros
organique, est sorti de son bocal et mis en jeu. Un trio d’archivistes dévoile depuis ce monde en voie
d’être « rhinocérisé » les derniers souffles de l’humanité.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
4. Une mise en scène marionnettique
Jusqu’à quand existeront les derniers hommes ?
Nous avons situé cette œuvre dans des archives qui
conserveraient les derniers vestiges de l’humanité, dans un
monde rhinocérisé. Trois archivistes, métaphore ironique du
théâtre comme gardien de la mémoire, déballent la fable de
Ionesco des cartons poussiéreux et en exhibent les personnages,
marionnettes de différentes échelles.
Le recours à la marionnette pour entrer dans l’univers de Ionesco
m’est paru très naturel, presque évident. Les marionnettes sont un
support théâtral d’une puissance extraordinaire, qui va toucher à
l’essence des choses, à leur origine, qui révèle l’Homme dans sa
profonde nudité, et l’œuvre dans son squelette.
Dans notre version de Rhinocéros, nous proposons de souligner
le mouvement de la pièce de Ionesco, qui va de l’effet social
produit par le premier passage de rhinocéros à l’isolement humain
Rhinocéros
qui se produit sur Bérenger lorsque toute la ville est contaminée.
Le premier acte est ainsi présenté par des montreurs, types
d’archivistes qui sortent des cartons et fioles de petites marionnettes de table, et qui manipule ce
niveau macro-social, sur une étagère empoussiérée. Puis, nous passons à l’échelle des relations plus
fermées, les relations de travail. Nos marionnettes sont alors plus grandes, le corps de l’acteur les
pénètre un peu plus : des marionnettes à gaine. Viennent les moments des relations plus intimes,
d’amitié ou d’amour. Là, des marionnettes encore plus grandes se font face. Des marionnettes portées
auxquelles l’acteur prête ses jambes et une main. Et finalement, lorsque Bérenger reste seul, lorsque
s’exprime sa résistance du fond de ses tripes, c’est l’acteur en entier qui prend le relais, l’acteur dans
toute sa chair, avec ses émotions, sa respiration.
La manipulation à vue amplifie l’effet des marionnettes. Les acteurs manipulent les marionnettes et
articulent les éléments de la fable. Ils sont les montreurs qui transforment la matière et les mots en
signes. Ils partagent avec le public la conscience et le goût du jeu.
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L’univers scénographique des archives offre un terrain de jeu formidable à la pièce : jeu de
construction, et de déconstruction, jeu d’équilibre, mise en perspective des forces et des tensions.
Isabelle Matter
5. Des Rhinocéros et des Hommes
5.1. Familles de marionnettes
Dans Rhinocéros, deux familles de marionnettes se font face : les marionnettes humaines, et celles
des rhinocéros.
L’esthétique et les matériaux des premières soulignent la fragilité humaine, mettent en avant son
caractère inachevé, le caractère « bricolé », nuancé, complexe de l’être humain.
Des visages comme des masques, comme des figures adressées aux autres. L’intérieur est un
mystère, un vide intersidéral, que l’on peut remplir de toutes nos croyances sur la nature humaine. Nos
marionnettes humaines sont donc faites de ce relief, de ce jeu entre creux et plein. Une marionnette
n’est jamais complète, elle nécessite la main, la vie, l’âme du manipulateur pour exister, pour ne plus
être un simple objet inerte.
L’image du rhinocéros est aujourd’hui plus ambiguë qu’à l’époque où le texte a été écrit. Aujourd’hui, le
rhinocéros rime avec espèce menacée, avec un monde sauvage mis en danger par l’activité humaine.
A Genève, cette bête a même donné son nom à un haut lieu de la culture alternative et contestataire,
dans les années 90. Nous n’avons pas poussé aussi loin notre point de vue sur le rhinocéros. Restonsen à cette image « premier degré » du mastodonte. Que voit-on en effet lorsqu’on observe un
rhinocéros ? Une bête craintive au petit cerveau et à la masse immense. Une bête qui fonce droit
devant elle. Une bête qui ne peut pas regarder à côté d’elle ou derrière elle. Une bête qui ne peut pas
tellement faire dans la nuance…
Prenons le rhinocéros comme l’image de l’aplatissement de la réalité, l’abêtissement, la
« certitudisation », la simplification… Nos rhinocéros sont ainsi des à-plats d’images photographiques.
Compagnie des Hélices
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5.2. Une musique jubilatoire et dramatique
Dans la pièce, les effets littéraires et les effets
scéniques surgissent comme autant d’éléments
d’une même partition. La musique les intègre dans
sa composition.
Dans Rhinocéros, il s’agit par la musique,
de valoriser cette sorte d’euphorie tragique
qui s’empare de ces futurs ex-humains. La
musique a une mission importante de soutien
rythmique et de mise en chanson des parties
les plus scandées. Son atmosphère se veut
démantibulée, vieillotte et son humour se doit
d’être sensible. La musique peut aussi
dramatiser certaines parties. L’intérêt est de
trouver le contre-pied inattendu qui permet la surprise.
Rhinocéros
La musique est ici enregistrée. L’instrumentation se compose de percussions diverses, y compris
casseroles, piano et piano préparé, contrebasse, cœurs, et soutiens virtuels (ordinateur).
Adrien Kessler, musicien
6. Synopsis de la pièce et personnages
Acte I
Les personnages de cette petite ville de province se rencontrent un dimanche matin au café. Tout à
coup, un rhinocéros passe. Tout le monde est épouvanté. Quand un rhinocéros dans sa course écrase
le chat d’une ménagère, on pressent qu’un danger menaçant plane sur la petite ville. Jean fait la
morale à Bérenger qui avoue être mal dans sa peau. Il perd tous ses moyens lorsque Daisy, dont il est
amoureux, passe.
Acte II
Tableau I : Le lendemain matin dans le bureau d’une administration, les employés se disputent au sujet
des rhinocéros. Bérenger arrive en retard. Contrairement à son habitude, M. Bœuf n’est pas encore là.
On apprend par sa femme que M. Bœuf vient à son tour de devenir rhinocéros. Elle part sur son dos.
Les rhinocéros de plus en plus nombreux ont détruit l’escalier et les fonctionnaires sont bloqués. Ils
sont libérés par les pompiers qui ne savent plus où donner de la tête.
Tableau II : Bérenger rend visite à Jean qui approuve ces métamorphoses : la civilisation humaine doit
être démolie, balayée. A son tour, il se métamorphose en rhinocéros.
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Acte III
Quelques jours plus tard, Bérenger reçoit la visite de Dudard, puis de Daisy. Ils sont environnés par les
animaux. Daisy et Bérenger se déclarent leur amour mais elle se transforme à son tour. Il ne reste que
Bérenger. Il est tenté par la transformation mais il se rend compte qu’il ne peut se transformer. Puis il
se ravise : seul, il se battra et résistera.
Personnages principaux
B érenger
C’est le personnage principal. Il boit, se laisse aller, il paraît faible et naïf. Il est défaitiste. S’il est le seul
à ne pas se transformer en rhinocéros, c’est parce qu’il a son bon sens, il n’est pas conformiste comme
tous ceux qui l’entourent.
Bérenger a, en effet, des qualités réelles. Il n'a pas fait d'études, mais a le désir naïf de s'instruire. A
défaut d'intelligence profonde, il a du cœur et surtout un grand bon sens, et la juste mesure des mots.
Les expressions comme « je sens » et « il me semble » font partie de son vocabulaire et si, à la fin du
premier acte, il s'est laissé emporter contre Jean, il se reproche bientôt son attitude, et cherche vite à
se réconcilier avec lui. C'est l'objet de sa visite au deuxième acte : constatant avec effroi les progrès de
la maladie de son ami, il s'inquiète et veut appeler le médecin. Ce n'est que lorsque la mutation est
accomplie que Bérenger comprend le danger, mais l'interrogation du deuxième acte ne fait que
souligner son impuissance : « Comment faire ? »,
J ean
L’ami de Bérenger. Pourtant, ils ne se ressemblent pas du tout : Jean est très conformiste,
égocentrique, il refuse d’écouter et des comprendre les autres, il se vexe très facilement.
Jean est loin d'offrir les nuances psychologiques de son ami, et pourtant, il ne manque pas d'intérêt
dans la mesure où son caractère le prédisposait à devenir rhinocéros. Un je ne sais quoi de trop
voyant dans sa toilette nous avait dès le début du premier acte fait douter de son goût et, dès ses
premiers mots, son manque d'indulgence et même sa dureté nous frappent péniblement. Des phrases
comme « J'ai honte d'être votre ami » ou « Je vous vaux bien » ; et même, sans fausse modestie, je
vaux mieux que vous » témoignent bien d'une agressivité peu commune et, dans la discussion qui suit,
comme dans les leçons qu'il prétend donner à Bérenger, il fait preuve d'autant de prétention que de
mauvaise foi. Homme des certitudes, il a réponse à tout. Il ne se rend pas compte de son ridicule
quand il répète, sans les appliquer lui-même et sans les comprendre, les recettes de la culture-pourtous : « Visitez les musées, lisez des revues littéraires, allez entendre des conférences (...) En quatre
semaines, vous êtes un homme cultivé ». Par-dessus tout, il a l’esprit de contradiction poussé à
l’extrême, et l’insulte est prête à jaillir quand l’interlocuteur se permet de ne pas être de son avis.
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B otard
Collègue de Bérenger. Il a des idées fixes. C’est un ancien instituteur, il symbolise donc un certain type
de savoir, il incarne l’école publique, laïque et obligatoire. Il confond méthode et vérité, il fonctionne par
association d’idées. Il est donneur de leçons.
Disons, pour simplifier, que Jean représenterait plutôt un extrémisme de droite raciste, et Botard un
extrémisme de gauche ou d'extrême-gauche, antiraciste certes, mais tout aussi borné. Aucun d'entre
eux n'a la moindre lumière d'intelligence, mais Jean est plus angoissant, Botard plus ridicule. Il
deviendra même odieux quand nous apprendrons par Daisy au troisième acte qu'il a succombé — on
peut dire volontairement — à la rhinocérite, puis qu'après avoir manifesté violemment son indignation
lors de la transformation de son chef, M. Papillon, il le suivra par conformisme, ou par lâcheté. Ses
grands mots n'étaient donc que du vent.
Dudard
Collègue de Bérenger. Symbolise le savoir universitaire. Lui et le logicien (qui apparaît acte I) sont
deux images catastrophiques des intellectuels. Botard et Dudard : la terminaison «-ard» est péjorative.
Dudard, par son calme, par sa culture, paraissait armé, lui, pour résister à la rhinocérite. Et c'est
justement cette sérénité et cet humanisme qui l'ont perdu parce qu'ils ont abouti au scepticisme. A
force de vouloir peser les choses, Dudard en est venu à ne plus sentir à quel moment il fallait savoir
dire non. Ne reprend-il pas -pour son confort personnel — le vieil adage : comprendre, c'est justifier ?
Par son analyse impitoyable du cas de Dudard, Ionesco nous amène, plus encore qu'avec les autres
personnages, à nous interroger
Dais y
Jeune dactylo, Daisy représente dans la pièce l'élément féminin, l'image de la femme aimée, désirée et
consolatrice. Lors de sa première apparition, elle cherche à consoler la ménagère dont le chat vient de
mourir, écrasé par le rhinocéros. Puis elle tente de calmer Jean et Bérenger qui se disputent.
Elle est toujours complaisante et prête à tout arranger. Elle aime bien Bérenger qui, lui, en est épris.
Daisy quittera Bérenger et ne résistera pas à l'appel des autres rhinocéros : elle les trouve beaux
comme des dieux ; ce sont eux qui sont désormais normaux. La tentation de se fondre dans la masse
est la plus forte.
M. P apillon
C’est le supérieur de Bérenger.
L e C hoeur
La ménagère, l'épicier, l'épicière, le patron du café, la serveuse, le vieux monsieur ne sont que des
masques. Ils représentent le Chœur, comme dans la tragédie antique, nécessaire ici pour commenter
les événements du premier acte. Mais ils les commentent avec des lieux communs et des banalités, ou
surtout des propos qui n'ont rien à voir avec la gravité de la situation, et ne témoignent que de
l'indifférence générale. On s'apitoie sur la ménagère, l'épicier songe à lui vendre une autre bouteille de
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vin, le vieux monsieur à profiter de l'occasion pour lui faire une déclaration galante, le patron à faire
payer les verres cassés à la serveuse, tout le monde s'attendrit sur le chat écrasé, mais personne
n'agit : personne (sauf plus tard Bérenger) ne se dit que la présence insolite du rhinocéros exige des
mesures urgentes. On ne se soucie que de son intérêt personnel, on parle et c'est tout.
L e L ogicien
Il fabrique des raisonnements truqués et, bâtissant dans le vide, aboutit à des conclusions burlesques
ou démentielles. Le logicien conserve jusqu'au bout un calme imperturbable qui souligne plus encore la
vanité ou la monstruosité de sa logique. Symbole des peudos-intellectuels et des « idéologues »,
traître au langage, donc à la pensée, il est l'anti-Bérenger par excellence, et il était normal que son
imposture le menât à la démission, et peut-être même à la « collaboration », tant s'impose par
moments dans cette pièce le souvenir des années sombres de l'Occupation. Mais « collaboration » au
sens large, avec toutes les puissances infernales de destruction de la pensée et d'aliénation de
l’homme. A partir du moment ou ion malmène ou détraque ce merveilleux instrument qu'est ou pourrait
être le langage, semble nous dire Ionesco, à partir du moment où la mécanique tourne à vide, et où
l'automatisme s'empare des mots, tout devient possible : la rhinocérite nous guette.
Etienne Frois, agrégé de lettres, Rhinocéros. Ionesco.
7. La pièce dans son temps
« Être comme un homme qui circulerait, avec une lanterne,
dans les ténèbres, n'éclairant qu'un tout petit espace
autour de lui à mesure qu'il avancerait.
Le cercle lumineux se déplace et tout le reste
est ou retourne à nouveau dans la nuit la plus profonde…
Seule luit la conscience d'un présent, d'un instant éveillé. »
Eugène Ionesco, Présent passé, passé présent
Le théâtre des années cinquante a été
renouvelé entre autres par deux dramaturges,
Un langage absurde qui réduit les
Eugène Ionesco et Samuel Beckett. Le drame
psychologique, la tragédie antique revisitée
personnages au rang de pantins.
(Giraudoux), la comédie sont désormais
écartés, et la mise en scène est réduite à
quelques objets emblématiques, à un décor
saugrenu. Les obsessions des personnages
sont « cultivées » par des monologues confus
ou des dialogues illusoires, dans lesquels le langage - son pouvoir, ses structures, ses préjugés
idéologiques - est sans cesse remis en cause.
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Ce nouveau théâtre a parfois été nommé le « Théâtre de l’Absurde », car il rappelle en effet les thèmes
existentialistes des oeuvres de Sartre ou de Camus. Toutefois, cet absurde ne semble pas aboutir à un
engagement (Sartre) ou à une révolte (Camus). Personnages et situations chez Ionesco et Beckett
semblent plutôt s’immobiliser dans un tragique total, un nihilisme sans fin. La nature absurde de ce «
nouveau théâtre » trouve également ses origines dans le mouvement surréaliste, et plus
généralement, dans le rejet des propagandes totalitaires, fascisantes, qui ont tant marqué les
premières décennies du 20e siècle.
La particularité de Eugène Ionesco et Samuel Beckett est qu’ils ont exposé une philosophie dans un
langage lui-même absurde qui réduit les personnages au rang de pantins, détruit entre eux toutes
possibilités de communication, ôte toute cohérence à l’intrigue et toute logique aux propos tenus sur
scène.
L’absurdité des situations mais également la déstructuration du langage lui-même ont fait de ce style
théâtral un mouvement dramatique à part entière. Ce type de théâtre montre une existence dénuée de
signification et met en scène la déraison du monde dans laquelle l’humanité se perd. Il désigne
essentiellement le théâtre de Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Fernando Arrabal, les premières
pièces d’Adamov et de Jean Genet…
Cette conception trouva appui dans les écrits théoriques d’Antonin Artaud, Le Théâtre et son double
(1938), et dans la notion brechtienne de l’effet de distanciation (Verfremdungseffekt). L’apparente
absurdité de la vie est un thème existentialiste que l’on trouvait chez Sartre et Camus mais ceux-ci
utilisaient les outils de la dramaturgie conventionnelle et développaient le thème dans un ordre
rationnel.
Sans doute influencé par Huis clos (1944) de Sartre, le théâtre de l’absurde ne fut ni un mouvement ni
une école et tous les écrivains concernés étaient extrêmement individualistes et formaient un groupe
hétérogène. Ce qu’ils avaient en commun, cependant, outre le fait qu’ils n’appartenaient pas à la
société bourgeoise française, résidait dans un rejet global du théâtre occidental pour son adhésion à la
caractérisation psychologique, à une structure cohérente, une intrigue et la confiance dans la
communication par le dialogue. Héritiers d’Alfred Jarry et des surréalistes, Samuel Beckett (En
attendant Godot, 1953, Fin de partie, 1957) ou Jean Vauthier (Capitaine Bada, 1950) introduisirent
l’absurde au sein même du langage, exprimant ainsi la difficulté à communiquer, à élucider le sens des
mots et l’angoisse de ne pas y parvenir.
Ils montraient des antihéros aux prises avec leur misère métaphysique, des êtres errants sans repère,
prisonniers de forces invisibles dans un univers hostile (La Parodie d’Adamov, 1949 ; Les Bonnes de
Jean Genet, 1947 ; La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco, 1950). Par des processus de distanciation
et de dépersonnalisation, ces pièces démontent les structures de la conscience, de la logique et du
langage.
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8. La monstruosité du fanatisme
« On s'est employé à exorciser et à déceler les sources de la haine, en vain.
Comment pourrions-nous nous purger de cet enfer ?
Je me fais peur à moi-même et chaque visage nouveau
me met en panique : quel est l'enfer, quelle sorte d'enfer s'abrite sous cette façade ? »
Eugène Ionesco, Journal en miettes
Dans
Rhinocéros,
pièce
écrite
immédiatement après Tueur sans gages,
Ionesco a choisi un animal solitaire pour traiter
Ionesco dénonce le danger du fanatisme.
L'angoisse métaphysique
se
double
des phénomènes d’hystérie collective.
désormais de préoccupations politiques,
qui, plus ou moins directement, seront
toujours inscrites dans son œuvre. Ici, le
Tueur est nommé : c'est l'homme. Dans
Antidotes, Ionesco fait remarquer que, chez
Bosch, le diable n'est jamais peint sous les traits de la hideuse bête cornue que le Moyen Age a
imaginée, mais que ce sont les hommes qui se transforment en animaux monstrueux. Dans ses
paradis, sereins au premier coup d'œil seulement, des crabes, des scorpions menacent, dès le jour de
la création, Adam et Eve sur qui Dieu semble pourtant veiller. Il en est de même dans Rhinocéros, où
la « bête cornue », c'est l'homme.
« L'enfer n'est pas ailleurs, l'enfer est ici, il est en nous, nous sommes l'enfer. »
(Antidotes.)
La pièce s'ouvre dans une atmosphère de sérénité. Par un beau dimanche, à midi, les habitants d'une
petite ville de province se retrouvent avec plaisir sur la place. Mais la paix n'est que de courte durée.
Le mal frappe d'emblée, bien plus tôt que dans Tueur sans gages, avant même que l'homme n'ait eu
le temps de jouir de la vie (…)
On peut se demander pourquoi Ionesco choisit le rhinocéros, qui vit en solitaire, plutôt qu'un animal
grégaire. Il semble hésiter lui-même sur les raisons qui ont dicté son choix.
« J'aurais dû dire "moutons féroces". Mes rhinocéros sont des moutons qui deviennent enrages.
(...) Je cherchais un animal terrible, borne, qui fonce droit devant lui. En feuilletant le Larousse, je
suis tombe, par hasard, sur le mot et l'image d'un rhinocéros. A dire vrai, ce mot, je venais de le
retrouver, car je l'avais employé auparavant dans mon journal intime de Roumanie, des années
trente, et je l'avais complètement oublié. » (Antidotes).
Tellement hanté par les images de la solitude, Ionesco a choisi, malgré lui, un animal solitaire comme
symbole des phénomènes d'hystéries collectives, le hasard, la page ouverte dans le dictionnaire
n'étant là que pour favoriser le choix inconscient…
- 13 -
Une seule métamorphose s'opère sur scène,
celle de Jean, devant Bérenger, qui y assiste,
impuissant. Les étapes en sont marquées,
scénographiquement, par ses allées et venues
de sa chambre à la salle de bains, située en
coulisses, où il va regarder dans la glace la
bosse qui est apparue sur son front. Chaque fois
qu'il revient, il est un peu plus proche de l'animal,
sa respiration est bruyante, ses veines se
gonflent, sa bosse grossit, la couleur de sa peau
change. Chaque contemplation nouvelle dans le
miroir entraîne une modification du corps, car,
Rhinocéros
lorsque Jean regarde sa propre image, il
s'identifie de plus en plus à une bête. Le « moiidéal » modèle le corps. Deux moments marquent l'entrée de Jean dans le monde animal. Il enlève sa
veste de pyjama, et Bérenger découvre avec horreur que sa poitrine et son dos sont verts. Puis il ôte
son pantalon, car il se sent gêné dans ses vêtements. Tout nu, il fonce sur Bérenger, tête baissée, en
barrissant…
A la fin de la pièce, lorsque tous l'ont quitté pour rejoindre les rangs des rhinocéros, Bérenger est au
comble de l'angoisse. Le danger est au-dedans comme au-dehors. Les rhinocéros, qui le cernent de
toutes parts, vont démolir sa maison et l'écraser. Mais il tremble aussi car il ne sait plus qui il est, au
milieu de tous ces monstres. Il tente vainement de rappeler Daisy, qui vient de s'enfuir, dernier visage
humain qu'il ait contemplé. Puis il se bouche les oreilles avec du coton et ferme les fenêtres pour ne
plus ni voir ni entendre les rhinocéros qui l'obsèdent. Il cherche désespérément dans sa chambre une
image d'homme, se regarde dans la glace. Il sort des photos de ses collègues de bureau, mais il ne
reconnaît plus personne. Il installe au mur deux tableaux - le portrait d'un vieillard, d'une grosse
femme, celui d'un autre homme - qu'il décroche bien vite et qu'il piétine avec rage, tant il les trouve
hideux face aux rhinocéros. Désespéré par sa propre laideur, accablé par sa solitude, il éprouve
brusquement le désir de rejoindre le groupe et tente vainement de barrir :
« Je suis un monstre, hélas ! Jamais je ne deviendrai rhinocéros. »
Il contemple son corps qui lui est devenu étranger, et hurle de terreur, épouvanté d'avoir perdu, en
même temps que toute possibilité d'identification, son identité. Sa différence lui apparaît brusquement
comme une monstruosité.
Marie-Claude Hubert (professeur de littérature française à l’Université de Provence, spécialiste du théâtre des
années 50), Eugène Ionesco.
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9. La satire du langage stéréotypé
Un des thèmes principaux que nous rencontrons dans cette pièce, comme dans toutes les autres
pièces de Ionesco, est encore et toujours la satire du langage stéréotypé. Mais elle n'a plus l'aspect
d'un jeu gratuit, comme par exemple dans La Cantatrice chauve. Elle s'intègre cette fois à une critique
de la société, et plaide pour une défense de l'homme. Tout est remis en question dès lors que sont
devenus suspects les instruments de la morale, ceux de la culture, ceux de l'humanisme, ceux même
de l'intelligence. Pas un des personnages de Rhinocéros n'échappe à la contamination. Bérenger luimême est sur le point de succomber.
Ainsi quand Bérenger constate au deuxième
acte que son ami a mauvaise mine, et que
son teint est verdâtre ; Jean réplique : « Vous
Jean répète une leçon apprise dont il n’a
adorez me dire des choses désagréables. Et
vous, vous êtes-vous regardé ? ». On pourrait
jamais éprouvé les effets sur lui-même.
dire que justement c'est parce qu'il est en
colère qu'il ne se contrôle pas et répond de
travers. Mais pourquoi alors se permet-il de
jouer au moraliste, et de donner des conseils
à Bérenger ? Car les règles qu'il lui donne
sont manifestement creuses et vidées de leur substance : il répète une leçon apprise dont il n'a jamais
éprouvé les effets sur lui-même.
Il a beau dire qu'il veut fournir à Bérenger des armes pour lui apprendre la lutte pour la vie, il ne lui
transmet que des mots, c'est-à-dire du vent. « Devenez un esprit vif et brillant.
Mettez-vous à la page ». Que préconise-t-il ? De penser, d'utiliser son intelligence, c'est-à-dire que, par
une pétition de principe, comme on dit justement en logique formelle, il tient pour admises les qualités
mêmes qu'il s'agit pour Bérenger d'acquérir Et quand il lui conseille de visiter des musées, de lire des
revues, d'assister à des conférences, c'est une certaine forme d'humanisme vide et sclérosé que
Ionesco désire dénoncer, car ces recettes ne sont guère valables que pour des gens déjà cultivés. La
preuve qu'il ne s'agit ici que de phrases toutes faites est que le burlesque apparaît sous l'ironie glacée
de l'auteur. « En quatre semaines, vous êtes un homme cultivé », et Ionesco, comme Molière, se
moque de lui-même : « Avez-vous vu, demande Jean à Bérenger, les pièces
de Ionesco ? Il en passe une, en ce moment. Profitez-en, Ce sera une excellente initiation à la vie
artistique de notre temps ». Et quand Bérenger, séduit, décide d'aller au musée l'après-midi même, et
au théâtre le soir, Jean décline son invitation sous de mauvais prétextes.
Etienne Frois, Rhinocéros. Ionesco.
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10. Eugène Ionesco. Vers l’absurde de toute vie.
« Rien n’est comique, tout est tragique.
Rien n’est tragique, tout est comique,
Tout est réel, irréel, impossible, concevable,
inconcevable. Tout est lourd, tout est léger. »
Eugène Ionesco
Né en 1909 à Slatina d’un père roumain, Eugène
Ionesco passa son enfance en France, avant de
retourner en Roumanie (1925-1938). Diplômé de
l’université de Bucarest, il enseigna le français, tout
en écrivant des articles pour des revues littéraires.
En 1939, il se fixa définitivement en France, patrie
de sa mère. Auteur de critiques, il se tourna vers le
drame en 1948, parodiant dans ses premières
pièces le théâtre de boulevard. Il rejeta d’emblée le
réalisme en faveur de l’absurde, démontrant
l’incapacité des gens à communiquer entre eux et
le non-sens de la vie. Il s’éloigna des formes
dramatiques traditionnelles pour privilégier le
dialogue, souvent incohérent, et les pièces en un seul acte.
Rhinocéros
La Cantatrice chauve fut présentée en 1950, ce récit humoristique et méprisant de la vie de deux
familles bourgeoises surprit et affligea la critique. Il poursuivit dans cette veine de l’anti-théâtre, avec
des pièces cauchemardesques et ironiques. Dans La Leçon (1950), un professeur tue ses élèves
verbalement, tandis que dans Les Chaises (1952), on assiste au raz-de-marée des illusions mortes et
des rêves avortés, à l’envahissement par l’accessoire de notre vie quotidienne. La troisième pièce
d'Ionesco, créée en 1952, reprise en 1956, connaît maintenant un succès qui ne se dément pas. Le
sujet des Chaises est, nous dit l'auteur, « le vide ontologique » ; mais c'est aussi un drame personnel,
le miroir d'une conscience. On y retrouve la nostalgie de l'enfance, le sentiment de culpabilité, l'horreur
de la vieillesse et de la mort. C'est encore une comédie qui, bien souvent, excite le rire par ses
clowneries, ses calembours, ses parodies, ses pirouettes. C'est un ballet : celui des chaises
amoncelées dans le mouvement accéléré d'un tourbillon fantastique, et qui demeurent vides. Les vieux
font semblant de recevoir une foule d'invités, jusqu'à ce qu'un seul personnage apparaisse enfin sur la
scène : hallucination ? Vérité du théâtre ? L'Orateur tant attendu est sourd et muet, et la scène
demeure vide, encombrée de chaises.
Avec Amédée (1953), on voit grandir le cadavre symbolique des crimes et des mensonges qui détruira
la vie d’un couple misérable. En 1959, Rhinocéros, inspiré du fascisme, transforme tous les hommes
en bêtes lobtuses. Viendront ensuite Le Roi se meurt (1962), La Soif et la Faim (1964), Macbett
(1972).
Auteur d’ouvrages de réflexion sur le théâtre, dont le célèbre Notes et contre-notes, il connut la
consécration d’être le premier auteur publié de son vivant dans la prestigieuse Pléiade. Il fut élu à
l’Académie française en janvier 1970. Il expliqua sa conception de la dérision dans ses Notes et
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Contre-notes et Journal en miettes. Dans son œuvre de maturité, influencée par les théories
freudiennes, il explora le subconscient. Il meurt à Paris le 28 Mars 1994.
Sous la variété et la diversité, se révèle se révèle une profonde continuité: il existe un univers
ionescien, dans ces cryptes de l’âme où se conjuguent l’observation du monde et l’imagination.
Ionesco l’évoque dans certaines pages de Notes et contre-notes. « Il y a peut-être une possibilité de
faire de la critique: appréhender l’œuvre selon son langage, sa mythologie, son univers, l’écouter. Pour
moi, tout théâtre qui s’attache à des problèmes secondaires (sociaux, histoires des autres, adultères)
est un théâtre de diversion. C’est un nouveau surréalisme qu’il nous faudrait peut-être.
Je peux croire que tout n’est qu’illusion, vide. Cependant, je n’arrive pas à me convaincre que la
douleur n’est pas.
Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. Le comique
est tragique, et la tragédie de l’homme dérisoire.
Le trop de présence des objets exprime l’absence spirituelle. Le monde me semble tantôt lourd,
encombrant, tantôt vide de toute substance, trop léger, évanescent, impondérable.
Mon théâtre est très simple (...), visuel, primitif, enfantin.
11. Autour du spectacle
Ecrits d’Eugène Ionesco choisis et lus par
Philippe Macasdar, Directeur de Saint-Gervais
Genève - Le Théâtre dans le cadre des
représentations de Rhinocéros au TMG.
Le samedi 17 septembre 2016 à 17h30
Au Théâtre des Marionnettes de Genève |
Entrée gratuite
Rhinocéros
Faire vivre les objets, animer les décors
« Ce n’est que lorsque j’ai écrit pour le théâtre, tout à fait par hasard et dans l’intention de le tourner en
dérision, que je me suis mis à l’aimer, à le redécouvrir en moi, à le comprendre, à en être fasciné; et j’ai
compris ce que, moi, j’avais à faire. (...) Si donc la valeur du théâtre était dans le grossissement des
effets, il fallait les grossir davantage encore, les souligner, les accentuer au maximum. Pousser le
théâtre au-delà de cette zone intermédiaire qui n’est ni théâtre, ni littérature, c’est le restituer à son
cadre propre, à ses limites naturelles. Il fallait non pas cacher les ficelles, mais les rendre plus visibles
encore, délibérément évidentes, aller à fond dans le grotesque, la caricature (...) Humour, oui, mais
avec les moyens du burlesque. Un comique dur, sans finesse, excessif. Pas de comédies dramatiques,
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non plus. Mais revenir à l’insoutenable. Pousser tout au paroxysme, là où sont les sources du tragique.
Faire un théâtre de violence : violence comique, violemment dramatique.
Éviter la psychologie ou plutôt lui donner une dimension métaphysique. Le théâtre est dans
l’exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la plate réalité quotidienne. Dislocation
aussi, désarticulation du langage…
Mais il n’y a pas que la parole: le théâtre est une histoire qui se vit, recommençant à chaque
représentation, et c’est aussi une histoire que l’on voit vivre. Le théâtre est autant visuel qu’auditif. Il
n’est pas une suite d’images, comme le cinéma, mais une construction, une architecture mouvante
d’images scéniques… Il est donc non seulement permis, mais recommandé de faire jouer les
accessoires, faire vivre les objets, animer les décors, concrétiser les symboles.
De même que la parole est continuée par le geste, le jeu, la pantomime, qui, au moment où la parole
devient insuffisante, se substituent à elle, les éléments scéniques matériels peuvent l’amplifier à leur
tour...
De même, c’est après avoir désarticulé des
personnages et des caractères théâtraux, après
avoir rejeté un faux langage de théâtre, qu’il faut
tenter, comme on l’a fait pour la peinture, de le
réarticuler – purifié, essentialisé.
Eugène Ionesco, Notes et Contre-Notes.
Une pièce contre les hystéries collectives
Rhinocéros
Rhinocéros est sans doute une pièce antinazie, mais elle est aussi surtout une pièce contre les
hystéries collectives et les épidémies qui se cachent sous le couvert de la raison et des idées, mais
n'en sont pas moins de graves maladies collectives dont les idéologies ne sont que des alibis : si l'on
s'aperçoit que l'histoire déraisonne, que les personnages des propagandes sont là pour masquer les
contradictions qui existent entre les faits et les idéologies qui les appuient, si l'on jette sur l'actualité un
regard lucide, cela suffit pour nous empêcher de succomber aux raisons irrationnelles, et pour
échapper à tous les vertiges.
Des partisans endoctrinés, de plusieurs bords, ont évidemment reproché à l'auteur d'avoir pris un parti
anti-intellectualiste et d'avoir choisi comme héros un être plutôt simple. Mais j'ai considéré que je
n'avais pas à présenter un système idéologique passionnel, pour l'opposer aux autres systèmes
idéologiques et passionnels courants. J'ai pensé avoir tout simplement à montrer l'inanité de ces
terribles systèmes, ce à quoi ils mènent, comme ils enflamment les gens, les abrutissent, puis les
réduisent en esclavage. On s'apercevra certainement que les répliques de Botard, de Jean, de Dudard
ne sont que des formules clés, les slogans des dogmes divers cachant, sous le masque de la froideur
objective, les impulsions les plus irrationnelles et véhémentes. Rhinocéros est aussi une tentative de «
démystification ».
Eugène Ionesco, Préface à "Rhinocéros", 1960
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8. La Compagnie des Hélices
CétacoliK
Création en juin 2000, parcs de Genève,
Tournée jusqu’en décembre 2001
Roulotte Enchantée (Lausanne), Théâtre du
Galpon (Genève), La Bavette (Monthey),
Ponthaux (Fribourg), Magi-Malice (Sierre)
Lady Lili
Création en juillet 2001, parcs de Genève
Tournée jusqu’en décembre 2001
Parcs de Genève Lausanne, Théâtre du
Galpon (Genève), La Bavette (Monthey),
Comédie de Genève, (manifestation privée)
Amarillo City
Création en décembre 2004, Théâtre du loup,
Genève
Tournée jusqu’en octobre 2005
La Bavette (Monthey), Le Petit Théâtre
(Lausanne)
Tranches Express
Création en juillet 2006, parcs et quartiers de
Genève
Tournée jusqu’en août 2006
Lausanne et Genève
FeroZcarril
Re – création du spectacle Tranches Express
avec une équipe colombienne, en coproduction avec le Festival International de
Teatro de Manizales (octobre 2007)
Tournée jusqu’en 2012 en Colombie.
Un Os à la Noce
Création en novembre 2008, au Théâtre de
Marionnettes de Genève, en co-production
avec le TMG et le Petit Théâtre de Lausanne
(jan-fév. 2009). Tournée en Colombie,
Romandie, Bâle, Espagne (jusqu’en 2011)
Rhinocéros /El Rinoceronte
Co-production colombo-suisse entre la Casa
del Teatro Nacional de Bogota et SaintGervais Genève le Théâtre, tournée au
Crochetan de Monthey (juillet - novembre
2011)
L’Europe au Corps
Une déambulation ludique et poétique dans le
quartier de l’Europe - Genève
Novembre 2012
Donne-moi 7 jours
Co-production cie des Hélices / Théâtre de
Marionnettes de Lausanne, puis tournée à
l’Etincelle, MQJ de Genève, Théâtre et la
Bavette, Monthey (novembre-décembre
2013), Festival Avignon le Off 2014, TMG
automne 2015
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9. L’Equipe artistique
Isabelle Matter – Mise en scène et texte
A la direction du Théâtre des Marionnettes de Genève (TMG) depuis juillet 2015, cette marionnettiste et metteure
en scène, dramaturge et comédienne a co-fondé en 2000 la compagnie des Hélices. Elle y a conçu, écrit, mis en
scène, interprété et réalisé différents types de spectacles mêlant comédiens et marionnettes. Ainsi des créations
itinérantes comme CétacoliK, Lady Lili, Tranches Express et FeroZcarril, et des spectacles en salle comme
Amarillo City. Et Un Os à la Noce, libre adaptation d’Antigone de Sophocle et jouée au TMG en 2010. Elle crée
Rhinocéros d’Eugène Ionesco, dans le cadre d’un échange interculturel avec la Colombie. Au TMG, elle crée en
décembre 2015, Le Roi tout nu d’après un conte d’Andersen et Si je rêve d’après l’œuvre de Calderón de La
Barca, La Vie est un songe (avril 2016). Sa recherche vise à emmener le spectateur dans un univers original et
sensible, tout en l’invitant à s’interroger sur les rouages de la représentation.
Fredy Porras – Scénographie
Il collabore depuis 1992 comme scénographe avec le Teatro Malandro, en tant que facteur de masques,
comédien et costumier pour différentes productions. Il signe également les scénographies de L’Elisir D’Amor à
l’Opéra de Nancy, Le Barbier de Séville à l’Opéra de la Monnaie, Don Pedro et le Commandeur à la Comédie
Française, La Flûte Enchantée, au Grand Théâtre de Genève, La Périchole (Toulouse). En 1997, il co-fonde
Déclic, où il met en scène, conçoit, réalise, interprète divers projets : Hors Cadre, Tenue Impeccable, Révéler
l’invisible, Escale. Il met en scène d’autres créations telles que Plaine de Balayeuses, La Preuve du Contraire,
d’Olivier Chiacchiari. En 2012, il réalise la scénographie de Rousseau, une promenade, mise en scène par Cyril
Kaiser au Jardin Botanique. En 2013 il co-met en scène avec Michel Favre Les Frères Karamazov, au Théâtre de
l’Alchimic. Pour des créations marionnettiques, il signe notamment l’univers scénographique de Un Os à la Noce,
Rhinocéros, Le Roi tout nu, Si je rêve, que l’on a pu voir notamment au Théâtre des Marionnettes de Genève.
Khaled Khouri – Jeu
Né au Liban, il se forme à l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Genève, où il réside.
On a pu le voir à l’écran dans des films de Lionel Baier (Garçon Stupide), de Romed Wyder (Absolut), de Claude
Goretta (Sartre, l’Âge des Passions), et dans une grande quantité de courts-métrages (de Fredéric Landenberg,
Hicham Alhayat, Maurizio Lopez, Clélia Santi notamment).
Au théâtre, il joue sous la direction de metteurs en scène comme Jean-Louis Hourdin, Brigitte Jacques, Claude
Stratz, Jean Liermier, Richard Vachoux, Anne Bisang (Salomé, 2008), Anne-Marie Delbart, Andrea Novicov,
Gisèle Sallin, Marielle Pinsard, Martine Paschoud, Julien George. Il collabore régulièrement avec Lorenzo
Malaguerra, notament dans un projet interculturel avec le Liban autour d’Antigone (2006-2008). Il joue aussi et
chante dans I Tube You et Pessah mis en scène par Gaspard Boesch.
Olivier Périat – Jeu
Issu du Conservatoire d’Art Dramatique de Lausanne, il se forme également à l’Opéra de Pékin à l’Académie des
Arts Traditionnels de Pékin. Lorsqu’il n’étudie pas en Chine, il joue pour des metteurs en scènes romands tels
que Dominique Catton et Christianne Souter, Robert Sandoz, Simone Audemars, Laure Donzé, P-P. Ryngaert,
Geneviève Pasquier. . On a pu le voir à Nuithonie dans L’Anniversaire de Pinter, mis en scène par Sylviane Tille,
et dans Notre besoin de consolation est impossible à rassasier sous la direction de Christian Egger au Théâtre de
Vidy. Il joue entre autres dans Cyrano, Falstaff et Cymbeline sous la direction de Frédéric Polier au Théâtre de
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l’Orangerie, Isabelle Matter pour Rhinocéros de Ionesco au Théâtre Saint-Gervais ; Soyez poli, Monsieur Prévert
et Barbabor de D. Catton et C. Souter au Théâtre Am Stram Gram, L’improbable vérité du monde de A. Madani
et Comme un quartier de mandarine sur le point d’éclater de Camille Rebetez, mise en scène par Laure Donzé et
Dunant de Michel Beretti, mes Simone Audemars à la Comédie de Genève.
Il est également metteur en scène (récemment : Marlène, avec amour, de P-L Péclat, L’effet Coquelicot ou la
perspective de l’abattoir de Thierry Romanens, Mange Ta Soupe, et Si le Soleil ne Revenait Pas avec la
compagnie Youkali)
Myriam Sintado –Jeu
Comédienne issue de l’école Serge Martin, elle a joué notamment dans les mises en scène de Andrea Novicov,
La Maison de Bernarda Alba et La Chasse aux Rats, de Richard Gauteron, Buen Camino de Gaspard Boesh,
Pessah, de Michel Favre Le Saperleau et Feydau dans tous ses Etats, de Valentin Rossier, La Noce chez les
Petits Bourgeois, de Rodrigo Garcia After Sun, et d’Oskar Gomez Mata Notes de Cuisine. Elle explore le monde
de la marionnette à travers les créations Le Guignolu de la compagnie Avec des Si et a collaboré à L’Europe au
corps de la Compagnie des Hélices. Au TMG, elle a joué dans Donne-moi sept jours (2015).
Adrien Kessler – musicien
Né à Genève, il est actif dans le monde de la musique sous bien des aspects.
Il compose et interprète comme musicien solo dans AK Solo et Darling, dont sortiront plusieurs albums. Il est
également membre fondateur du groupe Goz Of Kermeur, aujourd’hui disparu, mais qui essaimait les scènes
alternatives européennes dans les années 90.
Il travaille comme musicien, ingénieur du son, mixeur et monteur son pour le cinéma et la télévision, mais aussi
pour des pièces et performance de poésie sonore.
Il a écrit et interprété la musique pour la scène de différentes formations, notamment pour Yann Marussich
(Haikus Urbains, 1997), pour les spectacles de la compagnie de l’Estuaire (Blizzard (1997), Un Fil de Soie
(2000), pour le Titus Fall of Rome de Gabriel Alvarez, (2009). Il compose des musiques avec son univers décalé
et déjanté, énergique et sensible notamment pour la compagnie Les Hélices (Cétacolik (2000), Lady Lili (2001),
Un Os à la Noce (2008), Rhinocéros (2011).
Horaire des représentations publiques
RHINOCÉROS
Septembre
Jeu
Ven
Sam
Dim
Mar
Mer
Jeu
Ven
Sam
Dim
15
16
17
18
20
21
22
23
24
25
---------------------
19h00
19h00
19h00
17h00
20h00
19h00
19h00
19h00
19h00
17h00
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Prochain spectacle
Les Misérables. Adultes, ados, dès 9 ans. | Du 28 sept. au 9 oct. 2016
Pour des informations complémentaires :
Bertrand Tappolet
Théâtre des Marionnettes de Genève
3, rue Rodo - cp 217 - 1205 genève 4
tél. 022 807 31 04
mobile 079 517 09 47
e-mail [email protected]
Rhinocéros. Les photos de libres de droits de ce dossier sont d’Isabelle Meister. Elles sont à télécharger sur :
www.marionnettes.ch – presse – images.
Davantage d’informations sur : www.marionnettes.ch
Théâtre des Marionnettes de Genève - Rue Rodo 3, 1205 Genève / Tél. 022/807.31.00 fax 022/807 31 01
T
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