CRECIS Center for Research in Entrepreneurial Change & Innovative Strategies Working paper 10/2010 FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE – DEFI DE LA RESPONSABILITE SOCIALE ET DE LA JUSTICE ORGANISATIONNELLE EN GESTION DES RESSOURCES HUMAINES Thi Thu Thao Lê et Matthieu de Nanteuil www.crecis.be 1 FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE - DEFI DE LA RSE ET DE LA JUSTICE ORGANISATIONNELLE EN GRH1 Thi Thu Thao LÊ, Matthieu De NANTEUIL Résumé : La formation professionnelle continue n’est plus un thème nouveau dans le monde industriel et académique. Plusieurs recherches ont montré que l’accès à la formation des salariés reste une préoccupation sociale à l’heure de la responsabilité sociale de l’entreprise. Ce papier a pour objectif d’évoquer les problèmes éthiques de formation professionnelle continue à la lumière des approches de responsabilité sociale de l’entreprise et de justice organisationnelle. Cette analyse de type conceptuel se veut fournir aux gestionnaires les repères qui donnent du sens à leur politique de formation des salariés. Mots - clé : Formation professionnelle continue, préoccupations sociales, responsabilité éthique, valorisation des acquis de l’expérience, justice organisationnelle, communication engageante. Auteurs: Thi Thu Thao LÊ: chercheuse en GRH à Louvain School of Management et au CRECIS, Université catholique de Louvain. Matthieu De NANTEUIL : professeur de sociologie à l’UCL (LSM - Louvain School of Management et département de Sciences politiques et sociales), membre du CRIDIS (Centre de recherche interdisciplinaire Développement, institutions et subjectivités) 1 Papier présenté au 21ème congrès de l’AGRH du 17 au 19 Novembre 2010, Rennes-Saint Malo, France. 2 INTRODUCTION Depuis la loi de 1971, les entreprises françaises sont obligées à consacrer un budget à la formation professionnelle continue. En Europe, chaque Etat membre s’engage à une politique d’éducation respectant l’égalité des chances, à organiser des programmes de formation, de réinsertions et de promotion sociale afin d’encourager les salariés, les non-qualifiés et les chômeurs à entreprendre une formation pour demeurer employable. Des recherches développées dans le champ de formation professionnelle continue montrent que l’accès à la formation des salariés reste une préoccupation sociale. Il existe certes des inégalités d’accès entre les salariés. Des explications se sont centrées sur l’approche individuelle selon laquelle l’accès à la formation professionnelle continue dépend de l’attitude, la motivation et les conditions économiques des salariés. Or, on oublie que l’entreprise est aussi un « catalyseur » qui peut influencer positivement (négativement) la participation des salariés à la formation. Nous avançons que les problèmes de formation professionnelle continue peuvent provenir de la politique de gestion des ressources humaines privilégiée au sein de l’entreprise et que cette dernière pourrait faire mieux afin d’améliorer la situation de la formation professionnelle continue. Notre analyse s’appuie sur les approches de responsabilité sociale de l’entreprise et de justice organisationnelle pour mettre en lumière la façon dont l’entreprise pourra contribuer à améliorer l’inégalité d’accès à la formation des salariés et conduire le service des ressources humaines2 à renouveler le contenu de ses pratiques dans une vision plus humaine et plus juste. A notre connaissance, peu de recherches scientifiques ont exploré l’articulation entre la responsabilité sociale de l’entreprise et le la politique de formation professionnelle continue. Jusqu’à présent, aucun travail scientifique n’aborde la question de justice organisationnelle dans la formation professionnelle continue. Cette analyse de type conceptuel se veut fournir aux gestionnaires les repères qui donnent du sens à leur politique de formation des salariés. Pour cela, dans un premier temps, nous explorons le problème éthique de la formation professionnelle continue. La deuxième partie porte sur l’analyse critique des responsabilités d’entreprise en matière de formation professionnelle continue. En effet, la formation 2 Petit, Bélanger et Morin (1993, p.7) ont distingué la fonction des ressources humaines du service des ressources humaines. Ce dernier renvoie à l’unité administrative regroupant les différents spécialistes des ressources humaines…. 3 professionnelle continue mise en place (le contenu, les bénéficiaires, l’organisation) dépend des formes de responsabilité adoptées au sein de l’entreprise (économique, légale, éthique ou philanthropique). D’autre politique de formation professionnelle continue centrée sur la valorisation des acquis de l’expérience sera discutée dans cette partie. Nous développons ensuite la justice organisationnelle en soulignant l’importance de la justice procédurale et de la communication engageante dans la gestion des ressources humaines et le lien entre celles-ci et la responsabilité sociale de l’entreprise. Notre conclusion ouvrira quelques perspectives de recherche sur le sujet abordé. I : LA FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE & L’ÉTHIQUE : UN ÉTAT DES LIEUX La formation professionnelle continue constitue un outil stratégique pour les entreprises aux problèmes d’employabilité, de qualification des employés et de mobilité interne et/ou externe. Elle joue également un rôle important pour les professionnels au niveau du salaire, du statut et du bien-être. Dans la politique d’entreprise, la formation professionnelle continue représente un outil stratégique au niveau de l’effectif, du développement technologique et de la RechercheDéveloppement. Certes, du point de vue des capitalistes, l’entreprise n’investit dans la formation professionnelle continue que si cette dernière lui rapporte des opportunités de gains. La plupart des entreprises financent la formation spécifique uniquement s’il est prévisible qu’il en résultera un accroissement de la productivité (Mahy et Volral, 2006). Cette logique entraine l’inégalité de l’investissement entre les entreprises. Celles qui ont plus de moyen et qui peuvent rentabiliser la formation, financent plus que celles qui cherchent encore l’intérêt de la formation professionnelle continue. Ainsi, Van Assche et Vandewattyne (1990) ont posé la question suivante : « comment expliquer que de grands groupes nationaux et internationaux, peu suspects d’agir uniquement pour des raisons philanthropiques, dépensent 6, 8,10 parfois 12% de leur masse salariale en « formations visibles », sans parler de « formation informelle » ? » (p.51). Pour ces auteurs, la perspective économique de la formation professionnelle continue prend une place importante dans l’esprit des managers. Le gestionnaire est prêt à mettre en œuvre la politique de formation professionnelle continue s’accompagnant de la nouvelle technologie, de l’intégration du personnel aux postes de travail ou de la gestion de qualité…Sous cet angle stratégique, la formation professionnelle continue devient un investissement prometteur à travers lequel s’améliore le niveau de qualification des employés. Pourtant, cet investissement prometteur peut entrainer l’augmentation des salaires après la formation ou le changement 4 d’entreprise par les travailleurs formés. Les entreprises n’entrent pas en formation professionnelle continue dans les cas où se présentent des coûts « non-retour » de la formation, tels que le coût avant (préparation, équipement), pendant (perte de temps de travail, salaire en formation) et après (hausse de salaire, le turnover). Ou encore, pour les entreprises non formatrices, l’absence de la formation professionnelle continue est liée à la satisfaction des besoins de compétences des salariés. A contrario, l’entreprise peut organiser la formation dans l’idée du « pouvoir monopolistique sur le marché du travail »3 . Dans ce cas, elle n’investit qu’en formation spécifique. Selon Becker (1964), le capital humain spécifique n’est pas facilement transféré d’une firme à l’autre et a un impact positif sur les gains de productivité. C’est la raison pour laquelle l’entreprise finance plus facilement la formation spécifique au détriment de la formation générale. De surcroît, l’organisation ne tient pas compte des motivations du personnel dans la politique de formation. Elle décide les bénéficiaires, les programmes et les formes d’organisation. Les salariés n’ont pas de « voix » dans les décisions managériales qui les concernent. Malgré des dispositifs légaux en faveur de formation des salariés, persistent l’inégalité d’accès à la formation. Or, cette dernière est un droit pour tous. La formation professionnelle continue améliore non seulement les compétences des salariés, elle peut aussi contribuer à développer la personnalité des formés dans la mesure où ces derniers puissent « sortir de chez soi », « s’épanouir », « avoir plus d’assurance », et « avoir un meilleur moral ». A ce stade, l’objectif principal de formation est d’améliorer le niveau culturel des salariés (Dubar, Debuchy, Delaunay, Feutrie, Gadrey et Verschave, 1981). Par conséquent, dans le sens de la responsabilité, l’entreprise devrait assurer une meilleure maîtrise de l’environnement professionnel et social pour ses employés. Si la formation développe les compétences, renforce la confiance en soi et contribue à l’épanouissement de la personne, il nous semble que cet objectif permet d’améliorer d’une part la compétitivité de l’entreprise et d’autre parte l’appartenance des salariés à l’organisation (satisfaction plus = perception d’appartenance plus = productivité plus). Pourtant, ce contexte «gagnant-gagnant » n’est pas maîtrisé par la plupart des employeurs. Ils poursuivent l’objectif économique en oubliant leur responsabilité envers leurs salariés. Ainsi, les entreprises participent à la formation professionnelle continue de la façon coercitive par les 3 Mahy B. et Volral M., La formation financée par l’entreprise favorise-t-elle l’emploi en Belgique ?, Reflets et perspectives de la vie économique, 2007, pp. 103-116. 5 obligations financières de l’Etat et/ou des conventions collectives. En effet, depuis la loi de 1971, les entreprises françaises doivent s’engagent à consacrer une partie de leur masse salariale à la formation professionnelle continue. La législation en matière de formation des salariés de chaque pays contraint l’entreprise à la faire. Un souci d’égalité des accès à la formation a été dénoncé par la loi sous les formes de « discriminations positives » et « droit à la qualification » pour les personnes moins formées (Aventur et Hanchane, 1999). La mise en place du dispositif intitulé « droit individuel à la formation » (DIF) (2004) s’inscrit dans la même perspective. Pourtant, les entreprises sont soumises à des règles en principe obligatoires auxquelles il est possible de déroger (Klarsfeld et Delpuech, 2008). En effet, ces dernières disposent d’une marge de manœuvre importante pour réaliser la formation professionnelle continue en leur sein. Malgré les efforts de l’Etat et les pressions des acteurs sociaux, persistent les problèmes éthiques de formation continue des salariés. Nous retraçons sans volonté d’exhaustivité les préoccupations de justice sociale de la formation professionnelle continue dans son ensemble. 1. I.1 : Une inégalité de la formation entre les entreprises La participation financière est essentiellement utilisée pour mesurer l’effort de formation en entreprise. Cette participation s’évalue par le pourcentage des dépenses annuelles de formation par rapport à la masse salariale. En 2005, 62,5% des entreprises belges de plus de 10 travailleurs dépensent en moyenne 1,6% de la masse salariale dans la formation professionnelle continue (Monville et Léonard, 2008). Presque la moitié des entreprises font la formation sans disposer d’un budget de formation. La plupart de ces entreprises « se reposent partiellement sur des initiatives et des moyens publics » pour la formation des travailleurs. Alors, la formation professionnelle continue existe mais n’occupe pas une place majeure dans la gestion des ressources humaines. Ainsi, dans sa politique de développement en matière de la formation professionnelle continue, l’Europe a appelé un investissement de 1,9% de la masse salariale au sein de l’entreprise et un taux de participation de 50% des Etats membres en 2010. L’investissement dans la formation dépend de la taille de l’entreprise. En 2005, les entreprises formatrices en Belgique sont celles de plus de 250 travailleurs alors que la moitié des entreprises de moins de 20 personnes ne participent pas à la formation (Monville et Léonard, 2008). 6 Le secteur d’activité des entreprises influence également la participation à la formation professionnelle continue. La branche informatique s’y trouve dominant avec 6% de la participation financière (De Brier, 1990). La formation continue est fortement investie dans les branches où se présentent de nouvelles technologies et des recherches en développement. A contrario, on a remarqué de faible participation de l’industrie du textile et de l’habillement à la formation professionnelle continue. L’effort de formation de cette branche est inférieur à la moyenne (Monville et Léonard, 2008, p.53). Il faudrait en outre remarquer que dans le secteur où le taux de turnover est élevé, l’entreprise aurait du mal à pousser ses salariés à la formation car les employés quittent facilement l’entreprise après la formation. Depuis 1991, la convention collective a obligé les entreprises belges à consacrer 0,25 % de la masse salariale en faveur de l’insertion et de la formation des groupes à risques. Les dépenses de formation dans ces entreprises s’élèvent à 1,08 % de la masse salariale en 2006 (Monville et Léonard, 2008). Certes, une hausse du budget de formation professionnelle continue ou une hausse du taux de participation ne reflète pas la démocratisation de l’accès à la formation. 2. I.2: L’inégalité d’accès à la formation professionnelle continue entre les catégories professionnelles, entre hommes et femmes Il existe des inégalités d’accès à la formation concernant le contenu de formation. La formation technico-professionnelle attire l’investissement de 34% des entreprises et 25% des entreprises s’intéressent à la formation en management. De 2 à 8% des entreprises développent la formation générale : les langues, la sécurité, l’informatique… Certes, les entreprises s’occupent davantage de la formation liée aux savoirs et aux savoirs-faires des employés. Ces entreprises attendent toujours de la formation mise en place, un retour en investissement en termes de productivité ou de rentabilité (Van Haecht, 2000). Dans tous les secteurs, les cadres ont plus de chance d’accéder à la formation professionnelle continue qui est moins liée à l’exécution des tâches (la formation culturelle, le développement de la personnalité…) alors que les ouvriers qualifiés et les contremaîtres sont moins favorables à ce type de formation. En France, « les cadres et professions intermédiaires sont les principaux bénéficiaires des formations à l’initiative de l’employeur, de même que les détenteurs d’un contrat à durée indéterminée, les hommes et les individus les plus diplômés » (Aventur et Hanchane, 1999, p.8). 7 De plus, l’accès à la formation professionnelle continue est tributaire du sexe ainsi que de l’âge du travailleur. Selon les statistiques, dans l’ensemble de l’économie, il n’existe guère de discrimination entre femmes et hommes dans l’accès à la formation professionnelle continue. Par contre, cette discrimination se fait dans chaque branche et chaque entreprise. Par exemple, les femmes sont privilégiées pour la branche de l’agriculture et les hommes pour celle de l’immobilier (De Brier et Meuleman, 1996). Selon l’enquête CVTS4 III, les entreprises préfèrent former les employés de 25 à 54 ans. Les moins de 25 ans et les plus de 55 ans sont moins favorisés à la formation professionnelle continue. Pourtant, il faut remarquer que ces statistiques sont explicites, c’est à dire les formations sont données sous les formes de cours ou de séminaires. Or il existe des formations implicites auxquelles les débutants, les moins qualifiés sont formés: l’apprentissage sur le tas et sur les rotations du poste de travail. La formation informelle se fait également par les stages des nouveaux. Ces formations accompagnent souvent l’acte de production. Dans les entreprises productives, la formation sur le poste de travail est privilégiée. Dans l’entreprise de l’habillement, cette formation occupe une place centrale (Le, 2008), surtout la formation des ouvriers. Lors de la période d’essai, ces derniers s’occupent des travaux les plus simples sous l’accompagnement du moniteur ou du contremaître. En outre, dans ce secteur, la formation de la langue est privilégiée aux employés du département commercial. Cette formation est organisée hors de l’entreprise et hors du temps de travail (Le, 2008). Plusieurs études statistiques montrent que plus l’entreprise a recours à l’emploi manuel, plus elle privilégie la formation interne (De Brier et Meuleman, 1996). Le management et l’informatique prennent une place importante pour la formation explicite externe (Van Assche et Vandewattyne, 1990). L’entreprise a plusieurs préoccupations qui lui sont propres: conquête de marchés, maximisation du profit, minimisation des risques et des coûts. Au-delà de l’obligation légale en matière de formation professionnelle continue, les entreprises s’y engagent parce qu’elles en attendent des gains, surtout l’efficacité en productivité de leurs salariés. La question éthique de la formation professionnelle continue se trouve non seulement dans l’inégalité d’accès des salariés mais aussi dans l’organisation de cette formation. A l’heure de la 4 Continuel Vocational Training Survey 8 responsabilité sociale de l’entreprise, la formation est une des matières auxquelles les entreprises socialement responsables doivent s’intéresser (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004; Brammer, Millington et Rayton, 2007). Les salariés sont une des parties prenantes importantes de l’entreprise et sont « noyaux » du développement d’entreprise. En effet, la perception de formation influence positivement l’engagement organisationnel des salariés (Brammer et al, 2007). Pour répondre à des attentes sociales en ce qui concerne la formation professionnelle continue, il faut agir sur le comportement de l’entreprise envers ses salariés. Comment sa politique de formation professionnelle continue peut répondre à des attentes sociales? Comment l’entreprise peut aider les salariés à balancer le temps de travail, le temps de formation, le temps de loisir et de la famille? Comment assurer l’engagement et la performance des salariés dans la formation? Nous devrions apporter les réponses à ces questions dans les parties suivantes qui traitent la responsabilité sociale de l’entreprise et la justice organisationnelle. En effet, les responsabilités de la gestion « saine » devraient s’étendre au-delà des exigences découlant des droits accordés aux salariés par la loi (Folger et Bies, 1989). Ces responsabilités accompagnent la justice des processus par lesquels est prise la décision en matière de formation professionnelle continue. II : RESPONSABILITÉ DE L’ENTREPRISE DANS LE CHOIX DE FORMATION PROFESSIONNELLE CONTINUE: AU-DELÀ DES RESPONSABILITÉS PRIMAIRES. Les démarches de responsabilité sociale de l’entreprise se développent fortement dans le monde des affaires et des académies depuis l’époque friedmanienne (1970). Depuis des années, on a assisté à plusieurs littératures qui ont cherché à définir le contexte de cette naissance et à déterminer de quoi il s’agit. La performance de l’entreprise est définie par « trois P »: Profit, Planet, People (Viers et Brulois, 2009). On constate un infléchissement des stratégies et des modes de pilotage dans les entreprises dès qu’arrive la responsabilité sociale de l’entreprise. Cette dernière apporte « un nouveau courant d’air » dans le management des entreprises. Elle devient le mode de régulation des entreprises dans le but de renforcer leur « capital-image» ou la confiance à l’égard de l’ensemble des parties prenantes (Gasmi et Grolleau, 2005). Plusieurs recherches ont également montré la relation linéaire entre l’image de firme et son engagement à la responsabilité sociale de l’entreprise (Fombrun et Shanley, 1990; Turban et Greening, 1997; Aguilera, Rupp, Williams et Ganapathi, 2007). Cette image est positive lorsque l’entreprise intègre la RSE dans ses activités. Depuis sa naissance, la responsabilité sociale de l’entreprise 9 s’inscrit dans les entreprises comme une perspective instrumentale de performance économique. Les chercheurs s’engagent à étudier les relations entre la responsabilité sociale de l’entreprise et la performance financière (McGuire, Sundgren et Schneeweis, 1988; Waddock et Graves, 1997; McWilliams et Siegel, 2000). Les managers veulent améliorer la situation économique de la firme, « doing good by doing well », en intégrant les logiques éthiques dans les activités de celleci. Le retour positif de l’investissement social des entreprises, en termes de financement et de clients, a été démontré par les recherches en gestion. Pour les organisations économiques que nous appelons les entreprises, leur premier objectif est de faire de l’économie. La recherche de nouveaux marchés, la mise en place des stratégies de gestion des ressources humaines et la recherche de développement s’inscrivent dans le but de remplir les portefeuilles des actionnaires et de gagner plus de profit. Cependant, ce faisant, il n’y a pas que les actionnaires qui sont les seuls pris en compte au sein de l’entreprise. Comme nous avons dit que les salariés sont une des parties prenantes les plus importantes pour la survie de l’entreprise. Dans la société contemporaine, les entreprises sont obligées de concilier l’objectif économique et les autres préoccupations qui sont attendues par leurs salariés. Au-delà des obligations, des contraintes sociales, la responsabilité sociale de l’entreprise s’y inscrit comme un moyen susceptible d’améliorer le management des ressources humaines (Fraisse et Guerfel-Henda, 2005). Elle implique que l’entreprise s’intéresse à la gestion durable du personnel en assurant une politique équitable, transparente, en fournissant aux salariés de meilleures conditions de travail, une vie professionnelle épanouissante et une conciliation entre travail, famille et société. Par conséquent, une confiance s’établit entre l’entreprise et les employés qui investissent davantage dans l’entreprise. La responsabilité sociale de l’entreprise influence positivement l’implication des employés au sein de l’organisation (Collierand et Esteban, 2007; Backhaus, Stone, et Heiner, 2002 ; Turban et Greening, 1997). C’est le contexte « gagnant-gagnant » pour l’entreprise d’une part et pour les salariés d’autre part. La RSE vise à formuler de nouveaux principes ou de nouvelles règles déontologiques, sur une base conventionnelle et avec pour visée centrale la recherche de nouvelles légitimités, au sein d’un capitalisme mondialisé et financiarisé (de Nanteuil, 2009). Faute de traduction d’application concrète, la responsabilité sociale de l’entreprise porte peu sur les questions du travail, sur les décisions managériales au sein de l’organisation. 10 En réalité, le problème éthique en matière de formation professionnelle continue n’est pas sérieusement pris en considération dans l’entreprise. De sorte qu’il est évident qu’une telle catégorie d’employé bénéficie d’une telle formation. De même, dans leur recherche sur l’implication organisationnelle, Brammer et al. (2007) ont montré que la formation a moins d’impact sur l’engagement organisationnel pour les femmes que pour les hommes parce que ces derniers ont plus de chances d’accéder à la formation que les femmes. C’est facile pour l’entreprise d’annoncer à tout le monde qu’elle dispose d’un budget de formation professionnelle continue. Mais la question d’éthique en matière se pose comment elle distribue la formation en son sein et comment elle engage ses salariés à la formation. Nous pouvons expliquer le comportement de l’entreprise en matière de formation professionnelle continue selon le type de responsabilité privilégié au sein de l’entreprise. Il y a quatre catégories de responsabilités des entreprises (Carroll, 1979). Responsabilités économiques Responsabilités légales Responsabilités éthiques Responsabilités discrétionnaires (philanthropiques). Les deux premières sont exigées par la société (nous les appelons les responsabilités primaires) et les deux dernières sont attendues pour une meilleure vie sociale économique. Selon Capron et Quairel-Lanoizelée (2004), l’intersection entre l’éthique et l’économique conduit à l’équité ou la justice sociale du traitement des salariés. Les responsabilités économiques donnent à la formation un caractère instrumental. L’entreprise investit uniquement dans les formations qui sont rentables et dont l’investissement est à court terme. L’entreprise adoptant cette responsabilité ne se préoccupe pas des finalités sociales de la formation. Au sein de ces entreprises, il n’y a pas d’influence du concept de responsabilité sociale sur les pratiques de formation professionnelle continue. Donc, pour assurer la participation de toutes les entreprises à la formation, l’intervention de l’Etat et des interlocuteurs sociaux serait nécessaire (on parle ici de responsabilités légales de l’entreprise). Dans ce cas, l’entreprise y participe de manière coercitive sans préoccupation sociale et l’intérêt utilitaire reste au premier plan dans le choix de formation professionnelle continue. Les obligations légales peuvent pousser les entreprises à investir annuellement un pourcentage de masse salariale à la formation des salariés. Il n’en reste pas moins qu’on continue à entendre des inégalités et des discriminations à la formation professionnelle continue. En fin de compte, la question de 11 rentabilité peut influencer le processus opérationnel et les critères de choix de formation professionnelle continue. Ainsi, en disposant de ces deux responsabilités primaires, l’entreprise ne peut résoudre la question éthique de la formation des salariés. Elles sont indispensables pour l’existence de l’entreprise (condition nécessaire) mais cela ne suffit pas à produire une meilleure pratique de formation professionnelle continue intégrant des préoccupations sociales. Trop souvent on regarde le budget de formation, le nombre de participants pour juger la responsabilité d’une entreprise envers cette matière. Donc, l’entreprise poursuit son propre intérêt utilitaire dans la gestion des ressources humaines et ne pose jamais la question si cette politique, ce choix ou cette organisation est éthiquement juste. Selon Carroll (1979), l’intention morale ne s’insinue pas dans le business si la responsabilité économique est prioritairement supportée par l’entreprise. Le licenciement massif, la réduction du budget formatif et la persistance du chômage sont des preuves vivantes de la situation économique actuelle. Or, nous devrions rester optimistes en disant que l’entreprise pourrait développer la politique « gagnante-gagnante » en faveur d’une économie humaine et durable. La gestion des ressources humaines devrait dès lors comporter les responsabilités éthiques dans ses pratiques. Une politique équitable, transparente et une justice organisationnelle sont attendues au sein de l’entreprise. Au-delà des responsabilités primaires, les entreprises sont appelées à être plus éthiques, plus justes dans leurs actes. Pour des entreprises manufacturières dans lesquelles travaillent des hommes et des femmes, l’éthique dans la gestion des ressources humaines est souhaitable. De plus, la responsabilité éthique de l’entreprise peut améliorer la perception de responsabilité sociale de l’entreprise des salariés et renforcer leur appartenance (Brammer et al., 2007; Collierand et Esteban, 2007). Néanmoins, selon notre connaissance, la plupart des entreprises négligent cette catégorie de responsabilités dans leurs activités. Cela s’explique par la persistance des problèmes éthiques de la formation professionnelle continue qui est un domaine important de la gestion des ressources humaines. Paradoxalement, les agents économiques peuvent constituer un budget pour aider la communauté. Les entreprises mobilisent facilement les ressources financières pour les activités visibles de mécénat et de sponsoring d’une équipe de sport. Ce sont les responsabilités philanthropiques auxquelles s’engagent facilement les entreprises contemporaines (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004). Certes, n’oublions pas que ce sont des activités à court terme et qui 12 peuvent être supprimées quand l’entreprise est en difficulté de financement. Elles ne sont pas durables. En adoptant le comportement philanthropique, l’entreprise pourrait également investir dans la formation professionnelle continue pour le bien-être de la société (apprentissage en alternance, accompagnement des chômeurs, etc.) ou pour le bien-être et le développement personnel de ses salariés. Investir en capital humain est une activité responsable de la part de l’entreprise pour le développement durable de sa main-d’œuvre. De surcroît, l’entreprise gagne également de cet investissement de nombreux intérêts: le niveau élevé de qualification des salariés, son image de marque auprès des parties prenantes et son attractivité auprès de la maind’œuvre potentielle. Investir dans la politique de formation, c’est également de développer les outils de gestion des compétences, des carrières de leurs salariés. A cette réflexion, les entreprises pourraient intégrer dans sa politique de formation le dispositif de valorisation des acquis de l’expérience. Ce dispositif est une nouvelle source de gestion des ressources humaines (Parlant, 2004; Ballet, 2009). Malgré certains inconvénients perçus du processus de valorisation des acquis de l’expérience (le départ pour d’autres entreprises, les revendications salariales et statutaires, etc.), de nombreuses recherches ont montré que l’entreprise peut profiter de ce dispositif pour constituer les stratégies de gestion des ressources humaines en s’assurant l’implication et la performance des salariés (Paddeu & Savoyant, 2003; Ballet, 2009). De plus, s’engager à la démarche de la valorisation des acquis de l’expérience pour garantir l’employabilité des salariés est une responsabilité de l’entreprise dans un contexte économique instable et défavorable. L’intégration de la responsabilité éthique dans la stratégie de gestion des ressources humaines conduirait l’entreprise à définir ce qui est juste et loyal pour tous les salariés. S’engager à faire la formation des salariés et y consacrer un budget est un geste responsable de l’entreprise auprès de ses salariés. Mais ce n’est pas suffisant pour une responsabilité sociale de l’entreprise. Au-delà des responsabilités primaires, une responsabilité éthique est nécessaire pour construire une politique durable de formation professionnelle continue dans laquelle s’inscrivent des préoccupations sociales. Dans ce cas, la responsabilité sociale de l’entreprise appelle une justice organisationnelle. Face aux travailleurs qui sont « noyaux » de la production, l’entreprise devrait adopter une responsabilité éthique et un esprit de justice dans ses décisions managériales. Les problèmes éthiques de formation professionnelle continue n’auraient de réponse que si le concept 13 de responsabilité sociale reste en phase avec celui de justice organisationnelle dans la gestion des ressources humaines. III : LA JUSTICE ORGANISATIONNELLE : ETRE JUSTE DANS LES PROCESSUS PAR LESQUELS LA DÉCISION MANAGÉRIALE EST PRISE. La recherche en justice organisationnelle s’est fortement développée depuis les années 90. Les sentiments de justice des salariés ont un impact sur la motivation, la satisfaction au travail, l’implication organisationnelle et la volonté de coopérer au sein de l’entreprise (Lowe et Vodanovich, 1995; Colquitt, Conlon, Wesson, Porter et Ng, 2001). Les recherches pionnières ont distingués trois approches de la justice organisationnelle: celle de la justice distributive (la perception d’équité des résultats distribués) ; celle de la justice procédurale (la justice des processus par lesquelles les résultats sont prononcés) et la justice interactionnelle qui comporte la justice interpersonnelle (le traitement digne, le respect, la politesse dans les interactions sociales) et la justice informationnelle (en ce qui concerne la communication suffisante sur les informations des procédures utilisées) (Folger et Cropanzano, 1998). Pour discuter sur la distribution de la formation professionnelle continue au sein de l’entreprise, nous ne nous intéressons qu’à la justice distributive et à la justice procédurale. Nous allons aborder également la théorie de l’engagement en proposant aux gestionnaires un outil de communication à leurs salariés pour les engager aux activités voulues, par exemple la formation parmi d’autres. 1. III.1 : La justice distributive et la formation professionnelle continue La justice distributive est déterminée par la règle de proportionnalité selon laquelle « les rétributions des différents acteurs doivent être proportionnelles à leurs contributions » (Monin, 2002, p.136). Ainsi, les salariés perçoivent les décisions managériales (ici, liées à la formation continue des salariés) justes ou injustes en comparant la proportionnalité de sa contribution (l’ancienneté, la responsabilité, l’investissement) et de sa rétribution (l’accès à la formation, l’allocation de formation, le temps de formation) avec celle d’autrui. Le nombre important des cadres financés en formation par l’entreprise, nous semble-t-il, s’expliquent par la priorité du principe de mérite dans la distribution de la formation professionnelle continue? Mais à ce titre, comment déterminer le mérite de chaque salarié pour accéder à la formation d’autant plus que cette dernière est un droit à tout le monde? Par ailleurs, il est difficile à décortiquer la proportionnalité et de même, le caractère vague des contributions et rétributions rendent cette tâche difficile (Monin, 2002). D’autres règles de rétribution se basant sur l’égalité des résultats et 14 sur le besoin sont utilisées (Deutsch, 1975). Nous avançons que si l’entreprise soutient l’augmentation de salaire pour les sous-payés, ou assure l’accès de tous les salariés à la formation professionnelle continue, le problème de l’iniquité et le sentiment d’injustice vont-ils disparaître? Qui sait répondre à cette question? Folger et Cropanzano (1998) ont montré qu’il y a des gens qui ont perçu que leur salaire sous-payé était juste, qu’ils ont accepté de travailler dans des conditions injustes (injustes, selon nous). Donc, les sentiments d’injustice ne proviennent pas uniquement des résultats (Cropanzano et Kacmar, 1995). Les individus ne posent pas seulement la question « Qui a été choisi pour cette formation ? », mais aussi « Comment ce choix a été procédé?» ou encore « comment cette formation leur était parvenue?». Le processus de décisions (sur la formation professionnelle continue dans notre exemple) doit être également juste « sous les yeux » des salariés. 2. III.2 : La justice procédurale et la formation professionnelle continue Selon Leventhal (1980), la justice procédurale renvoie à la perception d’équité des processus qui déterminent les résultats. Un processus de décision est perçu comme juste lorsqu’il respecte les six règles procédurales justes suivantes: - La consistance renvoie à l’application cohérente de la procédure à toutes les personnes concernées. - La suppression des biais se réfère à la réduction de l’intérêt personnel ou des préjugés dans le processus de décision. - La précision de l’information exige que la décision soit fondée sur les informations précises. - La possibilité d’appeler à une autre décision ou de corriger une mauvaise décision. - Le caractère moral et éthique de la décision. - La représentation et la prise en compte des opinions des personnes concernées. Cela implique le contrôle du processus et de la décision. Les perceptions de justice des salariés dépendent de l'adhésion de l'organisation à ces règles. Par conséquent, les pratiques de gestion des ressources humaines, les stratégies d’entreprise devraient s’intéresser à la justice procédurale. Dans ce sens, il importe que ce concept imprègne dans la mise en œuvre de la politique de formation professionnelle continue. Les jugements de 15 justice procédurale influencent positivement (ou négativement) l’évaluation des responsables hiérarchiques directs, la satisfaction au travail ainsi que la confiance dans la direction générale (Leventhal, 1980; Tyler, Rasinski et Spodick., 1988). En favorisant des traitements équitables, les managers pourraient légitimer leur choix de formation professionnelle continue, gagner la confiance et l’appartenance des salariés (cela éviterait le départ précoce de la personne formée) et les engager à mettre en application et à partager des connaissances. Il semble alors important pour les entreprises d’appliquer les critères de justice procédurale et de communication engageante dans leur politique de formation professionnelle continue. A ce titre, nous pensons que c’est nécessaire de négocier avec les salariés (les délégués du personnel ou le syndicat) sur les règles qui déterminent les bénéficiaires, le temps de formation et le comment (qui accède à la formation, à quel moment et comment?). Dans ce cas, la convention de formation professionnelle continue est un dispositif concret et efficace pour transférer l’information entre les salariés et l’employeur. En effet, la théorie des conventions (développée en sociologie par Boltanski et Thévenot, 1991) est mobilisée au cours des 20 dernières années par les chercheurs en économie et en gestion afin d’analyser les organisations, leurs modes de fonctionnement et les comportements des agents économiques (Le Moigne, 1997; Batifoulier, 2001;Gomez, 2006; Guillard et Roussel, 2009). La convention de formation professionnelle continue permet aux gestionnaires de résoudre les problèmes incertains dans la question de formation des salariés (le temps de formation, le salaire, le degré d’implication des salariés, etc.). Les gestionnaires devraient donc penser au contrat de formation professionnelle continue qui constitue « l’épreuve modèle de la convention» depuis le début du recrutement. De plus, la notion de justice est établie « en référence à des conventions » (Guillard et Roussel, 2009). La participation des salariés au processus de formation professionnelle continue est considérée comme un facteur à promouvoir la justice organisationnelle au sein de l’entreprise. Lorsque les responsables hiérarchiques et les subordonnés discutent des problèmes (par exemple, formation hors du temps de travail ou pendant le travail), et prennent une décision fondée sur le consensus, les deux ont la « voix » et le choix optimal, cela favorise le comportement organisationnel positif au sein de l’entreprise (Cropanzano et Kacmar, 1995). Les managers devraient assurer l’équité entre les divers groupes d’employés, assurer l’équilibre entre le temps de travail et le temps de formation et assurer la justice de l’allocation de formation. La responsabilité des managers est de communiquer et de justifier leur décision (le programme, la promotion, le salaire avant, pendant 16 et après la formation, etc.) de manière précise et homogène à leurs subalternes. Nous discutons dans la partie suivante le lien entre la responsabilité sociale et la justice organisationnelle dans les pratiques de formation professionnelle continue ainsi que la stratégie de communication engageante comme un outil auquel les gestionnaires peuvent s’appuyer pour engager les salariés à la formation. 3. III.3 : La responsabilité éthique de l’entreprise et la justice procédurale - vers une politique de formation professionnelle continue juste? La responsabilité éthique supporte la justice procédurale avec le respect de la participation des salariés dans les pratiques de gestion des ressources humaines. Un système procédural ouvert fait partie d’un système juste qui prend en considération des « voix » de toutes les personnes concernées. La participation des employés dans les politiques de gestion des ressources humaines (la formation professionnelle entre autres) est perçue comme responsabilité éthique de l’entreprise (Newman, 1993). Le leadership participatif est plus éthique que celui non participatif. Certes, travailler avec un manager de style participatif, les subalternes sont en mesure de s’exprimer librement. Ils peuvent recevoir toute l’information de la part de leur dirigeant pour pourvoir discuter et exprimer leurs opinions dans toutes les décisions qui les concernent (Mac Gregor, 1975; Isaac, Zerbe et Pitt, 2001). Par conséquent, les responsables de l’entreprise jouent un rôle important dans l’implication des salariés aux décisions managériales. Ils doivent encourager des idées, des points de vue des salariés sur les pratiques de gestion des ressources humaines. Cela implique d’une part, l’innovation dans la gestion des ressources humaines (Beaupré et al., 2008), d’autre part, l’amélioration de la perception de justice procédurale des salariés (Folger et Cropanzano 1998). Selon Folger et Bies (1989), considérer sérieusement des points de vue des parties prenantes dont les salariés est une responsabilité managériale. En adoptant une gestion des ressources humaines éthique et juste, l’entreprise pourrait mettre en place des pratiques qui « donnent priorité aux plus vulnérables plutôt que de favoriser les plus forts et les plus compétents » (Beaupré et al., 2008). A ce stade, l’entreprise gagnerait la confiance et l’engagement organisationnel des salariés. Le droit de la prise de décision est réservé aux chefs de l’entreprise. La perception de justice par les salariés et leur consentement sur la décision managérial dépendent sans doute de la manière dont cette décision a été prise. Ainsi, prendre la décision d’une manière équitable est l’une des responsabilités principales de la direction (Folger et Bies, 1989). L’entreprise socialement 17 responsable doit assurer l’équité entre les divers groupes d’employés dans la formation, la promotion, la rémunération et les conditions de travail. Elle devrait justifier clairement son choix auprès de ses salariés. Elle laisse toujours aux employés une liberté d’expression et de choix pour leur formation. L’individu est plus facilement satisfait par son choix que celui imposé par autrui dont l’entreprise (Folger et Cropanzano, 1998). En effet, selon la théorie de l’engagement (Joule, Beauvois, 1998), c’est la situation qui engage ou n’engage pas la personne dans ses actes. Ainsi, à nos yeux, l’entreprise peut améliorer l’accès à la formation des salariés en appliquant la stratégie de communication engageante. L’employeur ne peut que gagner l’engagement des salariés dans les actes voulus en général et dans la formation en particulier si ces derniers ont le sentiment de libre choix dans tous les actes réalisés. Nous remarquons que les règles procédurales justes correspondent peu ou prou à celles de la stratégie de communication engageante développées par Joule et Beauvois, à savoir le libre choix; les critères, des objectifs à atteindre bien définis avant de prendre la décision et la réversibilité décisionnelle. Selon ces auteurs, ces règles élémentaires « devraient s’imposer à tout manager» qui veut « manipuler » ses salariés dans les actes voulus (p.167). Les chercheurs de la théorie de l’engagement démontrent que la communication engageante modifie les attitudes plus facile que la communication persuasive (Joule et Beauvois, 1998 ; Louche et Lanneau, 2004; Pascual, Castra et Guéguen, 2006). L’entreprise devrait appliquer les stratégies de communication engageante en son sein afin d’engager les salariés à participer à la formation pour rester employable, pour améliorer les compétences et pour le développement de l’entreprise. Louch et Lanneau (2004) ont montré que si les personnes ne se sentent pas obligés d’aller à la formation et sont libres par rapport à l’action de formation (« ce sont eux de décider le thème de formation, les règles de fonctionnement du groupe, la signature d’une charte et l’organisation du groupe»), ils participeront mieux à la formation. Il ne manque pas de critiques par rapport à cette théorie de l’engagement (Joule et Beauvois, 1998). Pourtant, à nos yeux, les gens ne s’engagent qu’à réaliser les actes qu’ils perçoivent justes. C’est légitime (voire éthique) d’appliquer cette méthode dans l’entreprise pour amener les gens à faire ce qu’ils devraient faire (et ce qu’ils perçoivent juste). CONCLUSION La satisfaction des salariés et leurs implications organisationnelles sont importantes pour la pérennité de l’entreprise. Gagner la confiance, la fidélisation et l’engagement des salariés est 18 aussi important que conquérir de nouveaux marchés et développer de nouveaux produits. La responsabilité sociale de l’entreprise et la justice organisationnelle constituent des outils stratégiques pour la gestion des ressources humaines de l’entreprise. La formation professionnelle continue est une pratique de gestion des ressources humaines qui peut d’une part améliorer les compétences des salariés et apporter d’autre part, l’intérêt social et émotionnel des salariés. Le choix de formation professionnelle continue au sein de l’entreprise devrait tenir compte des motivations, de l’égalité du droit des salariés ainsi que de la transparence des procédures. Les entreprises doivent intégrer le dispositif de validation des acquis de l’expérience dans leur politique de formation comme un moyen d’évaluer les compétences des employés pour rester compétitives sur le marché et comme un moyen de gérer leurs ressources humaines. Il est important que les employeurs reconnaissent la contribution de leurs salariés et qu’ils les accompagnent dans les démarches de validation de leurs compétences. Les responsables des ressources humaines devraient être sensibles à la justice organisationnelle dans toutes les décisions managériales. Les responsables des ressources humaines sont invités à revoir leur procédure de décisions pour faire preuve de justice dans le traitement des employés. Ces derniers méritent d’un traitement digne et juste de la part des managers. La formation ne se limite pas à l’employabilité, à la progression de la carrière mais s’étend au bien-être des salariés et le choix de formation de l’entreprise devrait être articulé avec des préoccupations sociales. Dans le cas où les intérêts de formation professionnelle continue des employeurs sont opposés à ceux des salariés, un compromis est nécessaire pour rendre compatible ces intérêts. Une convention de formation professionnelle continue et/ou une stratégie de communication engageante pourraient aider les entreprises à obtenir ce qu’elles attentent de leurs salariés. En somme, le but de notre contribution théorique serait de développer certaines façons dont l’entreprise peut contribuer à la formation des salariés. Avec son effort, l’entreprise peut améliorer l’inégalité d’accès à la formation et intégrer les préoccupations de justice sociale dans sa politique de formation professionnelle continue. Cet effort ne coûte rien aux entreprises mais peut renforcer la gestion « saine » des ressources humaines au sein des entreprises. Néanmoins, la responsabilité sociale de l’entreprise et la justice procédurale sont des bases importantes mais insuffisantes pour aborder notre question de justice sociale en matière de formation professionnelle continue. La responsabilité sociale de l’entreprise reste un concept flou dont l’application concrète constitue une question intéressante pour la recherche future. La 19 transparence informationnelle peut être un élément de justice ou d’injustice. L’approche de justice organisationnelle ne problématise pas les différents contenus, par exemple le type d’information à transmettre, enjeu de la transparence informationnelle, etc. (de Nanteuil, 2010). Nous proposons ainsi pour la recherche ultérieure un travail analytique plus profond qui porte notamment sur ce qu’on appelle le sens du juste de différents acteurs dans le champ de la formation professionnelle continue. 20 BIBLIOGRAPHIE Aguilera R., Rupp D.E, Williams C.A. et Ganapathi J., «Putting the s back in corporate social responsibility: A multilevel theory of social change in organizations», Academy of Management Review, 2007, Vol.32, No.3, pp.836-863 Aventur F. et Hanchane S., «Inégalité d’accès et pratiques de formation continue dans les entreprises françaises», Formation et emploi, 1999, No.66. Backhaus K.B., Stone B.A. et Heiner K., «Exploring the Relationship Between Corporate Social Performance and Employer Attractiveness», Business and Society, 2002, pp.292–318. 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