REGLEMENTATION PUBLICITE par Philippe ZAVOLI Doyen de la Faculté de Bayonne Université de Pau et des Pays de l’Adour Existe-t-il un principe d’indépendance des législations en matière d’enseigne et de publicité implantées en secteur protégé ? A la suite d’une journée d’études organisée par l’Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire et des villes à secteur sauvegardé (ANVPAH & VSSP) consacrée à l’enseigne1 et la publicité2 dans les secteurs protégés où les débats ont été d’une extrême richesse et au moment où le Ministère de l’écologie a missionné le Conseil National du Paysage afin qu’il lui fasse des propositions de réforme du droit de la publicité extérieure3, il semble intéressant de nous arrêter sur un aspect particulier de cette législation. Si le cadre de la présente étude ne peut embrasser la totalité de la matière en raison de son extrême complexité4, il est néanmoins possible de s’y arrêter lorsque la publicité et plus encore les enseignes sont implantées dans des lieux ou sur des immeubles qui méritent une protection particulière. Tel est le cas des immeubles classés ou inscrits parmi les monuments historiques, des secteurs sauvegardés ou des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Ces lieux spécifiques d’implantation place les enseignes et la publicité au carrefour de nombreuses dispositions qui conduisent à s’interroger sur l’existence d’un principe d’indépendance des législations. A priori, nous serions tenté de répondre par l’affirmative, le législateur ayant fait le choix de la soumission de ces dispositifs au droit de l’environnement (I), à l’exclusion du droit de l’urbanisme et du droit du patrimoine. Mais la réponse s’avère en réalité plus complexe qu’il n’y paraît au point de contredire dans une certaine mesure l’affirmation précédente (II). 1 Selon l’article L.581-3-2° du code de l’environnem ent, constitue une enseigne, toute inscription, forme ou image apposée sur un immeuble et relative à une activité qui s’y exerce. 2 Selon l’article L.581-3-1° du code de l’environnem ent, constitue une publicité, toute inscription, forme ou image destinée à informer le public ou à attirer son attention. 3 Le Monde du 27 février 2009 dans son édition électronique 4 Pour une étude d’ensemble, cf. Ph. Zavoli, Réglementation de l’affichage publicitaire, Le Moniteur 2007 I : L’installation des enseignes et de la publicité en secteurs protégés relève en principe du code de l’environnement La loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes est désormais codifiée aux articles L.581-1 et suivants du code de l’environnement dans le titre huitième consacré à la protection du cadre de vie. On peut néanmoins s’étonner que cette législation n’ait pas accompagnée la loi du 8 janvier 1993 sur l’institution des directives paysagères qui est, quant à elle, codifiée à l’unique article L.350-1 du même code dans un bien isolé titre Vème consacré aux paysages. Quoi qu’il en soit, l’objectif poursuivi par la loi explique les règles applicables à la publicité et aux enseignes lorsqu’elles sont installées en secteurs protégés. Distinguons le cas des enseignes (A) et celui de la publicité (B). A) La publicité Directement inspiré de législations qui se sont succédées depuis le du début du XXème siècle, l’article L.581-4 du code de l’environnement dresse la liste des lieux où la publicité est strictement interdite. Il s’agit des immeubles classés parmi les monuments historiques ou inscrits, des monuments naturels et des sites classés, des cœurs des parcs nationaux et des réserves naturelles ainsi que des arbres. Le juge administratif est particulièrement vigilant pour faire respecter cette dernière interdiction puisqu’il est allé, à raison nous semble-t-il, jusqu’à considérer qu’une publicité scellée au sol installée devant un bosquet devait être assimilée à une publicité installée sur un arbre dés lors qu’il était nécessaire de procéder à un élagage conséquent pour rendre visible le message publicitaire (CE, 14 février 2001, Sté centrale espaces publicitaires, req. n°209103, Lebo n p.59, RJE n°3/2001, p.481, chron. Ph. Zavoli). De la même manière, l’article L.581-8 du code de l’environnement interdit la publicité dans les secteurs sauvegardés, les parcs naturels régionaux, les aires d’adhésion des parcs nationaux, à moins de 100 mètres et dans le champ de visibilité des immeubles classés parmi les monuments historiques ou inscrits, dans les ZPPAUP. Mais, à la différence de la liste établie pas l’article L.581-4, il est possible ici de déroger à cette interdiction législative par l’institution d’une réglementation locale de la publicité dont la procédure est formalisée à l’article L.581-14. Il convient d’observer ici que certains membres de l’atelier n°1 « Publicité et paysages » du Conseil National du Paysage ont montré leur hostilité à l’encontre de cette disposition estimant préjudiciable au cadre de vie qu’une interdiction nationale puisse être écartée localement. A cette fin, ils ont proposé que soient fusionnés les articles L.581-4 et L.581-8 au bénéfice des règles prônant une interdiction absolue de la publicité. Cette demande si elle venait à être reprise dans le projet de loi, nous paraît bien excessive voire totalement irréaliste car, en pratique, elle interdirait par exemple toute publicité dans une agglomération incluse dans un parc naturel régional (PNR) ou comportant un secteur sauvegardé ou une ZPPAUP. A titre d’exemple, le parc naturel régional de Lorraine compte parmi ses communes adhérentes de grandes agglomérations que sont Metz et Nancy. Comment justifier que l’activité publicitaire soit si limitée dans des lieux qui, s’ils sont effectivement soumis à une législation particulière, n’en proscrivent pour autant pas toute vie économique, bien au contraire. Il y va de la crédibilité du droit en général et droit de l’environnement en particulier que de tenir compte de la réalité économique d’un territoire, sauf à considérer que telles unités urbaines n’ont pas à figurer parmi les communes adhérentes à un PNR… B) Les enseignes A la différence de la publicité, le régime des enseignes est beaucoup moins sévère dans les secteurs protégés énumérés plus haut puisqu’elles n’y sont jamais interdites. En revanche, elles doivent respecter des conditions de hauteur, de dimensions et d’implantation définies par les articles R.581-55 à R.581-61 du code de l’environnement. En outre, afin d’éviter qu’elles ne dénaturent les lieux en cause et quand bien même elles respecteraient les prescriptions réglementaires précédentes, elles sont soumises à autorisation préalable du maire avec avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) lorsqu’elles sont implantées dans les lieux visés à l’article L.581-4 du code de l’environnement ainsi que dans un secteur sauvegardé et avis simple lorsqu’elles sont implantées dans les lieux visés à l’article L.581-8 du code de l’environnement à l’exception des secteurs sauvegardés. L’intervention de l’ABF dans le processus décisionnel conduit à cet égard le juge administratif à considérer que l’installation d’une enseigne alors même qu’elle respecterait l’ensemble des dispositions réglementaires du code de l’environnement soit malgré tout refusée par le maire si ce dernier estime qu’elle porte atteinte au caractère des immeubles sur lesquels elle doit être installée ou des lieux avoisinants (CE, 7 novembre 2001, Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, Lebon, p.542, RJE n°3/2002, p.467, chron. Ph. Zavoli). Ainsi a été jugé légal, le refus d’installer une enseigne sur la façade d’un immeuble au motif que la taille des lettres contribuerait à porter atteinte au caractère historique des lieux (TA Strasbourg, 5 avril 2005, Société Sogeca, req. n°0402854) ou si elle risque d’altérer l’aspect esthétique de l’immeuble considéré (CE, 3 octobre 1997, SARL Mil Mike, Lebon tables, p.671, RJE n°3/2000, p.471, chr on. Ph. Zavoli). Une telle jurisprudence doit être saluée au nom du respect de préoccupations environnementales. Elle souffre toutefois d’une limite tenant à l’absence de cadre de référence, de ligne de conduite, sur lequel l’autorité de police pourrait se fonder pour motiver un refus ou accorder une autorisation. Uniquement s’appuyer sur l’avis de l’ABF nous paraît bien insuffisant et cela l’est d’autant plus, qu’outre les lieux visés aux articles L.581-4 et L.581-8 du code de l’environnement, les enseignes sont également soumises à autorisation préalable dans les zones de publicité restreinte instituées par les règlement locaux de publicité ; que ces derniers prévoient ou non d’ailleurs des dispositions spécifiques aux enseignes. Or, l’avis de l’ABF n’est pas requis dans ces lieux (article L.581-18 alinéa 4 du code de l’environnement). Si la publicité et les enseignes sont soumises aux prescriptions figurant au code de l’environnement, elles devraient échapper à celles d’autres législations. II) L’ambiguïté des relations des dispositifs publicitaires avec les autres droits relatifs à la construction La publicité et les enseignes devraient échapper aux autres règles commandant le droit des constructions que sont le droit de l’urbanisme (A) et le droit du patrimoine (B). Mais il n’en va pas tout à fait ainsi. A) Les dispositifs publicitaires et les enseignes échappent-ils réellement au droit de l’urbanisme ? A l’occasion des débats de la loi de 1979, les parlementaires ont clairement pris le parti, afin de limiter toute lourdeur administrative et surtout d’assurer une cohérence du corpus législatif nouvellement créé, de faire échapper le droit de l’affichage aux dispositions du droit de l’urbanisme et en particulier du champ d’application du permis de construire. Ainsi, l’article 42-1 de la loi de 1979 a-t-il inséré un nouvel alinéa à l’article L.421-1 au code de l’urbanisme qui prévoyait que, « le permis n’est pas exigé pour l’installation des dispositifs ayant la qualification de publicité, d’enseigne ou de préenseigne, au sens de la loi n°79-1150 du 29 décembre 1979 ». Sur le fondement de cette disposition, le Conseil d’État en a tiré la conséquence que la demande de permis de construire pour l’installation d’un dispositif publicitaire était superfétatoire (CE sect. 27 octobre 1989, Sté Cuir Center, CJEG 1990 p.97, concl. R. Abraham). Aussi doit-on se montrer réservé à l’égard du jugement rendu par le Tribunal administratif d’Amiens qui ne s’est pas opposé à ce que le PLU de la commune de Mers-les-Bains comporte une disposition interdisant toute forme de publicité dans la partie de l’agglomération en raison de l’intérêt architectural d’un quartier situé non loin du front de mer (TA Amiens, 27 mai 2008, Société Nouvelle de création et diffusion publicitaires, req. n°602502). Quoi qu’il en soit, l’ordonnance n°2005-1527 du 8 d écembre 2005 et le décret n°2007-18 du 5 janvier 2007 pris à sa suite, ensemble portant réforme des autorisations de construire, ont conduit à une réécriture de l’article L.421-1 qui figure désormais à l’article R.425-29 du code de l’urbanisme mais avec la formulation suivante, « lorsque le projet porte sur un dispositif de publicité, une enseigne ou une préenseigne, l’autorisation prévue par les sections 2 et 3 du chapitre 1er du titre VIII du livre V du code de l’environnement dispense de la déclaration préalable ou du permis de construire ». Certains commentateurs n’y ont vu qu’une formulation différente de l’ancien article L.421-1. Mais, en y regardant de plus près, on constate qu’il n’en va pas tout à fait ainsi. Une lecture littérale du texte semble au contraire indiquer que lorsqu’il existe un régime d’autorisation préalable prévu par les dispositions du code de l’environnement, c’est-à-dire pour l’implantation de dispositifs de publicité lumineuse (art. L.581-9 alinéa 2 du code de l’environnement) et pour les enseignes implantés dans les lieux évoqués en première partie de cette étude, la déclaration préalable au sens du code de l’urbanisme (art. R.421-23 du code de l’urbanisme) et le permis de construire ne sont pas exigés. Mais, a contrario, cela signifie que dans toutes les hypothèses où l’autorisation préalable n’est pas exigée pour l’implantation d’une publicité ou d’une enseigne, la déclaration préalable ou le permis de construire seraient nécessaires. Bien évidemment, on ne peut retenir une telle proposition dans la mesure où l’on sait notamment que, depuis la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967, le permis de construire a pour seul objet de sanctionner le respect des règles d’urbanisme et l’on cherchera en vain dans ces règles d’urbanisme des dispositions intéressant la publicité et les enseignes. En outre, le Chapitre V du livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme s’intitule « opérations soumises à un régime d’autorisation prévu par une autre législation ». Ce qui signifie clairement que le droit de l’urbanisme n’a pas pour intention de s’immiscer dans l’organisation des règles figurant dans le code de l’environnement et, partant, de soumettre à autorisation d’urbanisme des dispositifs publicitaires qui échappent à toute autorisation préalable. Il a uniquement pour objet d’éviter le cumul des procédures préalables lorsqu’il en existe déjà une au titre d’une autre législation. Dit plus simplement, l’article R.425-29 du code de l’urbanisme a été mal rédigé et, c’est si vrai que le pouvoir réglementaire devrait prochainement procéder à une nouvelle rédaction de cette disposition pour lever toute ambiguïté. B) Qu’en est-il du droit du patrimoine ? 1- Logiquement, le code du patrimoine qui regroupe l’ensemble des mesures visant à protéger le patrimoine historique ou justifiant des mesures de protection particulières dans un livre VI intitulé « monuments historiques, sites et espaces protégés », ne devrait comporter, ainsi qu’on l’a dit, aucune disposition propre à la publicité et aux enseignes sauf éventuellement des dispositions de coordination comme celles figurant dans le code de l’urbanisme, ce qui en l’occurrence n’est pas le cas. Pourtant, l’article 103 de la loi n°20061666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007 a quelque peu perturbé cet ordonnancement en insérant un article L.621-29-8 au code du patrimoine au terme duquel il est prévu que, « par dérogation à l'article L.581-2 du code de l'environnement, dans le cadre de l'instruction des demandes d'autorisation de travaux sur les immeubles classés ou des demandes d'accord de travaux sur les immeubles inscrits, l'autorité administrative chargée des monuments historiques peut autoriser l'installation de bâches d'échafaudage comportant un espace dédié à l'affichage ». Le régime d’autorisation institué par cette disposition est désormais organisé par le décret n°2007-645 du 30 avril 2007 et il est entré en vigu eur au 1er octobre 2007. Le sens de cette disposition est très clair. Elle a pour objet de déroger au régime général de la publicité telle qu’il est organisé par le code de l’environnement. Dit plus simplement, si la publicité est interdite sur les monuments historiques classés ou inscrits et à moins de 100 mètres et dans leur champ de visibilité, elle peut être réintroduite sans condition de taille sur les bâches d’échafaudage en cas de travaux sur les dits monuments après accord du préfet de région ou du ministre chargé de la culture en cas d'évocation du dossier, la décision étant prise après consultation du préfet du département et, le cas échéant, accord de l'affectataire cultuel (art. 2 du décret du 30 avril 2007). A titre d’exemple, les travaux de rénovation du Grand Palais à Paris lancé en 2005 ont conduit à l’installation d’une très polémique bâche publicitaire de près de 540 m2. L’intention du législateur est a priori fort louable puisque les recettes perçues par le propriétaire du monument pour cet affichage sont affectées par le maître d'ouvrage au financement des travaux. Il n’en demeure pas moins qu’elle remet en cause directement les principes qui inspirent le droit de l’affichage, sans parler de la méthode un peu cavalière consistant à contourner « par le haut » le code de l’environnement… 2- D’autres moyens auraient pu conduire à une réflexion sur l’articulation du droit de l’affichage avec le droit du patrimoine en particulier dans les secteurs sauvegardés. En effet, l’article L.581-44 alinéa 2 du code de l’environnement renvoie à un décret le soin de déterminer les conditions d'application des dispositions relatives à la publicité, aux enseignes et aux préenseignes figurant dans le règlement annexé à un plan de sauvegarde et de mise en valeur rendu public ou approuvé. Or à ce jour, aucun texte réglementaire n’a été adopté en ce sens. De telles dispositions manquent, comme d’ailleurs en ZPPAUP. Elles auraient présenté l’avantage, en particulier pour les enseignes, de permettre aux pétitionnaires commerçants de présenter un dossier d’ensemble incluant tant le détail des travaux qu’ils envisagent de réaliser sur les façades des immeubles inclus dans les périmètres en cause que les prescriptions concernant les enseignes. Ceci étant dit, les débats ayant eu lieu lors de la journée d’étude organisée par l’ANVPAH & VSSP, ont montré que bon nombre de villes ayant un secteur sauvegardé (ou une ZPPAUP) n’avaient pas connaissance de cette subtilité du droit et ont dans leur plan de sauvegarde et de mise en valeur des prescriptions relatives aux enseignes. Sur le plan juridique, la présence de règles en la matière n’est pas par principe illégale. Trois cas peuvent la justifier. Le premier consiste en la reprise à la lettre des prescriptions réglementaires applicables aux enseignes et figurant aux articles R.581-55 à R.581-61 du code de l’environnement, comme on l’a indiqué en première partie. Le deuxième consiste en l’adoption d’un règlement spécial de publicité qui prévoit des dispositions spécifiques aux enseignes et dont le périmètre inclus ou se superpose à celui du secteur sauvegardé (ou de la ZPPAUP). Le troisième consiste en l’absence de dispositions réglementant la taille, la hauteur et le nombre des enseignes mais se limitant à des questions purement esthétiques et, par exemple, exiger que les inscriptions figurant sur les enseignes soient réalisés par « un graphisme de type classique (en excluant le « gothique ») inscrit entre deux parallèles horizontales »5. Ce dernier cas doit à cet égard être privilégié parce qu’il constitue une solution aux limites évoquées plus haut lorsque le maire est confronté à une demande d’installation d’enseigne ; les prescriptions esthétiques qui figureraient dans un PSMV ou une ZPPAUP constituent en effet le fondement idéal d’une autorisation ou, surtout d’un refus. Elles permettent également 5 Article 8 du règlement de la ZPPAUP de la ville d’Agen aux pétitionnaires de connaître, à l’avance, le type de prescriptions qu’ils doivent respecter afin que leur projet soit avalisé par l’autorité publique. En dehors de ces trois hypothèses, toute prescription d’un PSMV ou d’une ZPPAUP applicable aux enseignes et à la publicité est illégale pour erreur de droit. Il serait judicieux que, si tel n’est pas le cas, les documents en cause soient purgés de toutes dispositions relevant normalement du code de l’environnement.