Travail, formation et recherche La promotion de la santé au travail: un indicateur de la durabilité économique des entreprises Des collaborateurs en bonne santé, motivés et qualifiés sont d’un point de vue économique et social une condition fonda- Travail et santé mentale du succès futur de notre Notre monde du travail se trouve aujourd’hui dans une phase de mutations profondes, marquées par une croissance constante du secteur des services et par des concepts tels que mondialisation, «société non-stop», nouvelles technologies de l’information, télé-travail ou travail à temps partiel, réorganisation et suppression d’emplois. De nombreux travailleurs sont insécurisés par les changements constants qui interviennent dans l’organisation de l’entreprise, les méthodes de travail ou ceux qui affectent les collaborateurs, ce qui a des conséquences néfastes pour le climat dans les entreprises et la santé des travailleurs.Ces problèmes sont particulièrement critiques pour les entreprises de services,dans la mesure où le bien-être psychique et social de leur personnel est en rapport direct avec la compétitivité de l’entreprise. De plus, ce sentiment d’insécurité est proportionnel à l’âge – et l’âge moyen de notre population active croît constamment. Une récente enquête1 a démontré que le plus grand souhait des Suisses est d’être en bonne santé, d’avoir du travail et de vieillir dans le bien-être. Si nous voulons permettre à ce souhait de se réaliser, il faut donner au champ d’action stratégique pour la santé publique que constitue le poste de travail l’importance qui lui revient. Le changement économique et la modification des conditions de travail qu’il entraîne a également pour conséquence une modification des risques liés au travail et des problèmes de santé y relatifs, lesquels prennent de plus en plus d’importance en Suisse comme dans toute l’Europe. La protection traditionnelle des travailleurs a contribué de manière décisive à l’amélioration de la santé au poste de travail, grâce à la diminution des accidents du travail et à la prévention des maladies professionnelles. Ses moyens ne suffisent toutefois économie. Intégrée à une stratégie d’entreprise moderne, la promotion de la santé au travail (PST) vise à prévenir les maladies sur les places de travail, à renforcer les ressources personnelles et à améliorer le bien-être sur le lieu de l’activité professionnelle. Les avantages qu’on peut attendre d’une PST organisée de manière systématique au niveau de l’entreprise sont une augmentation de la disponibilité et des performances du personnel et une diminution des absences. Convaincues que «les entreprises saines ont un personnel sain», les banques et les assurances considèrent la PST comme un indicateur dans le processus d’évaluation de la durabilité économique d’une entreprise. Joseph A. Weiss Adjoint scientifique, secteur Santé et Travail, Secrétariat d’État à l’Économie (seco), Zurich 54 La Vie économique Revue de politique économique 12-2002 plus à faire face aux nouvelles sources de problèmes évoquées plus haut, qui représentent une charge pour les personnes concernées, leurs proches ainsi que pour l’ensemble de la société et de l’économie. Le bien-être au poste de travail: une nouvelle stratégie Il ressort d’une grande enquête menée à l’échelon européen2 (la Suisse ne dispose pas de chiffres permettant une comparaison) que 60% de la population active ont l’impression que le travail nuit à leur santé (voir graphique 1). 33% déclarent qu’ils ont des maux de dos et environ 25% souffrent de stress lié au travail, de douleurs dans les épaules ou la nuque ou d’épuisement général. Seul 1% des personnes interrogées sont convaincues que le travail a des retombées positives pour leur santé. L’importance économique des coûts et des absences a contribué à la décision de l’UE de définir le nouveau concept global de «bienêtre au travail» comme le point principal de sa stratégie 2002–2006 pour la «santé et la sécurité au travail».3 Les points centraux de ce concept sont les atteintes au système moteur et les conséquences du stress sur la santé, bien souvent causées par l’absence de mesures ergonomiques adéquates et par des contraintes psychosociales sur le lieu de travail auxquelles on pourrait remédier. Plus les personnes approchent de leurs limites individuelles de performance, plus les conséquences d’une organisation du travail défaillante apparaissent sous forme de troubles de la santé. A chaque échelon, les collaborateurs ont des réactions de stress typiques lorsqu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir accomplir ce qu’on attend d’eux. Ces réactions de stress sont des signaux d’alarme tant corporels qu’intellectuels et sont à court terme sans conséquences pour la santé. Toutefois, lorsque le travailleur subit régulièrement de longues périodes de stress, ces dernières ont inévitablement des répercussions graves sur la santé, notamment sur le système cardiovasculaire, les performances au travail, la vie de famille, la sexualité, le sommeil, la digestion, etc. Le stress accroît également la sensibilité aux facteurs dérangeants sur le lieu de travail, et la vulnérabilité du système musculosquelettique augmente. Les troubles de la santé n’apparaissent fréquemment qu’après une Travail, formation et recherche 1 Le centre de recherche sociale de l’université de Zurich, mandaté par IBM et SwissRe, a interrogé au printemps 2001 environ 1500 personnes de toute la Suisse sur leurs souhaits. Cette étude scientifique accompagnait et complétait le projet d’expo.02 «sWISH*». 2 «Troisième enquête européenne sur les conditions de travail 2000» de la Fondation Européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail à Dublin (21 703 personnes actives des 15 États membres interrogées). Internet: www.fr.eurofound.ie/working/ working.htm. 3 «S’adapter aux changements du travail et de la société: une nouvelle stratégie communautaire de santé et de sécurité 2002–2006», communication de la Commission des Communautés européennes du 11 mars 2002. Internet: europe.osha.eu.int/systems/strategies/ future/#270. 4 Étude scientifique financée par le Fonds national suisse de G. Bauer, M. Schmid, U. Zellweger, Institut de médecine sociale et préventive de l’université de Zurich; Pr H. Krueger, Institut de physiologie et d’hygiène du travail de l’EPF, Zurich. 5 Loi sur l’assurance-accidents (LAA, RS 832.20). 6 Loi sur le travail (LTr, RS 822.11). 7 Charte de la première conférence internationale de l’OMS sur la promotion de la santé, Ottawa,1986. 8 «La déclaration de Luxembourg pour la promotion de la santé au travail dans l’UE» a été convenue lors d’un sommet des membres du Réseau européen pour la promotion de la santé (ENWHP) dans l’entreprise en 1997. longue période – mais de manière d’autant plus persistante – et les frais de guérison sont alors le plus souvent à la charge de l’assurance obligatoire des soins selon la LAMal. L’université et l’EPF Zurich ont procédé l’année passée à une enquête auprès des responsables du personnel de 634 entreprises de services suisses afin de connaître les mesures prises pour maintenir et promouvoir la santé du personnel.4 Les premières évaluations de cette étude, qui n’a pas encore été publiée, donnent les résultats suivants: – les mesures de promotion de la santé en entreprise les plus fréquentes sont des mesures de management du personnel, telles que gestion à l’écoute des collaborateurs ou développement personnel systématique sur le premier poste, suivies de mesures pour la sécurité au travail. Les activités de promotion de la santé au sens classique du terme sont en revanche plus rares, et lorsqu’elles ont lieu, elles portent davantage sur des aspects de l’entreprise comme le recensement des absences ou l’aménagement ergonomique des postes de travail que sur des modifications du comportement par des cours de santé ou des programmes de prévention des dépendances; – les responsables du personnel considèrent que les buts de la promotion de la santé dans l’entreprise sont tant des aspects sociaux tels que la satisfaction des travailleurs et la prise en charge d’une responsabilité sociale que des aspects économiques comme la satisfaction des clients et les résultats de l’entreprise; – l’examen des facteurs positifs et négatifs déterminant le développement de la gestion de la santé démontre par exemple que plus d’un tiers des personnes interrogées considèrent que les collaborateurs sont seuls responsables Graphique 1 Les problèmes de santé liés au travail les plus fréquents en Europe % de la population active 35 30 25 20 15 de leur santé – ce qui se traduit par un engagement beaucoup plus faible en faveur d’une gestion en ce domaine. A l’inverse, la promotion de la santé est bien mieux établie lorsque les collaborateurs sont impliqués dans son développement et dans sa mise en pratique. La conception éthiquement discutable selon laquelle les collaborateurs sont seuls responsables de leur santé, laisse supposer que les responsables économiques qui la professent ne sont bien souvent pas conscients de l’influence capitale qu’ont les conditions de travail sur la santé. On pourrait en conclure qu’ils doivent être davantage informés de ces effets et des bases légales existant en ce domaine. Les entreprises qui appliquent volontairement une stratégie de promotion de la santé dans l’entreprise vont au-delà de leurs obligations légales et se fixent ainsi implicitement pour but de se conformer aux dispositions légales dans les domaines de la sécurité au travail5 et de la protection de la santé au travail.6 La promotion de la santé au travail, une stratégie d’entreprise La promotion générale de la santé au sens de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS)7 a pour but de «donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer». Si l’on adapte le but de l’OMS aux conditions de l’entreprise, on obtient la définition suivante de la promotion de la santé en milieu professionnel8: La PST est une stratégie d’entreprise moderne, qui tend à prévenir les maladies au travail (notamment maladies et accidents professionnels, ainsi que stress et troubles de la santé liés au travail), à augmenter les ressources personnelles et à améliorer le bien-être sur le lieu de travail. Afin d’atteindre un bien-être physique, spirituel et social, il est nécessaire que les individus comme les groupes puissent satisfaire leurs besoins, réaliser leurs souhaits et leurs espoirs et contribuer au développement de leur environnement. Si une entreprise souhaite promouvoir la santé de son personnel, cela exige de: – développer une politique globale adéquate; – mettre en place un «cadre de vie et de travail» favorable à la santé; – instaurer des activités communes axées sur la santé; – développer des compétences personnelles. 10 5 0 Maux de dos Stress Douleurs musculairescou et épaules Fatigue Maux de tête générale Source: eurofound / La Vie économique 55 La Vie économique Revue de politique économique 12-2002 L’introduction de la PST dans une entreprise comprend diverses mesures successives et adaptées à la situation qui y prévaut, et qui visent à aménager le travail conformément aux principes de promotion de la santé et à encourager un comportement sain au travail. Travail, formation et recherche Conformément au principe «les entreprises saines ont un personnel sain», les banques et les assurances utilisent désormais la PST en tant qu’indicateur économique lors de l’évaluation de la durabilité de leurs clients. 9 Enquête de l’entreprise essenz consulting, Zurich, juillet 2002. 10 Pour l’anglais «European Network for Workplace Health Promotion». Internet: www.enwhp.org. 11 www.promotiondelasante.ch. 12 www.enterprise-for-health.org. Photo: Keystone Coûts et avantages La PST n’est ni un phénomène de mode propre au milieu académique, ni un concept clé qui peut être abordé et réalisé comme un projet de durée limitée par les entreprises. Un élément essentiel au succès de la PST est qu’elle soit bien comprise et perçue comme une tâche de direction. Elle ne porte ses fruits que lorsqu’elle se base sur un concept clair, qui est périodiquement revu, amélioré et porté à la connaissance des travailleurs. Elle devrait toujours, dans la mesure du possible, être intégrée au système de gestion existant, ce qui demande généralement des investissements modestes. Les employeurs attendent souvent beaucoup des mesures prises pour la PST. Le retour sur investissement devrait se produire rapidement et se révéler bénéficiaire. L’évaluation du succès se fait en suivant l’évolution de plusieurs données: – la satisfaction des clients par rapport aux produits et aux prestations; – la satisfaction des travailleurs par rapport à leurs conditions de travail, l’organisation, la manière de diriger l’entreprise et les mesures prises pour la prévention de la santé; – les indicateurs de santé tels que les absences, la fréquence des accidents, l’usage fait par les travailleurs des offres en matière de santé, le fait de relever des facteurs de risques existants et les propositions d’amélioration; – les facteurs qui ont une incidence économique, comme la fluctuation du personnel, la productivité,la qualité,les bilans des coûts et profits. 56 La Vie économique Revue de politique économique 12-2002 Une des difficultés de l’analyse des coûts et des profits réside dans le fait que la plupart de ces données dépend également d’une multitude d’autres facteurs, et que le lien de causalité entre les mesures prises en rapport avec la PST et l’évolution de ces données ne peut être l’objet que d’une estimation – comme c’est le cas pour l’étude du succès des campagnes publicitaires effectuées pour des produits déjà établis sur le marché. Une étude9 a été menée au milieu de l’année auprès de vingt entreprises de Suisse allemande appliquant la PST. Les directions de toutes les entreprises interrogées considèrent la PST comme un concept globalement positif dans ses retombées financières tant directes qu’indirectes. Les retombées indirectes sont évaluées de manière plus positive que les retombées directes, en particulier la réduction des absences, l’amélioration du climat de travail et la satisfaction des collaborateurs, qui sont visibles à court terme déjà et relativement simples à mesurer. Les auteurs de l’étude recommandent de tenir compte des conséquences positives de la PST attendues à moyen terme dans les différents domaines de l’entreprise et de les mettre en évidence notamment par l’utilisation de «scorecards» PST. «Les entreprises saines ont un personnel sain» La PST est étroitement liée au concept de développement durable, selon lequel les entreprises doivent prendre conscience des retombées économiques, sociales et écologiques de leurs activités. Conformément au principe «les entreprises saines ont un personnel sain», les banques et les assurances utilisent désormais la PST en tant qu’indicateur économique lors de l’évaluation de la durabilité de leurs clients, en raison des incidences économiques et sociales positives qu’elle a sur le développement à long terme des entreprises. La compétitivité des entreprises est de plus en plus déterminée par leurs connaissances et leur capacité d’innovation. C’est pourquoi il devient vital pour elles d’attirer et de s’attacher des collaborateurs qualifiés et compétents. Pour cette raison, certaines entreprises affichent leur PST comme un «label de qualité» et se distinguent ainsi d’autres employeurs, par exemple dans leurs offres d’emploi, en avançant leur caractère d’employeur socialement engagé. Inversement, la PST est également utilisée à l’intérieur de l’entreprise pour renforcer l’esprit de groupe et l’attachement à l’entreprise des membres du personnel, qui attendent de la PST une amélioration de leur qualité de vie grâce à une satisfaction au tra- Travail, formation et recherche vail plus grande, une diminution du stress, un meilleur climat de travail et une réduction des contraintes que le travail exerce sur leur santé. Il est décisif pour le succès de la PST que tous les collaborateurs participent, de façon aussi large que possible, à la planification et aux décisions nécessaires. La tâche la plus importante d’une gestion du personnel et d’une organisation du travail saines consiste à tenir compte des capacités des collaborateurs lors de l’aménagement du travail. Car ce n’est que lorsque les modifications positives résultant de la PST et que les profits qui en sont tirés sont reconnus dans la même mesure par le personnel et la direction que les chances de voir la PST devenir partie intégrante de la politique d’entreprise (plutôt qu’une campagne à court terme) sont les meilleures. Les développements en Suisse et dans l’UE Sur la base du programme communautaire de l’UE pour la promotion de la santé, l’information et l’éducation, le service compétent de la Commission Européenne a soutenu une initiative visant à créer un réseau européen pour la promotion de la santé dans l’entreprise: ENWHP.10 Ce dernier a été fondé en 1996 par des organisations provenant des 15 États membres de l’UE et des pays de l’EEE dans l’intention de trouver et faire connaître des exemples pratiques et transposables de PST, grâce à un échange constant d’expériences.Les membres du ENWHP, dont la Suisse fait partie depuis cette année avec un statut d’associée, sont encouragés à donner une place importante à la promotion de la santé dans l’entreprise et à tenir davantage compte des questions de santé au travail lorsque des décisions politiques sont prises. A l’avenir, la Suisse participera au programme de travail de l’ENWHP et, en tant qu’organe de coordination national pour la PST, le Secrétariat d’État à l’Économie (seco) contribuera par son engagement aux niveaux national et international à améliorer les conditions d’exploitation pour notre économie et les conditions de travail de la population active. Dans ce but, il coordonne et soutient activement la création d’un Forum suisse pour la promotion de la santé dans l’entreprise. L’implantation et la qualité de la PST La PST étant une stratégie libre, les entreprises ne peuvent être motivées à l’adopter que grâce à un travail d’information et à des exemples d’entreprises l’ayant adopté avec succès. Si une entreprise se décide à changer de modèle, elle peut bénéficier, pour implanter la 57 La Vie économique Revue de politique économique 12-2002 PST ou former les collaborateurs qui en sont chargés, des compétences de conseillers en entreprises, qui se conforment aux principes applicables en la matière selon les critères de qualité fixés par l’ENWHP. Dans le cadre du projet «Promotion de la santé dans les PME» de la Fondation Promotion de la Santé suisse11, les instruments et méthodes de travail destinés à l’introduction systématique de la PST dans les PME ont été récemment élaborés, et leur praticabilité est actuellement étudiée dans des entreprises pilotes. Ces instruments seront mis à libre disposition des PME l’année prochaine. Quelques assureurs-maladie et accidents offrent également depuis peu des conseils à leurs clients, en argumentant que la PST permet d’éviter de longues et coûteuses absences. Les entreprises appliquant la PST ne peuvent pas encore se soumettre à une certification afin d’obtenir un sigle de qualité ad hoc, la création d’un tel label pour la PST étant encore actuellement à l’étude. Il existe aussi des entreprises qui décident volontairement d’aller plus loin que la PST. Les membres du réseau international Enterprise for Health12 s’engagent par exemple en faveur d’une politique de santé au travail et pour une culture d’entreprise collégiale. Parmi les membres de ce réseau figurent des entreprises multinationales comme le groupe Hilti, Bertelsmann Media Worldwide, GlaxcoSmithKline, etc. Les entreprises qui promeuvent la santé sur le lieu de travail obtiennent une baisse des coûts liés aux maladies et augmentent leur productivité grâce à la santé de leur personnel, qui est plus motivé et enthousiaste, et au meil leur climat de travail ainsi engendré.