Le vin, un breuvage hors du commun ? Mythe ou réalité

Le vin, un breuvage hors du commun ?
Mythe ou réalité ?
Approche scientifique dans une perspective
historique
Norbert LATRUFFE et ses collaborateurs1
Depuis des millénaires, quelles que soient les régions du globe,
aucune préparation alimentaire n’a fait autant l’objet d’attention par
l’homme que le vin et ceci à toutes les étapes de son élaboration ;
culture de la vigne, sélection des variétés, récolte du raisin, élaboration
du vin, élevage, conditionnement, commercialisation, dégustation, plaisir
de consommer. Même d’autres boissons alcoolisées, comme l’hydromel
préparée par nos valeureux gaulois, n’ont pas connu un engouement
aussi persistant que planétaire. Donc le vin est bien un produit élaboré,
absolument exceptionnel et sans équivalent.
I. Les origines
Il est admis que le vin est un nectar de 7500 ans d’âge. La vigne (Vitis
sylvestris) aurait ses origines en Anatolie sur les pourtours de la mer
Caspienne comme en témoignent les pépins de raisin retrouvés et datés,
ou encore les jarres découvertes en Iran remontant à la fin du VIe
millénaire av. J.-C. qui auraient contenu l’un des premiers vins élaborés
par l’homme à partir d’une vigne domestiquée (Vitis vinifera). Ainsi, le
parcours de l’implantation de la vigne dans le bassin méditerranéen est
jalonné de dates dans les régions suivantes : 5400 av. J.-C. en Iran, 4000
1 Cette contribution est le fruit d’un travail collectif mené par Norbert Latruffe, Brigitte Jannin,
Dominique Delmas, Allan Lançon, Didier Colin et Patrick Dutartre : INSERM U 866, Laboratoire
de Biochimie Métabolique et Nutritionnelle, Université de Bourgogne, 6 boulevard Gabriel, 21000
Dijon ; lbmc@u-bourgogne fr ; http://www.u-bourgogne.fr/LBMC.
Norbert Latruffe
av. J.-C. en Palestine, 3000 av. J.-C. en Egypte, 2500 av. J.-C. en Grèce,
1000 av. J.-C. en Italie, au Maghreb et en Espagne, 600 av. J.-C. à
Marseille, 118 av. J.-C. en région Narbonnaise, puis 200 ap. J.-C. dans la
plupart des régions de France (les vallées du Rhône et de la Saône, la
Bourgogne, le Centre, la Champagne, le Bordelais, le Nord…)2.
II. La relation vin et santé : un peu d’histoire
Le vin est un mythe car son attrait souvent irrésistible et son
appréciation font appel à nos cinq sens ; bien sûr la vision, l’odorat, le
goût, mais aussi l’ouie et le toucher. De plus, s’il ne fait pas appel au
sixième sens (l’intuition) et encore ! on peut penser que notre corps
fait appel à une sorte de « septième sens » vis-à-vis du vin, c’est à dire sa
réaction lors de sa rencontre avec les molécules du vin. C’est là que le vin
devient une réalité. A ce titre, nous verrons plus loin que, bien avant
d’avoir analysé la composition du vin et apporté les preuves scientifiques
de ses effets sur le corps humain, le concept de vin et santé existait. Il est
sans doute aussi ancien que l’histoire du vin3. Ainsi, les effets
médicamenteux du vin étaient déjà inscrits dans les temples égyptiens en
4000 av. J.-C. Les Indous intégraient le vin dans l’équilibre humoral. Les
Chinois associaient vin et ginseng. Dans la Grèce antique, Hippocrate
préconisait l’usage du vin comme antiseptique externe sur les plaies. Au
temps de la civilisation romaine, Galien prônait le vin comme antidote
des poisons…avec distinction en fonction des crus ! La médecine arabe
et orientale avec Avicenne conserva les principes bienfaiteurs du vin. En
Occident, après l’invasion des barbares, seuls les moines conservent les
prescriptions d’Hippocrate. Le XXe siècle correspond à la prise de
conscience du danger de l’alcoolisme stigmatisé avec la prohibition aux
Etats-Unis, ou encore l’observation d’une diminution des cirrhoses après
la Deuxième Guerre mondiale. Les années 1990 voient la réhabilitation
du vin avec le French paradox”4 montrant la faible incidence de la
mortalité due aux maladies cardiovasculaires et cérébrales chez les
buveurs modérés et réguliers de vin.
2 TESTARD-VAILLANT (Philippe), « Le vin dans la tourmente », Le Journal du CNRS, n°1888, 2005, pp.
18-22.
3 LAGRANGE (Marc), « le vin et la médecine », in Guide vins et santé, Lattes, éd. du voyage, 2006, pp.
206-207.
4 RENAUD (Serge) et collaborateurs, « Wine, alcohol, platelets and the French paradox for coronary
heart disease”, Lancet, 339, 1992, pp. 1523-1526 ; LANZMANN-PETITHORY (Dominique), « Histoire de
découvertes de Serge Renaud », in Guide Vins et Santé, Lattes, éd. du voyage, 2006, pp. 212-215.
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III. Rappels sur l’alimentation et la san
Il est clairement établi que la consommation régulière de légumes
verts, de fruits, de fibres, de poisson accompagnée d’exercice physique
quotidien a un effet protecteur contre les pathologies et est un facteur de
longévité accrue. A l’opposé, un régime riche en calories (à base de sucres
raffinés et de graisses animales) viande, tabac, excès d’alcool et
sédentarité, entraînera un risque accru de maladies cardiovasculaires, de
diabète, d’obésité et de cancers. En effet, les aliments issus de végétaux
produisent des microconstituants qui se retrouvent présents dans la
plupart des fruits et des légumes ; par exemple : raisin, thé, soja,
arachides, cacao, pommes, oignons, tomates, amandes, huile d’olive,
grenade, baies rouges etc. (tableau 1). Ces microconstituants alimentaires,
qui sont de puissants anti-oxydants, sont essentiellement les polyphénols
(incluant la famille des flavonoïdes) et les vitamines.
Les antioxydants sont extrêmement importants dans les processus
vitaux puisque le vieillissement cellulaire est directement lié à la présence
de radicaux libres, oxygénés ou autres, qui présentent des électrons libres
chimiquement très réactifs. Aussi, le mécanisme d’action des
antioxydants est de capter les radicaux libres oxygénés et de stabiliser
leurs électrons libres en les neutralisant.
Certains de ces composés sont aussi des pigments (ex. anthocyanes)
qui sont à la base du slogan « Pour vivre mieux, mangez violet, mangez bleu ! »5.
2 tasses de thé
= 1 barre de 25 g de chocolat noir
= 4 pommes
= 3 l de jus de pommes
= 500g d’oignons
= 550g d’aubergines
= 1 l de jus d’orange
= 1/2 l de bière
= 1/2 l de jus de cassis
= 1,8 l de vin blanc
= 1 verre de vin rouge
Tableau 1 - Equivalent anti-oxydant de quelques produits
alimentaires de consommation courante
5 RALOFF (J.), « Pour vivre mieux, mangez violet, mangez bleu ! », Courrier international, 745, 2005,
p. 48.
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IV. Les microconstituants du vin
S’agissant du vin, outre l’alcool, il contient des sels minéraux, des
arômes, des polyalcools, des sucres, des acides organiques, des protéines,
des vitamines et des polyphénols qui sont aussi des antioxydants (tableau
2).
- Tanins (proanthocyanidines, anthocyanes)
- Stilbènes (ptérostilbène, viniférine, picéide, astringine)
- (+) catéchines, (-) épicatéchines
- Acides phénoliques (acide caféique, acide gallique, acides
hydroxycinnamiques)
- Flavonoïdes (flavonols, dihydroflavonols, alpha-tocophérol)
- Vitamine E
- etc….
Tableau 2 - Principaux polyphénols du vin
Le resvératrol, un composé majeur de la vigne et du vin
En phytotechnie et en viticulture, le resvératrol est un antifongique
naturel (un antibiotique). Il est synthétisé par la vigne en quantité massive
notamment en réaction à l’infection par Botrytis cinerea vis-à-vis duquel il
agit comme antibiotique. En tant qu’éliciteur (ou phytoalexine), le
resvératrol renforce les défenses naturelles de la vigne. Alors que toutes
les variétés de vigne de l’espèce Vitis vinifera sont capables de produire du
resvératrol, le cépage « Pinot noir », typique du vignoble de Bourgogne,
en est particulièrement riche6. Cependant, il est difficile de prédire la
quantité de resvératrol dans les vins car elle dépend des conditions
climatiques et géographiques (température, humidité), du sol, de
l’exposition, l’altitude, et du processus de vinification.
Les approches scientifiques récentes rapportent les bienfaits d’une
consommation modérée de vin vis-à-vis de plusieurs pathologies :
altérations vasculaires (cardiaques et cérébrales), cancer, dégénérescence.
Les polyphénols et les tannins des vins, en particulier le resvératrol, sont
avérés être les éléments protecteurs (tableau 3). La question posée est la
suivante : le resvératrol est-il dans le vin un partenaire ou un antidote de
l’alcool comme le laissent transparaître les usages depuis les temps
anciens ?
6 ADRIAN (Marielle) et collaborateurs, « Asay of resveratrol and derivative stilbenes in wine by direct-
injection high performance liquid chromatography », American Journal of Enology and Viticulture, 51 ,
2000, pp. 37-41.
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-2000 av. J.-C. Médecine naturelle asiatique ; activité vaso-relaxante
d’extraits de racines de Polygonum cuspidatum, ; activité antimutagène
d’extraits de Yucca schidigera, deux espèces qui produisent du
resvératrol.
-1976. Détection dans la vigne et le vin d’une molécule après
infection par Botrytis cinerea (Langcake et Price, 1976).
-1977. Isolement et caractérisation de la molécule de resvératrol
(Langcake et Price, 1977).
-1991. Synthèse chimique du resvératrol (Jeandet et coll., 1991).
-1995. Protection vasculaire par le resvératrol (Gronbaeck et coll.,
1995).
-1997. Propriétés antitumorales chez l’animal. Chimioprotection
(Jang et coll., 1997).
-2003. Allongement de la vie chez les levures et la drosophile
(Howitz et coll., 2003).
-2004. Sensibilisation de cellules de tumeurs colorectales résistantes
aux agents anti cancéreux (Delmas et coll, 2004).
-2005. Restauration d’un comportement normal chez un ver modèle
de la maladie de Huntington (Parker et coll., 2005).
-2006. Lutte contre les conséquences de l’obésité (Baur et coll.,
2006).
Tableau 3 - Historique des vertus préventives et thérapeutiques
du resvératrol
V. Approche scientifique
Ce volet est illustré par quelques travaux du laboratoire sur le
resvératrol. Les cellules hépatiques humaines marquées par la
fluorescence du resvératrol montrent que celui-ci pénètre bien dans les
cellules7. L’inhibition de la prolifération de cellules de tumeurs hépatiques
humaines (HepG2) par le resvératrol a été mise en évidence8. Le
mécanisme d’action du resvératrol vis-à-vis de cellules cancéreuses
humaines implique le déclenchement de l’apoptose ou suicide cellulaire9.
7 LANÇON (Allan) et collaborateurs, « Human hepatic cell uptake of resveratrol : involvement of both
passive diffusion and carrier-mediated process », Biochemical and Biophysical Research Communications,
316, 2004, pp. 1132-1137.
8 DELMAS (Dominique) et collaborateurs, « Inhibitory effect of resveratrol on the of human and rat
hepatic derived cell lines », Oncology Reports, 7, 2000, pp. 847-852.
9 DELMAS (Dominique) et collaborateurs, « Resveratrol-induced apoptosis is associated with Fas
redistribution in the rafts and the formation of a death inducing signaling complex in colon cancer
cells », The Journal of Biological Chemistry, 278, 2003, pp. 41482-41490.
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