Usages anciens, fertilité des sols et biodiversité
La mémoire et l'oubli
Dambrine E.1, Dupouey J.L.2,
Laffite J.D.3, Laüt L.4, Leroy M.3
1. Cycles Biogéochimiques, INRA-CRF, 54280 Seichamps (France)
2. Phytoécologie, INRA-CRF, 54280 Seichamps (France)
3. Service Régional d’Archéologie, DRAC, 6 Place de Chambre, 57000 Metz
4. CNRS, UMR 8546/Université de Paris I. 40 avenue d’Italie, 75013, Paris
Résumé
Depuis le début du XIXème siècle, la surface forestière française a doublé. Les "nouvelles" forêts
croissent essentiellement sur d'anciennes terres agricoles. Dans les Vosges, le Massif Central et le Jura, en
utilisant les documents historiques et de nombreux relevés de terrain, nous avons comparé la fertilité et la
biodiversité des forêts anciennes et nouvelles. Nous avons montré que certaines propriétés des sols
comme les taux de phosphore et de nitrate assimilable par les plantes sont plus élevés dans les forêts
nouvelles croissant sur d'anciennes terres cultivées, et trouvé un marqueur à long terme des fumures
organique anciennes, l'abondance naturelle en isotope 15 de l'azote. Cette abondance en 15N est plus
élevée dans la végétation des forêts nouvelles, ce qui démontre que l'azote dont ces forêts profitent
provient en grande partie de la période agricole antérieure. Ces marqueurs fonctionnels diffèrent de
marqueurs inertes, comme les charbons de bois car ils interviennent directement dans le fonctionnement
actuel des forêts. D'autre part, la végétation des forêts nouvelles diffère profondément de celle croissant
sur les anciennes forêts voisines. Certaines espèces, dites "de forêt ancienne" tendent à disparaître dans
les forêts nouvelles, tandis que d'autres, dites "rudérales" ou "nitrophiles" deviennent plus abondantes.
Ces résultats nous ont poussé à étudier la durée de cette mémoire, ainsi que les mécanismes par lesquels
cette mémoire se perpétue.
De vastes cadastres gallo-romains en Lorraine et dans le Centre de la France ont été relevés et
cartographiés grâce à une collaboration fructueuse entre écologistes et archéologues.
La comparaison des propriétés des sols et de la composition de la végétation des zones situées à proximité
ou à distance des établissements agricoles antiques nous a montré des divergences analogues à celles
mesurées sur les occupations agricoles de la période moderne : les anciens terroirs cultivés sont moins
acides, plus riches en phosphore assimilable, et une fraction de l'azote des sols date probablement de la
période gallo-romaine. La végétation montre là encore des divergences nettes entre espèces de forêts
anciennes, et espèces de zones perturbées.
Nous avons donc la confirmation de ce que l'usage agricole ancien marque les sols et la végétation d'une
empreinte qui paraît irréversible à l'échelle historique. Par quels mécanismes l'écosystème forestier garde
en mémoire ou oublie son passé agricole ?
Trois grands mécanismes sont proposés: