Épilepsies 2005 ; 17 (3) : 159-61 Question 4 : Organisation du suivi du patient épileptique en grande précarité Jérôme Servan Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Service de Neurologie, Centre hospitalier René Dubos, Pontoise Tirés à part : J. Servan L’étude menée par l’observatoire du Samu social en 2003 révèle une prévalence élevée de l’épilepsie (15,4 %) parmi 592 sans-abri, presque la moitié des cas serait liée à une consommation excessive d’alcool (42,5 %). Seulement un peu plus de la moitié (57 %) de ces patients épileptiques était traitée et plus des 2/3 suivaient régulièrement un traitement. Ces chiffres témoignent de l’absence de règle dans la prescription et le suivi d’une population en marge du système conventionnel de soins et dont l’observance du traitement reste aléatoire. Pendant longtemps, la pauvreté est apparue comme la conséquence inéluctable mais transitoire de la croissance économique. Dès 1980, le concept sociologique de précarité va remplacer cette définition purement économique et s’étendre à des populations qui cumulent souvent plusieurs handicaps : inactivité, faiblesse des ressources, isolement social, faible niveau de scolarité, mauvais état de santé. Il concerne non seulement la population des sans-abri qui constitue la partie la plus médiatisée - la moins supportable qui contraste avec notre société d’abondance – mais aussi les populations dites de classe moyenne confrontées à des ruptures successives de leur trajectoire sociale : divorce, chômage, déménagements, surendettement, handicap, toxicomanie. Ce processus de précarisation multifactorielle est dynamique, croissant et accompagne notre société quel que soit son niveau de croissance. Les questions qu’il soulève dépassent le cadre de l’action humanitaire. Avenirs social et médical étant étroitement liés, cette réalité fait intrusion dans notre exercice médical quotidien et impose d’adapter nos comportements. 159 Après l’urgence, la prise en charge au long cours d’un patient épileptique cherche, d’une part, à prévenir la récidive des crises, d’autre part, à améliorer les conditions de vie nécessaires à une réinsertion sociale. Ce double objectif médical et social devient particulièrement difficile à atteindre quand il s’agit de patients en grande précarité. Organisation du suivi La prévention des récidives repose sur la prise régulière d’un traitement antiépileptique et la suppression des facteurs favorisants. Chez les patients en grande précarité, l’observance est aléatoire et l’exposition à certains facteurs épileptogènes comme l’alcool, les traumatismes crâniens ou la privation de sommeil est plus fréquente que dans la population générale. Si la mise en place d’un suivi régulier peut devenir illusoire, faut-il pour autant renvoyer ces patients sans recommandation, ni traitement ? Repérer le patient en grande précarité Dans certaines situations, la présentation (habillement, stigmates d’alcoolisme), le comportement voire le discours, informent sans équivoque sur le degré de précarité. Ceci est particulièrement vrai lorsque la désinsertion sociale est ancienne et sa revendication plus facile. À l’inverse, certains patients pour préserver leur dignité ne reconnaissent pas spontanément leur situation. Ces patients ont souvent été confrontés à une rupture récente et n’ont pas encore pris conscience de leur nouveau « statut », ils ont gardé leurs anciens réflexes et les mêmes comportements. Ils adhèrent facile- Épilepsies, vol. 17, n° 3 juillet, août, septembre 2005 J. Servan ment au discours médical sur le traitement et le suivi des soins mais ne pourront finalement s’y tenir. L’évaluation du degré de vulnérabilité sociale n’est pas toujours facile. Aux urgences, contrairement à une consultation, il est habituel de ne pas se renseigner sur la couverture sociale d’un patient admis. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Adapter la prescription Confronté à la grande précarité, le médecin doit adapter au mieux le traitement. Il doit bien connaître le type d’épilepsie à traiter, en tenant compte des difficultés de l’interrogatoire, et des multiples étiologies possibles mais aussi des effets secondaires, indications et contre-indications des traitements antiépileptiques. Le médecin doit être soucieux d’adapter sa prescription et le suivi en harmonie avec les conditions de vie, de ressource du patient et sa personnalité. Aux urgences, il sera préférable d’utiliser un seul antiépileptique à large spectre avec le minimum d’effets secondaires, tout particulièrement hépatiques, et sans risque de potentialisation toxique par l’alcool. Au mieux, ce traitement ne nécessitera ni surveillance biologique, ni dosage thérapeutique. Une seule prise orale et quotidienne (le matin de préférence) d’un antiépileptique doit être préférée, quitte à perdre en efficacité. Mieux vaut un traitement bien suivi à doses faibles qu’un traitement mal suivi à doses optimales. Adapter le suivi La création d’un réseau L’observance aléatoire d’un traitement prescrit au long cours, antiépileptique ou autre, est une caractéristique fondamentale des personnes dans l’exclusion : perte des médicaments, des ordonnances, absence de ressources, faible niveau intellectuel, troubles du comportement (alcool, toxicomanie). Dans ces conditions, assurer le suivi tient du défi. D’une façon générale, les difficultés d’accès aux structures de santé qui s’imposent à cette population entraînent une consommation moindre de soins. Lorsqu’il y a recours aux soins, il est difficile de bien connaître les stratégies sanitaires. Le choix des structures de soins fréquentées dépend en partie de l’orientation du patient par les travailleurs sociaux et le réseau de professionnels. Assurer le suivi d’un patient épileptique en grande précarité passe par la création d’un réseau simple, coordonné, facile d’accès et gratuit permettant l’échange rapide d’informations médicales et sociales (carnet de suivi, fiche informatique commune par exemple). Le service d’urgence de l’hôpital public constitue le point d’ancrage de ce réseau auquel vient se rattacher une permanence d’accès aux soins de santé (PASS). II reste à situer le rôle du neurologue au sein de ce réseau triangulaire. Le service d’accueil des urgences Tout patient épileptique en grande précarité sera admis un jour ou l’autre dans un service d’urgence, parfois il s’agira de son seul contact avec le système de santé. Le service d’accueil des urgences se positionne donc comme la pierre angulaire du réseau. Il assure la prise en charge urgente de la crise d’épilepsie et détermine le type de prévention ; il facilite l’accès à un réseau de soins gratuits, en organisant les rendez-vous. Épilepsies, vol. 17, n° 3 juillet, août, septembre 2005 160 Les structures de soins gratuits La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 prévoit la création de permanence d’accès aux soins de santé (PASS) dans les établissements de santé publics et les établissements de santé privés participant au service public hospitalier. Les PASS sont des cellules de prise en charge médicosociale destinées à faciliter l’accès des personnes démunies au système hospitalier ainsi qu’aux réseaux institutionnels et associatifs. Elles ont également pour fonction d’accompagner les personnes en difficulté dans les démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits sociaux. Cette approche qui intègre une offre de soins médicaux et sociaux garantit la fréquentation du réseau. Les contacts médicaux sont autant d’occasions pour sortir de la clandestinité, créer un lien social, faire connaître ses droits. La création des PASS permet de combler progressivement le fossé qui est apparu, depuis plus de 20 ans, entre le « médical » et le « social » et redonne à l’hôpital sa mission asilaire première. En dehors de ses PASS, et bien que la déontologie l’impose au médecin, la prise en charge de santé globale du patient à savoir l’acte curatif lui-même mais aussi l’élaboration d’un partenariat avec les travailleurs sociaux sont, en pratique de ville, peu reconnues et encore moins valorisées. Le fonctionnement et le financement des PASS restent très hétérogènes. Elles sont habituellement rattachées aux services d’urgence des établissements publics et font intervenir au minimum une assistante sociale qui fait appel aux médecins d’urgence présents. Dans d’autres conditions, une véritable consultation quotidienne est mise en place avec un personnel dédié composé de médecins généralistes, d’infirmières, d’une psychologue, d’un secrétariat. La place du neurologue Dans le cadre de la prise en charge des patients épileptiques en grande précarité, il est souhaitable que le neurologue exerce dans l’établissement public de santé qui accueille les urgences et dont dépend la PASS. Il appartient, ainsi, au réseau en tant que neurologue référent. Il est disponible et facilement joignable. En dehors de l’état de mal, l’épilepsie n’est pas une urgence neurologique et justifie rarement la présence du neurologue. La très grande majorité des avis neurologiques dispensés sont téléphoniques. Ils peuvent concerner l’instauration d’un nouveau traitement qui doit toujours être expliqué, sa majoration ou sa diminution, la décision de réaliser un scanner cérébral, un EEG ou toute autre question sur la nature même des signes et leur cause. D’une façon générale, les patients épileptiques en grande précarité sont des « habitués » des services d’urgence et bien connus des médecins qui les accueillent. En cas de première crise, le passage aux urgences doit être suivi rapidement par une consultation spécialisée. En dehors de l’urgence, le neurologue référent renseigne les médecins sur les modifications de traitement ou la nécessité de réaliser des examens complémentaires et assure les consultations de suivi. Modalités du suivi selon le type d’épilepsie Caractéristiques propres au suivi des patients épileptiques en grande précarité Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Organisation du suivi du patient épileptique en grande précarité L’évaluation de l’efficacité du traitement dans une population épileptique en grande précarité demeure difficile. Elle repose essentiellement sur les données de l’interrogatoire, rarement sur les dires d’un tiers. Les réponses sont souvent peu fiables et sous-estiment largement le nombre réel de crises. Ceci traduit une certaine « méfiance » des patients par rapport au personnel soignant, simple reflet d’une personnalité un peu inquiète souvent majorée par une détérioration mnésique débutante ou avérée. Il en va de même pour l’observance du traitement. Contrôler la prise des médicaments par des dosages sanguins réguliers tient de l’utopie. En dehors de l’urgence, la réalisation d’examens complémentaires (scanner, EEG), n’est pas justifiée. Son utilité n’est pas évidente, sans compter sur sa faisabilité là aussi très aléatoire. Dans la majorité des cas, le suivi se fera au rythme des admissions dans les services d’urgence après une ou plusieurs crises plus violentes. L’intolérance du traitement se soldera le plus souvent par l’arrêt de celui-ci sans avis médical préalable. En l’absence de crise, il sera néanmoins utile de maintenir un suivi médical régulier, trimestriel avec un médecin généraliste, annuel avec un neurologue spécialiste. L’épilepsie ne doit pas constituer l’arbre qui cache la forêt, les comorbidités sont nombreuses, neurologiques d’abord (troubles cognitifs, polyneuropathie...) mais aussi générales (insuffisance hépatique, pneumopathie, dermites), elles contribuent à faciliter la désinsertion et justifient donc une prise en charge médicale. La décision d’arrêt de traitement concerne le plus souvent des patients dont l’observance du traitement n’est pas bonne ; pour les autres, elle obéit aux mêmes règles que celles utilisées dans une population normalement insérée et dépend de l’ancienneté, du type, du risque de récurrence et de l’environnement du patient. Surveillance par le médecin généraliste exerçant dans une structure de soins gratuits Le médecin généraliste s’assure de la bonne compliance du traitement antiépileptique (dosage d’antiépileptiques), de l’absence de toxicité en particulier biologique (bilan sanguin et hépatique). Il ne peut modifier le traitement, en cas d’inefficacité ou de mauvaise tolérance sans en informer le neurologue référent. Il ne prescrit pas d’EEG, ni d’autres examens complémentaires en particulier à visée neurologique. La fréquence du suivi est trimestrielle. En cas d’épilepsie symptomatique ou idiopathique (associée ou non à la prise d’alcool, compliant ou non) : le patient sera vu un mois après une crise, puis tous les 3 mois. En cas d’épilepsie lors d’un sevrage alcoolique (compliant ou non) : le patient sera vu un mois après une crise, puis tous les 3 mois. En cas d’épilepsie alcoolique (sans antécédent médicochirurgical d’épilepsie) : le patient sera vu un mois après une crise, puis tous les 3 mois. Surveillance par le neurologue référent Le neurologue référent décide d’instaurer, de modifier ou d’arrêter un traitement. Il prescrit si nécessaire des examens complémentaires : EEG, scanner ou IRM cérébrale. Il oriente le patient vers un service de neurologie ou un centre d’épileptologie. Il contribue à défendre les droits du patient épileptique (certificats médicaux), à reconnaître son handicap, son aptitude, et délivre une information sur les conduites à risque. En cas d’épilepsie symptomatique ou idiopathique (associée ou non à la prise d’alcool, compliants ou non) : le patient sera vu 15 jours après une crise puis tous les 3 mois pendant 6 mois, puis tous les 6 mois. En cas de sevrage alcoolique : le patient sera vu une seule fois à 6 mois si le sevrage a réussi, sinon une fois par an. En cas d’épilepsie alcoolique : le patient sera vu une fois par an. Conclusion Définir les modalités du suivi d’un patient épileptique en grande précarité paraît simple comparé aux efforts qu’il faut produire pour « approcher » médicalement ces patients. L’admission aux urgences sera dans la plupart des cas le seul contact avec le système de santé. Rendre facile l’accès à des soins gratuits (création de PASS), et faciliter les échanges entre les différents intervenants (urgentistes, médecins généralistes et neurologues) en partenariat avec les travailleurs sociaux, constituent les véritables enjeux de la prise en charge de ces patients. Dans ces conditions de grande précarité, la prévention des crises d’épilepsie se confond souvent avec la lutte contre l’alcoolisme. En effet, dans la majorité des cas, le traitement antiépileptique n’est pas indiqué et le suivi se résume à vérifier que le patient ne rechute pas. La place du neurologue devient alors moins indispensable. Néanmoins, les causes d’épilepsie sont nombreuses et une comorbidité avec l’alcool est toujours possible, sans oublier que l’épilepsie elle-même, peut être à l’origine de la désinsertion sociale, familiale ou professionnelle (retard intellectuel, trouble du comportement, pathologie psychiatrique, effets secondaires des antiépileptiques, toxicomanie). Finalement, le suivi du patient épileptique en grande précarité, deviendrait presque un cas d’école que l’on pourrait résumer d’une autre façon : comment s’assurer de la prise quotidienne d’un traitement, indispensable, potentiellement toxique, réduisant les conséquences d’une pathologie grave et handicapante par une population que tout éloigne du corps médical ? M Références Épilepsie alcoolique Gordon E, et al. Alcohol and marijuana. Epilepsia-Copenhagen 2001 ; 42 : 1266-72. Hilbom M, et al. Seizures in alcohol-dependant patients. CNS drugs 2003 ; 17 : 1014-30. Michaud P. Conduite à tenir lors d’un sevrage alcoolique. HépatoGastro 2001 ; 8 : 23-9. Weber M, Bouly S. Alcoolisme et épilepsie. La Lettre du Neurologue 2002 ; 6 : 124-7. Précarité Chauvin P, Lebas J. Précarité et recours au soin. Traité de médecine Akos 1998 : 7-1050. Lebas J. Rapport mission PASS. http ://www.santé.gouv.fr/htm/ pointsur/praps/53pr.htm. 161 Épilepsies, vol. 17, n° 3 juillet, août, septembre 2005