Communication interpersonnelle et personne-système 75
Quant à la conscience des choses, elle s’appuie sur les représentations symboliques
et la capacité référentielle des signes. Plutôt que de demeurer prisonnier de l’instant
où se présentent les objets, je peux, à loisir, réfléchir sur les « re-présentations »
d’objets absents, imaginaires ou impossibles. Ainsi l’intentionnalité a-t-elle une
dimension sémantique3. Toute représentation est représentation de quelque chose.
En dehors de sa valeur différentielle dans la langue, le signe est signe de quelque
chose, il possède une signification référentielle. In fine, le discours est discours sur
un monde. Si les signes déictiques assurent l’ancrage du dire dans le contexte de
l’énonciation, les signes référentiels garantissent la relation symbolique des signes
aux objets et événements composant une situation effective.
Toutefois, on prendra garde au fait que ce niveau représentationnel n’épuise pas
le sens. Par-delà leurs expressions symboliques, les états mentaux des agents
résultent d’intériorisation de schémas actionnels, pragmatiques. Comme l’avait
pressenti Peirce, les croyances des agents relèvent de dispositions à agir : « Toute la
fonction de la pensée est de créer des habitudes d’action4 » et leurs valeurs
s’interprètent en termes de raisons d’agir.
4.2.2. La rationalité
La deuxième caractéristique de l’agent est sa rationalité. Indépendamment de la
question de la limitation de cette rationalité, il faut supposer que l’agent est
rationnel, qu’il agit par calcul. On sait le destin de cette idée de calcul et l’essor – à
l’origine de l’intelligence artificielle – de l’idée leibnizienne d’un calculus
ratiocinator greffé sur une characteristica universalis, c’est-à-dire d’un calcul
formel sur des signes. Formalisée, symbolique, implantée informatiquement, la
3. [BRE 44, p. 102] : « Ce qui caractérise tout phénomène psychologique, c’est ce que les
scolastiques de Moyen-Age ont appelé l’inexistence intentionnelle (ou mentale) d’un objet.
C’est ce que nous pourrions appeler nous-mêmes – en usant d’expressions qui n’excluent pas
toute équivoque verbale – rapport à un contenu, à une direction vers un objet (sans qu’il faille
entendre par là une réalité) ou objectivité immanente. Tout phénomène psychique contient en
soi quelque chose à titre d’objet, mais chacun le contient à sa façon. Dans la représentation,
c’est quelque chose qui est représenté, dans le jugement quelque chose qui est admis ou rejeté,
dans l’amour quelque chose qui est aimé, dans la haine quelque chose qui est haï, dans le désir
quelque chose qui est désiré, et ainsi de suite ». L’objet brentanien est ainsi
« in-existant » dans l’esprit. Roderick Chisholm, [CHI 56], popularisera une version
linguistique qui en fera l’objet extérieur visé. L’enjeu est alors celui sémantique de la
référence du signe à l’objet, et de son sens entendu, selon Frege, comme « mode de donation
de la référence ». Les expressions intentionnelles s’avèrent alors intensionnelle en ce qu’elles
ne satisfont plus le principe d’extensionnalité qui autorise la substitution des identiques et la
généralisation existentielle, voir [VER 86, p. 119-136].
4. Voir [PEI 31, p. 5 400]. Peirce s’inspire ici d’Alexander Bain.