DE BABEL À LA BIBLE ou DE L`ORIENT À L`OCCIDENT

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DE BABEL À LA BIBLE
ou
DE L'ORIENT À L'OCCIDENT
par M
me
Ursula S C H A T T N E R - R I E S E R , membre correspondant
L'idée de faire une conférence sur ce sujet a germé à la suite des événements de printemps 2003 en Irak. L'intitulé de notre conférence est dû à
l'assonance, encore plus pertinent en allemand: Babel und Bibel.
D ' u n point de vue sémitique où les voyelles ne sont que des modificateurs de la racine consonantique, les noms de Babel et de Bible ont pour
base une racine commune, à savoir b-b-1. Le substantif Babel ou Babylone
est cependant un mot sémitique composé des noms bab et il/el et qui se
traduit par « la porte de Dieu », alors que celui de Bible, du grec byblos,
possède l'acception de « livre ». En dehors de l'assonance consonantique,
q u ' o n t les deux noms en commun ?
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Importance de la civilisation-akkadienne
Notre objectif et de mettre en évidence l'importance de la civilisation
suméro-akkadienne, puis perse, qui est le berceau de la civilisation universelle et de mettre en évidence combien le pays de l'Irak actuel et plus précisément la mythologie mésopotamienne ont contribué à la composition et
à l ' i m a g i n a i r e de la Bible qui a tant m a r q u é l ' o c c i d e n t j u d é o - c h r é t i e n .
Certains j e u x de mots ou scènes représentatives ne se comprennent que
d'après ce contexte culturel et linguistique, q u ' o n songe par exemple à Eve
ou à Tobie. Les influences mésopotamiennes dans la Bible sont manifestes,
tant dans l'expression littéraire et théologique, l'onomastique et l'iconographique, que dans l'histoire et la conscience historique.
La perception véhiculée par les textes bibliques n'est certainement pas
à la gloire de cette grande cité qui pourtant exerça sur le monde antique un
rayonnement intellectuel et religieux tout à fait exceptionnel. Babylone est
devenu peu à peu la figure du Mal et les oracles et imprécations des prophètes contre la cité ne sont rien face au déchaînement de l'Apocalypse de
Jean chez qui Babylone est en fait le nom codé pour Rome. La Bible, qui
en fera le symbole de la corruption et de la décadence, nous en transmettra
toutefois en premier le souvenir et le prestige qui survécurent à la chute de
Babylone.
Dans l'histoire de la Tour de Babel (Gen 11, 1-9), la région est décrite
comme celle qui a vu s'ériger la première ville bâtie par les hommes. Les
prophètes parlent de sa splendeur et de ses richesses, tel Jérémie qui l'appelle « une coupe d'or dans la main du Seigneur (Jér 51,7) qui se perdit »
ou encore Isaïe qui reconnaît sa splendeur, mais annonce sa défaite (Is 13,
1914, 24). A l'exception des textes à contenu mythique et symbolique,
t e l l e l ' h i s t o i r e d e la T o u r d e B a b e l du c h a p . 11 d e la G e n è s e ou
l ' A p o c a l y p s e de St. Jean où B a b y l o n e est le n o m codé p o u r R o m e , la
B a b y l o n e d e la B i b l e c o r r e s p o n d à la p é r i o d e du N o u v e l E m p i r e
Babylonien qui commence en - 6 0 5 avec Nabuchodonozor pour se terminer
avec le libérateur Cyrus en - 5 3 9 . C'est l'époque ou vécurent les prophètes
Jérémie, Ezéchiel et le Deutéro-lsaïe.
Pour nous ici, Babel est s y n o n y m e de M é s o p o t a m i e englobant les
régions situées entre le Tigre et l ' E u p h r a t e et en b o r d u r e de ses deux
fleuves j u s q u ' a u golfe Persique et dépasse donc largement son cadre géographique selon les diverses époques. Cela correspond aujourd'hui aux
Etats de l'Irak, du Koweït, la Syrie orientale et le sud-est de la Turquie.
De l'antique Babylone qui se situe près de l'Euphrate, en Mésopotamie, ne subsiste plus grand chose : les maisons, les temples et les jardins
ont à jamais disparu. Pourtant, jamais le souvenir de la ville ne fut perdu.
Les auteurs antiques comme Hérodote et Ctésias (- 5 s.) ou encore Diodore
et Strabon (- 1 s.) l'ont décrite, bien avant que les fouilles archéologiques
et le déchiffrement de l'akkadien vers le milieu du xix siècle nous en aient
révélé leurs propres versions.
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Littérature parallèle
Mais c'est surtout grâce aux écrits bibliques, voilà presque trois mille
ans que Babylone continue à vivre dans la mémoire des hommes. Nous ne
détaillons pas ici les récits parallèles entre la littérature mésopotamienne,
qu'elle soit sumérienne ou assyro-babylonienne, et la Bible. Elles sont bien
présentées ailleurs (1). Nous nous limitons juste à les rappeler: le récit de
1.
KRAMER ( S . ) , L'histoire
commence
à Sumer, C h a m p s - F l a m m a r i o n , 1994.
MCCALL, Mythes de la Mésopotamie, PRITCHARD, Ancient Near Eastern Texts,
1994 ; BOTTERO (J.), Mésopotamie.
L'écriture,
la raison des dieux, Paris,
Gallimard, 1987 ; R o u x (A.), Ancient Iraq, London, Penguin Books, 1992 etc.
la création du monde et celle de l ' h o m m e , le déluge et Noé, le code de
H a m m u r a p i et l e s t e x t e s l é g i s l a t i f s d ' E x o d e , d e L é v i t i q u e et du
Deutéronome, la théodicée babylonienne et le Job biblique, la résurrection
cyclique du dieu Dumuzi/Tammuz et les résurrections attribuées à Elisée et
à Jésus, lui-même ressuscité, etc. D'autres textes reprennent des éléments
de la littérature mésopotamienne et/ou ont pour cadre la Mésopotamie, tels
les livres de Daniel, d'Esther, de Tobie, ou des écrits prophétiques (Isaïe,
Jérémie, Ezéchiel).
Même la biographie de Moïse, malgré son nom égyptien, s'est largement inspirée du mythe fondateur de Sargon le Grand (2400 av. J . - C ) , fondateur de la dynastie d'Akkade.
Exodus
1
2
3
2:1-6:
Un h o m m e de la maison (de prêtres) de Lévi avait pris pour femme
une fille de Lévi.
Cette femme devint enceinte et enfanta un fils. Elle vit qu'il était
beau, et elle le cacha pendant trois mois.
Ne pouvant plus le cacher, elle prit une caisse de jonc, qu'elle enduisit de bitume et de p o i x ; elle y mit l'enfant, et le déposa parmi les
roseaux, sur le bord du f l e u v e . ... La fille de Pharaon descendit au
fleuve pour se baigner, et ses compagnes se promenèrent le long du
fleuve. Elle aperçut la caisse au milieu des roseaux, et elle envoya sa
servante pour la prendre.
4
Récit autobiographique
5
de Sargon :
Ma mère, la prêtresse, me conçut en secret, elle m'enfanta. Elle me
mit dans une corbeille de roseau avec du bitume, elle ferma le couvercle. Elle me jeta dans la rivière qui ne m'engloutit pas. Le fleuve
me porta et m ' e m m e n a vers Akki le porteur d'eau. Il fit de moi son
jardinier. Durant mon jardinage Isthar (la déesse) m ' a i m a et me fit roi.
Le récit biblique fait de Moïse un personnage aussi important que
celui de Sargon, le roi akkadien. Les codes législatifs que Dieu lui transmet, tel le pacte de l ' a l l i a n c e (Ex 21-23), les prescriptions rituelles et
sacerdotales (Lév 1-16), le code de la sainteté (Lév 17-26) et les lois du
D e u t é r o n o m e (Deut 12-26) c o r r e s p o n d e n t e x a c t e m e n t et rappellent les
codes mésopotamiens, notamment le Code d ' H a m m u r a p i . C'est à Moïse,
l'homme qui a épousé une femme d'un prêtre païen madianite (nord arabe),
que Dieu se manifeste et révèle son nom. Tout cela se serait passé à une
époque où le peuple hébreu n'est pas censé avoir été en contact avec la
Mésopotamie (xm siècle av. J.-C.) ! Bien que la tradition juive lui attribue
la rédaction du Pentateuque, Moïse parle de lui m ê m e souvent à la troisième personne et chose encore plus étonnante, il raconte sa propre mort.
e
Moïse incarne le mythe fondateur du j u d a ï s m e . Il est le médiateur entre
Dieu et son peuple à qui Dieu dicte le pacte de l'alliance gravé sur les
tables de la Loi. On le représente souvent avec des cornes. Dans l'iconographie mésopotamienne les rois sont représentés avec ces mêmes cornes,
qui symbolisent à la fois l'élément divin et la royauté. C'est encore à Moïse
que Dieu révèle son nom dans l'histoire du buisson ardent (Ex 19, 20), épisode qui rappelle des rituels zoroastriens.
A propos du tétragramme, nom de Dieu
C ' e s t encore en akkadien que nous est conservée la plus ancienne
attestation et prononciation du tétragramme Yavé dans des nom théonymes
amorites tels Yavi/é-ilum, qui peut se traduire par « Dieu se manifeste » ou
« Yavé est Dieu ». Cette forme verbale n'est pas de l'hébreu, mais de l'araméen, la langue de correspondance des exilés et signifie littéralement « il
fait être/exister » (cf. la révélation en hébreu à Moïse en Gén 3, 14 est « je
serais/suis qui je serai ». La tradition juive interdisant la prononciation du
nom de Dieu a perdu sa vraie prononciation et lui substitue les voyelles du
mot « Seigneur ». Toutefois, plusieurs Pères d'Eglises attestent la transcription Iave/Iabe, conformément à l'attestation des nom théophores en écriture
cunéiforme.
Symboles iconographiques
Nous nous proposons de relever quelques traits pertinents qui ont
influencé l'iconographie de la Bible.
Le paradis : Le mot paradis du perse pardes « clôture, verger, jardin »
< vieux p e r s e pairidaeza,
a p é n é t r é la B i b l e h é b r a ï q u e à l ' é p o q u e de
l'époque du roi Cyrus le perse, conquérant de la Babylonie, qui a permis
aux Juifs le retour vers leur pays à partir de 538 av. J.-C. Dans la traduction
grecque de la Bible, la Septante, le mot est transcrit paradeïsos. Le paradis
biblique se situe géographiquement en Mésopotamie dans la région où les
B a b y l o n i e n s situent leur « pays des vivants » dont l ' o r i g i n e remonte à
l'époque sumérienne. D'après le livre de la Genèse chap. 2,8 Dieu plante
un jardin en Eden et d'après le chap. 10, 10-14 quatre fleuves en sortent: le
Guihon, le Pishon, l'Euphrate et le Tigre. Les jardins magnifiques, tels les
jardins suspendus de Sémiramis, ont sûrement influencé l'auteur biblique.
Les Chérubins ou anges gardiens
Un parcours rapide de la Bible permet de déceler la présence de chérubins dès le récit du Paradis ; leur importance dans le mobilier du taber-
nacle et du temple et leur mention dans des expressions jalonnent toute
l'Ecriture.
La tradition juive attribue deux fonctions principales aux chérubins.
Premièrement, ils gardent et protègent l'arbre sacré ou le jardin d'Eden (2)
et deuxièmement ils sont les gardiens des Tables de la Loi de l'Arche de
l'Alliance (3) et du trône royal du saint des saints du Temple de Jérusalem,
c'est-à-dire le siège vide destiné au dieu invisible à l'intérieur. Les chérubins du prophète Ezéchiel ne gardent pas le trône, mais le chariot céleste
(Ezéchiel 1, 8-9).
Ces hybrides a n t h r o p o m o r p h e s font partie intégrale de la religion
suméro-akkadienne où ils représentent des génies protecteurs ailés, avec
une tête humaine ou animale. Ils sont des êtres surnaturels qui veillent sur
les humains ou leurs bâtiments où ils introduisent leur protégé auprès d'une
divinité. On les voit partout, sculptés sur les façades monumentales, à l'entrée des portails et sur des sceaux cylindres. Dans la glyptique ces génies
ailés se trouvent entre d'autres dans des scènes rituelles centrées autour de
l'arbre de vie stylisé. Divinisés, mais serviteurs des grands dieux, ils semblent êtres immortels et ressemblent bien à notre imaginaire des anges gardiens et ils nous sont familiers comme anges gardiens du paradis.
E
Depuis le Pseudo-Denys, père d'église du V siècle et auteur de la
Hiérarchie céleste, les chérubins sont clairement considérés c o m m e une
classe d'anges.
Quant à l'étymologie de la racine Vk-r-b, karâbu en akkadien, elle
signifie « louer, prier ». Le mot chérubin, kerub(im) en hébreu, est donc
bien un emprunt à l'akkadien « celui qui rend hommage », en hébreu le mot
tel quel ne veut rien dire, mais avec la lecture dextroverse de la racine, qui
est normal pour l'hébreu, on a l'équivalent hébraïque: Vb-r-k ! Plus étonnant encore, le char céleste des Chérubins dans le Livre d'Ezéchiel chap.
10, 2-22, rakab en hébreu est composé des mêmes lettres dans un autre
ordre. Le prophète fut d'ailleurs enterré en Mésopotamie entre l'Euphrate
et le canal Kebar, nom composé des mêmes consonnes (!), lieu où il a eu la
v i s i o n d u c h a r d e feu d i v i n a c c o m p a g n é d e s C h é r u b i n s . A u t o u r d e s
Chérubins il y a un j e u de mots autour des trois lettres r/k/b contenant à la
fois des notions de louange et bénédictions, le voyage et le fleuve.
2.
3.
Par ex. : Gén 3,24; IRois 6,29-35 ; Ezéchiel 28, 14.16; 41,18-25.
Cf. Ex 25, 17s ; IRois 8, 6s.
Arbre sacré ou arbre de vie et le serpent
Dans le livre de la Genèse l'arbre défendu planté au milieu du paradis
est l'arbre de la connaissance du bien et du mal. La littérature babylonienne
connaît aussi une plante ou un arbre qui j o u e un rôle important dans la
mythologie.
Dans l'épopée de Gilgamesh (tablette x i : 2 7 9 - 2 8 9 ) , le héros est à la
recherche de la vie éternelle. Pour l'obtenir il doit se procurer la plante de
jouvence contenant « le secret des dieux », qu'il trouve dans le monde inférieur. Alors qu'il se baigne dans un lac en laissant la plante sur la rive, un
serpent attiré par le parfum de la plante, arrive et l'emporte, retirant ainsi à
Gilgamesh l'immortalité. Le serpent s'appropria par là la possibilité de
r e n a î t r e , en ôtant sa vieille p e a u . D a n s un autre récit, le p r o l o g u e de
« Gilgamesh, Enkidu et le monde inférieur », un arbre contient non seulement un serpent rusé, mais aussi le démon Lilith qui est la première femme
légendaire d ' A d a m d'après la tradition juive mystique et postbiblique.
La différence entre les versions biblique et suméro-akkadienne est de
taille : alors que la possession ou consommation de cette plante/arbre de la
version akkadienne procure la vie éternelle, l'arbre, ou plus précisément
son fruit, du récit biblique procure la mort pour l ' h o m m e trop curieux,
défiant Dieu par son infidélité et sa d é s o b é i s s a n c e . Plus p r é c i s é m e n t ,
d'après Gen 2 , 9 il y a deux arbres dans le paradis biblique: l'un au milieu,
appelé « arbre de vie » et à côté il y a « l'arbre de la connaissance du bien
et du mal », qui donne la mort.
Eve et le serpent
Intimement lié au récit précédent, l'histoire d ' E v e et l'interprétation
juive de son nom méritent que l'on s'y arrête. D'après Gen 3 , 2 0 « L'homme
donna pour nom à sa compagne: Eve, parce qu'elle fut la mère de tous les
vivants ». Le nom d'Eve, Hava en hébreu, ne s'explique pas par la racine
haya, qui signifie « vivre ». D ' u n point de vue philologique le nom d'Eve
ne peut que s'expliquer par la racine araméenne ou hava signifie à la fois
« vivre, faire connaître, informer ». Plus intéressant est le fait que ce n'est
q u ' e n araméen que l'on perçoit le jeu de mot « vie/serpent » derrière le
nom d ' E v e , car en araméen Hava signifie « vie », mais Heva ou Hivyah
signifie « serpent » ; la différence n'est que dans la voyelle! De plus, en
Gen 4,1 de la Septante, traduction grecque de la Bible, devenue la Bible
des Chrétiens, le nom d'Eve ne s'écrit plus ZCOT] « vie », mais Eva (Eva),
simple transcription du mot « serpent » en araméen dialectal. Le texte grec
de la Septante p r o u v e q u ' a u in siècle avant notre ère la prononciation
reflétait le mot « serpent », et non pas « vie », comme le suggère la vocalie
sation tardive du judaïsme rabbinique, que l'on retrouve dans la transcription Hava de la Vulgate.
Le chien de Tobie et le poisson
Le livre de Tobie, un joyau de la littérature juive, ne fut pas admis
dans le c a n o n juif, mais il a été c o n s e r v é dans la v e r s i o n g r e c q u e , la
Septante, devenue la Bible de référence des Chrétiens. Cinq fragments en
araméen et hébreu de ce texte ont été trouvés à Qumrân près de la mer
Morte, parmi des milliers des fragments attribués à la secte des Esséniens.
A part le cadre géographique, plusieurs éléments permettent de situer
le texte de Tobie à l'époque p e r s e ; l'ange protecteur rappelle les génies
protecteurs de la mythologie suméro-akkadienne, le chien et le poisson servant de remède. L'histoire dit se dérouler à Ninive au vnT siècle av. J.-C.
Dans ce livre le chien a un rôle attachant et positif - il est le fidèle
compagnon de Tobie et de Raphaël. Dans la Bible hébraïque le chien n ' o c cupe ni un rôle important, ni positif. Il n'est pas décrit comme un animal de
compagnie ; il est féroce, il aboie et c'est un animal soumis.
Contrairement à la tradition juive, le chien a une haute symbolique
dans l'antiquité suméro-akkadienne et une place de cœur chez les Perses. Il
est l'animal de compagnie de la déesse Gulah, la déesse de la guérison. Il
semble que son rôle dans le livre de Tobie n'est pas anodin, il pourrait être
une sorte d'amulette vivante garantissant la protection de Tobit annonçant
la g u é r i s o n de son p è r e Tobie d e v e n u a v e u g l e et de S a r r a h , sa future
épouse, qui a vu mourir sept fiancés, car possédée par un démon.
En route vers Ecbatane en Médie un énorme poisson tente d'engloutir
Tobie qui réussit à maîtriser l'animal, mange sa chair et lui extrait le cœur
et la bile suivant les conseils de l'ange Raphaël/Azariah. Le poisson est un
symbole mésopotamien lié au dieu des eaux douces Ea. Il constitue un mets
délicat que l'on offre en cadeau et qui s'échange entre souverains qui utilisent ses écailles et la bile en pharmacologie. Dès l'époque paléobabylonienne, des h o m m e s sirènes, en fait des prêtres exorcistes se revêtirent
d'une peau de poisson pour procéder à des rituels de protection par magie.
Ces quelques éléments ayant rapport à la Mésopotamie antique pourront être étendus sur l'ensemble de la Bible.
Conscience historique, exil et l'araméen
La c o n s c i e n c e d ' u n e o r i g i n e a r a m é e n n e et/ou a s s y r i e n n e est très
ancrée dans la tradition juive. Ainsi on se rappelle à toute occasion le pas-
sage de Deutéronome 26 : « Mon Père était un Araméen errant ». Abraham,
originaire d ' U r en Chaldée situé au sud-est de la Mésopotamie, quitte la
terre de ses pères idolâtres Nahor et Terakh. Son fils Isaac et son petit-fils
Jacob se cherchent des femmes à Harran en Haute-Mésopotamie.
Avec tant de parallèles et/ou emprunts une question se pose : à quel
moment les Hébreux ont-ils eu connaissance de la littérature suméro-akkadienne et des coutumes qui l ' a c c o m p a g n e n t ? Comment pouvaient-ils comprendre ces textes, écrits dans une langue qui est certes une langue sémitique, mais pas de l'hébreu et donc incompréhensible? La réponse est dans
l'exil, d'abord celui de 722 av. J.-C. avec la destruction du royaume du
Nord par Sargon II et la déportation des Samariens et puis l'exil de 586
avec la déportation des notables judéens à Babylone. A partir du vnT siècle
l'araméen est devenu la langue diplomatique du Proche-Orient pour devenir la lingua franca à partir du VI siècle. Les exilés ne pouvaient que correspondre en araméen avec les Akkadiens et ce fait est très important, car
j u s q u ' à ce jour nous n'avons aucun témoignage d'une traduction de la littérature akkadienne en araméen, alors que nous avons beaucoup de textes
législatifs, des lettres et des contrats en araméen de l'Egypte j u s q u ' e n Inde
pour cette époque. Les Hébreux exilés, ou les revenants de l'Exil auraient
donc été très marqués par leur rencontre avec ce monde païen, mais fascinant et ils auraient composé leurs versions directement en hébreu avec une
interprétation parfois nouvelle, mais fondamentalement identiques. Les
H é b r e u x exilés se sont d ' a i l l e u r s vite consolés de leur déportation. Ils
vivaient regroupés, soutenus par des prophètes, tels Jérémie, Ezéchiel et le
Deutéro-Isaïe. Le culte du yahvisme se concrétisa et fut toléré, à tel point
que nombre de Juifs préféraient rester en Mésopotamie où de florissantes
c o m m u n a u t é s Juives se d é v e l o p p è r e n t et où furent i m p l a n t é e s les plus
grandes académies talmudiques.
E
Les liens avec le m o n d e m é s o p o t a m i e n sont innombrables et nous
nous arrêtons en rappelant que l'institution du Sabbat a son fondement dans
un rituel akkadien de cessation d'activité durant des jours néfastes; les
noms de mois hébreux qui ne signifient rien en hébreu, sont empruntés à
l'akkadien, le Nabi ou prophète porte un nom technique qui n ' a pas de sens
en hébreu, a pour base la racine akkadienne nâbû « proclamer, annoncer »
(cf. Nabuchodonozor).
Conclusion
Il est incontestable que c'est bien l'exil babylonien du peuple hébreu
qui a sauvegardé le yahvisme en réponse à un polythéisme iconique que le
peuple hébreu malgré une fascination certaine pour le monde mésopotamien rejette véhémentement. A l'origine, un dieu local et national, Y H W H
est d e v e n u un dieu u n i v e r s e l et t o u t - p u i s s a n t . Au c o u r s du V I siècle
E
avant J.-C. l'histoire de Juda et d'Israël évolue d'un hénothéisme vers un
monothéisme aniconique. Lorsqu'on entre dans la Bible et sa genèse, on en
sort en fait à Babel.
Au commencement fut l'Orient, le berceau majeur de la civilisation,
de l'écriture, de la culture et le foyer des religions monothéistes.
Depuis la haute antiquité, ce monde s'affirme comme l'héritier d ' e m pires successifs, sumérien, assyrien, babylonien, perse, arabe, ottoman. Son
pluralisme religieux, culturel et juridique conduit à la reconnaissance des
droits c o u t u m i e r s des diverses c o m m u n a u t é s religieuses : p o l y t h é i s t e s ,
zoroastriennes, juives, chrétiennes, yézidis et mandéennes...
A partir de la formation des Etats-Nations en 1919, cette terre manifestera une hostilité à l'égard de ses minorités.
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