Le voiLe des adoLescentes de confession MusuLMane

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SOCIÉTÉ
Le voile des adolescentes
de confession musulmane
Entre spiritualité et recherche identitaire
Concernant les adolescentes de confession musulmane qui se voilent,
différentes lectures sont invoquées. Mais il est toujours difficile d’appréhender
la complexité de ce signe, certes religieux, mais riche d’enjeux collectifs
et individuels. Chez les jeunes filles, il semble résulter de la collusion entre
crise adolescente, crise familiale et crise identitaire de la société française.
Dr Nora Bouaziz,
Pédopsychiatre, Psychiatre transculturelle, Thérapeute familiale
systémicienne, EPS Erasme
I07, Antony, et Maison des
Adolescents de Cochin, Paris
Nous questionnons d’un point de vue culturel, psychologique, sociologique et théologique la polysémie de ce signe
religieux devenu symbole.
Le voile des femmes de confession
musulmane a toujours fasciné et questionné en Occident. En atteste l’iconographie orientaliste puis coloniale sur
les femmes voilées/dévoilées, voire
dénudées. Plusieurs dates émaillent le
débat public et politique sur le port du
voile en France dans l’espace public,
particulièrement à l’école. En octobre
1989 (alors que l’on fête le bicentenaire de la Révolution française), des
adolescentes voilées sont exclues
d’un collège de Creil. Le 15 mars 2004
est votée la loi interdisant dans les
écoles publiques « les signes manifestant ostensiblement une appartenance
religieuse ». Le 14 septembre 2010 est
adoptée la loi qui interdit aux femmes
en niqab toute présence dans « l’espace
public ». C’était déjà un enjeu politique
durant la colonisation : le 13 mai 1958,
à Alger, se déroule une manifestation
de “dévoilement” de femmes musulmanes, pour promouvoir la vertu
émancipatrice de la colonisation.
Au gré des mutations de la société
française et des migrations qui la
constituent, le voile est questionné
dans l’attaque qu’il porterait à l’un des
fondements de la République et de la
culture françaises, la laïcité (qui n’a
© Mr_Khan DR / iStock.
Introduction
jamais prévalu en Algérie où s’appliquait le code de l’indigénat qui maintenait un statut personnel musulman
et israélite). Il interroge également
la place − et le positionnement − des
migrants et de leurs enfants dans la
société française.
Concernant les adolescentes de
confession musulmane qui se voilent,
différentes lectures sont invoquées. Le
voile serait lié à une injonction familiale, au sexisme dont filles et femmes
peuvent être l’objet, à un rigorisme religieux, rejetant la culture occidentale
et donc à un défaut “d’intégration”…
Il est difficile d’appréhender la complexité de ce signe, certes religieux,
mais riche d’enjeux collectifs et individuels − subjectifs et intersubjectifs.
Chez les jeunes filles, il semble résulter
de la collusion entre crise adolescente,
crise familiale et crise identitaire de la
société française.
Nous avons souhaité, dans cet article,
nous décaler des débats politiques
pour interroger d’un point de vue
culturel, psychologique, sociologique
et théologique la polysémie de ce signe
religieux.
Adolescence & Médecine • Juin-Juillet 2015 • numéro 95
SOCIÉTÉ
La symbolique du voile
dans les religions
monothéistes
Le voile nous vient aussi bien de l’Antiquité assyrienne que gréco-romaine.
C’était une obligation et le privilège des
femmes mariées et des filles d’hommes
libres pour les distinguer des esclaves
et des prostituées, et témoigner de leur
pudeur et de leur modestie. Le voile
renvoie également à la virginité − dans
les rites maritaux − et à l’accès à une vérité cachée − dans des rites initiatiques.
Le judaïsme, le christianisme, puis
l’islam reprennent cet impératif du
voile en tant que signe de pudeur et
de refus d’attiser le désir d’autrui, mais
aussi en tant que signe de soumission à
Dieu et à l’homme. Il les distinguait des
païennes.
Dans le Coran, deux versets évoquent
directement le voile. La sourate 24,
versets 30-31 : « Dis aux croyantes de
baisser leur regard, d’être chastes, de ne
montrer que l’extérieur de leurs atours,
de rabattre leurs voiles sur leur poitrine,
de ne montrer leurs atours qu’à leur
époux, ou à leurs fils, ou aux fils de leur
époux, ou à leurs frères, ou aux fils de
leurs frères, ou aux fils de leurs sœurs ».
La sourate 33, verset 59 : « Prophète, dis
à tes épouses, à tes filles et aux femmes
des croyants de ramener sur elles un pan
de leur voile. Elles en seront plus vite
reconnues et éviteront d’être offensées ».
Il préconise donc la séparation des
hommes et des femmes pour prévenir
le désordre social inhérent au désir humain − quand notre république laïque,
née de la Déclaration des Droits de
l’Homme, « veut que la vérité de la différence sexuelle devienne, comme la vérité
religieuse, une affaire privée et subjective » (F. Benslama).
Le voile musulman renvoie également
au dévoilement en tant que révélation
d’une vérité accessible que par l’initiation. Doutant de la nature divine ou satanique de la révélation dont il est l’objet, le prophète Mohammed s’en ouvre
à son épouse Khadija. Elle se dévoile
alors : si c’est un diable, séduit, il restera devant sa chevelure nue. Si c’est un
ange, il fuira, épris de pudeur. La vision
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de Mohammed cesse, confirmant qu’il
s’agit d’un ange − l’archange Gabriel.
Par son dévoilement, Khadija témoigne
de sa foi en le prophète qui lui-même
doutait et l’aide à percevoir la véracité
de ses visions. Elle est ainsi le premier
croyant musulman.
auront encouragé, directement ou
indirectement, ce passage d’un islam
réformiste acceptant de composer avec
la modernité à une conception plus
stricte de la vie religieuse en soutenant
des courants conservateurs.
Nous avons questionné Sadek Sellam,
historien de l’islam contemporain et
écrivain.
Nora Bouaziz : Pourquoi y a-t-il différents modes de port du voile (haïk,
hidjab, niqab…) ?
Sadek Sellam : Pour les tenants d’une
lecture libérale, mais authentiquement
musulmane, la recommandation est
d’éviter les décolletés trop voyants.
Pour les tenants d’une lecture stricte, la
prescription est de cacher tout le corps,
y compris le visage et les cheveux. Un
hadith du prophète précise qu’une
tenue décente doit couvrir jusqu’à la
longueur d’une main en dessous du genou. Cette pluralité des lectures, associée aux coutumes locales, explique la
multiplicité des ports du voile.
La polysémie de ce signe
religieux
N. B. : Quel serait l’équivalent du
voile pour l’homme de confession
musulmane ?
S. S. : Il y a des recommandations de
se couvrir jusqu’au genou. Mais cela
n’est pas mentionné dans le Coran qui
insiste sur le voile féminin, sans doute
parce que le corps de la femme est jugé
source de tentations.
N. B. : Quelle lecture avez-vous de
l’investissement du voile par la jeune
génération, quand, pour les mères
et grands-mères, il n’était pas un
enjeu majeur de leur foi et de leur
pratique ?
S. S. : Les anciens immigrés musulmans se référaient à un islam réformiste qui ne faisait pas de fixation sur
la tenue de la femme. La jeune génération a fait du voile une revendication
identitaire. Elle a été encouragée par les
organisations piétistes qui importent
un rigorisme des soutiens financiers
des pétromonarchies. Il faut dire que
les “organisateurs” de l’islam en France
bbLe voile, signe de démarcation
Le voile marque la frontière entre le
visible et l’invisible, le montré et le caché, l’espace intime et l’espace public,
le masculin et le féminin, l’enfance et
l’âge adulte. Il nous interpelle par son
ambivalence. Il est porté au nom de la
nécessité de cacher pour ne pas attiser
le désir d’autrui. Mais il invite à deviner
ce qui se dérobe. Et il y a ces coloris, ces
textures, ces pliages du voile qui interpellent le regard, ces visages maquillés,
ces vêtements qui suggèrent d’autres
atours que la chevelure. Les adolescentes semblent ainsi composer avec
divers mouvements qui les traversent, y
compris l’envie de plaire en proclamant
une chose et en agissant une autre.
bbLe voile aux prises avec les
enjeux adolescents
L’adolescence est angoissante par les
remaniements psychiques et physiques
qu’elle induit. « Dans l’investissement
massif d’une réalité externe, ici un islam
donné à voir, l’adolescente semble [...]
trouver une issue qui permet d’estomper
les limites entre le monde interne et le
monde externe » (M. Mansouri) par la
projection à l’extérieur de sa conflictualité psychique.
Par ailleurs, l’entrée dans l’adolescence peut s’accompagner pour ces
jeunes filles de confession musulmane
d’injonctions paradoxales de leurs
deux cultures d’appartenance : dans
la culture française, les amours adolescentes − et la sexualité − sont admises,
voire valorisées avec une incitation envers les filles “issues de l’immigration”
au métissage, voire à l’assimilation à
la culture française, y compris dans le
choix de leur partenaire. Il peut y avoir
Adolescence & Médecine • Juin-Juillet 2015 • numéro 9
Le voile des adolescentes de confession musulmane
une injonction d’honneur et de loyauté
aux origines de leur famille et du groupe
culturel, particulièrement dans le choix
de leur conjoint. En gommant les attributs du corps féminin, le foulard peut
avoir une fonction de pare-excitation.
Dans le même temps, en se donnant
à voir avec son voile, la jeune fille
« désigne le phallus sur son voile » (E.
Kaluaratchige). Le voile constitue également comme un rite de passage à l’âge
adulte − il n’est une obligation qu’à la puberté. Elles acquièrent un statut d’adulte
qui les positionne différemment dans la
famille. Plus encore, le voile permet de
s’identifier aux parents tout en s’affirmant et s’affranchissant de ces parents,
parfois vécus défaillants, par un islam rigoriste, “individuel” qu’elles opposent à
l’islam coutumier et rétrograde de leurs
parents - que leur mère ont pu subir,
notamment « en incarnant littéralement
cet idéal de pureté sur leur propre corps »
(F. Khorsrokhavar). Il est ainsi un moyen
de revendiquer une identité hybride, qui
n’est ni celle des parents ni celle de la
société française.
bbLe voile entre crise identitaire
familiale et refoulée de l’histoire
Malika Mansouri est psychologue
clinicienne en pédopsychiatrie en
Seine-Saint-Denis et chargée de cours
à l’université Paris-Vincennes-SaintDenis. Elle s’est intéressée aux enjeux
du port du voile chez des adolescentes
d’origine algérienne en lien avec l’histoire familiale et ses résonances avec
l’histoire franco-algérienne, les représentations et les pratiques religieuses
au sein de leur famille, et les représentations et les expériences de ces
mêmes adolescentes de l’exclusion et
du racisme.
Nora Bouaziz : Porter le voile, estce un engagement essentiellement
spirituel ?
Malika Mansouri : Dans mes échanges
avec des jeunes femmes ayant choisi
de porter le voile, si cela est consciemment relié à un choix spirituel, d’autres
éléments, moins conscients, se donnent
à entendre implicitement. Il apparaît
notamment représenter une désobéissance sociale pour une soumission
sacrée. Refusant toute contrainte poli-
tico-sociale et/ou familiale, ces jeunes
filles affirment, envers et contre tous, un
fort désir d’accéder à la connaissance
et à la reconnaissance à travers un seul
maître à penser : Dieu. Elles racontent
leur errance psychique et sociale, et
comment l’islam, symbolisé par le voile
contenant, s’offre comme source de
représentations permettant d’être protégée. Le voile est aussi et peut-être
d’abord l’objet visible d’un engagement
politique. Il est un marquage corporel
qui permet de sortir de l’invisibilité dans
laquelle nombre de leurs ainées se sont
perdues (échec scolaire, toxicomanie…)
sans que la société ne soit dérangée par
ces pertes. Il est une adresse paradoxale
imposée au regard de l’autre pour une
reconnaissance de leur droit à être visible en tant que citoyen de France et
musulman issu de l’Histoire de France.
N. B. : Le voile implique-t-il des enjeux différents selon qu’il s’agisse de
la génération des grands-parents
venus adultes en France ou des parents ou petits enfants, français, qui
ont grandi en France ?
M. M. : Oui. Pour ces jeunes filles, l’islam était quelque peu « bafoué » ou
« falsifié » par leurs ascendants qui ne le
pratiquaient pas tous. Lorsqu’il l’était,
c’était de façon traditionnelle et rituelle, sans contenu spirituel. Leur père
était dans la transgression puisqu’il
vivait en dehors de la loi religieuse et
leur mère avait été donnée en mariage
sans prise en compte de sa volonté,
du fait de la tradition et non de la religion. Or, l’étude du Coran a appris à ces
adolescentes que l’islam emprunte des
règles qui, respectées, accorderaient
davantage de droits aux femmes
(choix de leur mari, instruction…).
Toutes pointent que leurs parents ont
été pris par les représentations dominantes et/ou s’y sont conformés. Le
voile représente aujourd’hui un rappel
aux parents de ce qu’ils auraient perdu
d’eux-mêmes dans le rapport à l’autre
dominateur.
N. B. : Le voile s’inscrit-il dans une
transmission religieuse familiale ?
M. M. : Pas du tout. Au contraire, ces
jeunes filles ont parfois le sentiment
de recontacter la véritable voie religieuse et souhaitent la réinjecter dans
la vie de leurs parents “égarés”. Une des
jeunes filles rencontrées, Sofia, évoque
même le rejet et l’incompréhension de
sa famille. Ce n’est pas la société, mais
sa mère qui la traite “d’extrémiste”. Sa
mère ne souhaite pas porter le voile et
s’oppose radicalement, comme le reste
de la fratrie, au désir de sa fille de le
porter. Sofia est certaine que l’islam fut,
pour elle, un choix salvateur et une protection contre l’errance dans laquelle
elle a vu ses frères et sœurs aînés se
perdre. Elle démontre les bienfaits de
son engagement par le fait qu’elle est
la seule de la famille à suivre un parcours universitaire, en première année
de droit. Sofia porte le voile en cachette
de sa famille. Elle emporte une djellaba
et un foulard et se change dans les toilettes d’un fast-food à l’aller et au retour
de la fac. Son désir le plus cher serait de
convaincre sa mère de porter le voile et
qu’elles puissent, ensemble, réaliser le
pèlerinage à la Mecque.
N. B. : On voit souvent le port du voile
comme le signe d’un défaut d’intégration à la société française. Qu’en
est-il du côté des jeunes filles qui
l’adoptent ?
M. M. : La question du défaut “d’intégration” des enfants issus de migrants
s’exprime ici dans un processus inversé. Ces jeunes filles expriment le désir
d’être “intégrées” à la société française
à laquelle elles se sentent appartenir,
mais se vivent comme un « corps étranger inclus à exclure » (A. Cherki). Elles
évoquent une société “raciste” qui,
pour les intégrer, leur impose de ressembler en tout point aux Français de la
majorité. Mais, si elles sont semblables
en de nombreux points, elles sont différentes physiquement, culturellement
et surtout historiquement. Ce « bout
de tissu », comme elles nomment leur
voile, rend visible ces différences que
leur société tendrait justement à rejeter.
Adolescence & Médecine • Juin-Juillet 2015 • numéro 97
SOCIÉTÉ
Ce voile s’impose hors de l’assignation
à l’invisibilité, il devient le symbole
d’une lutte pour l’accès à l’égalité de
droit et à une existence visible avec ce
qu’elles ont de semblable et de différent. Par ailleurs, elles affirment que la
médiatisation massive faisant du voile
un problème a généré l’inverse attendu,
car de plus en plus de gens s’affilient à
l’islam et choisissent de porter le voile.
L’une d’elles évoque les discriminations
subies au travers de réflexions ou comportements manifestes. Lorsqu’un jour,
on lui dit « rentre dans ton pays pour faire
ça [porter le voile] », elle se demande
dans quel pays la société voudrait la
renvoyer du fait de sa religion et, avec
humour, confirmant ainsi son appartenance à la société française, répond : « Je
suis un petit peu née ici quand même…
Les femmes françaises qui le portent [le
voile], elles font comment ? Elles rentrent
dans quel pays pour faire ça, parce que
finalement elles sont françaises, mais
elles sont musulmanes, tu leur dis “rentre
dans ton pays”, elles vont aller où ? C’est
quoi leur pays ? La Musulmanie ? Ça
n’existe pas… »
N. B. : Dans un article consacré au
voile chez les adolescentes d’origine
algérienne, vous le qualifiez de signe
du refoulement d’une partie de l’histoire coloniale. De quoi s’agit-il ?
M. M. : Le voile est aussi, mais pas seulement, un objet qui met à jour l’enkystement, plutôt que le refoulement, d’une
histoire collective déniée : le colonial.
Un moyen, inconscient, de faire reconnaître les violences subies et les combats
des ancêtres colonisés. Les “indigènes”
étaient soumis à un statut de sujétion,
interdits de citoyenneté. L’égalité des
droits leur était refusée du fait de leur
religion musulmane considérée incompatible avec la République. Pendant la
guerre d’Algérie, paradigmatique des
violences du colonial, l’enlèvement
forcé du foulard était couramment pratiqué par les soldats français avec pour
seul but l’humiliation. En mai 1958 se
déroula une cérémonie procoloniale du
“dévoilement” de femmes musulmanes,
“aidées” par des “Européennes”. Le corps
des femmes algériennes était devenu un
théâtre de la représentation de la lutte
contre l’indépendance : la puissance
coloniale affirmait œuvrer à l’émancipation des femmes et à la pérennité de
la “civilisation française”. Frantz Fanon
décrivait qu’en réaction, des femmes
« reprennent le voile affirmant ainsi qu’il
n’est pas vrai que la femme se libère sur
l’invitation de la France et du Général de
Gaulle… » Aujourd’hui, les descendantes
françaises nées de ces parents « jetés
dans les cités par l’Histoire » (A. Cherki)
semblent affirmer la même chose. Dans
un débat commémoratif des massacres
de Sétif et Guelma (le 8 mai 1945), une
jeune femme voilée s’exprimait ainsi, en
ce 8 mai 2015 : « La France veut m’aider
à me libérer, mais je lui demande de
me laisser m’occuper moi-même de ma
libération ». Les parents dont l’histoire
a été tue n’ont jamais pu l’élaborer. Ils
sont dans une transmission impossible. L’école n’est pas le lieu de la transmission de ce savoir insu. Ce trauma
encrypté passe alors dans la transmission chez les descendants qui ont pour
charge impossible de l’élaborer pour
leurs ascendants et pour eux-mêmes.
Pris au piège, ces descendants vivent
un métissage conflictuel, car leurs deux
mondes d’appartenance continuent
une guerre qui n’en finit plus d’interroger leur acte de naissance. En réalité, ce
qui ne peut pas être dit insiste à vouloir
se montrer.
N. B. : L’adoption du voile chez les
adolescentes est-elle en lien avec
le processus adolescent ? Y a-t-il un
équivalent masculin à ce qui traverse
ces jeunes filles ?
M. M. : Je le pense. Ce sont principalement des adolescentes qui ont initié ce
retour supposé aux origines par le biais
du voile. L’adolescence est un temps
de consolidation des identifications et
de conquête de l’identité. Au-delà du
religieux, le corps voilé des jeunes filles
nous raconte une histoire, celle des « enfants illégitimes » (A. Sayad) de la France
coloniale. Ils ont reçu et renvoient les
résonances de ce passé traumatique,
d’autant plus fortement que ce passé est
dénié ou travesti et que des représentations historiques négatives pèsent défavorablement dans leur vie. Les séquelles
en sont les discriminations et le racisme.
Chez les filles, leur corps semble hurler
un impossible à être réduites à ce que
l’on voudrait qu’elles soient. Ce corps
hurlant peut prendre d’autres formes
chez les garçons. On l’a vu notamment
avec les émeutes de 2005. Il était également question de corps parlants ou
plutôt de corps hurlants, propulsés par
une colère impensée.
Mots-clés
Adolescence, Colonisation, Identité,
Islam, Laïcité, Voile
bibliographie
1. Benslama F. La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam. Paris : Aubier, 2002.
République. Synapse 2006 ; 221 : 11-21.
2. Benhayoun G. Que dévoile le voile ? Essai d’analyse transculturelle des
5. Khosrokhvar F. L’identité voilée. Confluences Méditerranée, 1995-
« affaires du voile islamique » en France entre 1989 et 2004, Université
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Paris 13, 2006/2007.
6. Mansouri M, Sturm G, Moro MR. Reflet du racisme : le voile, emblème
3. Guénif-Souilamas N, Macé É. Les Féministes et le garçon arabe, La
d’un métissage conflictuel. L’Autre 2008 ; 9 : 381-99.
Tour d’Aigues : Édition de l’Aube, 2004.
7. Sellam S. La France et ses musulmans. Un siècle de politique
4. Kaluaratchige E. Voiler et dénuder : retour du féminin à l’école de la
musulmane (1895-2005), Paris : Fayard, 2006.
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Adolescence & Médecine • Juin-Juillet 2015 • numéro 9
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