zakaria taha

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Monde arabe /
Monde musulman
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ée du partage de l’Empire ottoman entre la France
et la Grande-Bretagne, mosaïque ethnique et
confessionnelle attachée à ses traditions, la Syrie
a subi jusqu’en 1970 de nombreux coups d’État.
Les Assad y instaurent un régime autoritaire dont
le discours panarabe et officiellement « laïque »
dissimule une instrumentalisation communautaire.
Bien que jouissant de ressources diversifiées, la Syrie
vit essentiellement de ses revenus pétroliers, en
baisse constante. En mars 2011, le pays prend part
aux mouvements du Printemps arabe. Le déni par le
régime des revendications de liberté, leur répression
sanglante ainsi que la division et l’impuissance de la
communauté internationale favorisent la montée en
visibilité des groupes islamistes radicaux. Cinq ans plus
tard, le conflit syrien catalyse les tensions et subit les
jeux d’influences régionales et internationales. Dans
un contexte de guerre civile et dans un Proche-Orient
fragilisé et traversé par les dynamiques identitaires
et communautaires, la Syrie peut-elle conserver son
intégrité territoriale et son unité nationale ?
Zakaria Taha est docteur en Études Politiques de
l’EHESS-Paris. Spécialiste de la Syrie, il est
actuellement maître de conférences à l’Université
Grenoble Alpes.
ISBN : 978-2-8073-0647-9
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histoire, géographie, société, politique, économie et culture. Le directeur
de collection, Mathieu Guidère, agrégé d’arabe et professeur des universités en islamologie, est spécialiste de géopolitique et d’histoire
immédiate du monde musulman.
Tous les ouvrages publiés dans la collection « Monde arabe – Monde musulman »
sont soumis à un processus rigoureux et anonyme de sélection et de révision,
sous l’autorité du directeur de collection.
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Rue du Bosquet, 7 – B-1348 Louvain-la-Neuve
2e édition
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quelque manière que ce soit.
Imprimé en Belgique
Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris : septembre 2016
ISSN 2295-2810
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2016/13647/148 ISBN 978-2-8073-0647-9
Introduction
Depuis mars 2011, la Syrie est en plein chaos. Pourtant, elle a longtemps été
considérée comme l’un des pays les plus stables de la région. Cette stabilité,
dont le « mérite » revient à Hafez al-Assad, s’est faite au prix d’un immobilisme
à tous les niveaux : politique, économique, social et culturel. Les trente ans
de règne de Hafez al-Assad ont été marqués par un pouvoir répressif, autoritaire et ultra-sécuritaire que Michel Seurat avait surnommé « L’État de
barbarie ». La succession de Bachar al-Assad, alors âgé de 34 ans, à son père
en juin 2000 est interprétée comme un signe de renouveau et d’ouverture
dans une Syrie longtemps fermée et dans un monde arabe gouverné par des
autocrates vieillissants. Mais le jeune président abandonne vite ses promesses
de réformes politiques (discours d’investiture du 17 juillet 2000) au profit
d’ouvertures économiques aboutissant surtout à l’enrichissement des membres
de la famille présidentielle et des cercles de confiance. Sa politique intérieure
s’inscrit dans la continuité de celle de son père (aspect familial, clientélisme,
emprisonnement d’opposants, violation des droits de l’homme, corruption…).
Croyant être à l’abri du printemps arabe déclenché en Tunisie en décembre 2010,
Bachar al-Assad déclarait, lors d’un entretien avec le Wall Street Journal le
31 janvier 2011, soit quarante-cinq jours avant le soulèvement syrien, que les
vagues de contestation qui submergeaient la région n’atteindraient pas la Syrie.
Son régime jouit, dit-il, d’une large popularité, en raison de son opposition à
l’impérialisme américain et sioniste et du soutien aux mouvements de la
résistance palestinienne et libanaise du Hamas et du Hezbollah1.
1. Interview du président syrien Bachar al-Assad. http://www.wsj.com/articles/SB100014
24052748703833204576114712441122894 (consulté le 20 mai 2016).
Introduction
5
En mars 2011, des Syriens issus de toutes les composantes de la société manifestent et réclament la liberté et la dignité. La révolution syrienne se voulait
pacifique. Mais le régime refuse de considérer les protestations populaires
comme un retentissement du « printemps arabe ». Dans le but de discréditer
et délégitimer la contestation, Bachar al-Assad accuse les manifestants de
vouloir instaurer des « émirats salafistes » soutenus par l’étranger, notamment
par les monarchies du Golfe comme le Qatar et l’Arabie Saoudite. L’État syrien
est confronté, selon lui, à une agression extérieure, « un complot planétaire »
ourdi par des pays occidentaux comme les États-Unis et dont le but serait la
déstabilisation du régime et la partition du pays. Au lieu d’annihiler les aspirations légitimes d’une population bafouée, la violence et la répression impitoyables du régime ont largement contribué à la militarisation et à la
radicalisation de la révolution syrienne. Celle-ci, éclatée, est ensuite rattrapée
par le sectarisme (massacres de caractère confessionnel, milices chiites, groupes
islamistes et salafistes, Daech, Front al-Nousra, milices kurdes, milices chrétiennes…).
À la différence des régimes égyptien ou tunisien qui tombent relativement
vite, le régime syrien résiste. Il parvient à une capacité de nuisance inédite,
monopolisant l’État, modulant la société et tirant profit des divisions et des
enjeux des puissances régionales et internationales. Le régime syrien joue toutes
les cartes pour brouiller les pistes (la laïcité et la protection des minorités, la
lutte contre le terrorisme islamiste, les divisions communautaires…).
La montée en force de l’État islamique (Daech) en Syrie, en Irak, en Lybie et
au Sahel ainsi que la menace djihadiste en Europe (attentats du 13 novembre
2015 à Paris et du 22 mars 2016 à Bruxelles), aux États-Unis (fusillade d’Orlando
le 11 juin 2016) et au Moyen-Orient font de la guerre contre le terrorisme
une priorité pour les puissances internationales. Une coalition « arabooccidentale » conduite par les États-Unis est formée en septembre 2014 pour
combattre militairement Daech. Le régime de Bachar al-Assad, qui a misé sur
la carte du terrorisme islamiste dès mars 2011, tire profit de ce contexte pour
améliorer son image et se faire passer pour un moindre mal (reprise médiatique
de Palmyre – tombée aux mains de Daech le 21 mai 2015 – par l’armée
syrienne le 27 mars 2016 et appuyée par l’aviation russe). Ainsi, il peut poursuivre sa guerre contre l’opposition (largage de barils de TNT, blocus de villes
rebelles, famines, perturbation de l’aide humanitaire, destruction d’hôpitaux
6
Syrie
et d’écoles, utilisation d’armes interdites…), ciblant en premier lieu les plus
modérés et les civils dans des zones qui se trouvent hors de son contrôle.
Si, sur le plan diplomatique, les négociations sur un processus de transition
politique restent sans issues, les Occidentaux et les « Amis du peuple syrien »
tergiversent, sceptiques vis-à-vis de l’opposition et inquiets sur l’après-Assad,
ce qui n’a eu pour effet que de prolonger le conflit et aggraver la situation
humanitaire. Le soutien diplomatique (discours de Poutine devant l’Assemblée
nationale de l’ONU le 28 septembre 2015) et militaire (appui aérien) de la
Russie et de l’Iran dans le conflit (fournisseur de milices chiites et soutien
économique) renforce un régime aux abois qui ne semble pas disposé à céder
à une opposition de plus en plus affaiblie et à une rébellion fragmentée et
discréditée.
La Syrie est saisie ici à travers l’analyse synthétique de thèmes aussi divers et
inextricablement liés que l’histoire, la géographie ou la structure d’une société.
C’est dans ce creuset d’identités multiples que la Syrie, caractérisée par une
diversité originelle et constitutive, fonde l’État moderne. La question de l’appartenance identitaire, prégnante aujourd’hui plus encore, est présente dès la
naissance de cet État, construction humaine susceptible de mutations profondes
dans la crise actuelle. Ainsi les dynamiques identitaires se multiplient tandis
que le Baath, le parti qui exerce son monopole depuis 1963, érige l’arabisme
en culture et identité nationales, tout en menant une politique ambiguë à
l’égard des communautés ethniques et confessionnelles. Enfin, il convient
d’appréhender la nature (communautaire et autoritaire) du régime syrien tout
en considérant le poids de l’islam, le rôle de l’économie et la place de la
société civile, ainsi que celle du contexte géopolitique dans le maintien du
pouvoir qui s’adapte en fonction de ses besoins de légitimation propre. Après
un demi-siècle de règne sur la Syrie, le régime Assad continue de manipuler
les références tantôt religieuses tantôt laïques dans une région où le poids
des communautés reste fort afin de se maintenir au pouvoir.
Introduction
7
chapitre
1
Histoire et géographie
Jusqu’au début du xxe siècle, le nom de « Syrie », sourya en arabe, désignait
un vaste territoire délimité à l’est par la Haute Mésopotamie, à l’ouest par la
Méditerranée, au sud par le désert d’Arabie et le Sinaï et au nord par les
montagnes du Taurus. Ce territoire, connu par les Arabes sous le nom de
Bilad al-Cham « Pays de Damas », englobait la Syrie actuelle, le Liban, la Jordanie et la Palestine. Si, dans ses frontières actuelles, la Syrie ne constitue qu’un
territoire réduit de ce vaste espace, elle a été dès l’Antiquité au cœur des
ambitions et des convoitises des différents peuples qui s’y sont succédé. Des
convoitises que la géopolitique moderne perpétue sur un territoire aux enjeux
régionaux et internationaux. Dans une région fragilisée par le sectarisme et le
communautarisme, la crise – transformée en guerre civile – que traverse la
Syrie depuis 2011 menace l’intégrité territoriale de l’État syrien.
1
DE L’ANTIQUITÉ À LA MODERNITÉ :
CARREFOUR DE PEUPLES ET DE CIVILISATIONS
Dès l’Antiquité, la Syrie est le théâtre de luttes et d’influences entre différents
peuples qui y ont laissé leurs empreintes. Les Cités-États des IIIe et IIe millénaires
comme Mari (2900-1760 av. J.-C.), Ougarit (2400 av. J.-C.) et Ebla (2400-1600
av. J.-C.) témoignent de l’existence de brillantes civilisations anciennes. Ebla,
découverte en 1964 à Tal Mardikh, à 60 km au sud d’Alep, est restée en
dehors de l’influence mésopotamienne ou égyptienne. Elle est de ce fait la
première capitale de Syrie de l’époque ancienne avant d’être dévastée par les
Hittites, 1 600 ans av. J.-C. Ougarit, la cité cananéenne du iie millénaire av. J.-C.,
Histoire et géographie
9
découverte par une mission archéologique française en 1928 à Ras Chamra à
16 km au nord de Lattaquié, offre à l’humanité son premier alphabet. Les
tablettes d’argile qui y sont découvertes utilisent un système d’écriture présentant une certaine similitude avec nos alphabets modernes à travers une
écriture alphabétique et des consonnes.
Les Araméens, peuple sémite semi-nomade, s’implantent en Syrie à partir de
1200 av. J.-C. et forment une confédération de royaumes au nord et au centre
de la Syrie. Au xe siècle av. J.-C., ils fondent le royaume de Damas pour la
première fois dans l’histoire. L’araméen sera la langue de la majorité des Syriens,
et cela pendant plus d’un millénaire. Aujourd’hui encore le syriaque, dialecte
sémitique issu de l’araméen utilisé par le Christ, est parlé par un certain nombre
de chrétiens du village de Maaloula, situé à 56 km au nord-est de Damas dans
le plateau du Qalamoun. La Syrie araméenne attire les peuples qui cherchent
un accès à la Méditerranée. Aussi est-elle envahie à tour de rôle par les Assyriens à l’époque de Téglath-Phalasar III et Sargon II (744-727 av. J.-C.), par les
Chaldéens sous le règne de Nabuchodonosor (604-562 av. J.-C.), les Babyloniens
sous Nabuchodonosor II (597-586 av. J.-C). Enfin, les Perses prennent le contrôle
de la Syrie après la victoire de Cyrus le Grand en 539 av. J.-C. Celui-ci étendra
son royaume à la plupart des territoires de Syrie pendant deux siècles.
Avec la victoire d’Alexandre le Grand sur la Perse en 333 av. J.-C., la Syrie est
annexée à l’Empire grec. Séleucos Ier Nicator, général d’Alexandre et fondateur
de la dynastie des Séleucides (312-64 av. J.-C.), se proclame roi de Syrie en 305
av. J.-C. La Syrie s’ouvre sur le monde hellénistique. Les Séleucides construisent
des cités comme Lattaquié, Apamée, Doura-Europos et Antioche (Antakya
en arabe, a été cédée à la Turquie par les autorités mandataires françaises en
1939). Cette dernière, un des foyers de la culture grecque, devient la capitale
du royaume séleucide jusqu’à la défaite de son dernier roi Antiochos XIII face
au Romain Pompée en 64 av. J.-C. Sous l’Empire romain, la Syrie connait une
période de paix et de prospérité ; elle offre plusieurs gouverneurs à l’Empire
romain, le plus célèbre étant Philippe l’Arabe (244-249) originaire de Chahba
dans la plaine du Hauran. À la mort de l’empereur Théodose Ier en 395 et
lors de la division de l’Empire romain, la Syrie devient une province de l’Empire
romain d’Orient qui prend le nom d’Empire byzantin, dont le centre du
pouvoir est Constantinople. La domination byzantine sur la Syrie dure près
de 240 années jusqu’à la conquête arabe en 634.
10
Syrie
C’est toutefois sous la dynastie omeyyade (661-750) que la Syrie devient le
centre de gravité du nouvel État. Damas s’affirme alors comme la capitale
d’un immense empire dont les frontières s’étendent de l’Asie centrale à l’Espagne.
Si les Califes omeyyades se préoccupent notamment de l’expansion territoriale,
ils introduisent des réformes politiques, économiques et sociales qui contribuent
à l’essor de l’État musulman. Le Dinar (en or) et le Dirham (en argent) remplacent les monnaies byzantine et sassanide utilisées jusqu’alors. Les écoles, les
hôpitaux et les asiles, bimaristan, se multiplient. Sous le 5e calife omeyyade
Abdel Malik Ben Marwan (685-705) débute le mouvement de traduction du
grec et du persan vers l’arabe, qui devient langue officielle. La grande mosquée
des Omeyyades de Damas, dont la construction s’achève en 715 à la demande
du 6e calife al-Walid Ben Abdel-Malik (705-715), devient un modèle d’architecture qui sera reproduit à Alep, à Médine, à Kairouan et à Cordoue en
Andalousie. Si la montée des Abbassides (750-1258) venus d’Irak et le transfert
du centre du pouvoir à Bagdad contribuent à la marginalisation politique de
Damas, les Omeyyades prospèrent en Espagne.
L’éclatement de l’État musulman vers le xe siècle favorise l’apparition de principautés rivales et indépendantes. La Syrie devient un champ de batailles et
d’influences. Les Croisés fondent le Royaume latin d’Orient sur la côte méditerranéenne (1099-1291), les Hamdanides forment leur émirat à Alep de 945 à
1002 puis les Fatimides conquièrent la Syrie en 978 et la dominent pendant
près de deux cents ans (969-1171), avant que leur califat ne soit aboli par Saladin en 1171. Enfin les Mamelouks d’Égypte (1250-1516) et leur sultan Baybars
prennent le contrôle de Damas en 1260 après avoir freiné l’avancée des Mongols.
En 1516, Damas tombe aux mains des Ottomans. La Syrie devient l’une des
provinces d’un vaste empire hétéroclite par les origines ethniques et confessionnelles de ses populations. Les réformes lancées par les lois des Tanzimat
(1839-1878) constituent les premiers pas vers un processus de sécularisation
visant à diminuer le monopole de la religion sur la sphère juridique et éducative. Elles aboutissent à la promulgation en 1876 d’une Constitution inspirée
des Constitutions française et belge, qui reconnaît la liberté religieuse ainsi
que de nombreux droits civils et politiques aux Ottomans quelle que soit leur
religion, limite le pouvoir des tribunaux religieux contrôlés par les grands
Muftis en créant des tribunaux séculiers appelés nizamiya, et introduit des
codes civils. L’importance du mouvement des Tanzimat dans l’histoire moderne
Histoire et géographie
11
de la Syrie, ex-province de l’Empire ottoman, réside dans les empreintes qu’il
a laissées et qui ont persisté même après le démantèlement du pouvoir central de l’Empire. Les premiers nationalistes syriens ayant mené la lutte contre
les Ottomans puis les Français, ensuite devenus dirigeants ou hommes d’État,
étaient hauts fonctionnaires civils et militaires à Istanbul, héritiers du mouvement des Tanzimat et anciens militants du Comité Union et Progrès contre
le régime despotique du Sultan Abdul Hamid.
L’expansion des idées nationalistes venues d’Europe dans l’Empire ottoman à
la fin du xixe siècle, l’autoritarisme et la tyrannie ottomane encouragent l’émergence des revendications autonomistes annonçant l’effondrement de l’Empire
ottoman et la consommation du lien entre Arabes et Turcs unis jusqu’alors
par l’islam. C’est la Nahda ou « renaissance arabe ». Celle-ci marque une
période riche de productions littéraire et linguistique, elle jette les bases idéologiques des deux principaux courants de la pensée arabe moderne : le courant réformateur religieux et le courant moderniste laïque. Des intellectuels
et écrivains syriens tels que Farah Antoun (1874-1922), Adib Ishaq (1856-1884),
Abdelrahman al-Kawakibi (1854-1902), Sati‘ al-Houssari (1880-1968) et bien
d’autres ont été parmi les précurseurs de la Nahda.
Dans les centres urbains syriens fleurissent les associations scientifiques et
culturelles, le mouvement de la presse et de la traduction pendant les années
1908-1914. Damas compte une vingtaine de journaux dont le plus important
est al-muqtabas, un journal à tendance arabiste fondé par Mohammad Kurd
Ali. Se forment également des sociétés secrètes panarabes, parfois à caractère
littéraire, s’intéressant aux affaires politiques des Arabes comme jam‘îyat alumma al-‘arabîya al-fatât « société de la jeune nation arabe » créée à Paris
en 1911. Si la Nahda a permis aux Arabes d’avoir une certaine conscience de
l’identité nationale qu’ils formaient, la conception d’une identité au sens politique était pratiquement absente jusqu’au début du xxe siècle. Les idées nationalistes de cette période-là restent ambiguës, oscillant entre revendications de
décentralisation de la gouvernance des provinces arabes et réformes politique
et administrative sans séparation politique de l’Empire ottoman. Le 1er Congrès
arabe tenu à Paris entre les 18 et 24 juin 1913, réaffirme les revendications
relatives à l’usage officiel de la langue arabe et à la décentralisation administrative, en même temps qu’il appelle à l’union de tous les Arabes, au-delà des
distinctions confessionnelles dans le cadre de l’Empire ottoman. La Syrie reste
12
Syrie
pendant quatre siècles sous domination ottomane jusqu’au démembrement
de l’Empire ottoman par les puissances coloniales européennes – l’Angleterre
et la France – en 1918.
UN REFUGE POUR LES MINORITÉS
La Syrie constitue une terre d’asile pour les groupes religieux hétérodoxes apparus entre
les viiie et ixe siècles en raison notamment des divisions au sein du chiisme. Ainsi, les
ismaélites trouvent refuge vers le milieu du ixe siècle à Salamiyeh au sud-est de Hama,
leur berceau en Syrie, après la répression qu’ils subissent à Bagdad du fait de leur
activisme prosélyte. L’ismaélisme est une ramification ésotérique née de la divergence
avec les chiites duodécimains au sujet de la succession du 6e imam Ja‘far al-Sadiq (mort
en 765). Alors que les chiites duodécimains choisissent Moussa al-Kazim comme successeur au 6e imam, les ismaélites considèrent Ismaïl comme le véritable successeur,
duquel vient leur nom. Les ismaélites seront à l’origine de l’État Fatimide (969-1171)
qui fonde Le Caire, « la Victorieuse », centre de leur État. Les druzes se réfugient en
Syrie où ils se replient dans le mont Hermon, dans le Golan et dans la montagne du
sud de la Syrie qui portera leur nom, pour échapper à la persécution en Égypte après
la mort du calife fatimide al-Hakim en 1021. L’origine des druzes remonte à Mohammad
al-Darrazi qui vénérait le calife fatimide al-Hakim (996-1021). Les enseignements de la
doctrine druze, également ésotérique et secrète, sont exclusivement réservés aux initiés
appelés uqqal « sages » par opposition à tous les autres membres de la communauté
appelés juhhal « ignorants ». Quant aux alaouites (historiquement appelés nusaîyrî)
repliés dans les montagnes du nord de la Syrie, ils ont été violemment réprimés par
les Mamelouks après la rébellion de 1317. La doctrine alaouite est née d’une scission
avec les chiites duodécimains lorsque Mohammad ibn Nusaiyr, le fondateur de la
communauté au ixe siècle et disciple du 10e imam chiite Ali al-Hadi (mort en 868)
prêchait la divinité des Imams. C’est toutefois al-Khassibi (mort en 957) qui a propagé
sa doctrine à Alep avant que son petit-fils Sourour al-Tabarani (mort en 1035) s’installe
à Lattaquié en 1032 et contribue à la conversion des populations locales de la montagne
qui prendra leur nom. Tous ces groupes dissidents de l’islam, pourchassés à cause de
leur hétérodoxie, conservaient leurs cultes et traditions.
Histoire et géographie
13
2
IDENTITÉS ET CONSTRUCTION TERRITORIALE :
L’ARABISME COMME DOCTRINE OFFICIELLE
DE L’ÉTAT
Le partage territorial des provinces arabes de l’Empire ottoman par les accords
secrets Sykes-Picot du 16 mai 1916, vient avorter le projet de royaume arabe
unifié, avec Damas pour capitale, promis par les puissances européennes au
chérif Hussein, prince de la dynastie hachémite, en contrepartie de son soulèvement contre les Ottomans. La Société des Nations confie à la France le
25 avril 1920 à San Remo un mandat « A » sur la Syrie et le Liban, le même
type de mandat ayant été confié à la Grande-Bretagne sur la Palestine et
l’Irak.
La politique mandataire française en Syrie s’attache à défendre les particularismes locaux en s’appuyant sur les minorités pour décourager toute velléité
de ralliement au panarabisme nationaliste laïque. Ainsi la France octroie aux
minorités dès 1920 une autonomie politique et juridique en divisant la Syrie
en quatre mini-États (Territoire autonome des alaouites, État druze, État sunnite d’Alep, État sunnite de Damas et Sandjak d’Alexandrette)1.
La Syrie sous mandat français voit ses élites concentrer leurs efforts dans la
lutte nationale pour l’indépendance et poser la question de l’appartenance
identitaire. Trois grands courants de pensée, idéologiquement opposés, émergent
pendant les années d’entre-deux-guerres et approfondissent la réflexion doctrinale autour de l’idée nationale dans une Syrie alors à la recherche de nouveaux modèles. Le « syrianisme » suppose l’existence d’une « nation syrienne »
antérieure à l’islam et au christianisme et dont les origines remontent aux
peuples qui se sont succédé dans la Grande Syrie depuis l’Antiquité (Cananéens,
Acadiens, Assyriens, Araméens, Hittites…). Ainsi le Parti Syrien National Social,
1. Créé en septembre 1920, le « Territoire autonome des alaouites » devient le 12 juillet 1922 un État dans la Fédération des États de Syrie qui comprend l’État d’Alep et l’État
de Damas, fédération éclatée en décembre 1924 au profit d’un « État indépendant des
alaouites », puis d’un « Gouvernement de Lattaquié », composé par les Français. L’État
d’Alep et l’État de Damas seront regroupés en 1925 dans l’État de Syrie. Gérard D. Khoury,
Une tutelle coloniale. Le mandat français en Syrie et au Liban : écrits politiques de Robert de
Caix, Paris, Belin, 2006, p. 231-238.
14
Syrie
al- hizb al-qawmî al-sûrî al-ijtimâ‘î fondé en 1932 par Antoun Saadeh (1904-1949),
chrétien libanais, considère que les Syriens ne sont pas descendants des Arabes,
mais appartiennent à une nation aussi ancienne que son histoire. Toutefois,
par son rejet de l’arabisme qui fédère l’immense majorité de la population
syrienne, le « syrianisme » ne s’est pas répandu en Syrie. La branche syrienne
du PSNS, dirigée par Issam Mahaiyri, n’a été autorisée en Syrie qu’en 2005
lorsqu’elle a accepté de rejoindre le Front National Progressiste, un rassemblement de forces politiques alignées sur la politique du régime.
Le panislamisme, dont les origines remontent au mouvement réformiste religieux de Jamal al-Din al-Afghani (1839-1897), Mohammad Abduh (1849-1905)
et Rachid Rida (1865-1935), croit en l’existence d’une communauté qui dépasse
dans ses dimensions les frontières de la langue et de l’ethnie : la communauté
musulmane, la « Umma ». Cette idéologie se cristallise en projet politique en
Syrie avec le mouvement des Frères musulmans syriens fondé par Moustapha
al-Siba‘i en 1944. La répression sanglante des années 1979-1982 contre les
Frères musulmans syriens sous Hafez al-Assad entraine leur éradication, emprisonnant et poussant à l’exil leurs leaders en Syrie.
C’est toutefois le panarabisme, dont les sources idéologiques s’inscrivent dans
la pensée de la Nahda, qui domine le projet étatique en Syrie. Sati‘ al-Houssari,
son principal théoricien en Syrie, fonde l’identité nationale sur les critères de
la langue et de l’histoire. Pour al-Houssari, l’Arabe est celui qui « se rattache
aux pays arabes et parle la langue arabe quel que soit le nom de l’État dont
il est officiellement un ressortissant et un citoyen, quelle que soit la religion
qu’il professe, quelle que soit la doctrine à laquelle il appartient…2 ». Al-Houssari
voit dans l’expérience kémaliste du nationalisme turc un exemple à suivre et
propose de dissocier le nationalisme de la religion. Selon lui, le facteur religieux
ne suffit pas à former une unité nationale entre les peuples : « L’Église n’a pas
réussi à instaurer une unité politique entre les pays de tradition orthodoxe
et ceux de tradition catholique3 ». L’arabité selon lui « concerne tout individu
appartenant à un pays arabe et parlant l’arabe, qu’il soit égyptien, koweïtien
ou marocain, qu’il soit musulman ou chrétien, qu’il soit sunnite, chiite ou
2. Anouar Abdel-Malek, La pensée politique arabe contemporaine, Paris, Seuil, 1970, p. 202.
3. Sati‘ al-Housari, fi al- wataniya wa al-qawmiya (Du patriotisme et du nationalisme),
4e éd., Beyrouth, Dar al-Ilm li-l-malaiyn, 1961, p. 102.
Histoire et géographie
15
druze, qu’il soit catholique, orthodoxe ou protestant4 ». Les religions comme
l’islam ou le christianisme, qui appellent à une unité basée sur des liens
confessionnels, vont à l’encontre de l’unité nationale et provoquent la division
des pays qui sont composés de communautés religieuses diverses. Si al-Houssari
ne nie pas le rôle qu’a joué l’islam dans l’apogée des Arabes, l’islam selon lui,
est l’une des composantes de la société arabe, un élément qui doit céder
devant le nationalisme arabe. L’arabisme de Sati‘ al-Houssari a inspiré de
nombreuses tendances et mouvements politiques arabes dans les années 1940.
C’est toutefois le parti Baath qui prend le pouvoir en Syrie en mars 1963 et
en Irak (1968-2003) et constitue l’incarnation politique des idées de l’arabisme
développé par Sati‘ al-Houssari.
SYKES-PICOT ET LA QUESTION
DES FRONTIÈRES AU PROCHE-ORIENT
Le 29 juin 2014, l’État islamique (Daech) proclame l’établissement d’un califat sur des
territoires à cheval entre l’Irak et la Syrie, mettant en scène la destruction des « frontières Sykes-Picot » qui les séparaient. Les Kurdes annoncent, le 17 mars 2016, la création d’une région fédérale au nord de la Syrie. Cette situation pose la question de la
fragilité et de la légitimité des frontières au Proche-Orient, à tel point que certains
observateurs voient la stabilité de la région conditionnée par une nouvelle cartographie.
Le découpage territorial des provinces arabes de l’Empire ottoman par les puissances
coloniales, la France et l’Angleterre, est mis en cause. Celui-ci n’a pas pris en considération les réalités humaine, ethnique et religieuse ni les aspirations des populations
concernées. Jusqu’au début du xxe siècle, la wilayat « province » de Damas s’étendait
jusqu’à la Jordanie, celle d’Alep comprenait des territoires turcs, et le Sandjak de Deir
al-Zor faisait partie de la wilayat de Mossoul en Irak. Ainsi des groupes humains
auparavant liés par des rapports économiques ou familiaux se sont trouvés séparés et
dispersés sur plusieurs pays (de grandes tribus arabes sunnites de la région d’al-Jazzera
comme al-Baqara et Chummar, les Kurdes, les Assyriens…). La légitimité des frontières
étatiques du Proche-Orient sera mise en cause notamment par les Kurdes qui, avec le
4. Ibid., p. 108.
16
Syrie
démembrement de l’Empire ottoman, se trouvent partagés entre quatre pays : l’Iran,
l’Irak, la Turquie et la Syrie. Si le Traité de Sèvres du 10 août 1920 entre les Alliés
prévoyait la création d’une région autonome kurde dans le sud-est de l’actuelle Turquie,
les intérêts des grandes puissances d’alors – l’Angleterre et la France – ne permettent
pas l’accomplissement de cette promesse. Le Traité de Sèvres est remplacé par le Traité
de Lausanne en juillet 1923, qui permet au nouvel État turc d’annexer la majeure
partie du Kurdistan.
3
LE BAATH ET LA MONTÉE DES MINORITÉS
La prise du pouvoir par le Baath le 8 mars 1963 met un terme à la domination de la classe bourgeoise, représentée par les deux partis politiques traditionnels (parti du Peuple et parti National), qui a largement occupé les postes
politiques et administratifs les plus importants du pays entre 1942 et 1958 ;
elle constitue une étape importante « en ce qui concerne la représentation
des groupes religieux, régionaux, socio-économiques et politiques5 ». Les théoriciens historiques du parti Baath, Michel Aflaq et Salah al-Bittar sont certes
issus de la petite bourgeoisie citadine, mais les couches sociales défavorisées
fournissent au Baath la plupart de ses adhérents. Sami al-Joundi, l’un des
premiers baathistes, note que « le Baath s’est développé dès l’origine à la
campagne en demeurant à l’état de squelette dans les villes, particulièrement
à Damas6 ». Le Baath, qui offre aux classes pauvres issues de zones rurales la
possibilité de s’exprimer sur la base d’une conscience politique plus large que
celle des partis traditionnels, attire des partisans issus des communautés minoritaires notamment confessionnelles, chrétiennes, alaouites, druzes et ismaélites.
L’origine minoritaire de ses théoriciens, Zaki al-Arsouzi alaouite et Michel Aflaq
chrétien orthodoxe, exercerait une attraction sur les minorités. La vision laïque
du Baath, qui voit l’islam comme un héritage culturel précieux et commun à
5. Nikolaos Van Dam, The Struggle for Power in Syria: Sectarianism, Regionalism and
Tribalism in Politics 1961-1980, London, Croom Helm, 1979, p. 45.
6. Sami al-Joundi, Le Baath, Bayreuth, Dar al-Nahar, 1969, p. 39. (En arabe).
Histoire et géographie
17
tous les Arabes, musulmans comme chrétiens, constitue sans doute un facteur
déterminant dans le ralliement d’éléments issus des communautés minoritaires.
Il existait également une large base sunnite des provinces : le programme
économique et social du Baath exprime les aspirations de la classe pauvre
dont elle fait partie.
La forte présence dans le commandement militaire et civil du Baath de
membres issus des campagnes longtemps délaissées, oriente son discours
vers une rhétorique marxiste. Lors de son 6e Congrès national tenu à Damas
entre les 3 et 25 octobre 1963, le Baath accorde une priorité à la promotion
des masses populaires, ouvriers et paysans. Les années 1960 sont ainsi marquées par l’application de mesures socialistes (limitation de la propriété
privée, nationalisations, redistribution des terres, réformes des législations
agricoles…).
Toutefois, depuis son arrivée au pouvoir en 1963 et jusqu’en 1970, le Baath
est marqué par des luttes internes qui reflètent à la fois les divergences idéologiques (gauche/droite, civils/militaires) et l’hétérogénéité de l’origine sociale
de ses leaders (villes/campagnes). À l’issue de ces luttes, Michel Aflaq cesse
dès 1965 d’occuper le poste de secrétaire général du Baath en Syrie. Le coup
d’État du 23 février 1966 conduit par Salah Jadid marque la montée en force
des militaires et du commandement régional dont un bon nombre des membres
est issu des minorités religieuses (alaouites notamment). Les membres du
Commandement régional du Baath entre 1966 et 1970 étaient majoritairement
originaires des provinces : « 29,7 % venaient de Lattaquié, 20,3 % de Derr‘a et
Sweida et 15,6 de Deir al-Zor7 ». Les nouveaux dirigeants se définissent comme
des militants baathistes de gauche, se distinguant de la tendance historique
de Michel Aflaq et Salah al-Bittar, dite de droite. Ces luttes intestines ne se
terminent qu’en 1970 avec la prise du pouvoir par Hafez al-Assad. Celui-ci
ouvre ainsi un nouveau chapitre de l’histoire du Baath en Syrie avec l’instauration d’un régime politique stable qui s’étend sur une période longue de
30 ans jusqu’à sa mort le 10 juin 2000 et perpétuée par la succession de son
fils Bachar al-Assad.
7. Nikolaos Van Dam, op. cit., p. 78.
18
Syrie
LE BA ATH ET L A NATI O N AR ABE
Le terme « Baath » signifie littéralement « Résurrection ». Le Baath est officiellement
né le 7 avril 19478 à Damas à l’initiative de deux professeurs de Lycée issus de la petite
bourgeoisie damascène : son principal théoricien, Michel Aflaq (1910-1989), chrétien,
et Salah al-Bittar (1912-1980), sunnite. Ses origines idéologiques remontent au début
des années 1940. L’émergence du parti Baath s’inscrit dans la continuité de la lutte
nationale pour l’indépendance qui travaillait la Syrie dès le début du xxe siècle, et dans
la lutte contre les réalités socio-économiques et la montée des classes intermédiaires
au lendemain de l’indépendance. En 1953, la fusion avec le Parti Socialiste Arabe d’Akram
al-Hourani (1915-1996) aboutit à la naissance du parti Baath Arabe Socialiste. Le Baath
se présente comme un mouvement nationaliste arabe qui a pour projet politique la
réalisation d’une nation arabe qui s’étend du Golfe arabe à l’Atlantique, et pour devise
« Unité, Liberté, Socialisme ». Pour les fondateurs du Baath, la nation arabe possède
une histoire et un patrimoine culturel et intellectuel qui lui permettent d’envisager son
propre modèle politique et économique.
4
UNE URBANISATION DÉSÉQUILIBRÉE
Avec seulement 55 % de Syriens habitant les zones urbaines en 2011, le taux
d’urbanisation (le rapport entre la population rurale et la population urbaine)
en Syrie reste faible par rapport à celui des pays voisins comme le Liban à
87 % ou la Jordanie à 83 %. L’importance du secteur agricole dans l’économie
syrienne qui employait jusqu’en 2002 près de 30 % de la population active
8. Le premier Congrès national du Baath, dit Congrès fondateur, a eu lieu dans le café
al-Rachid à Damas, entre les 4 et 7 avril 1947 en présence de 217 participants venus de
Palestine, du Liban, d’Irak, de Jordanie, de Tunisie et d’Algérie. Les résolutions al-Tawsiyat,
une Constitution doustour et un règlement interne nizam dakhili ont été adoptés. Michel
Aflak est élu doyen du parti amid (titre qui sera remplacé par celui de Secrétaire général
en 1954) et exercera cette fonction jusqu’en avril 1965, tandis que Salah al-Bittar, Jalal
al-Saiyed et Wahib al-Ghanim sont élus au Comité exécutif chargé d’assister Michel Aflaq.
Zaki al-Arsouzi n’y participera pas.
Histoire et géographie
19
peut expliquer cette faible urbanisation. Depuis les années 1960, la population
urbaine ne cesse de croître (36,9 % en 1960, 47,1 % en 1981, 53,5 % en 2004
et 55 % en 2011). Le plus fort taux est enregistré entre 1995 et 2005, correspondant au recul de l’immigration du travail vers les pays du Golfe. Les
habitants des Mohafazat de Damas, Damas-campagne et Alep représentent
à eux seuls 44,3 % de la population totale en 2011 (soit 9,22 millions pour
une population de 20,86 millions), répartis sur un territoire qui ne représente
que 19,78 % de la superficie de la Syrie (185 180 km²) et 23,7 % des surfaces
habitées (62 185 km²). Alep, ville la plus peuplée de Syrie, concentre avec son
agglomération 4,868 millions d’habitants soit 22,8 % de la population totale
en 2011. La densité de la population syrienne est alors de 113,38 habitants au
kilomètre carré.
Toutefois, la croissance des centres urbains et des agglomérations ne résulte
pas seulement de la croissance naturelle de la population urbaine. L’exode
rural, la migration des provinciaux vers les grandes villes à la recherche d’un
travail, l’afflux de populations poussées par les conflits régionaux (déplacés du
Golan lors de la guerre des Six Jours de 1967, réfugiés palestiniens de 1948 et
1967, réfugiés irakiens de la chute de Bagdad en 2003) contribuent largement
au déséquilibre urbain.
Le manque de planification et la mauvaise gestion du parc immobilier obligent
ces populations à s’installer à la périphérie des villes, à construire leurs habitats
dans des zones agricoles non constructibles ou à s’installer sur des terres qui
appartiennent à l’État, formant des quartiers dits « informels » ou irréguliers
qui contribuent à l’extension des villes. Apparus dans les années 1960, les
quartiers informels s’intensifient à partir des années 1980 avec le développement des villes et l’accroissement de l’appareil bureaucratique et de la centralisation politique. Si certains quartiers informels disposent de services tels
que l’électricité et l’eau, les règles d’urbanisme et les normes de construction
n’y sont pas respectées. En 2005 et 2006, plusieurs immeubles se sont effondrés
dans le quartier informel de Daf al-Chok (au sud de Damas) pour défaut de
construction. Malgré l’interdiction de construire (démolition de l’habitat) et
la pénalisation sévère (amande et prison), la corruption des fonctionnaires des
municipalités qui ferment les yeux sur les contraventions moyennant potsde-vin donne naissance à un véritable marché de l’immobilier dans les quartiers informels. Ces quartiers se situent autour des villes, voire même à leurs
20
Syrie
portes, marquant le paysage urbain syrien. Avant d’atteindre les deux grandes
villes du pays, le mouvement de contestation syrienne est marqué par la
mobilisation des populations issues de petites villes économiquement négligées9
et de quartiers périphériques dont une grande partie des habitants est issue
de l’exode rural. À Damas ce sont les quartiers informels qui se rebellent les
premiers, comme le quartier al-Tadamoun au sud de la capitale. Jusqu’en 2007,
on compte en Syrie 156 quartiers informels qui concernent près de 15 % de
la population et 20 % de l’habitat10. À Damas, il existe 42 quartiers informels
répartis à la périphérie et au sein même de la capitale, regroupant près de
40 % de sa population totale en 2010 (1,3 million sur 3 millions d’habitants)
et représentant plus de 27 % de sa superficie11. Dans les années 1980-1990, la
construction informelle représentait les trois quarts des nouveaux logements
dans la ville d’Alep, les deux tiers à Damas. Si ces quartiers accusent une forte
densité et un taux de chômage plus important que dans les quartiers réguliers,
ils englobent aussi des habitants de la classe moyenne (juges, avocats, médecins…). Le prix exorbitant des logements dans les quartiers formels, y compris
celui des loyers, et d’autre part l’incapacité des autorités publiques à répondre
à une demande plus forte, avec notamment l’afflux des réfugiés irakiens lors
de l’invasion de l’Irak en 2003, contribuent à l’accroissement des habitats
informels12.
9. Fabrice Balanche, « Géographie de la révolution syrienne », in Outre-Terre, n° 29,
mars 2011, p. 442.
10. Ayas al-Dayri, Zones de l’habitat informel en Syrie, Damas, 2007, p. 4. (En arabe).
11. Rapport national prospectif de la Syrie 2025. (En arabe).
12. Valérie Clerc, « L’habitat des pauvres à Damas : de la crise du logement vide à la
recrudescence des quartiers informels », in Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de
se faire à l’Institut français du Proche-Orient. (Hypothèses.org), 31 octobre 2012. http://ifpo.
hypotheses.org/4472 (consulté le 20 juin 2016).
Histoire et géographie
21
LE SECTEUR DU LOGEMENT
À LA MERCI DE LA GUERRE
Le secteur du logement est parmi les plus touchés par le conflit et les dégâts représentent plus de 65 % des dommages causés par la guerre fin 201413. Les combats dans
les zones urbaines à fortes densités de population provoquant la destruction des
habitats et le déplacement de millions de personnes à l’extérieur et à l’intérieur du
pays. On estime à 400 000 le nombre de logements entièrement détruits en 2012. Ce
chiffre monte fin 2014 pour atteindre 791 352 logements14. La ville la plus touchée est
Alep, la plus grande ville du pays avec une population d’avant-guerre de près de 3 millions de personnes. Cette situation a créé une crise du logement dans les zones gouvernementales en raison du déplacement des populations.
Évaluation des dommages des villes en % fin 2014
0,08
2,37
6,03
Alep
12,92
Homs
Hama
20,5
58,1
Idleb
Deraa
Lattaquié
Source : Banque mondiale, 2016.
13. Banque mondiale, Bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA,
janvier 2016. http://www.banquemondiale.org/fr/region/mena/publication/mena-quarterlyeconomic-brief-january-2016 (consulté le 2 juin 2016).
14. Rémi Baudouï et Roula Maya, « L’impact du conflit syrien sur les secteurs du
logement et des villes », in Grotius international. Géopolitiques de l’humanitaire, 2015.
22
Syrie
5
RESSOURCES HYDRAULIQUES LIMITÉES
L’aridité caractérise le paysage territorial syrien. Le désert syrien qui est une
steppe Badiya se situe au sud, à la frontière jordano-irakienne et s’étend jusqu’à
la région de la Jazira sur la rive de l’Euphrate ; il constitue près de 58 % de la
superficie totale du territoire syrien. Si cette région est impropre à l’agriculture
en raison de précipitations inférieures à 200 mm par an, elle sert de pâturage
aux bédouins éleveurs de moutons. Considérant le nomadisme comme arriéré,
le Baath a mis en place une politique de sédentarisation et d’intégration des
nomades en facilitant l’accès à l’éducation, à la propriété agricole (dans la
région de la Jazira notamment), mais aussi au parti lui-même.
La Syrie présente, selon les régions, une certaine diversité géographique et
climatique. La région côtière, qui s’étend de la frontière turque au nord à la
frontière libanaise au sud, constitue environ 12 % du pays (la perte d’Alexandrette, cédée à la Turquie par les autorités mandataires françaises en 1939,
réduit la façade maritime syrienne à 183 km). Cette région jouit d’un climat
méditerranéen, pluvieux en hiver, chaud et humide en été, ainsi favorable aux
cultures maraîchères et fruitières, notamment aux agrumes. Avec 800 mm de
précipitations sur les plaines littorales et 1 400 mm sur les montagnes, la région
côtière reste la région la plus arrosée et la plus densément peuplée de Syrie.
Elle est séparée des terres de l’intérieur par une barrière naturelle formée par
les montagnes des Alaouites au nord-ouest, officiellement appelées montagnes
littorales parce qu’elles s’étendent le long du littoral, larges d’une trentaine de
kilomètres et hautes de 1 562 m, dominant la vallée d’al-Ghab que traverse
l’Oronte avec des forêts de pins et de chênes enneigées l’hiver. À l’est de cette
vallée se dresse la montagne de Zawiyah dont l’altitude ne dépasse pas 1 000 m.
Au sud, le Mont Hermon (Jabal al-Cheikh) est le plus haut sommet du pays
avec 2 814 m d’altitude. Enfin à la frontière jordanienne, le massif volcanique
de la montagne druze culmine à 1 736 m.
La région intérieure se présente sous l’aspect de plaines propices à l’agriculture.
Sous forme de croissant, elle s’étend de la plaine du Hauran au sud à la région
de la Jazira au nord-est et comprend al-Ghouta « oasis de Damas », les régions
http://www.grotius.fr/limpact-du-conflit-syrien-sur-les-secteurs-du-logement-et-des-villes/
(consulté le 2 juin 2016).
Histoire et géographie
23
de Homs et Hama traversées par l’Oronte et les plaines d’Alep arrosées par
le Qoweiq. Les cultures les plus importantes sont les céréales dans le Hauran,
le blé, l’orge et le coton dans la Jazira, les fruits, légumes et betterave à sucre
dans la région de Homs et Hama le long de l’Oronte, les vignes, oliviers et
pistachiers autour d’Alep. Ce qui caractérise ce vaste intérieur est son climat
continental, chaud et sec en été, froid en hiver. Les chaînes montagneuses
qui s’étendent du nord au sud empêchent l’influence de la méditerranée et
ses précipitations sur l’intérieur du pays (entre 250-500 mm par an). Cette
zone souffre de la sécheresse estivale entre avril et octobre, rendant l’agriculture
syrienne fortement dépendante de l’irrigation.
Selon les estimations de l’Agence Française de Développement, la Syrie disposait en 2008 de 17 milliards de m3 de réserves d’eau : 11 milliards d’origine
fluviale et 6 milliards provenant des sources souterraines renouvelables15. Parmi
les 20 fleuves dont dispose la Syrie, l’Euphrate, qui constitue près de 86 % des
réserves hydrauliques syriennes, reste le plus important en termes d’apport
hydraulique. Il traverse les territoires syriens sur 675 km et constitue la principale source d’électricité pour la Syrie. Al-Khabour, deuxième fleuve et affluent
de l’Euphrate, parcourt la région de la Jazira sur 460 km. L’Oronte, avec un
débit annuel de 400 millions de m3 et un lit de 325 km, est le nerf principal
de la zone agricole de la plaine d’al-Ghab. D’autres rivières plus modestes
contribuent à augmenter l’apport annuel d’eau en Syrie comme le Qoweiq
dans la région d’Alep, le Tigre qui forme la frontière syro-turco-irakienne à
l’extrême nord-est de la Syrie sur 50 km, Nahr al-Kabir al-Chamali dans la
région côtière, et enfin le Yarmouk près des frontières jordaniennes au sud,
dont le débit est de 450 millions de m3 annuels.
Dès les années 1960, le gouvernement syrien a mis en place une politique
d’aménagement sur ses fleuves en construisant des barrages et des lacs. La
Syrie compte aujourd’hui 60 barrages et 8 lacs de rétention. Le barrage alTabqa, achevé en juillet 1973 avec le lac de retenue al-Assad, est le plus
important barrage de Syrie. Avec une superficie de 674 km², le lac al-Assad
emmagasine près de 11,9 milliards de m3 d’eau, et permet l’irrigation de
15. Agence Française de Développement, « Le secteur de l’eau en Syrie : enjeu et enseignements ». http://www.afd.fr/webdav/shared/PORTAILS/SECTEURS/EAU_ET_ASSAINISSEMENT/
pdf/Actions%20AFD%20Eau%20en%20Syrie.pdf (consulté le 3 mars 2013).
24
Syrie
640 000 ha de terre. D’autres lacs beaucoup moins importants sont également
construits comme le lac Jabboul (239 km²) près d’Alep ou Qouttina (61 km²)
près de Homs.
Toutefois les besoins en eau de la Syrie se font de plus en plus sentir. La
part annuelle d’eau par habitant, estimée à 1 791 m3 en 1995 et à 1 249 m3
en 2000, serait aujourd’hui entre 1 300 m3 et 900 m3, soit en dessous du seuil
de pénurie fixé à 1 000 m3 par an. La croissance démographique, l’urbanisation, les conditions climatiques et les précipitations irrégulières (la pluviométrie moyenne entre 2001 et 2010 est de 344 mm16) accentuent le manque
d’eau. Aussi la Syrie ne contrôle-t-elle pas ses ressources hydrauliques, qui
proviennent à 80 % de l’extérieur de ses territoires, notamment de Turquie
à 50 % et du Liban à 20 %. L’Euphrate, le Tigre, al-Khabour, le Qweiq, prennent
leur source en Turquie. L’Oronte provient du Liban. Cette position en aval
place le pays dans une situation de dépendance vis-à-vis des pays voisins,
notamment de la Turquie. En 1990, les terres de Syrie et d’Irak avaient
souffert de l’assèchement de l’Euphrate par des aménagements turcs sur le
fleuve et le remplissage du barrage Atatürk17. Jusqu’au Projet d’Anatolie du
Sud-Est en Turquie (Güneydogu Anadolu Projesi), le débit hydrique de
l’Euphrate en Syrie était de 26,2 milliards de m3. Les deux pays signaient en
1987 un accord engageant la Turquie à un débit de 500 m3/seconde soit
15,75 milliards de m3.
La mauvaise gestion de l’eau constitue l’un des facteurs de risque de pénurie.
Le secteur agricole, un des plus importants secteurs de l’économie nationale,
représente pas moins de 82,3 % de la consommation d’eau. Les cultures gourmandes en eau comme le coton et les systèmes d’irrigation traditionnelle ne
favorisent pas une gestion raisonnée de l’eau, d’autant plus que les sècheresses
entrainent une surexploitation des eaux souterraines. Ainsi, pour irriguer les
cultures dites stratégiques, subventionnées et destinées à l’exportation comme
le coton et le blé, le nombre de puits creusés de manière illégale a considérablement augmenté. En 2001, il existait 95 548 puits illégaux contre 130 997
en 2010. Pour la même année, ce nombre dépasse largement les puits légaux,
16. Bureau Central des Statistiques, Damas, 2001-2010.
17. Georges Mutin, « De l’eau pour tous ? », in Documentation photographique, La
documentation Française, n° 8014, avril 2000, p. 48-49.
Histoire et géographie
25
au nombre de 98 88418. Ceci contribue à la destruction des nappes phréatiques
mettant en danger leur renouvellement.
EAU, ENJEUX ET CONFLITS
La question de la répartition des ressources hydrauliques au Proche-Orient est l’une des
sources de conflits et de tensions entre les États de la région. Dans les années 1980 et
1990, la Turquie n’hésite pas à réduire le débit hydrique de l’Euphrate pour faire pression
sur le régime syrien qui apporte un soutien politique et militaire aux indépendantistes
kurdes du PKK. La question de l’eau a été un sujet de discorde lors des négociations de
paix entre Syriens et Israéliens. Le plateau du Golan, véritable château d’eau occupé par
Israël depuis 1967, fournit les ressources hydrauliques nécessaires à Israël. L’accès aux rives
du lac de Tibériade et au bassin du Jourdain est alors un point litigieux entre les deux
pays. Israël n’accepte pas que les Syriens contrôlent les sources du Jourdain de peur qu’ils
ne détournent les eaux du lac de Tibériade au détriment d’Israël. Ainsi en 1996, pour
une vingtaine de kilomètres carrés, les négociations de paix entre les deux pays ont été
bloquées. La question de l’eau est devenue l’une des clés de la paix dans la région du
Proche-Orient, particulièrement entre la Syrie et Israël.
6
LES FRÈRES MUSULMANS SYRIENS,
LE RETOUR DIFFICILE
Si les Frères musulmans représentent aujourd’hui une large composante de
l’opposition syrienne, notamment au sein du Conseil national syrien CNS, ils
étaient totalement absents sur le terrain et n’ont joué aucun rôle dans le
déclenchement du soulèvement syrien à la mi-mars 2011. La politique coercitive et la répression féroce menées par le régime du Baath syrien en 1982
mettent un terme à l’insurrection des Frères musulmans dans la ville de Hama.
La prescription de la peine de mort à toute personne appartenant aux Frères
18. Bureau Central des Statistiques, Damas, 2001-2010.
26
Syrie
musulmans19 a poussé leurs leaders à l’exil et les a privés de toute structure
et de relais à l’intérieur du pays.
Le premier noyau des Frères musulmans en Syrie se forme sous le mandat
français avec l’émergence de nombreuses associations à caractère culturel et
religieux, peu politisées au départ comme « L’Association honorable » fondée
au début des années 1920 ou « L’Association de la civilisation islamique »
fondée en 1932. Ce n’est qu’en 1944 que les islamistes syriens fondent leur
mouvement appelé « Association des Frères musulmans en Syrie ». Moustapha
al-Siba‘i est élu « contrôleur général », titre qui souligne son allégeance au
« dirigeant général » du mouvement égyptien de Hassan al-Banna. Suite à
la dissolution de la République arabe unie en 1961, ils se regroupent sous la
direction de Issam al-Attar20 et obtiennent dix sièges au Parlement lors des
élections de décembre 1961. Si cette courte période est considérée comme
le retour des Frères musulmans sur la scène politique, avec la montée du
Baath au pouvoir en 1963 les Frères musulmans représentent une force de
contestation. Le Baath exerce une forte pression pour déstabiliser le mouvement ; Isam al-Attar est interdit d’entrée en Syrie lors de son retour de pèlerinage en 1964.
Il est certain que l’arrivée de Hafez al-Assad au pouvoir en novembre 1970
était vue comme un soulagement par les islamistes en ce que celui-là représentait une rupture avec la politique radicale de ses prédécesseurs à l’égard
de l’islam. Néanmoins, le projet de Constitution de 1973 qui ne mentionnait
pas la religion de l’État a suscité l’opposition des dignitaires religieux musulmans. Des manifestations éclatent le 21 février à Hama, puis s’étendent à
Homs et Alep. Les manifestants demandent l’introduction de la formule
« l’islam religion d’État » et appellent au boycott du référendum constitutionnel du 12 mars 1973. Le président est alors contraint d’inclure un article
établissant que « la religion du président est l’islam ».
La répression et l’emprisonnement des leaders islamistes comme Marwan Hadid
(mort en prison en 1975) contribuent à l’émergence d’un courant radical au
sein du mouvement des Frères musulmans, « l’Avant-garde combattante » ;
son discours n’hésite pas à mettre l’accent sur l’appartenance alaouite du
19. Loi n° 49 adoptée par le Parlement le 7 juillet 1980.
20. Né en 1927, à Damas, député en 1961.
Histoire et géographie
27
président et à l’interpréter comme une domination. Dès 1976, elle commet
des attentats contre de hauts dignitaires de l’État et militaires issus de la
communauté alaouite. Le plus sanglant sera perpétré contre l’École d’artillerie
d’Alep le 16 juin 1979 faisant plusieurs dizaines de morts. Cet attentat a été
revendiqué par Adnan Uqla, alors chef de « l’Avant-garde combattante ». Bien
que les Frères musulmans nient dans un communiqué publié le 24 juin 1979,
toute responsabilité dans les actes de violence commis par l’Avant-garde
combattante, le régime de Hafez al-Assad déclare la guerre aux Frères musulmans. Toutefois, l’exécution à la prison de Palmyre de près de 600 prisonniers
appartenant aux Frères musulmans par les brigades de Rif ‘at al-Assad, en
réaction à la tentative d’assassinat contre le président lui-même le 26 juin 1980,
reflète un esprit de vengeance et un certain aspect confessionnel du conflit.
La confrontation avec les islamistes se termine en février 1982 par le massacre
de Hama, qui outre la destruction d’une partie du centre historique de la
ville, a fait 10 000 à 15 000 morts. Hafez al-Assad fait adopter par le Parlement
le 7 juillet 1980 la loi n° 49 qui condamne à la peine capitale toute personne
appartenant à l’organisation des Frères musulmans. Si Hafez al-Assad met fin
à l’insurrection islamiste et annonce l’effondrement de la structure des Frères
musulmans syriens à l’intérieur du pays, il encourage un islam officiel qui ne
conteste pas la légitimité de son pouvoir, mais contribue à l’islamisation de
la société.
Avec la succession de Bachar al-Assad en 2000, les Frères musulmans manifestent une volonté d’ouverture à l’égard du nouveau régime. Lors du « premier congrès du dialogue national » qui rassemble différentes formations
politiques d’opposition le 3 mai 2002 à Londres, les Frères musulmans annoncent
à travers « la Charte nationale d’honneur » leur vision de la Syrie, d’un État
fondé sur une constitution civile respectueuse des droits du peuple et exprimant sa pluralité. Se détachant d’une littérature traditionnelle illustrée par la
formule « l’islam pour solution », les Frères musulmans envisagent dans leur
« projet politique pour la Syrie de l’avenir » en 2004 une réforme qui inclut
un « État civil », sans mentionner le terme « laïque » mais celui de liberté
d’opinion et de liberté de la pratique religieuse. Aussi le contrôleur général
des Frères musulmans syriens, alors Ali Sadr al-Din al-Bayanouni, manifeste-t-il
la volonté de se réconcilier avec le jeune président et déclare ne pas le tenir
pour responsable du passé et des massacres commis par son père dans les
28
Syrie
années 1980. Cependant l’effort de médiation mené par le député islamiste
Mohammad Habach en 2004 est un échec : les islamistes restent interdits en
Syrie et la loi n° 49 est toujours en vigueur.
Le soulèvement syrien a permis l’émergence d’autres acteurs qui se revendiquent
de l’islam, mais qui ne se reconnaissent pas forcément dans le mouvement
des Frères musulmans ou dans l’islam officiel contrôlé par l’État. Des personnalités comme Haitham al-Malih, Radwan Ziyadeh (militants des droits de
l’homme) se présentent comme des islamistes indépendants à tendance moderniste pour se démarquer des Frères musulmans jugés trop idéologiques. Ils en
contestent le monopole sur le discours de registre religieux et prétendent
tirer leur légitimité de l’intérieur, du cœur même des fidèles et de la population avec laquelle ils entretiennent une certaine proximité, par opposition aux
Frères musulmans en exil.
L’intensification de la répression par le régime sur les villes et les populations
majoritairement sunnites ainsi que la libération par le régime au printemps
2011 des djihadistes syriens ayant mené leur jihad contre les Américains en
Irak ont favorisé l’islamisation du discours révolutionnaire et permis la montée
en force de groupes combattants islamistes divers (Ahrar al-Cham, Jabhat
al-Nosra, Liwa al-Tawhid, Jaysh al-Islam, Liwa Al-Haq, Liwa al-Fath, Soqour alCham…), dont certains sont liés aux Frères musulmans (Liwa al-Tawhid, Dourou‘ al-Thawra « boucliers de la révolution »).
LES GROUPES ISLAMISTES
CO M BAT TA N T S E T L A R É V O L U T I O N
Si la majorité des groupes armés qui se revendiquent de l’islam comme identité ou
comme idéologie luttent pour la chute du régime de Bachar al-Assad, leurs intérêts et
leur projet politique divergent. Sur le plan politique, le paysage islamiste syrien peut
être divisé en deux catégories : les islamistes nationalistes, dont le combat s’inscrit dans
une perspective syrienne en vue de renverser le régime syrien, et les djihadistes internationalistes (Daech) qui visent l’instauration d’un État qui dépasse dans ses frontières
le cadre syrien et se trouvent de ce fait en confrontation avec tous les groupes de
Histoire et géographie
29
l’opposition, y compris le Front al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaïda21. Les islamistes
nationalistes (Front de libération islamique syrien, Front islamique) fédèrent des éléments
modérés dont certains sont affiliés à l’ASL ou le reconnaissent, et des salafistes qui
appellent à créer en Syrie un « État islamique juste » et à appliquer la charia (Ahrar
al-Cham). Toutefois, ce qui caractérise le paysage de la rébellion islamiste en Syrie est
sa fluidité et sa viscosité. Les divergences idéologiques entre les brigades combattantes
n’empêchent pas les alliances et les coopérations militaires. D’autant plus que la collaboration avec des radicaux ou djihadistes (plus expérimentés, mieux armés et bénéficiant
d’un meilleur financement) est devenue une nécessité pour les plus modérés (de plus
en plus marginalisés) afin de faire face au régime. Aussi le passage de combattants d’un
groupe à un autre intervient-il plus par opportunisme (meilleur salaire, financement…)
que par conviction idéologique. Cette ambivalence explique en partie la réticence des
États-Unis à livrer des armes létales aux rebelles syriens.
21. Dans un enregistrement vidéo diffusé le 29 juillet 2016 sur la chaîne Al Jazeera, le
chef du Front al-Nosra, Abou Mohammad al-Jolani, annonce la rupture des liens avec alQaïda et le changement de nom de son groupe, désormais Jabhat Fateh al-Cham « Front
de la conquête de la Syrie ». http://bcove.me/fybm11li (consulté le 27/07/2016).
30
Syrie
LA SYRIE DANS SES FRONTIÈRES ACTUELLES
La carte montre les frontières tracées selon les accords Sykes-Picot du 16 mai
1916 signés entre Britanniques et Français (Alexandrette a été cédée à la Turquie
en 1939 par les Français) ainsi que le découpage administratif des gouvernorats
syriens en vigueur depuis 1972. En 2012, le régime annonce la création de trois
nouveaux gouvernorats (Palmyre, Alep-campagne et Qamichli).
Histoire et géographie
31
Table des matières
Introduction ................................................................................................................................................................... 5
Chapitre 1 : Histoire et géographie ........................................................................................................ 9
1. De l’Antiquité à la modernité :
carrefour de peuples et de civilisations ................................................................................. 9
2. Identités et construction territoriale :
l’arabisme comme doctrine officielle de l’État ................................................................ 14
3. Le Baath et la montée des minorités ...................................................................................... 17
4. Une urbanisation déséquilibrée .................................................................................................... 19
5. Ressources hydrauliques limitées................................................................................................. 23
6. Les frères musulmans syriens, le retour difficile ............................................................ 26
Carte : Le découpage administratif syrien en 2011 .................................................................. 31
Résumé ...................................................................................................................................................................... 32
Pour aller plus loin ........................................................................................................................................... 32
Chapitre 2 : Peuples et société.................................................................................................................... 35
1. Population diversifiée, le fait minoritaire............................................................................. 36
2. Vers la transition démographique .............................................................................................. 40
3. Les Assad et l’islam sunnite :
entre recherche de légitimation et volonté de contrôle......................................... 44
4. Les Alaouites, otages des Assad .................................................................................................... 47
Table des matières
135
5. Les Kurdes, du système al-Assad à la scène internationale .................................. 50
Carte : La répartition territoriale des communautés en Syrie .......................................... 55
Résumé ...................................................................................................................................................................... 56
Pour aller plus loin ........................................................................................................................................... 57
Chapitre 3 : Pouvoir et politique .............................................................................................................. 59
1. La Syrie d’al-Assad : République héréditaire et régime autoritaire ............... 59
2. Partis politiques et opposition hétérogène ......................................................................... 63
3. Bachar al-Assad face au printemps syrien : le pari de la radicalisation..... 67
4. L’alliance avec l’Iran : le confessionnel au service du politique........................ 70
5. La laïcité, une question d’instrumentalisation ................................................................. 73
6. Le Golan, pomme de discorde ....................................................................................................... 77
Carte : Le Golan occupé .............................................................................................................................. 82
Résumé ...................................................................................................................................................................... 80
Pour aller plus loin ........................................................................................................................................... 80
Chapitre 4 : Économie et développement....................................................................................... 83
1. L’ouverture économique, corruption et clientélisme.................................................. 84
2. L’agriculture, un secteur en difficulté...................................................................................... 88
3. Tourisme et instabilité politique ................................................................................................. 92
4. Le pétrole, facteur de croissance et risque de dépendance .................................. 95
5. L’armée : piliers du régime Assad ............................................................................................... 98
Carte : Les principales ressources économiques en Syrie..................................................... 103
Résumé ...................................................................................................................................................................... 104
Pour aller plus loin ........................................................................................................................................... 104
136
Syrie
Chapitre 5 : Éducation et culture............................................................................................................. 107
1. L’information et la presse verrouillée ...................................................................................... 107
2. Enseignement et système éducatif baathisé....................................................................... 110
3. La Société civile, une mainmise surveillée ............................................................................ 113
4. La femme, une émancipation inachevée ............................................................................... 117
Résumé ...................................................................................................................................................................... 119
Pour aller plus loin ........................................................................................................................................... 119
Conclusion ........................................................................................................................................................................ 121
Bibliographie et webographie .................................................................................................................... 125
Index des noms propres et des lieux .................................................................................................. 131
Table des matières
137
Monde arabe /
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ée du partage de l’Empire ottoman entre la France
et la Grande-Bretagne, mosaïque ethnique et
confessionnelle attachée à ses traditions, la Syrie
a subi jusqu’en 1970 de nombreux coups d’État.
Les Assad y instaurent un régime autoritaire dont
le discours panarabe et officiellement « laïque »
dissimule une instrumentalisation communautaire.
Bien que jouissant de ressources diversifiées, la Syrie
vit essentiellement de ses revenus pétroliers, en
baisse constante. En mars 2011, le pays prend part
aux mouvements du Printemps arabe. Le déni par le
régime des revendications de liberté, leur répression
sanglante ainsi que la division et l’impuissance de la
communauté internationale favorisent la montée en
visibilité des groupes islamistes radicaux. Cinq ans plus
tard, le conflit syrien catalyse les tensions et subit les
jeux d’influences régionales et internationales. Dans
un contexte de guerre civile et dans un Proche-Orient
fragilisé et traversé par les dynamiques identitaires
et communautaires, la Syrie peut-elle conserver son
intégrité territoriale et son unité nationale ?
Zakaria Taha est docteur en Études Politiques de
l’EHESS-Paris. Spécialiste de la Syrie, il est
actuellement maître de conférences à l’Université
Grenoble Alpes.
ISBN : 978-2-8073-0647-9
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