se greffe sur les deux précédentes, entre la culture d'origine traditionnelle (dont de
nombreux travaux ont montré qu'elle était plus figée encore dans les familles en
situation d'émigration) et une nouvelle culture que l'on peut nommer "plus moderne".
Cette dernière transition est bien souvent génératrice d'une crise identitaire auprès de
cette partie de la population jeune, le refuge dans une identité religieuse étant parfois
la solution adoptée par certains.
Pour Brigitte Fichet3, le fait de les désigner différemment devrait signifier qu'il
existe une spécificité dans leur processus d'intégration et s'il n'y a pas de spécificité
dans leur processus d'intégration, alors pourquoi les distinguer ? Ne serait-on pas en
présence de ce que Erving Goffman4 nomme un processus de stigmatisation ?
La tentative de Brigitte Fichet de mettre en perspective à la fois l'unité et la
diversité de ce groupe social nommé particulièrement nous conduit à examiner les
différents registres d'une manifestation éventuelle de cette spécificité.
Premièrement, les catégories juridiques et statistiques (découpage opéré par
les économistes ou encore les sociologues) ont une réelle utilité analytique. Pour
autant, ces découpages ne correspondent pas à un découpage sociologique suivant les
contours d'un groupe réellement existant.
Deuxièmement, la nationalité et le lieu d'habitation sont des critères de
discrimination de la catégorie "personnes issues de l'immigration". Or ces critères sont
de moins en moins valables et conduisent à une absence de visibilité des populations
d’origine étrangère.
Donc, il semble qu'un certain nombre d'éléments (caractéristiques statistiques
communes, situations sociales semblables et distinction, par les conditions sociales et
économiques, d'autres ensembles de la population) nous permettent de définir une
entité analytique pour le groupe des jeunes issus de l'immigration. En aucun cas, ces
critères utiles à l'analyse ne permettent de définir l'existence d'un réel groupe social
qui impliquerait d'autres éléments (interrelations entre ses membres, la conscience
d'un "nous" différent et opposé à d'autres, la conscience d'intérêts communs,
l'existence de stratégies de groupe et des organisations collectives ou politiques
susceptibles de les porter).
Une forte assimilation culturelle et une faible intégration professionnelle
A cet égard, Didier Lapeyronnie5 a montré que les jeunes d'origine maghrébine
ont des difficultés à construire un mouvement social autonome car ils sont privés
d'une identité spécifique du fait de leur forte assimilation culturelle. Leur action
collective entamée en 1983 ne porte pas sur une identité ou une culture, elle ne fait
pas référence à un héritage, elle est plutôt fondée sur un ancrage territorial et
concerne essentiellement le monde de la "banlieue". Le point de vue d'Ali Rachedi en
1986 (alors vice-président de l'association Chabab à Nanterre), qui a été un des
acteurs de l'action collective des jeunes Maghrébins en France, souligne que « Les
jeunes viennent dans les associations car ils sont stigmatisés, mais il n'y a pas dans
les associations de revendications de type culturel, religieux ou identitaire ».
D'ailleurs W. Thomas et F. Znaniecki insistent bien sur le fait que « ce n'est pas
tant l'idée d'une origine commune qui détermine l'unité du groupe, que le groupe qui
invoque ses origines comme facteur d'unification lorsque celle-ci apparaît
problématique ».
3 FICHET B., "Peut-on parler d'une spécificité propre aux jeunes issus de l'immigration?", Les cahiers du
CEMRIC, n°2, 1993.
4 GOFFMAN E., Stigmate, les usages sociaux du handicap, éd. de Minuit, Paris, 1975.
5 LAPEYRONNIE D. et DUBET F., Les quartiers d'exil, éd. du Seuil, Paris, 1992.