Chapitre 3. La gouvernance économique mondiale depuis 1944.
(pp. 364-384)
Définition :
Le mot "gouvernance" est un néologisme anglo-saxon arrivé en France dans les années 70
dans le monde de la gestion des entreprises et a contaminé rapidement les analyses politiques
dans la grande vague du néo-libéralisme depuis les années 80-90. Il s'est d'abord appliqué aux
pays sous développés puis aux organisations internationales avant de concerner toute forme de
pouvoir étatique. Il se focalise non sur la légitimité d'un pouvoir mais sur la façon de l'exercer, la
"bonne gouvernance" étant une façon de gérer les affaires publiques selon les modèles de l'effica-
cité entrepreneuriale.
Voilà donc un terme peu innocent qui fait semblant d'évacuer la dimension proprement
politique des relations internationales, c'est-à-dire les rapports de force entre Etats et les luttes
idéologiques. C'est une sorte de rêve de technocratie mondiale qui réduirait les relations interna-
tionales à des problèmes techniques économiques et écologiques.
Problématique :
Les relations économiques internationales ont besoin de monnaies reconnues et stables
d'une part et, d'autre part, de la plus grande liberté de circulation possible. C'est ce à quoi les
vainqueurs de la IIGM vont s'attacher. Mais ce faisant, ne vont-ils pas se heurter à deux limites de
leur politique : d'abord le creusement des inégalités entre pays qu'ils risquent d'aggraver ; ensuite
le dérèglement d'un système trop ouvert ?
Annonce du plan :
Nous verrons d'abord la fondation d'un nouvel ordre économique mondial à partir de 1944
avant d'étudier les menaces qui pèsent sur lui à partir des années 70, qui déboucheront sur l'actuel
affolement de la mondialisation.
1. Le nouvel ordre économique mondial à partir de 1944.
Dès 1943, les Alliés s'entendent pour réorganiser le monde de l'après-guerre afin d'empê-
cher tout retour de régimes totalitaires et d'un conflit mondial. La création de l'ONU répond à
cet objectif politique, mais elle est complétée par des institutions et des accords économique et
financiers destinés à assurer le retour de la prospérité mondiale. Tour en maintenant la supréma-
tie américaine acquise dans le conflit.
a. Les séquelles de la Grande dépression et de la IIGM :
! crise de 29, aux origines du conflit : remèdes protectionnistes et déflationnistes
dramatiques : dumping et dévaluations sauvages (1933-4, $ - 41% ; 1936, Fr – 65%)
; contraction drastique du commerce mondial : de 3.000 Md$ à 1.000 ;
! inefficacité à long terme : dès 37, retour du chômage et recul de la production, sauf
dans les pays militarisés comme l'Allemagne et aussi l'URSS ; monde fragmenté en
"blocs" et retour au troc ;
! destructions de la guerre et réaménagement des circuits économiques ;
! faillite du capitalisme libéral face au dirigisme économique soviétique ? c'est pour-
quoi ces 2 modèles vont rester face à face après la victoire des Alliés ;
b. Le retour au Gold Exchange Std et l'abandon du protectionnisme (pp. 368-9) :
! EU possèdent 70% or mondial en 44 et fabriquent 60% de la production mondiale
;
! accords de Bretton Woods en juillet 44 : 44 pays mais refus URSS ; rôle important
de JM Keynes ;
° principe : retour au Gold Exchange Standard des années 20, qui fait du $
l'équivalent-or dans les réserves des banques centrales pour permettre libre
convertibilité des devises entre elles (30gr or = 35$) ;
° application : dans cadre onusien, institutions multilatérales assurent cette
convertibilité en surveillant les balances des changes (FMI à Washington) et
financent grands projets (BIRD ou Banque mondiale à Washington) ;
! accords du GATT en 47 : 23 pays signataires (80% du commerce mondial), appli-
cation de la clause de la nation la + favorisée à tous les signataires pour abaisser
progressivement les droits de douane entre eux ; "rounds" de négociation successifs
abaissent ces droits de + 35% à - 5% en 95 en étendant progressivement les me-
sures aux différents types d'échange (agricoles, culturels, de service) ;
c. Une toute puissance américaine et ses contestations :
! institutions d'inspiration américaine : refus du plan de Keynes (création d'une mon-
naie internationale) pour ne garder que le $ comme monnaie internationale ; poids
lourd des EU dans leurs décisions : au FMI, 25% des voix car 1/3 des fonds ; idem
à la BIRD ;
! plan Marshall de 48 et diplomatie du $ : Europe Ouest reconstruite grâce à l'aide
massive des EU en échange de son adoption du modèle économique et culturel
américain ;
! refus du monde communiste qui développe ses propres institutions multilatérales
sur son propre mode de développement économique ; jusque dans les années 70,
développement de l'URSS peut faire illusion, ce n'est qu'après que le système cen-
tralisé se bloque ;
! contestation des pays du Tiers Monde dès Bandung en 55 et la création des "non
alignés" qui tentent d'échapper au choix entre communisme et libéralisme (voir
l'Egypte de Nasser face au refus de la BIRD en 56 de financer le barrage
d'Assouan) ; problème le + urgent : stabiliser les cours des matières 1ères "pillées"
par les pays du Nord (création de l'OPEP en 60 pour maîtriser cours du pétrole; et
de la CNUCED en 64 par ONU pour maîtriser cours des autres matières 1ères) ;
Sur la lancée de la guerre, le système économique international a été réorganisé sous la do-
mination américaine, ou son refus, étant donné l'avance que ceux-ci ont prise sur le reste du
monde grâce à ce conflit. Situation exceptionnelle qui n'était pas promise à durer, pas tant à
cause de l'opposition idéologique du bloc communiste que par le rétablissement des équilibres
anciens qui ont mis à mal leur suprématie. La crise du système économique mondial dans les an-
nées 70 vient en grande partie de leur course en avant pour maintenir leur suprématie sans tenir
compte de l'émergence d'autres acteurs concurrents, sinon hostiles.
2. Un équilibre menacé par les crises à partir des années 70.
Plusieurs facteurs vont se combiner pour faire exploser l'équilibre du système économique
international dans les années 70. En apparence, la crise économique née des chocs pétroliers de
73 et 79 explique ces difficultés ; cependant, la crise internationale couvait déjà car les EU face
aux nécessités de la guerre du Vietnam avaient commencé de creuser leurs déficits et de désé-
quilibrer le système financier mondial. C'est pour y parer qu'ils se lancèrent dans des poli-
tiques néo-libérales fondamentalement opposées à toute idée de régularisation internationale.
a. La ruine du système monétaire international sous les coups de l'inflation :
! 1971, fin de la convertibilité du $ (après escarmouche avec la France en 65); les
monnaies n'ont plus de parité fixe entre elles, flottement généralisé mais $ reste
seule monnaie de compte mondiale : cela permet aux EU de multiplier les $ pour se
financer "gratuitement" ;
! d'autant + nécessaire que les flux mondiaux se gonflent : multiplication des "euro-
dollars" ($ investis en Europe produisant des bénéfices en-dehors des EU ; à quoi
s'ajoutent les "pétrodollars" réinvestis dans les pays industrialisés par les pays pé-
troliers (baril de pétrole passe de 1,9 à 34 $ en 81, à 140 en 2008) ; d'où des surli-
quidités des banques des pays industrialisés qui multiplient les placements + ou –
hasardeux, en particulier dans les pays en développement ; d'où la crise de la dette
de ces pays (entre 70 et 80 leur dette a été multiplié par 33) ;
en +, grave déséquilibre de la dette américaine : passe du 1/3 à la ½ du PIB ; + ¼
des bons du trésor achetés par la Chine et 1/5 par le Japon ; EU commencent à
vivre à crédit ;
tableau de la dette publique des EU en % du PIB :
b. L'affaiblissement des institutions internationales sous les coups du néo-libéralisme :
! avec R. Reagan aux EU (80) et Tchatcher au RU (79), retour en force du néo-
libéralisme : recul des régulations et du rôle de l'Etat, abandon des politiques so-
ciales ; "néolib" et "néocons" se mêlent pour définir une nouvelle idéologie domi-
nante dans le monde, qui s'impose non seulement aux anciens pays communistes,
mais aussi aux alliés capitalistes en Europe ;
! recettes néo-libérales imposées de force aux pays du Tiers Monde : réformes im-
posées par le FMI en échange de son aide accélère libéralisation des économies au
détriment des politiques sociales ; d'où crises et contestations, en particulier en
Amérique Latine dans les années 80 et en Afrique ;
! multiplication des réunions informelles pour compenser inefficacité des institutions
traditionnelles : G6/7 en 75-6 devient forum de décision en petit comité des
grandes puissances industrielles capitalistes ; forum de Davos organisé depuis les
années 70 par 1000 grands groupes mondiaux pour débattre des grands problèmes
mondiaux dans un esprit là aussi ultra-libéral ;
c. La course en avant de la mondialisation :
! 94 : accords Gatt de Marrakech sur agriculture et services étendant libéralisme ;
puis passage du Gatt à l'OMC en 95 : différence, une organisation et non pas seu-
lement un traité, chargé de régler conflits commerciaux entre signataires ; élargis-
sement progressif (Chine puis aujourd'hui Russie) ;
! multiplication des organisations régionales pour abaisser les frontières et déve-
lopper les coopérations internationales : élargissement de l'UE et passage à une
union élargie et de + en + politique ; mais aussi ALENA, APEC, Mercosur ;
! multiplication folle des IDE qui commence large mouvement de délocalisation des
activités industrielles traditionnelles ;
3. Une mondialisation affolée depuis les années 2000 ?
Avec la chute du communisme en URSS et en Europe de l’Ouest, le modèle de gestion
économique américain semble être le seul possible. D’autant que la Chine, tout en gardant les
formes de gouvernement politique communiste (dictature du parti unique, etc.), a converti son
économie au capitalisme débridé. L’achèvement et l’approfondissement de la libéralisation du
commerce et des finances mondiaux entamée dans la période précédente provoque un boulever-
sement de la géographie économique mondiale.
a. L’accélération de la mondialisation :
! révolution des transports (conteneurs) et dérégulation financière ; multiplication des
délocalisations derrière les IDE ;
! déséquilibre de la DIT : Chine/Triade, bombe à retardement pour l'équilibre plané-
taire ; remet en cause rôle du $ comme monnaie internationale, surtout avec con-
currence de l' ;
! aggravation des dangers environnementaux planétaires ; prise de conscience du ré-
chauffement climatique, protocole de Kyoto lancé en 97 ;
b. La multipolarisation du monde :
! émergence de nouvelles puissances ou retour aux équilibres anciens ? Brésil,
Afrique du Sud, Inde et Chine, mais aussi Turquie ;
! multiplication des sommets internationaux (du G6 au G20) et des organisations ré-
gionales pour contrebalancer l’influence de la Triade ;
! mais aussi volonté de réforme du Conseil de Sécurité ONU pour mieux refléter
l’équilibre mondial ; idem pour FMI ou BIRD ;
c. La multiplication des crises :
! krach boursier de 87, crise asiatique de 97, crise argentine de 98, crise spéculative
des nouvelles technologies de 2000, crise des subprime de 2007, choc pétrolier de
2008 ;
! crise actuelle des dettes souveraines, signe de l'affaiblissement du pouvoir des
Etats ; rôle des agences de notation, types même des institutions de "bonne gou-
vernance" ;
! à l'intérieur même des pays développés contestations de l’actuelle « gouvernance »
mondiale : Forum social de Porto Alègre 2001 anti-Davos, alter-mondialisme, Oc-
cupy Wall Street ;
Conclusion :
La gouvernance économique mondiale a réussi à restaurer le système monétaire internatio-
nal et à relancer le commerce mondial. Mais, ce faisant, elle a abouti à une impasse : le néo-
libéralisme absolu a affaibli toutes les règles et tous les acteurs qui avaient encadré les Trente Glo-
rieuses et débouché sur des déséquilibres commerciaux et mondiaux à l'origine des actuelles crises
à répétition qui frappent le monde.
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