cas clinique Mots-clés Tumeur de Merkel - Carcinome neuroendocrine cutané primitif - Tumeur à cellules rondes Keywords Primitive cutaneous neuroendocrine carcinoma - Merkel cell carcinoma À propos d’une tumeur cutanée maligne à cellules rondes1 Round cell malignant tumor arising in the skin N. Ortonne* U ne patiente âgée de 63 ans avec pour antécédent un cancer du sein gauche traité par tumorectomie, curage axillaire et radiothérapie consulte pour un nodule souscutané localisé sur la face externe de la jambe et droite, mesurant 2 centimètres de grand axe et évoluant depuis plusieurs semaines. Tumeur maligne à cellules rondes ◂ Figure 1. Tumeur hypodermique surmontée d’un épiderme et d’un derme normaux (hématéine-éosinesafran, x 50). Examen L’examen clinique est normal et ne retrouve pas d’autre lésion. Une biopsie cutanée profonde, chirurgicale, est réalisée. Elle montre sous un épiderme et un derme normaux (figure 1), une tumeur occupant l’hypoderme, constituée d’une prolifération diffuse de cellules rondes (figure 2). Les cellules tumorales ont un noyau rond renfermant une chromatine fine et un cytoplasme peu abondant aux limites floues (figure 3). On note des artéfacts d’écrasement cellulaire, des mitoses (figure 3, flèche) et des figures d’apoptose (figure 3, pointe de flèche). L’aspect histologique est donc celui d’une tumeur maligne à cellules rondes. Un tel aspect histologique soulève plusieurs hypothèses diagnostiques, avec, en première intention, celles d’un mélanome à petites cellules, et de la localisation cutanée primitive ou secondaire d’une hémopathie lymphoïde ou myéloïde (en particulier une hématodermie CD4+-CD56+), d’un carcinome (en particulier d’un carcinome de Merkel) ou d’un sarcome (notamment une tumeur neuroectodermique ou sarcome d’Ewing extra­squelettique). La négativité des marqueurs mélanocytaires (PS100 et melan-A) et de l’antigène panleucocytaire (CD45) [figure 4] permet d’éliminer les deux premières hypothèses, respectivement. En revanche, la positivité forte du marquage des cytokératines (figure 5) permet de classer cette 1 © Images en Dermatologie 2008;I(1):6-7. * Département de pathologie, groupe hospitalier Henri-Mondor-Albert-Chenevier, Créteil). 104 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 Figure 2. ▸ La tumeur est constituée d’une prolifération dense de cellules rondes peu différenciées envahissant l’hypoderme (hématéineéosine-safran, x 100). ◂ Figure 3. Les cellules ont des noyaux ronds renfermant une chromatine fine, avec de petits nucléoles, et nombre d’entre elles sont écrasées. Il y a de nombreuses mitoses (flèche) et images d’apoptose (pointe de flèche) [hématéine-éosine-safran, x 400]. cas clinique Tumeur maligne épithéliale (carcinome) Figure 4. ▸ L’immunomarquage de l’antigène commun leucocytaire (CD45) est négatif, ne montrant que quelques lymphocytes intratumoraux dispersés (immunohistochimie, x 200). CD45 – PS100 – ◂ Figure 5. L’immunomarquage des cytokératines est nettement positif, avec une expression particulière, sous la forme d’un amas paranucléaire (immunohistochimie, x 400). Cytokératines + Carcinome neuroendocrine Marqueurs neuroendocrines + : synaptophysine (représenté en figure 6), chromogranine et CD56 ◂ Figure 6. Le marqueur de différenciation neuroendocrine synaptophysine est positif dans la majorité des cellules de la tumeur (immunohistochimie, x 200). Carcinome neuroendocrine cutané primitif (tumeur de Merkel) Figure 7. ▸ La cytokératine 7 n’est pas exprimée (immunohistochimie, x 400). Cytokératine 7 – TTF-1 – tumeur dans le groupe des carcinomes. L’expression particulière des cytokératines, sous la forme d’un amas paranucléaire, et la positivité des marqueurs neuroendocrines, comme la synaptophysine (figure 6), la chromogranine et le CD56, permettent de porter le diagnostic de localisation cutanée d’un carcinome neuroendocrine, faisant discuter alors une forme primitive (carcinome de Merkel) ou une métastase (notamment d’origine pulmonaire, en rapport avec un carcinome à petites cellules). Ces résultats éliminent par ailleurs un carcinome basocellulaire ou spinocellulaire ou annexiel indifférencié. Enfin, la positivité nette de la cytokératine 20 (figure 7) ainsi que la négativité de la cytokératine 7 (figure 8) et du facteur de transcription TTF-1 caractérisent un carcinome neuroendocrine cutané primitif, ou carcinome de Merkel. Discussion Les carcinomes neuroendocrines cutanés sont des tumeurs rares de l’adulte et du sujet âgé qui se développent en zone exposée, notamment sur les membres, la tête et le cou. On considère que ces tumeurs dérivent des cellules de Merkel, justifiant la dénomination souvent utilisée de carcinomes à cellules de Merkel. Les carcinomes neuroendocrines cutanés sont parfois appelés carcinomes à petites cellules cutanés primitifs en raison de leur ressemblance avec les carcinomes à petites cellules du poumon, qui partagent leur différenciation neuroendocrine. L’aspect histologique, qui est celui d’une tumeur à cellules rondes, de localisation généralement dermique, permet de faire le diagnostic, qui doit être confirmé par les marqueurs immuno­histochimiques. Ces derniers permettent notamment de faire le diagnostic différentiel avec toutes les autres tumeurs malignes à cellules rondes qui peuvent se développer primitivement ou secondairement dans la peau. Récemment, un nouveau virus appartenant à la famille des polyomavirus humains a été découvert dans le carcinome de Merkel et baptisé MCV pour Merkel carcinoma virus. Les auteurs ont utilisé une technique d’hybridation soustractive à partir de transcriptomes obtenus d’un carcinome de Merkel et de la peau saine chez un même malade. La recherche de séquences virales était positive dans 8 des 10 carcinomes de Merkel étudiés alors qu’elle n’était positive que dans moins de 10% des tumeurs contrôles. Les explorations moléculaires ont par la suite démontré l’intégration du génome viral au génome cellulaire suggérant que l’infection ait précédé l’expansion tumorale. Il est certain que cette découverte qui apporte un nouveau regard sur la physiopathologie de cette tumeur rare qui survient parfois dans les situations d’immunodépression (transplantation notamment) doit être confirmée par des études complémentaires. ■ Pour en savoir plus... Cytokératine 20 + ◂ Figure 8. La cytokératine 20 est fortement exprimée par les cellules tumorales (immuno­histochimie, x 200) F eng H, Shuda M, Chang Y, Moore PS. Clonal integration of a polyomavirus in human Merkel cell carcinoma. Science 2008; online. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 2 - février 2009 | 105